VII - ... et jeux de scène (partie 2)
La jeune fille resta penchée un moment au-dessus du document typé médiéval.
- Alors quoi ? s'impatienta Angel.
- C'est vraiment un grand homme, dit-elle enfin en reniflant, comme si l'émotion avait attiré quelques perles de ses larmes. Doublé d'un grand poète.
- Tu as compris quelque chose à ce message ? la pressa le garçon.
- Non, justement. Mais c'est le principe de la poésie, n'est-ce pas ?
Maximilien bougonna quelque chose à propos d'un repaire d'imbéciles.
- As-tu rejoint le monde terrestre après avoir l'avoir découvert ? questionna Yara.
- Oui, pour me reposer la tête, répondit Maximilien. À vrai dire, je me la suis plutôt cassée en essayant de comprendre le sens du poème. Figurez-vous que le papier lui-même s'est incarné dans le monde terrestre. J'en ai été extrêmement surpris mais puisque ça vient de lui...
- Un objet physique qui passe d'une dimension spirituelle à une dimension terrestre, réfléchit l'ange. Je vois. Nous devrions peut-être oublier le message un moment et nous concentrer sur son support. L'objet tout entier présente un intérêt. Angel, tu te souviens de la clé laissée par... comment dire ? ton prof remplaçant ? Ce parchemin est un objet du même genre. S'il n'a pas disparu, c'est qu'il n'a pas encore rempli son rôle. Son auteur attends que nous retrouvions sa trace. Toute chose possède un esprit qui, comme un cerveau, archive les souvenirs. Je vais le lire pour voir par quels lieux il est passé et on s'y rendra.
Yara ferma les yeux un moment, serrant le papier entre ses doigts, concentrée. Amanda et Maximilien parurent contempler une boule de cristal invisible pour Angel, dérouté, qui se sentit une fois de plus exclu de l'assistance.
L'ange rendit le message au jeune homme. Elle se recula un peu et d'un geste ample, traça dans l'air un cercle parfait. Ses mains, telle une araignée tissant sa toile ou un avion laissant dernière lui une longue traînée blanche, avaient dessiné dans l'air un contour en fil de lumière. L'intérieur du cercle irradia d'un éclair noir qui, en perdant de son intensité, se stabilisa pour laisser apparaître un décor sombre, apparemment l'entrée d'un parc d'attraction.
Maximilien s'élança directement dans l'anneau, aussitôt suivi d'Amanda et de Yara.
Angel le dernier s'engouffra dans le passage. De l'autre côté, il faisait nuit et le temps n'était pas sûr. Les paumes d'Amanda s'illuminèrent en un phénomène toujours aussi inexplicable pour Angel qui, sans plus se poser de question, profita de cette lampe torche originale pour lire sur l'arc en fer à cheval qu faisait office de portail : Mephisto's Theater. Un plan du parc était planté un peu plus loin.
- On peut peut-être se servir du poème pour nous guider, maintenant, suggéra Amanda.
Elle parcourut du regard la légende de la carte, comparant les vers aux noms des jeux.
- Il est exprimé très clairement que nous devons nous rendre au Quai des Tournis. Il y a une attraction aquatique tout au bout, ça pourrait être ça.
Les quatre compagnons s'y dirigèrent donc, pensant, le long du chemin, inspecter également le parc à loisir. Mais la route sablée principale se divisait en plusieurs autres s'enfonçant dans la nuit. Ils s'engagèrent dans une voie et durent franchir des couches successives de ténèbres avant de voir fondre l'opacité et poindre à l'horizon, à la faveur d'une des trois lunes qui éclairaient successivement ce monde inconnu, l'une prenant la relève lorsqu'une autre partait se reposer sous un édredon cotonneux où dormait déjà la benjamine des triplées, les reliefs d'une bâtisse ou les rails emmêlés de montagnes russes.
