Partie 5/Fin - De plein et de bleu

Nda : Prêts pour la fin ?

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Musique :

Tungs - The Frights

O Sleeper - The Oh hellos

Durant longtemps, Venda ne dit plus rien, laissant la rivière s'écouler hors de Namjoon et glisser doucement vers la mer. Puis, elle finit par se redresser et lui embrassa le front, essuyant de ses pouces la tristesse sur les joues du rêveur.

Je me disais bien que ça finirait pas sortir, murmura-t-elle, Tu as toujours été comme une boîte à musique, Pichoncito. Toujours quelque chose à chanter sous ton silence.

Et Namjoon sourit un peu, songeant que parmi toute la bande, il était quand même celui qui chantait le moins.

C'est Jimin qui chantait tout le temps, souffla-t-il.

Oui, mais lui, c'était une casserole, soyons honnêtes.

Ils rirent tous les deux, et ce rire allégea l'atmosphère. Namjoon sentit tout-à-coup le vent frais de l'hiver, le parfum salé de l'océan et se rendit compte de la clarté de la nuit. Partout, le monde paraissait bleu.

C'est ce moment que choisirent Seokjin et Amber pour tourner à l'angle de la rue et déboucher devant eux. Leurs échanges enthousiastes s'interrompirent lorsqu'ils les découvrirent dans l'ombre du perron, et le guitariste écarquilla les yeux devant la vision de son ami recroquevillé comme un enfant dans les bras de Venda.

Nam ? s'étonna-t-il, ça ne va pas ? Enfin non, c'est con comme question. Ça m'a l'air évident.

Alors ils rirent à nouveau, puis Venda se releva en tapant dans ses mains.

J'ai une idée, annonça-t-elle. Allez chercher de quoi vous couvrir, prenez aussi les plaids du salon, on va se rassembler sur la plage. Seokjin, mon ange, préviens les trois autres monstres, dis-leur de nous rejoindre. Ça va faire du bien à tout le monde ! Amber, cariña, tu viens avec nous bien entendu !

Mais..., voulut protester la jeune femme.

Pas de mais, tu es la famille de Seokjin et Seokjin est comme notre fils. Si la famille se rassemble, tu viens aussi.

Et comme de mémoire, personne n'avait jamais jamais gagné contre Venda excepté Jimin, Amber n'osa plus argumenter et suivit le mouvement sans piper mot. Les trois plus jeunes filèrent jusqu'aux chambres où ils récupérèrent de gros sweat-shirts, Namjoon pensa même à attraper celui de Yoongi au passage, avant de se rassembler dans le salon où Venda tentait de faire décoller George de devant l'ordinateur.

Oh allez, elle s'écrira plus tard ton histoire. Allons passer du temps avec les enfants, vieux machin ! s'écria-t-elle en faisant de grands gestes.

Ainsi, tout ce petit monde se retrouva vite sur la plage, non loin de Smiley Lagoon, abrités du vent, derrière la dune. Hoseok, Taehyung et Yoongi les rejoignirent bientôt, interrompant un peu précipitamment leur repas pour répondre à l'appel.

En voyant arriver sa silhouette fine et légère dans l'obscurité, Namjoon s'avança d'un pas décidé vers Yoongi pour lui tendre son pull. Et sous les yeux intrigués de son ami, il parvint enfin à glisser une main sur son épaule et à l'étreindre à son tour, rattrapant de cette manière l'absence de réaction qu'il avait eu à l'aéroport.

Tu m'as carrément manqué Trou d'uc, soupira-t-il, soulagé.

_Et ben... Mais qu'est-ce qui t'arrive ?

Seokjin continuait de poser sur le rêveur des yeux agrandis par l'étonnement, peu habitué à le voir s'épancher ainsi.

Oh, il se réveille enfin pour de vrai, expliqua Taehyung, toujours si intuitif, en se laissant tomber près du feu que George essayait d'allumer.

Il y a de ça, confirma Namjoon en souriant.

— Welcome back, alors. dit Hoseok en lui administrant une petite tape affectueuse dans le dos.

Allez, venez tous vous asseoir maintenant, appela Venda, George, pour l'amour de Dieu, tu l'allumes ce feu ?

