20. Humiliation en altitude
Aaron avait plutôt bien pris sa sanction. Après tout, un lundi entier enfermé dans sa chambre, ce n'était pas si cher payé pour avoir espionné les filles et avoir fait pleurer Frank. La joie de voir ce dernier en larmes valait bien toutes les punitions du monde. En plus, cela lui avait permis d'éviter la longue randonnée en montagne, moment qu'il redoutait le plus pour l'avoir déjà subie l'année précédente. Il faut dire que les interminables marches à pied de plusieurs heures sur terrain accidenté en plein cagnard, ce n'était pas ce qu'il préférait, loin de là. Tranquillement assis sur son lit en train de dévorer un des nombreux romans de science-fiction qu'il avait en réserve dans son sac, il eut quand même une pensée pour ce pauvre Jules, obligé de traîner toute sa graisse sur un si long dénivelé.
Dans le camp, les racontars sur Aaron s'étaient calmés pour se déporter sur Frank et sa bande. Mieux, certains jeunes ne cachaient même plus leur admiration envers le jeune brun culotté. Kilian, lui, était passé à travers les gouttes du filet et des punitions. Il avait certes avoué avoir accompagné Aaron dans sa folle aventure perverse, mais les autres avaient témoigné en sa faveur et avaient assuré que tout cela avait été contre son gré. Sous le soleil de plomb jurassien de ce lundi après-midi, il en vint à se demander s'il n'aurait pas été préférable d'être puni en compagnie du brunet.
Du côté des filles, une fois le choc passé et les aérations des douches protégées des regards indiscrets, tout était rentré dans l'ordre. L'avantage, c'était que toute cette histoire leur avait fait de sacrés sujets de conversation, de quoi occuper leurs vacances et surtout de quoi avoir beaucoup de choses à raconter à leurs copines sur facebook. Avec les outils modernes, la rentrée scolaire était vraiment devenue des plus inutiles. Une seule fille n'avait pas le cœur à discuter ou à rire. Léna n'était pas furieuse ou simplement en colère. Non, son sentiment envers Kilian était bien pire, elle ressentait une immense déception. Lui qui était si gentil, si serviable, si mignon... Lui qu'elle espérait tant embrasser le dernier soir au clair de lune, après la dernière danse... Kilian n'avait pas seulement brisé sa confiance, il avait aussi détruit ses rêves bucoliques d'adolescente. Ses lectures de romans à l'eau de rose, les films qui parlaient de vampires amoureux qu'elle aimait regarder au cinéma entre copines... Tout son imaginaire fleur bleue s'était heurté à la dure réalité : les garçons étaient tous les mêmes, même le plus charmant et trognon d'entre eux.
Elle n'avait aucune envie de lui pardonner. Aucune envie d'écouter ses excuses. Elle ne voulait même plus lui adresser la parole. Même quand en plein milieu de la randonnée, la voyant suffocante, il lui avait proposé de lui donner un peu de son eau, elle n'avait pas daigné lui répondre. Mieux valait mourir de soif que de honte. Si seulement cet angelot n'avait pas accompagné le démon ce fameux soir derrière les douches, si seulement...
