24. Camping au clair de lune
« Réveille-toi Kilian, allez, vite, on va être en retard ! »
La voix tonique de Jules sortit le jeune adolescent du sommeil. S'il ne se souvenait pas précisément de ses rêves, il avait la douce sensation d'avoir particulièrement bien dormi. Bien dormi, mais pas assez. Jules le comprit à ses dépens au moment même où il reçut dans la figure l'oreiller de celui qu'il avait osé réveiller.
« Eh Kilian, t'en prends pas à Jules hein ! On a déjà eu assez de mal à se débarrasser de Frank comme ça, on va pas lui coller un autre tortionnaire sur le dos ! »
Aaron, assis sur son lit en tailleur chambrait avec le sourire ses camarades. En vertu de l'interdiction qui leur avait été faite d'approcher Jules, Frank et les siens avaient été séparés et dormaient sous étroite surveillance dans les bungalows des moniteurs. Autant dire que l'ambiance dans la chambre G4 semblait enfin agréable. Suffisamment pour oser envoyer au visage du jeune brun ténébreux un autre coussin qui trainait là.
« T'as raison Aaron, j'vais pas martyriser ce pauvre Jules. VENGEANCE ! YAH »
Encore sonné, Aaron attrapa son traversin et le jeta en direction de Thomas qui se le prit en pleine face. Étonné, il exprima son mécontentement à son camarade :
« Eh, mais j'ai rien fait moi, là ! »
Aaron, debout pied nu sur son lit et vêtu uniquement de son beau boxer noir répondit :
« Y a pas de raisons que je sois le seul à manger ! Bataille de polochons ! »
La bataille dura de longues minutes et c'était du chacun pour soi. Les alliances se faisaient et se défaisaient selon les circonstances. Il est vrai que Thomas prit un peu plus cher que les autres. Cela procurait sans doute beaucoup de bien à Jules et Kilian de s'en prendre à lui en toute innocence. Seul Lucas cherchait à ne pas se mêler aux hostilités, mais quand lui aussi se ramassa un oreiller sur la tête, il se jeta furieusement sur Aaron. Ce dernier se laissa taper amicalement sans riposter afin de faire plaisir à son camarade.
« Aïe, non, à l'aide, Lucas me martyrise ! A l'aiiiiiideuh »
Il fallut compter sur une ombre massive qui passait par la porte pour rétablir le calme.
« Mais PUTAIN, vous vous mettez jamais sur pause, vous ? »
Basile était excédé. Jamais colonie de vacances ne l'avait fatigué autant que celle-là.
L'histoire ne retint pas le prénom de celui qui osa envoyer un coussin sur le grand canadien. Tous auraient pu le faire. Tous auraient voulu le faire. Avant même que le moniteur ne puisse réagir, toute la petite troupe avait disparu en direction du réfectoire.
« Kilian, t'aurais quand même pu mettre un jogging au dessus de ton calbut', nan ? »
Bien que le fréquentant depuis bientôt deux semaines, Aaron était toujours aussi surpris du manque de pudeur du jeune éphèbe qui se baladait les cuisses à l'air.
« Meuh nan, j'en mettrai un après le p'tit dej'. J'ai trop faim là ! Si j'avais pris le temps d'en mettre un avant, Jules aurait eu le temps de tout bouffer. »
La logique implacable de Kilian fit rire son camarade. Un peu d'eau avait coulé sous les ponts. Même si Aaron n'était pas complètement pardonné, la trêve signée la veille au soir leur faisait beaucoup de bien à tous les deux.
Toute la journée fut consacrée à la préparation du camping. La longue marche à pied pour rejoindre la zone la plus agréable du Jura fut suivie d'un pique-nique en plein air, puis du montage des tentes. Devant la lourdeur de la tâche, tous les jeunes n'y mettaient pas le maximum de bonne volonté, comme Aaron par exemple qui fit le tour des demoiselles en détresse plutôt que d'aider à monter la tente de son propre groupe. Son comportement fit grincer quelques dents.
