Intermède premier

L'un des tout premiers rêves conscients que fit Angel le mena sur un astéroïde, un caillou perdu dans le système solaire sur lequel s'était installé un drôle de personnage. Un roi siégeait sur un trône majestueux, bien que très simple. Ses habits de pourpre et d'hermine traînaient à ses pieds comme des fauves se prélassant, étendus de tout leur long jusqu'à envelopper toute la minuscule planète de leur fourrure paresseuse.

- Il y a bien longtemps que je n'avais pas reçu un sujet ! s'exclama le monarque à la vue d'Angel.

- Vous faites erreur, je ne suis pas d'ici, le contredit l'adolescent.

Mais le roi lui fit signe de s'approcher pour mieux le voir. Angel soupira.

- Il est inconvenant de soupirer devant un roi, le réprimanda ce dernier. Je te l'interdis.

- C'est plus fort que moi, répondit le garçon, quelque peu agacé.

- Dans ce cas, dit le roi, confus, je t'ordonne de soupirer. Je vois des gens soupirer si rarement que les soupirs sont pour moi un souffle léger, exotique. Soupire donc encore. C'est un ordre.

- Je ne peux plus, j'ai les poumons trop fragiles, prétexta Angel pour échapper à cet insupportable petit jeu.

- Oh, bon... fit le roi. Puisque c'est comme ça, je t'ordonne de soupirer quand ça t'es possible et, le reste du temps, de...

Il ne termina pas sa phrase qui mourut dans une moue vexée. C'était un souverain de droit divin et absolu. Il n'admettait pas qu'on lui désobéisse mais tenait pourtant à se montrer magnanime. Il expliquait souvent qu'il ne pouvait donner que des ordres raisonnables : s'il ordonnait à une mouette de se transformer en valet de pied et si sa directive était ignorée, la faute lui reviendrait à lui seul.

- Est-ce que je peux vous poser une question ?

- Je t'ordonne de me poser une question !

Angel leva les yeux au ciel mais poursuivit :

- De quoi est-ce que vous êtes roi, exactement ? De quel pays ?

- Je suis roi de tout, répondit naturellement le monarque.

- De tout ?

- Je règne sur tout ce que tu vois s'étendre devant tes yeux, les planètes, les étoiles.

Angel en resta bouche bée. Le roi remontait dans son estime. Avait-il affaire à Dieu ? Quelle chance ! Peut-être pouvait-il lui demander une faveur. Retrouver sa sœur, être heureux, que tout redevienne comme avant. Les idées se bousculaient dans sa tête.

- Je vous en prie ! demanda-t-il en se jetant presque à ses pieds. Acceptez ma requête, faites-moi la grâce de m'offrir ce qui serait pour moi comme le plus merveilleux des levers de soleil !

- Vois-tu, dit le roi, comme je te l'ai expliqué, mon pouvoir s'appuie sur la sagesse.

- Ça signifie que je n'aurai rien ?

- Tu auras ton lever de soleil. Mais il faudra attendre la disposition des astres propice à l'événement que tu demandes.

- Combien de temps est-ce que je dois attendre ? s'inquiéta Angel.

- Voyons voir... réfléchit le souverain tout en consultant un journal avant de s'écrier, triomphant : Le lever de soleil aura lieu demain matin vers six heures et quart ! Tu pourras constater le respect de mes ordres.

Angel soupira.

- En fait, ce n'est pas vraiment un lever de soleil que je veux, tenta-t-il d'expliquer. Je... C'est compliqué. Je dois m'en aller.

- Pas tout de suite !

Le roi était bien triste de voir son royaume se vider de nouveau.

- Si tu restes, tu seras magistrat, promit-il.

- Je serai quoi ?

- Ma-gi-strat, répéta le monarque en séparant bien chaque syllabe. Ça veut dire que tu auras le pouvoir judiciaire. Tu pourras diriger les juges.

- Il ne me semble pas qu'il y ait beaucoup de juges dans le coin.

- On ne sait jamais. Tu sais, mon domaine est si vaste que je ne le visite pas souvent. Avec l'âge, j'ai trop mal au dos pour monter à cheval et il n'y aurait de toute manière pas la place ici pour une bête de cette taille.

Angel contempla l'univers aussi loin que ses regards puissent porter.

- Il n'y a que des astéroïdes et des étoiles.

- Tu devras donc être à la fois magistrat et juge : tu te dirigeras toi-même. Il est difficile de se donner des ordres et de les suivre, il faut être en harmonie avec son âme et son esprit. Si tu y parviens, tu mériteras le titre de philosophe éclairé.

- Ça tombe bien, je m'ordonne de partir. J'ai des choses à faire.

- Une minute, le retint encore le roi. Il y a, enfouie dans le sol de ma planète,une colonie de fourmis. Tu pourrais les juger et, comme elles sont nombreuses, en condamner certaines à mort de temps en temps. Tu aurais une partie importante de mon pouvoir, tu comprends ? Ces sujets t'obéiront car ils auront peur de toi.

Angel eut un mouvement de recul, dégoûté.

- Ce genre de pouvoir ne me plaît pas ! rétorqua-t-il. Ce n'est même pas un pouvoir, c'est une faute terrible. Je ne veux tuer personne, je ne veux plus penser à la mort. Je m'en vais retrouver ma sœur ! Vous voulez être obéi ? Ordonnez-moi de lever le camp !

Contrarié de si peu de respect, le roi lança encore, pour conserver sa supériorité :

- Je te nomme émissaire officiel !

L'adolescent n'en avait cure. Il était déjà bien loin. Il songeait : « Les hommes ont vraiment des attitudes grotesques, quelques fois. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top