39. Une journée au zoo

Le jeudi suivant, Kilian ne regarda pas une seule fois dans la direction d'Aaron. Le vendredi, il avait déjà presque oublié l'incident de l'avant-veille. Il ne voulait toujours pas parler au jeune brun, mais sa colère avait fortement diminué. Il ne savait pas quoi penser et c'était ça qui le gênait. Il ne savait plus où il en était, il ne savait pas ce qu'il aimait ni ce qu'il voulait. Dans un autre monde, dans une autre ville, dans une autre famille, tout aurait été plus simple. Mais personne ne semblait vouloir apporter de réponses aux questions qu'il commençait secrètement à se poser. Jamais Cédric n'avait vu son jeune frère plus mélancolique qu'en cette douce fin de septembre. Cela tombait bien, il avait prévu de lui faire une surprise ce samedi-là. Une surprise qu'il avait programmée il y avait quelques jours de cela. Il voulait juste faire plaisir à son cadet, lui faire passer un bon moment et surtout, lui montrer qu'il avait pris les choses en mains.

En ce beau samedi matin, tandis que le jeune adonis dormait toujours paisiblement, le boxeur entra dans sa chambre aux murs turquoise et vert pomme. Son petit frère était magnifique. Ses légères mèches blondes tombaient de manière désordonnée sur son front laiteux. Les yeux clos, les mains délicatement recroquevillées sur son torse pastel, il ressemblait à un jeune enfant encore innocent. Son air angélique était reposant. Cédric l'observa de longues minutes sans oser le réveiller. Au moins, quand Kilian dormait, personne ne pouvait lui faire de mal. Personne ne pouvait le faire pleurer. Il était juste éthéré, libre, beau comme au premier jour. Quand enfin il se décida à lui caresser la nuque, le blondinet ronronna et ouvrit tendrement les paupières.

« N'oublie pas Kili, cette après-midi, je t'emmène te promener ! »

Kilian ne savait pas où ils devaient se rendre. Il s'en fichait un peu. Il prenait les choses comme elles venaient. Si son frère avait prévu de l'emmener quelque part, c'était qu'il avait forcément une bonne idée derrière la tête.

Contrairement à son habitude, Kilian prit sa douche bouillante. Peut-être que se faire mal lui faisait un peu de bien. Il ne s'en voulait pas d'avoir insulté Aaron. Il avait réagi comme un gentleman, prenant à son corps défendant le parti de la gent féminine et de son honneur. Juste, il repensait les yeux clos au goût toujours aussi sucré des lèvres du jeune brun. En se passant l'index et le majeur droit sur les siennes, il essayait de se remémorer de nouveau ce baiser volé qui n'avait pas duré cinq secondes. Et dès qu'il retrouvait certaines sensations, il augmentait la température comme pour se punir d'avoir osé penser à ce genre de chose. Il n'avait pas le droit. Cela décevrait trop son père.

Entre les tartines de Nutella du matin et la gamelle de riz aux restes du déjeuner, il ne fit rien d'autre que ses devoirs. Ainsi le reste de son week-end serait complètement libre. S'occuper de ses obligations scolaires ne le dérangeait guère. Cela l'amusait presque, sauf lorsqu'il fallait apprendre par cœur une bête leçon d'histoire.

Quand enfin quatorze heures sonna, les deux garçons se rendirent à la station de bus la plus proche. Comme pour faire plaisir à son ainé, Kilian avait mis le beau t-shirt orange qu'il avait reçu peu avant la rentrée.

« Tu m'emmènes où Ced ? »

« Tu verras bien, c'est une surprise. À un endroit que tu aimes bien... et puis il y a un autre truc aussi ! »

Très vite, le jeune garçon réalisa quelle était la surprise de son frère. Il reconnaissait le chemin. Un chemin qu'il avait très souvent emprunté jusqu'à ses douze ans. Plusieurs fois par an, accompagné de sa tante, il se rendait au zoo municipal. Kilian adorait les animaux. S'il disait que ce n'était pas une passion, cela avait quand même tout l'air d'en être une. Depuis le départ de Suzanne pour la capitale, il n'avait plus remis les pieds dans ce parc zoologique. Non pas parce qu'il ne voulait plus y aller, juste parce qu'il ne voulait pas s'y rendre seul.

Quand il vit l'enseigne dorée à travers la vitre du bus, il se jeta au cou de Cédric et lui déposa un léger bisou sur la joue.