Le petit groupe se rassembla comme autrefois, en cercle serré autour des petites flammes qui commençaient à prendre sur le bois sec. Vers le Nord, de l'autre côté de la Channel Entrance (sorte de bras de mer qui rentrait dans les terres) la colline de La Jolla scintillaient des milliers de petites lueurs de la ville, donnant à l'horizon l'aspect d'une nuée de lucioles. Namjoon songea que dans les villes américaines, la nuit avait toujours l'air d'être dépeuplée. Il n'aurait pas su expliquer pourquoi, mais malgré les lumières partout, les passants qui flânaient encore sur la plage, l'on se retrouvait toujours un peu seul face à soi-même sous l'immensité du ciel. Peut-être bien que c'était de ça dont il était question : d'immensité. Contrairement à l'Europe où il avait grandi, ou même au Séoul de ses souvenirs d'enfant, ce pays était si vaste qu'il était impossible d'y manquer de place. Et lui, petit Français élevé entre deux montagnes, avait un peu le vertige devant tant d'espace.

J'avais jamais fais gaffe, dit-il alors que Taehyung s'allongeait à moitié sur Hoseok et qu'Amber murmurait des secrets dans l'oreille de Seokjin.

À quoi ? demanda Yoongi, ses yeux curieux rivés sur lui.

Que tout se confond, ici.

Genre quoi ? Ta tronche de cake et celle de Yoon ? railla Seokjin, faisant lever les yeux au ciel à sa compagne, parce que nous, on avait remarqué.

Mais t'es un gros lourd en fait, résuma très justement Amber, aussitôt approuvée par tous les autres.

Et encore, je suis sûr que tu n'as rien vu, se plaignit Hoseok, une main égarée dans la chevelure de Taehyung qui avait fermé les yeux sous la caresse, t'as déjà pu regarder un seul film avec lui sans qu'il ne récite toutes les répliques ?

Mais oui, il fait ça tout le temps !

Tu peux encore le plaquer si tu veux, vous ne vous mariez que l'année prochaine, plaisanta George tandis qu'il agitait un magazine vers le foyer pour attiser les flammes.

Mais Venda lui donna aussitôt un petit coup de poing sur l'épaule, scandalisée.

Ne dis pas ça, enfin !

Mais quoi ?

Ne parle pas d'épouser Seokjin à voix haute, ça me donne des frissons.

Merci Venda, fit le concerné d'un ton ironique, très aimable.

Et tous éclatèrent de rire, même Taehyung qui flirtait pourtant avec la somnolence depuis qu'il était arrivé.

Namjoon prit alors un instant pour regarder le jeune couple. Lors du déjeuner, George les avait interrogés sur leur rencontre, et Seokjin avait raconté qu'après la mort de Jimin, il avait pris conscience que la vie pouvait disparaître en un clignement de paupières et qu'il n'y avait pas vraiment de place pour la peur. Cela avait étonné tout le monde. Le guitariste avait toujours semblé porter cette certitude dans sa peau tant il n'avait jamais froid aux yeux. En véritable tête brûlée, il avait fait criser nombre de tuteurs tout au long de sa vie. Namjoon croyait d'ailleurs se souvenir qu'à l'orphelinat, Seokjin s'était souvent vu reprocher son comportement. Les éducatrices épuisées lui assuraient qu'aucune famille ne voudraient jamais de lui s'il était aussi exécrable. Mais ça ne l'avait pas arrêté. Personne ne pouvait mettre un frein à cette petite machine de guerre de l'existence. Il avait en lui cet instinct animal qui poussait les saumons à remonter les rivières et les bébés tortues à gagner la mer dès la naissance. Il n'écoutait personne sinon lui-même, bravant tous les dangers, véritable incarnation humaine de l'obstination. Et comme pour l'encourager, la vie l'avait béni de bien des talents : une aptitude presque virtuose pour la musique, un charme sans borne et une énergie qui épuisait tout le monde autour de lui.