Parvenus à une place divertissante, le groupe passa devant une boutique de souvenirs vendant exclusivement des marionnettes articulées. Les joyeux pantins posaient dans la vitrine qui refléta le visage d'Angel. Étrangement attiré par ce que d'autres auraient qualifié de musée des horreurs, le garçon s'arrêta. Sa vue s'adapta pour traverser sa propre image flottant sur le miroir de fortune. Son visage se superposa alors à la figure inexpressive d'une poupée dotée de longues couettes blondes qui lui fit immédiatement penser à Mika. Troublé, il examina rapidement toute la rangée de jouets. Les poupées étaient quatre en comptant celle à l'effigie de sa jumelle. Il s'effraya en s'identifiant à une seconde affublée d'une tignasse jaune paille et d'un petit point noir dessiné sous la bouche. Sa miniature était séparée du jouet Mika par la troisième marionnette, l'air froid et distant, aux cheveux bicolores. Le dernier pantin était susceptible de représenter Yara, aux longs fils de laine bleue pour chevelure. On lui avait épargné le costume d'époque classique arrangé de frou-frous et particulièrement gothique dont étaient parées les autres, ce qui ne l'empêchait pas, abandonnée au bord du présentoir, de dégager plus que les trois autres réunis une impression de mélancolie et de solitude. Angel remarqua d'une marionnette à l'autre quelques tâches sur les vêtements, un doigt ébréché, une ficelle prête à se rompre. Toutes, sauf celle étrangement neuve qui le représentait, devaient être d'occasion. Un enfant avait déjà joué avec dans un lointain passé. Il ressortait de leur aura les réminiscences de l'enfance sacrifiée au profit de l'adulte. Et la tragédie se perpétuerait éternellement, les poupées seraient rachetées pour une innocente tête blonde qui grandirait et ne jouerait plus avec, s'en séparerait sans état d'âme, les offrants à une nouvelle jeunesse qui rêvait déjà de maturité. Et si un jour il n'y avait plus d'enfants pour reprendre le jeu ? Et si la vie s'arrêtait comme une terre qui semble s'étendre à l'infini mais s'achève en vérité par une falaise tombant à pic ?
- Tu viens ?
Tiré de ses pensées, l'adolescent rejoignit ses amis, s'efforçant de chasser de son esprit l'art du désespoir et de l'intemporel.
Bientôt, la petite troupe arriva sur la berge d'un lac où avait été installé un semblant de port mais ce dernier était désert et ne présentait aucun indice.
- Nous nous sommes trompés d'attraction, lâcha Yara en même temps qu'un long soupir de lassitude.
- Il y a encore plein d'endroits à explorer, positiva Amanda.
- Tu es bien sûre que nous sommes dans le bon rêve ? demanda Angel que la contemplation des marionnettes avait vidé de tout courage.
- Absolument certaine... répondit Yara, de moins en moins convaincue et par la même occasion de moins en moins convaincante.
- C'est un grand honneur d'être ici, rétorqua Maximilien. Si nous ne parvenons pas à résoudre son énigme, c'est que nous ne sommes pas dignes de le rencontrer. Continuons.
- Exactement, approuva Amanda en tapant dans ses mains. Faisons deux équipes : les garçons, vous partez de ce côté, Yara et moi prenons par-là.
Aussitôt dit, aussitôt fait. C'est ainsi qu'Angel se retrouva à arpenter le parc aux côtés de l'épéiste qui lui inspirait encore parfois de la méfiance. Ils progressèrent lentement, attentifs à chaque détail susceptible de constituer un indice. Après avoir déambulé un quart d'heure dans des ruelles bétonnées bordées de stand forains, ils débouchèrent sur une petite place fermée entourée de hautes maisons à colombages et de boutiques de déguisements. Au bout se dressait une tour, une sorte de clocher qui renforçait la mise en scène. Curieux, Angel s'engouffra sous sa grande ouverture arquée et découvrit une enfilade de couloirs couverts de miroirs déformants. Indépendamment de toute logique, comme souvent dans les rêves, les miroirs renvoyaient une image totalement différente de ce à quoi on aurait été en droit de s'attendre. Ainsi, dans une glace conçue pour faire paraître son corps énorme surmonté d'une tête ridiculement chétive, Angel se voyait normalement proportionné mais vêtu d'une redingote et coiffé d'un tricorne. Cela l'amusa et il courut à la suivante.