« Trop cool ! »

Et encore, Kilian n'était pas au bout de ses surprises. Cédric avait voulu faire les choses bien. Il voulait impressionner son frère. Il avait demandé à quelqu'un de l'aider pour ça.

Quand le jeune garçon blond descendit du car, il dut se frotter les yeux plusieurs fois pour s'assurer qu'il ne rêvait pas. Elle était là, elle était bien là avec un de ses fameux chapeaux affriolants et ses vêtements à la mode d'une autre époque. Souriante, elle attendait assise sur un banc, son petit sac à main en faux cuir blanc sur les genoux. Elle avait poussé le vice de la mémé gâteau jusqu'à jeter du vieux pain rassis aux oiseaux qui flânaient par là. L'adolescent se jeta sur elle et la couvrit de baisers.

« Tatie ! Je suis trop content de te voir ! C'est une super surprise ! Ch'uis trop content ! »

Il l'était vraiment. Ce n'était pas ses mots qui le disaient, c'était ses yeux. Comme à leur habitude, ils se chargèrent de cette douce humidité salée qui aimait tant ruisseler sur les creux vallonnés de ses joues.

Sous le soleil d'un automne naissant, l'étreinte dura plusieurs minutes, ni Suzanne ni Kilian ne voulant lâcher l'autre. Il n'était pas là quand elle avait rendu visite à son frère cet été. Il n'était même pas au courant de cet épisode. Cela faisait plus d'un an qu'il n'avait pas vu celle qu'il considérait plus comme une mère que sa propre mère. Il profitait pleinement des retrouvailles. Voir quelqu'un qu'il aimait et qui l'aimait en retour lui faisait le plus grand bien. Cédric avait touché en plein centre de la cible.

Le zoo était grand et vaste. De nombreuses espèces exotiques y avaient élu résidence, même si cela avait été la plupart du temps contre leur gré. Les éléphants, les tigres, les girafes et les lions faisaient partie des animaux vedettes. Kilian lui appréciait tout autant les chimpanzés, les petites biquettes qu'on pouvait aller jusqu'à caresser et le vivarium rempli de serpents si impressionnants. Quand il était plus jeune, il aurait pu rester des heures le nez collé à la vitre à admirer ces reptiles si dangereux et pourtant si calmes.

Alors que les trois visiteurs sirotaient une glace assis à la terrasse du bar, Suzanne annonça une grande nouvelle à ses deux neveux.

« Les garçons, j'ai une bonne nouvelle pour vous, et un peu moins bonne pour mon fiancé. Ma société connait quelques problèmes avec notre filiale locale. Comme je suis de la région, ils ont décidé de me confier la gestion à distance de cette succursale. Du coup, même si je reste basée à Paris, je devrai passer souvent ici. J'ai récupéré mon vieil appartement et je compte bien y passer un peu de temps ! On pourra se voir souvent comme avant ! »

Suzanne n'était pas idiote. Elle savait que les enfants qu'elle avait tant chéris avaient grandi et n'avaient plus besoin qu'on leur tienne la main pour traverser la rue. Elle voulait juste être là pour eux, en cas de problème. Elle avait bien compris l'appel à l'aide de Cédric. Elle savait que la situation était des plus tendues. Elle avait sauté sur l'occasion dès qu'elle s'était présentée, en en rajoutant même pour que Nestor, son libidineux supérieur, accepte de lui confier cette mission.

L'après-midi était belle, radieuse, tout comme la mine de Kilian. Ses quelques soucis lui semblaient bien loin. Devant la fosse aux ours, il avait presque envie de pardonner à ce con d'Aaron. Un jeune mâle au pelage brun et à l'attitude plutôt gauche lui faisait impitoyablement penser à son camarade de classe. Sa fourrure était faite du même noir que ses cheveux.

« Au fait Kilian, tu ne m'as pas dit, depuis le temps, tu t'es trouvé une copine ? »

Le garçon sourit. Ses joues étaient même un peu roses. Si on lui avait demandé pourquoi cette teinte, il aurait répondu que c'était la faute du soleil qui brillait trop fort dans le ciel. Sa réponse à la question de sa tante fut autant innocente que sincère. Oui, il avait eu une petite copine cet été. Elle s'appelait Léna. Elle était magnifique, mais il l'avait quittée il y a quelques semaines. Il ne voulait pas de ces relations à distance. Cela lui permettait surtout de justifier le fait qu'il n'était pas tant amoureux que ça. Alors qu'ils passaient tous les trois devant la cage d'animaux familiers, Cédric ne put s'empêcher de taquiner son jeune frère :

« Tu sais tata Suzy, mon petit frère, c'est un éternel insatisfait qui s'intéresse à tout ! Filles, garçons, chiens, chimpanzés, koala... on n'a jamais vraiment eu le détail ! Enfin si, il préfère les koalas, mais chut hein ! C'est un secret ! »

Tandis que Kilian sentait son visage prendre une couleur encore plus vive que celle de son t-shirt, sous l'œil intrigué d'un marsupial posté sur une branche à quelques mètres de là, son ainé lui promit de lui offrir une peluche de cet animal à la boutique du zoo avant de partir.

