III - Angel in Dreamland (partie 1)
Quand il ouvrit les yeux, Angel ne vit que le noir, le véritable noir qu'on ne peut découvrir que dans les recoins de l'univers privés du moindre photon, où l'absence absolue de lumière règne. Épouvanté à l'idée d'être soudain devenu aveugle, le garçon se consola par le fait que le reste de son corps semblait intact. Il se mit debout et tendit prudemment ses bras loin devant lui. Sa main gauche se posa sur ce qu'il identifia comme étant une poignée de porte. Il l'abaissa machinalement mais la porte ne céda pas.
« Génial... Je suis enfermé. Enfermé où ? J'ai eu un accident de moto et tout d'un coup... »
- Il y a quelqu'un ?
Nulle réponse que l'écho de sa propre voix.
- Je veux sortir de là !
La panique commençait à le gagner lorsqu'une source de lumière s'éveilla à sa supplique. Angel dirigea avidement ses regards vers elle, emplissant de cet éclair soudain sa pupille à s'en brûler les yeux. Il n'avait pas perdu la vue ! Sa vision rassasiée lui indiqua qu'il fixait sa poche. Il avait probablement pressé un bouton de son portable sans prendre garde, ce qui avait allumé l'appareil. Il voulu le sortir de sa poche mais ses doigts se refermèrent sur un objet fin et cylindrique. Cette fichue clé ! Stupéfait, l'adolescent constata qu'elle irradiait et qu'à son anneau pendait une étiquette. Il voyait pour la première fois ce morceau de papier sur lequel était écrit : use me. Angel se précipita de nouveau sur la porte close et tenta de glisser la clé dans la serrure, en vain.
« Évidemment... Qu'est-ce que je m'imagine, moi ? J'ai vraiment pris un coup sur la tête. »
- Si seulement on pouvait y voir plus clair !
À ces mots, sept autres éléments s'éclairèrent. Sept portes. Elles ne projetaient aucune lumière en dehors de leurs limites, à tel point qu'elles semblaient flotter dans le néant, ce qu'Angel aurait pu croire si ses pieds n'avaient pas reposé sur un sol ferme. Toutefois, il en déduisit qu'il ne se trouvait pas dans un hôpital comme il aurait pu le présumer. D'ailleurs, il ne se trouvait dans aucun lieu commun ou de sa connaissance. Il devait s'agir d'un couloir, ce qui ne l'avançait pas à grand chose. Chacune des sept portes était tout à fait fantaisiste. Sur l'une d'elle étaient peints des motifs de roses noires. Sur une autre, la plus voyante car habillée de tons fuchsia, couraient de simples lignes mêlées selon un design précis. La troisième, en verre, reflétait vaguement ses analogues mais ne permettait pourtant de voir ni l'image d'Angel lorsqu'il se tenait en face, ni ce qui se trouvait de l'autre côté. La suivante restait dans la lignée de la première, bien que ce ne fût pas une charmante inspiration florale mais une invasion de lierre qui s'infiltrait jusque dans la serrure. Dans le même genre, sa voisine se cachait à demi derrière un rideau noir que les ténèbres de ce qui devait être des murs faisait, par contraste, ressortir en gris. Un peu à l'écart des autres, une porte en bois ancien, aimable comme celle d'une prison, était ligotée dans un filet de chaînes. La dernière enfin, rouge sombre, aux bords ornés de courbes en feuille d'or, élégantes et recherchées, portait à ses quatre coins les quatre insignes d'un jeu de cartes : cœur, pique, carreau, trèfle. Elle avait également un air innocent de coffre à jouets : de ses deux panneaux semblaient jaillir un lapin blanc en veston et un chapelier fou tandis qu'un chat au grand sourire se prélassait de tout son long sur la frise. Enfin, au dessus de son bouton de porte du siècle dernier était scotché un morceau de feuille découpé dans un cahier d'écolier sur lequel on avait noté, d'une écriture soignée, chaque lettre posée sagement sur les lignes violettes : Open me.
