30. Rentrée des classes

Même s'il attendait avec impatience la rentrée des classes, Kilian aurait fortement apprécié qu'elle ne soit pas à huit heures et demie ce mardi là. Il aurait adoré pouvoir passer encore quelques minutes de plus enveloppé dans ses draps. Juste quelques minutes.

Cédric ne l'entendait pas de cette oreille et pour fêter cette nouvelle année scolaire qui commençait, il offrit un réveil des plus musicaux à son jeune frère. En tapant fortement avec une cuillère en bois sur une vieille casserole juste à côté de sa tête.

« Debout le monstre ! Tu vas être en retard ! »

Kilian ne lui répondit pas avec des mots. Il préféra lui envoyer son oreiller adoré à la figure. Bien entendu, le jeune blondinet possédait un radioréveil et, en temps normal, il n'avait pas besoin de son frère pour se réveiller. Mais cela lui faisait toujours plaisir de voir les trésors d'imagination que ce dernier pouvait déployer pour le sortir des bras de Morphée. Le blondinet « oubliait » donc assez souvent de programmer son alarme. Et si ça lui permettait de dormir quelques minutes de plus, c'était toujours ça de pris.

Comme à son habitude, Kilian s'affala dos au mur sous sa douche fraiche, le front levé vers le pommeau pour mieux sentir le jet glacé s'écouler sur son visage. Comme à son habitude, il avala en quelques instants son petit déjeuner préparé avec affection par Cédric. Comme à son habitude, il cavala à moitié habillé dans toute la maison à la recherche de sa paire de chaussettes préférée qu'il ne retrouvait plus. Comme à son habitude, il rattrapa son retard en parcourant les huit cent trente-quatre mètres qui le séparaient du collège au pas de course. Et comme d'habitude, alors qu'il arrivait en sueur devant les portes massives de l'établissement Voltaire, Madame Stricker, la surveillante générale, était là pour l'accueillir.

« En retard dès le premier jour Monsieur Juhel ? Je vois que les vacances ne vous ont pas fait perdre vos mauvaises habitudes ! Vous êtes à ce point en manque d'heures de colle ? »

Ce venin ne blessait ni ne choquait Kilian. Il y était habitué. Madame Stricker était un véritable démon craint de toutes et de tous. Toujours habillée d'un chemisier blanc et d'un tailleur gris en laine – elle aimait les uniformes et s'en était donc confectionné un pour elle seule – et toujours coiffée d'un horrible chignon à la mode des années trente, elle représentait l'autorité absolue dans le collège. Personne n'aurait jamais osé lui tenir tête, pas même le plus turbulent des élèves. Ce n'est pas qu'on ne jouait pas avec la discipline, c'était juste que c'était elle le maitre du jeu.

« Pardon madame, j'ai eu une panne de réveil, je suis désolé ! »

Kilian ne l'était pas le moins du monde, mais il baissait quand même la tête en signe de respect et de soumission. Il savait qu'ainsi, il éviterait sans aucun doute la retenue. Il ne détestait pas madame Stricker. Au contraire même, il avait du respect sincère envers sa surveillante. Même si elle était sévère, au moins avait-elle comme qualités d'être juste et de maintenir un semblant d'ordre dans l'établissement. Et puis, à part ses retards répétés, Kilian ne posait pas vraiment de problème de comportement et savait que son obédience le protégeait des colères de la quinquagénaire.

« Bon, ça va pour cette fois, dépêche-toi de rejoindre les autres dans la cour, l'appel va commencer. »

L'adolescent s'exécuta promptement. Il avait hâte de retrouver certains de ses camarades, à commencer par Martin et Yun-ah, sa meilleure amie. S'il connaissait le premier depuis le primaire, il n'avait rencontré la douce Coréenne qu'en sixième. Ils avaient tous les trois fait le choix de la section européenne, ce qui leur avait permis dès le début du collège de suivre des cours d'espagnol en plus de ceux d'anglais. Cela avait comme effet secondaire d'apporter énormément de stabilité dans leurs fréquentations. Comme l'établissement n'avait qu'une seule classe de ce type, ils avaient l'assurance de se retrouver avec les mêmes camarades à chaque rentrée. À part quelques départs en fin d'année et arrivées en début de la suivante, il n'y avait jamais aucune modification dans la composition de leur classe.