Seokjin était éclatant, autant que les flammes du petit feu de camp. Et fatiguant, aussi. C'est pourquoi personne n'aurait imaginé qu'il puisse un jour évoquer une quelconque forme de crainte. Ces choses-là, même s'il les éprouvait sûrement, il n'en parlait jamais d'ordinaire. Et pourtant, ce fut bien ce qu'il raconta. Après Jimin, il avait décidé de ne plus avoir peur et un beau matin, un avion l'avait emporté loin de l'alcoolisme toxique de son père, vers les forêts printanières du Canada. Depuis, il ne s'était jamais vraiment posé, parcourant l'Amérique du Nord au gré des rencontres et des occasions qui s'étaient présentées. C'était sur les bords de lac Michigan qu'il avait rencontré Amber, cette jolie rousse qui avait des éclats de soleil au coin des lèvres lorsqu'elle souriait. Il était tout simplement tombé amoureux. Juste comme ça, en la regardant respirer. Et ça lui avait semblé si naturel qu'il n'avait même pas douté quand il l'avait embrassé pour la première fois. Et elle, elle l'avait aimé à l'instant où il avait sourit à son fils, l'acceptant aussi simplement que s'il avait été un petit bout d'elle. Tout s'était fait avec la douceur de l'évidence, si bien qu'ils s'étaient finalement fiancés l'été dernier, eux qui, chacun à leur manière, avaient toujours détesté l'idée de se marier.

Elle était aussi calme qu'il était électrique, aussi discrète qu'il était agité. À eux deux, ils illustraient parfaitement ce vieux dicton poussiéreux selon lequel les opposés s'attirent. Rien ne semblait plus vrai en les regardant se chamailler, assis côte-à-côte, presque collés malgré leurs petite bagarre.

Ça nous dit toujours pas ce qui se confond ici, Nam, fit soudain la voix de Yoongi près de lui, le ramenant brutalement à la conversation dont il avait perdu le fil.

Hein ? Quoi ?

T'as pas fini ce que tu disais tout à l'heure.

Ah ça... Vous ne voyez pas ?

Mais quoi ?

Et bien qu'avec la brume nocturne, la terre et l'océan se mêlent au ciel. Regardez.

Il tendit son doigt vers le large.

Il y a un point là bas où on ne sait plus si c'est le ciel qu'on voit ou si c'est la mer. Ils ont la même couleur et se rejoignent simplement. Et par là, il désigna la colline scintillante de La Jolla, ça fait la même chose. les lumières de la ville deviennent des étoiles, et les étoiles de petits réverbères lointains.

Oh, souffla Yoongi, on dirait...

Qu'on flotte dans l'espace, acheva Taehyung sans bouger, les yeux toujours clos.

Comment tu sais ce que j'allais dire, toi ?

Parce que c'est Jimin qui disait ça, expliqua Venda à la place de Taehyung.

Sa voix se fit alors plus basse et son ton un peu tremblant.

Je crois bien que c'est à travers ses yeux que nous avons réellement découvert Ocean Beach, dit-elle, il adorait cet endroit, peut-être même plus que nous. Il y voyait de la beauté partout.

C'est vrai, fit George le regard perdu dans les flammes dont le reflet doré dansait sur ses lunettes.

Dans un premier temps, plus personne n'osa parler. Chacun se referma un peu sur lui-même, sans doute égaré de quelques années en arrière dans le passé. Et puis Taehyung se redressa tout à coup, faisant sursauter Hoseok au passage. Il s'installa en tailleur avant de regarder tout le monde, un à un, la bouche entrouverte sur un discours qui ne voulait pas venir. Alors il finit par tourner les yeux vers le jeune professeur, semblant chercher du courage dans son sourire tendre. Sans doute le trouva t'il puisque il inspira profondément, comme s'il prenait son élan, avant de lacher :

Je vous ai détesté, les gars, vraiment. Vous n'êtes pas venus le jour de l'incinération et après, vous avez tout simplement disparu.

_Tae...

Non, tu n'as aucune excuse, Hoseok, surtout pas toi. Qu'est-ce qui vous a pris, putain ? Je suis revenu chaque été ici tout seul, vous savez ? Tout seul. J'attendais de vos nouvelles, j'ai même essayé de vous téléphoner les deux premières années. Vous répondiez à peine, sans parler de toi, Namjoon, qui t'es carrément volatilisé.

Oh mon ange, s'attendrit Venda.

Mais Taehyung l'ignora, il braquait sur Hoseok le regard le plus sérieux que Namjoon ne lui avait jamais connu.