« C'est même pas vrai en plus ! Je suis jamais sorti avec un koala ! Alors qu'en fille, il y a eu Léna, et il y a aussi Alice dans ma classe qui me court après depuis la sixième ! À force de me tourner autour, c'est sûr qu'un jour je finirai avec elle ! Pas ma faute à moi si je les excite toutes, ça doit être les phéromones !»

Alice connaissait Kilian depuis le primaire, lui avait déclaré sa flamme en fin de sixième, avait pleuré pendant toute la cinquième, avait fait son deuil affectif en quatrième et semblait prête à repartir à l'assaut en ce début de troisième. Moins populaire que les fraicheurs, elle restait appréciée de tous grâce à son tempérament gentil autant que serviable. De quelconque, elle avait fini par devenir mignonne. Les vacances et un petit régime sportif avaient bien aidé.

À la fin de la journée, Cédric tint parole. Il offrit la plus belle peluche de Koala à son petit frère, qui n'osa pas refuser un tel présent. Même s'il se sentait du haut de ses quatorze ans terriblement gêné, le geste le touchait. Elle irait rejoindre à coup sûr à côté de son lit son vieil éléphant. Au moment des au revoir, Suzanne enlaça les deux garçons tendrement. Tout irait bien à présent. Elle était là pour eux.

Dans le bus du retour, Kilian tomba de fatigue. Il posa délicatement sa tête sur l'épaule de Cédric et ferma les yeux. Machinalement, il fit ce qu'il faisait toujours quand il était plus jeune et qu'ils se promenaient ensemble. Il saisit la main de son grand frère pour ne plus la lâcher de tout le voyage. En l'absence de leurs parents, le père ayant un dîner d'affaires et la mère une affaire après un dîner, ce fut plateau télé pour les deux adolescents, suivit d'un film dont le titre et le scénario comptaient moins que le moment de tendresse qu'ils partageaient l'un dans les bras de l'autre.

Le lendemain, Kilian se rendit une nouvelle fois dans la salle d'arme. Une fois encore, Diego s'entrainait et lui, il l'admirait. Le jeune d'origine espagnole était son modèle à suivre. Et quand ce dernier se proposa de l'entrainer directement, le cœur du jeune blondinet se mit à battre la chamade.

Diego ne cachait plus son intérêt pour Kilian. Il l'avait pris sous son aile. Peut-être souhaitait-il malgré la différence d'âge un peu plus que cela. Pour tâter le terrain, il préférait toujours le chambrer. C'était la solution la plus discrète, la moins risquée.

« Kilian, si lors de la prochaine compète interclubs tu ne finis pas premier de ta tranche d'âge, je te bouffe tout cru ! »

L'avantage d'un double sens, c'est justement le double sens. Parfaitement innocent si le destinataire l'est, particulièrement osé dès que le destinataire fait preuve d'un peu de perversité et d'imagination.

Kilian était Candide en personne. Même si l'attitude de Diego l'intriguait, le poussait à se poser des questions, il préférait ne rien voir. Il était bien trop premier degré pour s'attacher aux sous-entendus

« Tu vas voir Diego, j'vais les ratatiner. Ils vont gouter de mon fleuret, ils ne vont rien comprendre ! »

Ah jeunesse crédule ! Jeunesse ingénue ! Mais avant tout jeunesse...

Amusé par autant d'assurance, Diego rétorqua :

« Nan mais l'autre ! Il a trois poils au nombril, il se prend pour un adulte ! »

Pour être tout à fait exact, Kilian n'avait pas trois poils au nombril. Ni même deux. Ni même un seul. Il avait bien un chouïa plus bas une légère toison dorée à peine naissante qui faisait sa fierté et lui donnait l'impression d'être presque un homme. Mais son nombril restait quand à lui désespérément glabre.

Ce qui n'était pas pour déplaire à Diego.

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