Et les jours passèrent les uns après les autres, rapprochant de plus en plus les jeunes adolescents de la fin de leurs vacances sportives. Le mardi avait été une journée complètement libre dans le camp. Dès l'aube, les tensions s'étaient montrées vives entre Aaron et Kilian. Le jeune blondinet refusait de pardonner à son camarade. Pour la première fois de sa vie - en excluant sa génitrice - il avait vraiment de la rancœur envers quelqu'un. Leurs seuls échanges étaient l'occasion de s'envoyer quelques piques à la figure. Ainsi, quand Aaron se dirigea vers le gymnase pour y suivre un cours de danse sportive, Kilian ne put s'empêcher de l'assassiner :
« Enfin, tu admets que tu es une gonzesse Aaron ? Tu veux que j'aille te chercher un tutu ? »
Laconique, le jeune adolescent répondit sans détourner le regard :
« Le problème, c'est pas la danse Kilian. Le problème, c'est les clichés. Blaireau. »
Le mercredi, toute la petite troupe s'était rendue au lac pour un pique-nique et de la natation en pleine nature. À la différence de la journée à l'aqua-parc, Léna n'essaya pas de couler Kilian par derrière. Au contraire, elle était restée toute la journée avec ses copines à flâner au sec. Voir les fins pectoraux du jeune garçon briller entre les gouttes et les rayons du soleil l'énervait au plus haut point. Elle ressentait une grande sensation de gâchis. Mais malgré les tentatives de s'expliquer et de s'excuser répétées de ce dernier, elle ne pouvait pas passer l'éponge. Sa fierté de jeune demoiselle moderne l'en empêchait. Elle envoya même bouler des plus méchamment ce pauvre Jules qui s'était proposé de faire l'entremetteur. De son côté, Kilian était désespéré. Il avait déjà abandonné dans son esprit tout désir de rapprochement avec la jeune fille. Il savait qu'il ne le méritait pas, mais il tenait quand même à se faire pardonner et à réparer son erreur par tous les moyens. Ses échecs répétés dans cette entreprise l'empêchaient de retrouver le sourire. Il compensait en s'en prenant à Aaron à chaque fois qu'il le croisait. C'était puéril, il le savait, mais cela soulageait sa rancune tenace.
Afin d'apaiser les tensions et de garder toute cette petite troupe sous contrôle, Fred avait décidé de suivre les groupes G4 et F4 en soutien de Basile et de Samantha. Il redoutait particulièrement l'activité du jeudi, la Via Ferrata.
Sorte d'accro-branche se déroulant dans des rochers plutôt que dans des arbres, la Via Ferrata consiste à se balader de pierre en pierre à travers des éléments spécifiques, comme des échelles, des câbles ou des tyroliennes. Cette activité, fortement appréciée des jeunes, demande selon les parcours une bonne condition physique et surtout de respecter les règles de sécurité élémentaires.
Dès que la charmante monitrice locale termina de donner les consignes, Aaron se jeta sur le parcours le plus compliqué. Sa maitrise de l'escalade lui rendait la tâche des plus faciles. Il veillait cependant à toujours bien s'accrocher aux câbles même s'il n'en avait pas besoin, afin de bien montrer l'exemple.
N'acceptant pas le côté frimeur de son camarade, Kilian lui emboita le pas. Si Aaron était capable de passer à travers les difficultés, il fallait que lui aussi y arrive. Peut-être que Léna le remarquerait et qu'au moins, cela adoucirait son jugement à son égard.
« Eh, me laisse pas seul ! Attends Kil ! »
Jules ne supportait pas la hauteur, il avait une peur panique du vide. Les accompagnateurs l'avaient cependant poussé à se rendre à cette activité, lui promettant que tout se passerait bien. Tremblotant d'appréhension, il avait fini pas accepter, se disant que s'il restait avec son pote Kilian, il ne risquait pas grand-chose. Kilian, lui, avait d'autres idées en tête que de s'occuper de son petit rouquin. Sans réfléchir, le garçon à la peau pleine de taches de rousseur tenta de le suivre dans le parcours le plus exigeant afin de ne pas rester seul.
Sans avoir le temps de respirer, il se retrouva poursuivi par la bande des Daltons et leur chef, ce cher Frank-Rantanplan. Frank n'avait toujours pas digéré l'humiliation d'Aaron subie le dimanche précédent. Mais il avait eu beau téléphoner en larmes à sa douce maman et supplier Fred de punir plus lourdement son bourreau, le jeune brun s'en était sorti à moindres frais. Frank ne l'acceptait pas mais il ne pouvait rien y faire. Lui et ses copains étaient beaucoup trop lâches pour affronter à nouveau leur adversaire. Et comme tout lâche qui se respecte, quand on ne peut pas s'en prendre à plus fort que soi, on s'en prend à plus faible. Après tout, Jules n'était-il pas lui aussi un peu responsable ? Il ne pouvait pas se faire martyriser en paix sans se faire protéger par l'odieux Aaron ? Il paierait pour deux.