Je vous en ai tellement voulu que j'ai failli vous mettre à tous un poing dans la gueule quand vous êtes arrivés, déclara-t-il.

Et tout le monde le crut.

T'aurais peut-être dû, reconnu Seokjin en haussant les épaules, on s'est un peu conduit comme des crétins.

Et tu as été le plus courageux, dit Hoseok, les yeux baissés sur le sable, l'air profondément désolé.

Mais ça n'a rien à voir avec le courage ! s'indigna Taehyung, vous avez laissé Venda et George tous seuls ! Vous vous rendez compte que vous n'avez pensé qu'à vous ?

On ne leur en veut pas, déclara George, on a compris.

Bien sûr qu'on s'en rend compte, admit tout de même Yoongi de sa voix posée, et on ne l'a pas vraiment choisi tu sais. C'était un mauvais réflexe contre lequel on n'a rien pu faire. Je pourrais te demander pardon un million de fois, vous demander pardon, se corrigea-t-il en se tournant vers les Collins, et vous pourriez me pardonner tout autant que ça ne suffirait pas à m'apaiser. Je serai toujours désolé de m'être enfui, c'est certain, mais je suis là maintenant. On est tous là, regarde.

Pas tous, non, rectifia aussitôt Taehyung.

Et tout le monde pu entendre l'amertume dans sa voix.

L'absence de Jungkook devint soudainement terriblement évidente, écrasante même. Un peu comme si un trou noir venait de se former à l'endroit où le plus jeune aurait dû se tenir.

On sait même pas comment il va, chuchota Taehyung, les épaules voûtées.

Il sembla si abattu que Venda se leva, traversa le cercle et demanda d'un geste à Hoseok de lui laisser une petite place. Elle s'assit entre eux et s'enroula dans un plaid avec le jeune luthier qui se laissa aller contre son épaule.

Je suis sûre qu'il va bien, ne t'en fais pas, lui murmura-t-elle à l'oreille.

On ne sait vraiment rien ? demanda Namjoon qui était sans doute le moins informé de l'assemblée.

Yoongi et Hoseok secouèrent la tête, l'air aussi perdu que lui. Mais alors, les yeux de Namjoon se posèrent sur Amber. La jeune femme fixait Seokjin comme si elle attendait qu'il dise quelque chose. Pourtant celui-ci demeurait immobile, appuyé sur ses deux mains qu'il avait enfoncées dans le sable derrière lui, les jambes tendues presque jusqu'aux flammes et les fixait l'air songeur en se mordant la lèvre du bas, comme chaque fois qu'il réfléchissait intensément.

Tu sais quelque chose, pas vrai ? lança Namjoon en attirant l'attention de tous les autres.

Lentement, Seokjin acquiesça, sans pour autant quitter les flammes des yeux.

Seulement qu'il va bien pour l'instant, dit-il, je lui ai envoyé un mail pour parler de cette rencontre le mois dernier et il m'a répondu de manière tout à fait inattendue. Il m'a dit qu'il ne pourrait pas être présent, mais qu'il aurait bien aimé. Il a ajouté qu'il était heureux d'avoir de mes nouvelles et qu'il m'appellerait quand il pourrait.

Vraiment ? Mais c'est merveilleux ! salua George.

Il se moque de nous, oui, contredit le luthier d'un ton acerbe.

J'en sais rien... Mais j'ai aussi son nouveau numéro, ajouta Seokjin en relevant le regard vers Venda, je ne sais pas quoi faire.

Appelle-le, fit Taehyung, catégorique.

À peine Seokjin avait-il commencé à évoquer Jungkook que le luthier s'était redressé, extrêmement attentif.

Il ne faut pas lui faire peur, osa suggérer Amber.

Mais on ne va quand même pas le laisser faire le mort indéfiniment !

Amber a raison, mon ange, déclara Venda, il faut le laisser revenir. Tu le connais aussi bien que moi.

Envoie-lui au moins un message alors, insista Taehyung, il ne reviendra jamais si personne ne va le chercher.

Ce n'est pas faux, concéda Hoseok.