Maximilien le laissa s'éloigner de quelques mètres et le perdit de vue lorsqu'il tourna à un angle : lui-même prenait le temps d'examiner chaque recoin et de jeter un œil aux miroirs, mais sans autre excitation que l'idée de rencontrer le maître des lieux. Ce gosse l'exaspérait. Il agissait tantôt de manière insouciante, tantôt armé d'une prudence démesurée, tête brûlée dont le bon sens réduit en cendre s'envolait parfois dans un tourbillon de poussière écœurant, agité par les orages et les vents contraires. Il n'avait aucune notion des forces qui l'entouraient. Durant leur combat, s'était-il sérieusement imaginé l'avoir vaincu ? Les deux filles aussi l'agaçaient. Il s'était renseigné un minimum. Celle aux cheveux roses n'avait jamais connu que la paix des montagnes. Certains événements étaient venus la tirer de sa bulle et elle s'était ralliée au mauvais camp. Celui d'une ange déchue. En apparence, cette dernière n'était pas méchante, mais il n'était pas aussi naïf. Il connaissait mieux que personne la manipulation. Ils pouvaient tous rester aveugles, se préoccuper jusqu'à la désillusion de leurs projets voués à l'échec, lui était conscient de posséder le pouvoir de changer le monde et il en userait sans faiblir. Mais après tout, qui était-il pour les juger ? En un sens, il ressemblait à ce garçon. Même si cela l'irritait prodigieusement, il devait l'admettre : il avait découvert le monde spirituel malgré lui et avait travaillé d'arrache-pied pour devenir capable d'exaucer son vœu et celui de tant d'autres gens. Parfois, il craignait de ne pas valoir mieux qu'un triste illuminé. D'autres, bien plus puissants que lui, n'avaient jamais rien fait pour rendre le monde meilleur. Ou n'avaient jamais rien pu faire. Ces pensées l'agitaient. Il s'empressa de les calmer. Il devait profiter des rares moments de paix dont il disposait : à tout moment l'alarme pouvait se déclencher. Sans compter que ces satanés flics célestes étaient probablement à leur recherche. Il fallait se dépêcher : une étape importante se dessinait devant lui. Plus motivé que jamais, il pressa le pas... et déboucha sur un cul-de-sac.
- An... Angel ? appela-t-il un peu timidement, hésitant toujours à prononcer un nouveau nom.
Le blond avait disparu. Maximilien ne céda pas à l'inquiétude et repartit en sens inverse afin de s'assurer qu'il n'avait pas manqué une intersection, mais l'adolescent demeura introuvable.
De leur côté, les filles avançaient en accordéon pour être certaines de quadriller tout le parc. Cependant, Amanda se montrait distraite. Après avoir longtemps retourné une question dans sa tête, elle se décida à la poser, rapidement, feignant un air dégagé :
- Yara, il paraît que tu as changé d'avis à propos de... ?
Elle se rendit compte qu'elle ne le savait pas exactement. Elle avait pourtant préparé sa phrase qui devait se terminer par « à propos de venir en aide à Angel pour retrouver sa sœur » mais cela lui semblait soudain erroné. Sa relation avec Angel s'était visiblement tendue, mais Yara n'avait pas encore déclaré clairement qu'elle renonçait à quoi que ce soit. Néanmoins, la jeune femme devina ce qu'elle voulait dire et répondit, presque sèchement :
- Histoire personnelle.
La jeune fille se raidit, tracassée de mille soucis :
- Mais que va devenir Angel ?
- Tu pourras faire un excellent guide spirituel, répondit l'ange du tac au tac.
Amanda secoua la tête, désemparée.
- Il ne renoncera jamais à ramener sa sœur...
- Qu'il fasse ce qu'il veut, ça m'est égal ! se fâcha Yara pour de bon. Mais qu'il attende au moins que je ne sois plus dans les parages.