Tandis que les vacanciers suaient fortement au soleil et s'activaient et que les minutes passaient, les moniteurs décidèrent de se « venger » gentiment de ces deux semaines de souffrance. Vers seize heures trente, ils sortirent les seaux et pistolets alimentés par l'eau du torrent situé à quelques encablures. Armés de ce liquide glacé, le corps encadrant s'en donna à cœur joie. Ce fut la débandade chez les jeunes qui étaient bien trop frileux pour supporter l'assaut. Mais très vite, leur esprit combatif reprit le dessus. La révolte fut menée par Kilian. Le jeune garçon, immunisé contre le froid grâce à son goût pour les douches fraiches, sacrifia son corps pour la cause commune. Alors que les adultes déversaient toutes leurs minutions sur le pauvre garçon qui criait à gorge déployée, les autres jeunes étaient partis à la recherche de leurs propres cartouches. Armés de bouteilles et de leur courage, ils menèrent une contre-attaque précise et rapide. À seize heures cinquante, l'armée des moniteurs déposait les armes. Les adolescents triomphants, profitant que le soleil soit encore chaud et présent, se mirent à chercher des branches et de la place dans l'herbe pour faire sécher leurs shorts et t-shirts.
« Et bah mon cochon, t'as pris cher ! T'es mouillé de chez mouillé ! »
Jules s'était réfugié au sec loin de toute cette agitation mais avait quand même fini par être éclaboussé lui aussi. Il admirait avec ferveur le courage de son camarade trempé jusqu'aux os.
« J'adore l'eau froide, ça ne me fait rien du tout ! Mais là, j'avoue que quand même, ils y sont allés fort, ils m'ont même foutu de l'eau dans le caleçon ! J'ai les roubignoles complètement gelées ! »
Kilian se serait bien allongé nu dans l'herbe en attendant que toute sa panoplie sèche, mais il avait en tête les conseils de son grand frère quant aux principes de pudeur en société et avait ainsi dû garder sur lui son boxer aussi vert que détrempé.
« Boarf, si y a que tes couilles de gelées, ça va hein ! »
Malgré sa réponse, Jules restait vraiment impressionné par la résistance au froid du blondinet. Il avait fini par développer de l'admiration pour ce dernier. Voire même une pointe de jalousie tant Kilian paraissait mignon là où lui était plutôt banal, courageux là où lui était lâche, et athlétique là où lui était plutôt enrobé. Mais il savait aussi quel bon camarade il était. Plutôt que de l'envier, il préférait le prendre en exemple, en espérant qu'un jour lui aussi aurait autant de succès avec les filles.
Car du succès, Kilian en avait et pas qu'un peu. Même s'il ne s'en rendait pas compte, sa peau de bébé, son sourire d'une blancheur impeccable et son caractère adorable les faisaient toutes craquer. L'épisode des douches avait même au final joué en sa faveur, prouvant à toutes sa virilité naissante. Mais lui s'en fichait, il n'avait d'yeux que pour Léna. Même s'il s'était réconcilié avec Aaron, ses relations avec la belle étaient toujours tendues, ce qui ne manquait pas de le travailler.
Ce fut donc une énorme surprise pour lui quand elle lui déposa une serviette sur les épaules et qu'elle commença à s'en servir pour le frotter dans tous les sens. Son visage devint rouge comme une fraise et plus que les frictions ou la serviette, ce fut la gêne qui fit monter d'un seul coup sa chaleur corporelle.
La jeune fille souriait tout en s'appliquant à réchauffer le jeune éphèbe. Ses mains se firent même baladeuses, cherchant à n'oublier aucune parcelle de la peau nue et imberbe du jeune homme. Si l'effet du tissu sur son torse ne le dérangeait pas, il se sentit particulièrement gêné quand elle lui essuya les cuisses. Cette scène provoqua des regards agressifs et dépités chez les autres filles qui n'avaient pas osé se montrer si entreprenantes. Kilian lâcha timidement :
« M… Merci ! »
Léna lui répondit avec un clin d'œil :
« C'est rien. Et sinon, t'as vraiment été classe hier, c'est bien ce que tu as fait. »
De son côté, Jules trouvait quand même que l'adolescente exagérait un peu. En technique de drague, c'était clairement un peu abusé. Même si Kilian avait été classe, il ne fallait pas oublier ce que lui avait dû endurer. Il méritait bien d'être un peu séché aussi non ? Ce n'était en tout cas pas la priorité de la jeune demoiselle. Kilian, lui, profita de la situation pour enfin s'excuser. Il prit grand sa respiration et lâcha d'une traite en baissant les yeux :
« Tu sais Léna, je… Euh… En fait… Je suis trop désolé pour ce que j'ai fait avec les douches et tout. C'était super nul. Tu as eu raison de me gifler, j'me sens nul. J'espère que tu me pardonneras. »
Le garçon souffla un grand coup. Enfin, ça, c'était fait. Il se sentit soulagé. Même si la jeune fille n'acceptait pas ses excuses, au moins il se serait comporté comme un homme. Mais il se faisait du souci pour rien. La réponse de Léna ne tarda pas. Elle ne lui répondit pas avec des mots. C'est en lui déposant un délicat bisou sur la joue qu'elle avait frappée auparavant qu'elle lui fit comprendre qu'il était tout pardonné.