Jeune Jungkook si farouche. Petit éclair sauvage, vibrant de méfiance à l'égard du genre humain. C'est ainsi qu'il avait toujours été, songea Namjoon. Même ici, même avec eux. Il avait fallu réapprivoiser chaque été son jeune cœur effrayé. Une fois cela fait, il passait les vacances sans problème, s'ouvrant autant qu'il en était capable. Mais tout le monde savait qu'avec l'automne, il disparaissait. Il fallait accepter de ne plus avoir de nouvelles jusqu'aux vacances suivantes, car Jungkook était ainsi, les muscles toujours bandés, prêt à s'enfuir. Et c'était sans doute la raison pour laquelle les Collins s'étaient toujours arrangés pour qu'il arrive un peu plus tôt que les autres, afin qu'il se réhabitue à tout le monde dans le calme.

Personne ne savait exactement ce qui causait cette crainte. Il ne leur parlait jamais de sa famille, de ses parents ou même de l'endroit où il habitait. Mais malgré ça, tout le monde avait vécu comme un crève-coeur ces réflexes de protection dont il faisait preuve au moindre mouvement brusque. Et bien que tout le monde y eût été attentif à sa manière, aucune trace, aucun bleu n'avaient jamais été aperçu sur son corps. Une fois ou deux, Venda avait bien essayé de lui poser des questions, mais Jungkook ne répondait jamais. Namjoon se souvenait même d'un soir où Jimin avait risqué le tout pour le tout, refusant de tourner plus longtemps autour du pot : "Kook, est-ce que quelqu'un te frappe ? avait-il demandé". Et contre toute attente, le concerné avait nié. D'abord en colère, il avait dardé sur le surfeur des prunelles vindicatives qui avaient fait se dégonfler Jimin, puis devant les excuses maladroites de ce dernier, il leur avait souhaité une bonne nuit d'une petite voix en se recroquevillant sur lui-même, laissant les autres démunis. Et après cela, on n'avait plus obtenu de lui la moindre parole pendant trois jours entiers.

Farouche et blessé. Voilà les deux mots qui définissaient le mieux Jungkook pour Namjoon. Et en ça, leur cadet avait été la plus grande source d'inquiétude et de frustration pour le petit groupe.

Enfant, il était facile d'obtenir sa présence, mais dès l'adolescence, être sûr qu'il serait là l'été suivant était devenu une autre paire de manche. Jungkook les fuyait, comme il fuyait tout ce qui ressemblait de près ou de loin à un être humain. Chacun y mettait alors du sien, y allant de son petit message encourageant, sans vraiment savoir quel mot employer pour ne pas brusquer l'animal. Et à force de patience, ils finissaient par le voir arriver un beau matin, les mains dans les poches, le pas traînant et les yeux fuyant vers quelque porte de sortie.

Mais il était toujours revenu. Toujours.

Namjoon eu alors une idée.

On devrait lui envoyer la photo qu'Amber a pris de nous ce midi, simplement pour lui dire qu'on pense tous à lui. Sans rien ajouter.

Ouais, je suis d'accord, valida Yoongi, ça ne pose aucune question et c'est un moyen efficace de donner des nouvelles, non ?

Les autres prirent un instant pour réfléchir à la proposition.

Au-delà du fait que Yoon et Nam parlent encore d'une même voix et que ce choeur des vierges m'a toujours pompé l'air, je ne trouve pas ça si con, finit par dire Seokjin, vous en pensez quoi les vieux ?

Au-delà du fait que je te botterais bien les fesses, gronda George, je suis d'accord aussi. Venda ?

On peut essayer, oui, approuva cette dernière.

C'est parti alors, s'enthousiasma Seokjin en tirant son portable de sa poche arrière.

Après ça, les conversations reprirent, déviant vers d'autres sujets. Hoseok leur raconta des anecdotes sur ses élèves, se moquant gentiment des bêtises qu'il avait pu entendre de leur bouche ou trouver dans les copies. Il leur expliqua à quel point le système scolaire était complexe et pressant au Japon, et qu'il prenait conscience de ce qu'il avait traversé lorsqu'il était étudiant. Avant, il préférait penser que c'était ailleurs que l'éducation était laxiste, mais maintenant qu'il était professeur, et qu'il pouvait contempler de l'extérieur cette jeunesse en difficulté, il avait envie de faire quelque chose pour que les choses changent. Alors il avait commencé à s'intéresser à la politique et à diverses associations qui menaient déjà des actions pour faire évoluer les mentalités.