La tâche fut d'autant plus facile pour la bande des affreux que Jules était en perdition au milieu de toute cette caillasse. Kilian l'avait semé depuis un bon moment et de son côté, il peinait à avancer sur le chemin tortueux. Arrivé sur un des points les plus élevés du parcours, sa phobie du vide le reprit. C'est à ce moment là que Frank et les siens décidèrent d'agir en le bloquant de toutes parts et en détachant sa sécurité.
« Alors Jules, t'as peur ? »
« Arrête tes conneries, Frank ! Rattache-moi tout de suite, je supporte pas le vide ! »
Jules était affolé. Il tremblotait en s'accrochant comme il le pouvait aux pierres à côté de lui. On aurait presque dit qu'il suffoquait.
« Mhhhh, je sais pas... T'as été méchant Jules, très méchant avec nous. Tu as refusé de nous obéir, tu as préféré te cacher dans les jupes de Kilian et Aaron... Ça mérite bien une punition tu crois pas ? »
Larmoyant, Jules répondit désespéré :
« Oui, oui, tout ce que tu voudras, je ferai tout ce que tu voudras, mais rattache-moi s'il te plait, j'ai peur ! »
Frank exultait. Le garçon était à sa merci et ni Kilian ni Aaron ne pouvaient venir l'aider.
« J'hésite... Je n'sais pas, p'têt qu'on va te laisser là tout seul en attendant que tu tombes... Tu sais, pour qu'on te pardonne, il faudrait au moins que tu ailles voir toutes les filles du camp pour leur dire que t'es une tapette et que tu as essayé de nous draguer. Comme ça, tout le monde arrêtera de parler sur mon dos, tu crois pas ? »
« Oui, oui, je le ferai... Pitié, s'il te plait... Rattache-moi. » Jules était vraiment prêt à tout accepter pour mettre fin à son supplice, bien qu'il ne fût même pas en état de réaliser ce qu'il acceptait.
« On peut pas lui faire confiance, Frank, tu sais bien que dès qu'il sera en bas, il ira se cacher derrière les monos et cet enfoiré d'Aaron. Si on le laisse partir, il le fera jamais. Faut le corriger ici et maintenant, tu crois pas ? » De sa bande, si Frank était le leader, il n'était pas forcément le plus tordu ni le plus vicieux. C'était à un certain Pierre que revenait ce titre.
« Pitié, pitié ! » Jules n'en pouvait plus de pleurer. Il avait peur, vraiment peur. Il était même terrifié.
« T'as raison Pierre, on peut pas lui faire confiance... Mais on fait quoi alors ? Regardez-le comme il est ridicule, on dirait qu'il va se pisser dessus... », surenchérit un autre de la bande.
Des éclairs de génie peuvent parfois survenir d'on ne sait où. Le problème, c'est que tout le monde n'a pas la même définition du mot « génie ». Chez Frank, c'était plutôt le style « génie du mal » qui s'imposait. Il afficha un large sourire qui laissait paraitre ses dents légèrement déchaussées.
« Ça, c'est une bonne idée... Jules, t'es bien une gonzesse hein ? »
« Oui, oui, oui ! », répondit le jeune garçon terrorisé sans réfléchir !
« Et t'es d'accord avec moi pour dire que les gonzesses, quand elles ont peur, elles se pissent dessus, hein, Jules ? »
« Ouiiiiiii, oui... S'il te plait Frank... »
Le petit rouquin avait beau afficher un visage suppliant, cela n'émouvait pas Frank. Au contraire, ça lui donnait encore plus envie de lui torturer l'esprit.
« Tu es donc d'accord avec moi, Jules, pour dire que tu dois te pisser dessus, tout de suite, pour nous prouver que tu es bien une gonzesse ? »
Frank était des plus excités. Le plaisir qu'il avait à martyriser Jules était la sensation la plus douce qu'il n'ait jamais connue. Sa méchanceté allait jusqu'à faire poindre des rondeurs sous le haut de son jogging.