Puis, son jeune éphèbe étant sec - à l'exception du boxer vert toujours aussi humide -, elle retourna discuter avec ses copines à l'ombre d'un mélèze. Kilian était euphorique. Ce léger baiser le libérait d'un poids qu'il n'en pouvait plus de porter. Devant la niaiserie qui s'affichait sur son visage, Jules leva les yeux au ciel de dépit. Mignon, sportif, gentil, courageux, ça oui, c'était une bonne définition du Kilian. Mais quand même, en ce qui concernait les filles, il restait complètement irrécupérable ce pauvre garçon.
La soirée fut des plus agréables. Comme lors de leur arrivée au camp, les adolescents purent se remplir le ventre avec de délicieux hot-dogs maison. Mais l'avantage cette fois-ci, c'était que les saucisses étaient cuites directement sur plusieurs feux allumés par les moniteurs. Et que serait un barbecue en pleine nature sans marshmallow fondant ? Les uns après les autres, les jeunes campeurs approchèrent du feu leurs bonbons plantés sur une tige en bois ramassée dans les environs.
Tandis que, fidèle à son habitude, Jules s'empiffrait, une brochette pleine de guimauve dans chaque main, il s'assit à côté d'Aaron et lança la conversation :
« Au fait, Merchi –ouah ch'est chaud – pour hier. Ch'était vachement cool de m'avoir défendu comme ça ! »
Aaron rigola à la vue du jeune roux le visage tout barbouillé de sucre fondu.
« T'en fais pas, c'est normal Jules. Y a des limites à ne pas franchir, je supporte pas les guignols qui font du mal aux plus faibles qu'eux. »
Jules le regarda les yeux en biais. Intrigué, il demanda :
« Mais pourtant, t'es pas le dernier à emmerder le monde non ? »
Aaron sourit à son interlocuteur avant de répondre tout en levant les mains au ciel :
« Mais moi, c'est différent ! Je taquine, mais ça va jamais loin ! J'ai une morale ! »
« Pourtant, c'est pas très moral de draguer Léna alors que Kilian est dessus, tu crois pas ? », le coupa aussitôt Jules.
Aaron eut un mouvement de recul. Plus que l'accusation frontale, c'était la vaillance du rouquin qui le surprenait. Il comprenait tout à fait l'erreur d'appréciation qu'avait faite ce dernier et il lui répondit le plus sincèrement du monde :
« Tu parles de tout à l'heure, avant l'attaque des monos, quand je lui ai parlé à l'écart ? T'y es pas du tout mon pauvre Jules, mais pas du tout ! Je sais bien que Kilian craque pour elle, tu crois quoi ? Non, si je suis allé la voir, c'était juste pour m'excuser et lui expliquer que c'était moi qui avais poussé son crétin de blondinet à la regarder sous les douches. Ce neuneu n'aurait jamais osé me charger et aurait tout pris pour lui sinon ! »
Un marshmallow dans la bouche, Jules dévisagea le jeune brun. La franchise de ce dernier le surprenait, l'intimidait presque. Il se sentait du coup particulièrement idiot. Aaron passa son bras frêle autour de l'épaule du gourmand et, l'air sadique, il lui glissa quelques mots dans l'oreille :
« Naturellement, mon p'tit Jules, il va de soi que si tu répètes un mot de ce que je viens de te dire à Kilian, je te promets que tu vas vite te mettre à regretter Frank. »
Jules déglutit d'un coup ce qu'il avait en bouche. Il savait très bien qu'Aaron rigolait, mais tout compte fait, il n'avait pas du tout envie de vérifier si c'était vraiment une plaisanterie.
« Pro… Promis ! T'en fais pas, je serai une tombe ! Croix de bois, croix de fer, si je mens je perds mon dessert. »
Même si l'expression usuelle parle d'aller en enfer plutôt que d'abandonner des sucreries, Jules préférait utiliser cette version toute personnelle qui lui allait à merveille. La soirée, elle, continua tandis que les deux garçons échangeaient dans la bonne humeur leurs avis sur ces deux semaines de vacances.