Son visage d'écureuil parut si déterminé et passionné, que les autres avalèrent ses paroles avec toute leur attention. Taehyung poussa même un petit sifflement d'admiration.

J'ai toujours pensé que tu finirais par défendre la veuve et l'orphelin, dit-il en souriant à son ami.

Et tous avaient approuvé.

Puis ce fut autour d'Amber d'être interrogée. Elle parla de son fils qui avait eu trois ans cette année et qu'elle aimait de tout son cœur. Elle évoqua aussi son père qui avait d'abord vu cette grossesse d'un très mauvais œil et qui, par la suite, s'était inévitablement laissé attendrir par les yeux verts et gigantesques de son petit fils. Mais elle ria en précisant qu'il n'avait pas tout à fait accepté Seokjin par contre, car après la façon dont son premier conjoint l'avait traité, sa famille restait très méfiante. Et les autres rigolèrent devant la grimace que fit le concerné.

Parfois j'ai un peu l'impression que je risque ma vie en épousant Amber, avoua le guitariste.

Mais c'est le cas, mon garçon, lui répondit George, aimer c'est toujours un peu risquer sa vie.

Regardez moi ce vieux machin sentimental, se moqua Venda.

Mais la tendresse dans ses yeux noirs n'échappa à personne.

Alors Namjoon se dit que s'il devait prendre un couple en exemple pour réussir sa vie de famille, ça ne pouvait être que ces deux-là. Eux qui s'aimaient encore des années après s'être rencontrés, et qui s'aimaient peut-être plus encore depuis que leur route avait croisé celle de Jimin.

Dites, ça n'a pas été trop dur de rester là après que... Vous savez ? demanda-t-il avec hésitation.

Après que notre fils soit décédé ? demanda Venda la voix claire.

Oui...

Si, bien sûr, répondit George, et parfois, ça l'est encore. Comme ce soir, avec vous. Parce qu'il me manque plus que jamais et qu'en entendant parler les adultes merveilleux que vous êtes devenus, je ne peux m'empêcher de songer qu'on ne saura jamais qui il aurait été, lui.

Le silence accueillit cette réponse, sorte de petit recueillement général. Puis, avec la douceur qui le caractérisait, Yoongi déclara :

J'ai toujours pensé que ce monde était trop sérieux pour Jimin. Je ne le voyais faire aucun métier, je pouvais pas l'imaginer se mettre en couple, avoir des enfants, payer ses impôts... Enfin vous voyez, quoi. Pour moi, Jimin était un feu follet. Un petit elfe, un esprit. Je ne sais pas... Il n'avait pas toujours l'air d'être humain.

Déjà, il était à moitié dauphin, ria Hoseok.

Oui, et parfois ses yeux accrochaient le vide, comme s'il voyait des choses qu'on ne percevait pas, continua Yoongi. En vérité, je ne sais pas ce qu'il serait devenu s'il avait continué sa vie normalement, mais je suis persuadé qu'il fait des trucs incroyables maintenant : ange gardien, esprits des baleines, marchand de sable...

C'est très beau ce que tu dis, cariño, chuchota Venda en souriant doucement.

Et à nouveau, le silence tomba sur le petit groupe. Ils restèrent un moment comme ça, à écouter le bois craquer sous les flammes et l'océan rouler sa puissance non loin d'eux.

Le vent souffla un peu plus fort aussi, faisant danser les longs cheveux de Taehyung, qu'il avait détaché pour permettre à Hoseok d'y plonger plus facilement les doigts. La Californie chantonna son air nocturne, et ce dernier revint à Namjoon comme la réminiscence d'une mélodie oubliée. La brise ne fut d'abord qu'un souffle, puis le souffle devint un son et ce son courut sur la plage comme quelques mots fredonnés. Alors naturellement, Namjoon fredonna avec lui :

"For if we ain't got the time

I tell ya baby I don't think we're doing fine

We just haven't got a clue

I keep my love

I want my blood inside of you"

Oh bordel, cette chanson, fit Seokjin en sortant de ses pensées.