- Alors tu as vraiment l'intention de laisser tomber Angel après lui avoir toi-même mis des idées dans le crâne ? Je ne comprends pas, s'entêta Amanda. Les anges ne sont pas censés veiller de près sur les humains ?
Elle y venait enfin, à ce qui l'intriguait vraiment : les rapports entre anges et humains.
- Ils ne s'approchent presque jamais de nous, ajouta-t-elle dans un murmure.
- Parce que pour nos protégés nous sommes les ennemis publics numéros un !
Yara cria presque ces mots, tâchant vainement de dissimuler le tremblement de sa voix dans son intensité. Amanda le perçut et ne fut apparemment pas la seule, car un rire diabolique s'éleva tout près. Un rire qui ne leur était pas inconnu :
- Gyah ha ha ha ha !
Toutes deux se figèrent et pivotèrent lentement, hésitantes, tels des robots, vers un petit square pour jeunes enfants. Au centre, sur un large tourniquet, on distinguait une forme humaine agitée des soubresauts de son hilarité. Cette dernière à peu près passée, l'homme commenta, entre un reste de gloussement et des miettes de rire :
- Vous y avez mis le temps.
Les deux jeunes femmes, confuses, ne surent que répondre, impressionnées par la supériorité naturelle qui émanait de cet être mystérieux. Il soupira et tendit la main devant lui. À ce geste, comme obéissant à un ordre, le parchemin froissé enroulé dans la main d'Amanda se téléporta à ce qui la simple silhouette qu'il était encore. Il l'aplatit sur ses genoux et glissa son index sur le message. Aussitôt, chaque lettre s'illumina d'un violet brillant, comme de petites lampes. L'homme sembla aussi chausser des lunettes.
- Ah, on y voit plus clair, c'est vraiment génial ! s'exclama-t-il.
Puis de s'extasier un long moment sur la qualité des luminaires et le bon goût de ces binocles. Ni Yara ni Amanda n'osa l'interrompre.
- Bien, dit-il en relisant le poème, ce n'est pourtant pas très compliqué !
- Je suis désolée, s'excusa Amanda, mal à l'aise. Je ne suis pas douée quand il s'agit de poésie.
- Ce n'est pas de la poésie, la contredit l'homme, ce sont des jeux de mots !
- Des jeux mots ?
- Tout juste. Le Quai des Tournis, c'est le tourniquet !
Il paraissait être réellement fier de lui. Yara ne put s'empêcher de marmonner :
- C'est pour ça que les rimes sont aussi foireuses...
- Oh, vous trouvez ? Mais le premier vers était époustouflant, n'est-ce pas ?
Et, trop impatient, l'homme expliqua immédiatement son tour d'esprit sans leur laisser le temps d'y réfléchir :
- Lit-belle-hurle ou plutôt : Libellule !
Yara était sur le point de faire une remarque sur la troisième syllabe quand Amanda se précipita pour prendre la parole :
- Est-elle avec vous ?
- Mais très certainement, Mademoiselle !
Un immense soulagement emplit la jeune fille :
- Nous vous serons éternellement reconnaissants pour ce que vous avez fait pour nous, pour nous avoir sauvé d'une injuste condamnation.
- Et vous êtes venues seulement pour vous épancher en remerciements ?
- Comment ? s'étonna Amanda.
- On vient aussi récupérer une amie puisque on y est, précisa Yara. Pourquoi nous avoir laissé cette poésie foir... ce jeu de mot, sinon ?
- Mais il n'était pas pour vous !
- Tout à l'heure, vous nous avez reproché de ne pas être arrivées plus tôt.
- Je me suis trompé ! Vous pouvez repartir !
Amanda se sentit idiote devant toute la puissance et la sagesse que l'ombre de Mephisto lui inspirait. Yara, au contraire, perdait patience et commençait à le prendre pour un imbécile.
- Dans ce cas, il ne fallait pas nous le faire parvenir si vous ne vouliez pas être dérangé.
Mephisto soupira.
- Je n'ai pas le choix alors ! Je vais voir ce que je peux faire pour vous !