« Kiiiiiiiiil' ! Enfin t'es là ! T'as passé de bonnes vacances ? »

Yun-ah connaissait déjà la réponse à sa question pour avoir longuement discuté avec son ami via Skype, Facebook et SMS tout le long de ces deux mois de repos. Sans même attendre la réponse évidente, elle se jeta au cou du blondinet pour l'embrasser sur la joue. Kilian la serra dans ses bras et lui caressa la tête :

« Ooooooh, toute douce, là ! Gentille la Yunette ! Làààààà, calme ! »

Ce qui était bien dans cette relation d'amitié, c'était qu'elle autorisait toutes les taquineries. Ils s'en donnaient tous les trois à cœur joie. Dans le trio, chacun avait un rôle bien défini. Yun-ah était la fille un peu folle, Kilian le garçon gentil qui devait la calmer en toutes circonstances et Martin… Il faisait le roux de la bande d'amis, mais il le faisait à la perfection.

Entre eux trois, c'était à la vie à la mort. Forcément, Kilian se sentait plus proche de Martin avec qui il partageait presque tout, mais Yun-ah était son petit trésor asiatique à lui. Il l'adorait. L'un et l'autre passaient leur temps au collège à se faire des « câlins d'amitié » sans jamais penser à mal. Les parents de la jeune fille étaient tous deux originaires du pays du matin calme. Même si elle n'y mettait les pieds qu'en vacances, elle était particulièrement fière de sa Corée et le montrait autant qu'elle le pouvait, notamment en affichant ses goûts musicaux si particuliers à base de sons traditionnels et de k-pop. À côté de ça, du haut de ses un mètre cinquante, elle semblait faite en sucre. Toujours son visage rond affichait le même sourire radieux sous une paire de lunettes à la monture épaisse. Le contraste de couleurs entre ses cheveux noirs qui lui tombaient jusqu'au milieu du dos et ses vêtements bigarrés était saisissant. Elle ne portait que des tenues bariolées aux tons flashy. Et elle était intelligente aussi. Brillamment intelligente même. En plus d'être une clarinettiste hors pair, elle n'avait jamais lâché la première place dans sa classe depuis que Kilian la connaissait.

« Oh, il est trop beau ton t-shirt Kil, c'est un nouveau ? »

« Oui ! C'est mon grand frère qui me l'a offert ! Bon, j'ai dû négocier un peu hein, mais franchement, je regrette pas ! »

Kilian était on ne peut plus fier de son maillot orange et l'affichait clairement. Et tant pis si certains collégiens se moquaient de lui à voix basse. Après tout, ce n'était pas leur faute s'ils n'avaient aucun goût, n'est-ce pas ?

« Eh Kil, Yu', il parait qu'il y a un nouveau cette année dans notre classe ! J'ai entendu le directeur en parler avec Monsieur Bruissière en arrivant. J'espère qu'il sera sympa ! »

Martin et Kilian n'avaient pas grand-chose à se raconter : ils s'étaient déjà tout dit. Alors il fallait bien trouver des sujets de conversation en attendant que ne débute l'appel. Un nouvel élève dans la classe ? Cela les rendait perplexes. Les trois compères se mirent à l'imaginer. Yun-ah essayait de se persuader qu'il serait grand, blond et musclé. Un aventurier dandy en quelque sorte. Kilian, lui, misait plus sur un petit gros mal dans sa peau mais très sympa qu'ils pourraient éventuellement intégrer à leur bande. Martin n'avait rien contre, mais à une condition, qu'il ne soit pas roux. Pas question de se laisser piquer son rôle !