« Comme sur la clé... »
Sans trop y croire, Angel inséra celle-ci dans la serrure. Miracle ! Elle entrait parfaitement. Le garçon déverrouilla la porte et l'ouvrit le plus doucement possible. Un horrible grincement résonna dans toute la pièce. S'il y avait quelqu'un, il était pris ! Mais seul le silence succéda à ses craintes. Angel se glissa alors à l'intérieur, avançant à pas de loup. Un rayon de lune filtrait par une fenêtre, entre des rideaux somptueux, et éclairait la vaste pièce. Angel remarqua que les murs étaient couverts de tapisseries et le sol de tapis persans. Rampant sur les tentures, son regard rencontra un lit à baldaquin installé près d'une fenêtre, en face d'une impressionnante cheminée de marbre où rougeoyaient des braises. Aligné sur le même mur, après la cheminée et la porte, un piano croulait sous des peluches représentant des animaux, ours, lapins, moutons, chiens, habillés de robes de poupées, de petits pulls tricotés et coiffés de chapeaux miniatures. D'autres du même genre s'entassaient sur d'immenses étagères. Des poupées, des peluches, des soldats de plombs, des marionnettes, des petits chevaux en bois, des clowns pointant leur gros nez rouge hors de leur boîte, un bocal rempli de billes, des livres d'images, un jeu de dames, une tirelire en forme de panda, une famille de girafes de décoration, des masques, un pot de crayon de couleur, une boîte à musique et tant d'autres vieux jouets. Au centre de la pièce se trouvait une table ronde plutôt basse sur laquelle étaient placés un napperon et une dînette, parodie d'une nappe et d'un service à thé. Une poupée géante, attablée à ce thé de minuit, fixait un point droit devant elle.
Angel ne put s'empêcher de s'approcher d'elle, captivé par son regard brillant dans l'obscurité, absorbé dans sa contemplation mystérieuse. C'était un regard étrangement familier. Peu à peu, les yeux du garçon s'habituèrent à percer le voile de la pénombre et lui permirent de détailler la toilette de la poupée. Il s'émerveilla devant cette exquise délicatesse de petite fille pourtant si sophistiquée. Elle était vêtue d'une robe dont la jupe semblait être composée des plumes duveteuses d'un cygne gracieux aux ailes déployées, qui, brodé sur le vêtement, nageait sur un lac de dentelle. Le haut, une chemise blanche aux manches à volants, se trouvait être tout aussi soigné. Angel fit un détour par les pieds chaussés de souliers ornés d'un nœud et montés sur des semelles compensées, propices à atteindre les rêves, offrant à une petite personne la taille nécessaire pour cueillir le songe perché sur un haricot magique. Puis il revint à la chemise, remarquant au passage un chat blanc tacheté de noir endormi sur les genoux. Il progressa jusqu'au visage, encadré de deux longues couettes incroyablement dorée, et accrocha de nouveau les yeux. Ces yeux qui le regardaient lui ! Et tout autour, les traits enfantins, bien que graves, de sa sœur.
« Oh putain ! Je commence à réaliser... Moi aussi je suis mort. Je suis mort dans cet accident, ça ne peut être que ça. »
C'est entre joie et effroi qu'Angel s'élança vers sa sœur et saisit ses mains dans les siennes, faisant sursauter le chat qui, effarouché, prit la fuite. Le garçon ne s'y attarda pas : il n'avait d'yeux que pour sa jumelle.
- Mika ! C'est moi, je suis là.
Cependant, la jeune fille tourna à peine la tête vers le nouveau venu tout ému et conserva son attitude trop sérieuse, indifférente. Ne recevant aucune réponse, pas un signe, son frère, qui avait posé sa tête à la place du chat, releva le menton, inquiet.
-Mika ? Qu'est-ce que...
Des bruits de pas claquants qui se rapprochaient le coupèrent. Instinctivement, il fila se cacher sous le lit dont la couverture, qui tombait jusqu'au sol, était cependant suffisamment fine pour lui permettre de discerner vaguement les formes à travers.
Un homme était entré dans la pièce avec un bougeoir qu'il déposa sur la table basse. Ses mains se mirent ensuite à s'activer près de Mika. Angel souleva discrètement un pan de la couverture. Effaré, il reconnut en le nouvel arrivant le professeur remplaçant aux cheveux bicolores et... aux ailes d'ange. Elles étaient là, éclipsant de leur éclat la pauvre lumière de la chandelle. Bien présentes dans son dos, elles transperçaient un habit de majordome. Car le jeune homme semblait s'être mis au service de Mika. Il tressait un ruban dans ses cheveux, ajustait le col de sa chemise. Pourtant, Angel sentait que l'image qu'il donnait de sa place n'était qu'une impression : il jouait à la poupée et c'était lui qui contrôlait toute la situation.
« Mais c'est quoi ce bordel ? »
L'adolescent, révulsé par ces manières, avait résolu de bondir hors de sa cachette pour protester quand il fut soudain pris d'un vertige. Il n'eut pas le temps de réagir qu'une tornade invisible, seulement perçue de lui-même, commença à se déchaîner. Il tenta de résister, se cramponnant désespérément à un pied du lit. Le prof, majordome ou quel que soit son métier, savait qu'il était là. Et sa présence était indésirable. Un battement d'ailes avait réveillé une tempête dont la force, délaissant les lieux, se concentra uniquement sur le garçon désespéré et l'acheva sans pitié.
Angel était aspiré, aspiré, aspiré...
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