Et le temps coulait lentement au clair de lune. La nature était belle. Chaque moniteur avait organisé une petite activité et les adolescents passaient de l'une à l'autre sans se soucier du lendemain. Du côté de Samantha, on regardait les étoiles tandis que Basile, armé de sa guitare folk, chantait des comptines québécoises. Ses comptines, il les aimait paillardes. Les jeunes adoraient ça.
Mais certains vacanciers avaient décidé de s'éloigner du camp, de marcher paisiblement à la seule lueur de la lune et des étoiles. Ces dernières se reflétaient dans le petit torrent, où justement, main dans la main, Kilian et Léna avaient trempé leurs pieds.
Ils ne parlaient pas beaucoup. Ils profitaient juste du moment présent, tous les deux sans personne pour les embêter ou les observer. Quand elle avait froid, Léna se collait au jeune garçon qui la serrait dans ses bras. Quand elle avait chaud, elle feignait d'être frigorifiée. L'épisode de la douche était déjà de l'histoire ancienne, tout était pardonné.
Quand la jeune fille passait ses doigts fins dans les cheveux du garçon, ce dernier répondait par les mêmes gestes. Quand elle lui passait la main dans le dos, il en faisait de même, et quand elle lui déposa un bisou sur la joue, il voulut lui rendre la pareille.
Sauf que ce ne fut pas sa joue qu'il embrassa. Léna avait su tourner sa tête au bon moment pour se plonger, les yeux fermés, sur la bouche du jeune garçon.
Toutes les émotions s'emparèrent de Kilian. De surprise, il voulut reculer, mais la demoiselle l'avait trop fortement agrippé pour qu'il puisse s'échapper. Quand il comprit que ce baiser n'était pas un accident, il se laissa complètement aller. Les yeux clos, il sentait les douces lèvres de sa camarade contre les siennes. Elles étaient chaudes et avaient une odeur de pomme. Tandis que son cœur battait de plus en plus fort, il laissait sa langue s'aventurer au contact de celle de la jeune fille. Ce n'était pas seulement agréable, cela avait quelque chose de magique. Une expérience nouvelle qui faisait vibrer toutes les parties de son corps à l'unisson. L'échange de salive et de tendresse dura plusieurs minutes, pendant lesquelles il n'y avait plus rien d'autre que la belle.
Sa mère qu'il détestait. L'odieux Frank. Les disputes avec Aaron. Les profs et leurs appréciations débiles sur le bulletin. Plus rien n'avait d'importance, plus rien n'existait. Il n'y avait que Léna. La mirifique et douce Léna. Celle qui lui offrit son premier baiser. Celle qui, sans crier garde, sans prévenir, l'avait fait grandir d'un seul coup. Kilian sortait à peine de l'enfance qu'il plongeait dans l'adolescence.
Même si dans son esprit, ce moment avait duré une éternité, il aurait souhaité qu'il ne s'arrête tout simplement jamais. C'était sans compter sur la gaucherie d'un petit roux qui passait par là.
« Kilian ?! Léna !? Dépêchez-vous, les monos vont tirer les feux d'artifice ! »
Que serait un camping un soir d'été sans ces festivités ? C'était le point d'orgue des vacances. Jules pensait bien faire, il ne voulait pas que son pote manque ça ! Il ne comprit d'ailleurs jamais pourquoi, alors qu'il observait les premières fusées s'élever dans le ciel, Kilian lui glissa à l'oreille cette charmante courtoisie :
« Jules, j'te jure, t'es pas possible, j'vais te tuer ! Franchement, je… vais… te… tuer ! »
Kilian ne mit jamais son plan à exécution. Après tout, il n'en voulait pas vraiment à Jules et disait cela uniquement pour plaisanter. Mais quand même… Pourquoi ce moment magique avait-il dû connaitre une fin si prématurée ?
Dans sa tente, au fond de son duvet, il pianotait le cœur brulant quelques mots sur son portable :
« Ced, je crois que je suis amoureux ! »
La réponse fut quasi immédiate. Kilian n'eut pas le temps de reposer son téléphone qu'il vibra dans sa main ?
« Koala ? »
Ce message fit sourire le jeune blondinet. Il tapa machinalement quelques lettres avant de fermer les yeux et de s'endormir comme une pierre. Il ne rêva que d'elle.
Sur son téléphone à l'écran encore allumé, tandis que le message s'envolait vers son destinataire, on pouvait lire ces deux simples mots :
« Une fille »
La fille.
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