Il claqua des doigts et, comme par magie, un coup de projecteur rose le révéla dans sa plus grande splendeur. Il apparut vêtu d'un étrange costume de cirque quoique d'une certaine élégance. Ses cheveux, crinière indomptable d'un noir d'ébène, étaient arrangés selon une coiffure volumineuse. Ses traits d'homme de vingt-sept ou vingt-huit ans ne parvenaient pas à cacher une certaine gaminerie et un sourire malicieux. Ses yeux félins ourlés de longs cils se dissimulaient sous... de succulentes lunettes qui n'étaient autre que des sucettes en spirale rouges et blanches dont les bâtons de plastique faisaient office de branches !
- Cet original ! s'écria Yara. Comment peut-il voir quoi que ce soit derrière des verres pareils ?!
- Oh, ça, fit Mephisto, l'air désolé, on ne peut vraiment rien voir ! Mais ce n'est pas grave parce que c'est bon !
Joignant le geste à la parole, il retira les lunettes de fortune et se mit à les lécher goulûment.
- En tout cas, maugréa Yara, le front appuyé sur sa paume, s'il achève encore une phrase par un point d'exclamation, moi, c'est l'auteur que j'achève. Peut-on en venir au fait ?
Mephisto cligna des yeux quelques secondes, semblant se remettre en mémoire ce pour quoi il se trouvait face à deux femmes un peu coincées. Il se tourna vers une petite poupée de porcelaine assise près de lui sur le tourniquet et en laquelle on pouvait reconnaître la danseuse qui avait provoqué la terreur des policiers célestes. Le jeune homme se mit à lui parler :
- Rachel, voyons, il ne faut pas faire attendre les touristes !
La marionnette se mit sur son séant sans que son maître ne contrôle ses ficelles. Elle salua cérémonieusement puis commença à tourner sur elle même. Le tourniquet suivit son mouvement. Les ficelles flottant dans l'air s'enroulèrent jusqu'à ce qu'elles soient tellement serrées qu'elles stoppent le mouvement du pantin. Le tourniquet qui avait pris de la vitesse se bloqua également d'un coup. S'installa brusquement dans l'atmosphère un calme pesant, incapable de se prolonger. Lentement, les ficelles opérèrent leur premier tour de délivrance avec peine. Cette impulsion déclencha le reste du processus. Elles se démêlèrent en quelques secondes. Suspendue à ses liens, la poupée ne put rien faire pour y résister. Elle tourbillonna comme une toupie folle, accompagnée du tourniquet. Ce dernier paraissait sur le point de s'envoler de son pilier ; il abusait les sens par sa vitesse étourdissante, ébauchant dans le même temps, en hachures distendues, la consistance d'un vent visible. Dans une rafale de paillettes un cyclone se forma, préservant en son œil la recette d'un secret qui fut révélé lorsque la tempête retomba. Un manège, du genre vieux carrousel, se dressait à présent dans toute sa majesté à la place du tourniquet. Et, monté sur un cheval blanc, un garçon frêle, de type asiatique, l'air fort mécontent.
- Une dimension emboîtée dans une autre ! s'exclama Yara, surprise d'une telle découverte.
- C'est une... prison ? s'enquit Amanda.
- Sans aucun doute ! répondit Mephisto sans tenter de nuancer le propos. Ce petit réclamait son frère, il répétait qu'il était ici et, comme je le trouvais un peu turbulent, je l'ai fait patienter plus loin : il ne voulait pas mettre les voiles mais il y mettait de la voix, voilà tout ! J'attendais donc plutôt un garçon pour venir le récupérer...
Et, se tournant vers le jeune détenu, il lança par-dessus Yara qui marmottait un « il lui a donc montré la voie » :
- Tu es satisfait maintenant, Libellule ?
- Il faudra vous dire combien de fois que je m'appelle Hotaru ? cracha l'interpellé. Laissez-moi partir !