« Mais... Mais... J'peux pas faire ça... Frank, arrête ! »
Jules était livide. Il venait de comprendre où son tourmenteur voulait en venir. Il n'avait plus simplement peur, il avait du dégout, tandis que son visage s'était recouvert de larmes acides.
Frank n'appréciait pas du tout la tentative de rébellion de son jouet et lui mit une claque :
« Fais-le ! Tout de suite ! Ou on te pousse dans le vide ! »
Dans un énorme sanglot, Jules baissa la tête et décontracta sa vessie. Jamais il ne s'était senti plus humilié qu'en sentant le liquide chaud mouiller son caleçon, couler sur ses cuisses joufflues, sous ses genoux et jusqu'à dans ses chaussures. Il beuglait un râle de désespoir.
Frank de son côté n'avait pas manqué une seule seconde de la scène, ouvrant grand la bouche et se délectant des larmes et de la honte de sa proie. C'était euphorisant. Il ne se sentait plus dans son propre slip. Puis, une fois que la tâche mouillée fut parfaitement visible sur le short de l'agneau humilié, il lui rattacha les sécurités puis lui donna une petite tape sur la tête.
« Et bah voilà, ce n'était pas si difficile Jules, hein ? Tu es une vraie gonzesse maintenant ! Et quand tu redescendras, tu diras à tout le monde que tu t'es fait dessus tout seul car tu avais peur du vide. Et si tu parles de nous... Nan, tu parleras pas de nous, t'es pas assez fou pour le faire hein ? Et puis, t'es notre gonzesse à nous, tu nous trahiras pas, quand même ? »
Jules ne répondit pas, il tourna juste la tête de gauche à droite pour approuver la consigne de l'ignoble Frank. Ce dernier et sa troupe continuèrent le parcours comme si de rien n'était, laissant seul derrière eux le pauvre garçon qui, tétanisé, ne pouvait plus bouger.
Quand Kilian arriva peu après Aaron, Fred lui demanda s'il avait vu Jules. Kilian répondit naïvement qu'il l'avait laissé à l'arrière. Fred pâlit. Jules seul sur le parcours le plus compliqué ? C'était une catastrophe annoncée. Quand enfin il récupéra l'enfant mouillé et l'aida à descendre, il n'avait pas de mots pour exprimer sa colère. Le jeune rouquin eut presque l'impression de se faire engueuler :
« Jules, abruti ! Pourquoi t'es allé sur ce parcours ? T'es inconscient ou quoi ? Et ça, c'est quoi ? Tu... Tu t'es pissé dessus ? »
Toute l'assistance le regardait, à commencer par la bande qui s'en était pris à lui. Il baissa les yeux et, reniflant bruyamment, il gémit :
« Oui... Je me suis fait pipi dessus... Je suis une gonzesse ! »
Frank jubilait de nouveau. Sa victoire était presque totale. Il ne lui restait plus qu'une chose à faire. Il le fit immédiatement. Tandis que Kilian cherchait à réconforter son copain du mieux qu'il pouvait tout en culpabilisant de l'avoir laissé seul, Aaron ferma les poings et serra les dents. Frank se glissa derrière lui et lui chuchota à l'oreille :
« C'est un avertissement Aaron, la prochaine fois, c'est toi qui te pisseras dessus. »
Aaron ne répondit pas. Il ne réagit même pas. Il ferma juste les yeux et se mordit violemment la lèvre inférieure. Son cœur rugissait de colère et de fureur. La rage envahit son corps. Des flammes brulaient sous ses paupières.
Frank voulait la guerre, il ne l'aurait pas. Le jeune brun ne rentrerait pas dans ce jeu stupide et puéril. Sa rage, il la destinait à ceux qu'il jugeait vraiment responsables de ce qui était arrivé à Jules.
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