Enfin, le directeur s'avança devant le micro qui avait été installé en plein milieu de la cour. Si madame Stricker était considérée comme le diable, alors lui était le dieu du collège. Petit monsieur moustachu aux cheveux gris, il était d'une énorme tendresse envers les jeunes qui l'adoraient en retour. Il préférait toujours le compromis et la pédagogie à la sanction, mais pliait la plupart du temps devant les arguments de sa surveillante générale.

Tout le monde savait que la section européenne serait la troisième classe à être appelée. Kilian et ses amis attendaient donc patiemment leur tour.

« Bref, la 3ème3, section européenne. Cette année, votre professeur principal sera votre professeur d'histoire-géographie, Monsieur Bruissière ! Vous être nombreux à le connaitre pour l'avoir eu en cinquième ! »

En effet, Kilian le connaissait. C'était un professeur dans la quarantaine passionné par son métier. Il ne racontait pas l'histoire, il la vivait. Il portait une barbe épaisse, des petites lunettes et des vêtements beiges qui sentaient toujours le tabac froid. Il était devenu prof par vocation. Il aimait son métier, Il aimait sa matière et surtout, il aimait ses élèves. L'avoir en professeur principal l'année du brevet était une chance. Enfin, aurait été une chance pour Kilian s'il n'avait pas été aussi nul en histoire-géographie. C'était de loin sa matière la plus faible. Ce n'est pas que ça ne l'intéressait pas, c'est juste qu'il ne comprenait pas pourquoi on enseignait ces « sciences » de l'homme où il fallait toujours apprendre mais ne jamais comprendre. Son truc à lui, c'était les maths. La seule matière dans laquelle il arrivait à concurrencer Yun-ah.

À peine le nom du professeur principal annoncé et avant même que le directeur n'ait eu le temps de faire l'appel, les élèves se placèrent derrière lui.

« Je vois donc que vous n'avez pas besoin de moi ! Bon, eh bien, avant de prendre possession de votre classe, laissez-moi quand même vous présenter un nouvel élève. J'espère que vous lui ferez bon accueil ! Bref, viens mon garçon, je t'en prie, rejoins tes camarades ! »

Un jeune garçon tout vêtu de noir sortit de la foule. Parce qu'il était mignon, les filles se mirent à chuchoter entre elles un certain nombre de bêtises d'adolescentes. Ses cheveux d'un noir profond lui tombaient sur la nuque. Il affichait un large sourire de décontraction. Plutôt mince, il n'en semblait pas moins sportif pour autant. À sa main droite, il portait une gourmette en argent sur laquelle était gravé son prénom. À sa main gauche, il arborait une montre légère et grisée. Son visage était très fin et sa peau paraissait particulièrement douce. Son nez était encore celui d'un enfant, mais son sourire celui d'un séducteur expérimenté.

Sans même se présenter, il passa devant tous ses camarades. Ses seuls mots, il les glissa doucement en passant à côté de Kilian et de Martin :

« Un blond et un roux, vous allez bien ensemble… »

Martin ne goûtait pas la plaisanterie. Il se tourna vers Kilian et lui lâcha :

« Mais il se prend pour qui celui là ? C'est qui ce mec putain ? »

Kilian était blanc comme un linge, au bord du malaise. En s'agrippant à la manche de son camarade, il lâcha la voix tremblotante :

« Un con, un… Un très gros con… »

Le rouquin écarquilla grand les yeux. Son meilleur ami était en train de se décomposer devant lui. Il avait peur de comprendre. Cela lui semblait complètement surréaliste.

« Ce mec... Ça serait… Nan ? Le type du camp ? Celui qui t'a… »

Avant même qu'il ne puisse terminer sa phrase, Kilian lui tira le bras très fortement comme pour le faire taire. Puis, se tournant vers lui les yeux humides et la tête gigotant dans tous les sens, il lui intima l'air cadavérique :

« Ta gueule Martin. Juste, ta gueule ! »

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