Le gamin se débattait, les mains liées dans le dos, canonnant dans l'air toute une flopée d'insultes diverses et variées :
- Vous n'êtes qu'un sale pervers, un malade mental ! Ça va pas de forcer les gens à s'habiller comme ça ?
- Tu l'as encore sur le cœur ? Crois-moi, tu es plus mignon ainsi !
Le garçon était habillé en culotte courte et portait une veste du même style que celle de son geôlier. Mais ce qui blessait son amour propre par-dessus tout, c'était un chapeau de paille au sommet duquel était planté un drapeau Je suis un IDIOT !
- C'est très joli voyons, tenta de le convertir Mephisto à sa mode. C'est bien mieux que le triangle blanc que tu portais sur le front quand nous nous sommes rencontrés !
- C'était donc une obligation ce nœud affreux autour du cou ?
- Le nœud-papillon, sache que c'est le bien, mon enfant ! expliqua solennellement l'homme en tirant son haut-de-forme ceint d'un nœud imposant.
- Je ne savais pas qu'il était de ce genre là, fit Amanda, enfin navrée par l'attitude de Mephisto et ne sachant que penser en observant la scène.
Les paroles du fantaisiste personnage la frappèrent avec un peu de retard :
- Attendez, il l'a appelé Libellule tout à l'heure ?
- Ha ha ! Je les confonds toujours ! s'en amusa le jeune homme. Vous comprenez, ils sont de la même taille !
- Répétez un peu pour voir ! s'emporta Hotaru, visiblement très irrité que l'on appuie sur sa petite taille.
Le manège continuait de tourner, obligeant le garçon à se contorsionner pour garder le marionnettiste dans son champ de vision et secouer dans sa direction les miettes qui demeuraient collées au fond de son sac de jurons. À l'opposé apparaissaient un carrosse et d'autres chevaux, dont un entre les oreilles duquel était perchée une minuscule petite fée ailée.
- Libellule ! la reconnut Amanda.
- C'est un taré ! Un malade complètement cinglé ! renchérit la fée de son pépiement d'oiseau, suivant les miettes.
Loin de s'émouvoir de sa chute dans les sondages de l'opinion publique, Mephisto enchaîna :
- Alors c'est celle-ci la vôtre ? Ce fut un plaisir ! N'oubliez pas, la garderie est ouverte du lundi au vendredi de sept heures à dix-huit heures ! Désirez-vous une carte de visite ?
- Ça ira comme ça, le calma Yara en tournant la tête vers le jeune asiatique qui disparaissait derrière le carrousel, prise de pitié pour lui. Qui attend-il ?
Les deux filles se demandèrent si Maximilien avait un frère. Cela leur semblait peu probable. Si le marionnettiste avait pu mélanger les noms de Libellule et Hotaru, il avait tout aussi bien pu s'emmêler dans les destinataires. Il leur semblait pourtant que la lettre leur était bien adressée. Mephisto savait que leur petite bande cherchait leur amie Libellule. Cependant, il avait dans son esprit collé le nom de Libellule au visage de Hotaru. Ce dernier demandant son frère, il avait tout d'abord pris l'ange et la jeune fille pour de simples visiteuses puis cru avoir envoyé son message aux mauvaises personnes. En résumé, Hotaru risquait d'attendre encore un moment. Mais qui ?
- Qui attend-il ? revint la question sur les lèvres de Yara, comme le refrain d'un cantique qu'on a bonne conscience de fredonner sans savoir pourquoi.
***
De son côté, Maximilien sentait monter en lui une panique incontrôlable. Il avait eut beau appeler et chercher Angel, celui-ci demeurait introuvable. Chaque fois qu'il avait perdu un camarade, c'était pour retrouver un peu plus tard un corps démembré. Il ne le supportait plus. Il se mit à courir à travers tout le parc et finit par tomber sur Yara et Amanda près d'un étrange manège. Trop tourmenté pour s'intéresser aux inconnus, il put à peine articuler :
- Dans la tour des miroirs... Angel a disparu !
- La tour des miroirs ? réagit Mephisto. C'est problématique... Ah, il va encore falloir que je m'ampute d'une dimension !
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