Il la chantait tout le temps, compléta Yoongi.

Il nous cassait littéralement les pieds avec, oui ! râla Venda.

Et pourtant, ce fut pratiquement d'une même voix que tout le petit groupe rejoignit Namjoon sur le refrain :

"Do you think I'm cute?

Well it's too late to check

And I don't care

You got your tongue against my neck

Do you like my style?

Have you seen my shoes?"

Et alors que Seokjin s'emparait de sa guitare qu'il avait déposé non loin en arrivant, une mélodie électronique brisa l'élan de cette petite chorale improvisée. Le guitariste extirpa son téléphone de sa poche avant d'afficher le sourire le plus large de toute la soirée en contemplant l'écran.

Non ! Sérieusement ? Ouah, vous n'allez pas en croire vos oreilles, dit-il.

Mais à voir son visage, tout le monde avait déjà deviné.

Il décrocha et mis le haut parleur.

Yo, branleur ! Tu réponds enfin ?

De l'autre côté, Jungkook poussa un petit rire coupable et sa voix douce serra le coeur de Namjoon.

Bonjour Seokjin, dit-il simplement.

C'en fut certainement trop pour Venda qui éclata en sanglots et qui, malgré ses avertissements de tantôt, s'empara du téléphone pour l'étreindre dans ses mains comme s'il s'agissait de Jungkook lui-même.

Oh mon tout petit, c'est si bon de t'entendre. Tu vas bien ? Qu'est-ce que tu fais ? Tu me manques tellement...

Oh... Salut Venda. Je... je vais très bien. Beaucoup mieux. C'est... Il rit, l'air gêné, Vraiment, ça va. j'aurais jamais imaginé dire ça un jour, mais je vais bien.

Je suis si heureuse pour toi.

Et Taehyung dû serrer la petite femme dans ses bras tant l'émotion semblait l'emporter.

Alors Hoseok intervint, sans doute dans le but de dédramatiser la situation qui leur échappait totalement :

Hey Jungkook, tu sais quoi ? Il ne font plus le triple tacos au Pier Café ! se plaignit-il.

La réaction du cadet fut immédiate :

QUOI ?

C'est un scandale, hein ? Putain, ça m'a gonflé.

Mais que mangent les gens du coup ?

J'en sais rien. Je pense que la population d'Ocean Beach va peu à peu décliner et disparaître, faute de moyen de se nourrir convenablement.

Triste.

Ouais. Tragique, même. Et ils rirent tous ensemble.

Puis ce fut à Taehyung de s'emparer du téléphone et devant ses lèvres pincés, tout le monde retint son souffle.

T'es con Jungkook. Un putain de sale con, claqua sa voix dans l'air.

De l'autre côté du combiné, leur ami soupira.

Je sais, dit-il

T'en sais rien du tout, connard. Pourquoi t'es pas là ? T'as pas le droit de me laisser tout seul, reprit le luthier d'une voix si tremblante que Hoseok lui posa immédiatement une main sur la cuisse, comme pour l'aider à se contenir,.

T'es pas tout seul, Tae, fit Jungkook d'un ton ferme.

Mais le luthier ne sembla même pas impressionné, et Namjoon se dit qu'ils avaient dû en partager des choses tous les trois, quand Jimin et eux se retrouvaient entre chaque été. Des choses qui devaient échapper à tous les autres et qui rendaient Taehyung bien plus amère que quiconque face au vide qu'avait laissé Jungkook.

Mais toi, oui. Pourquoi t'es tout seul comme un con ?

Je ne suis pas tout seul non plus, je te jure. Je vais bien, vraiment. Je te promets que je vais bien.

Alors sans répondre, Tae passa le téléphone à Yoongi, les yeux tournés vers la mer pour que plus personne ne les voit.

Qu'est-ce que tu deviens le mioche ? lança Yoongi aussi joyeusement qu'il le pouvait.

Je suis en Corée depuis quelques mois, là. Je voyage avec des amis. Je... J'avais envie d'y retourner, vous voyez ?

Bien sûr, mon grand, lui dit George, Tu veux bien nous raconter, un peu ?

Je... J'ai pas tellement le temps là, je vais prendre un train. J'avais juste envie de... Enfin de savoir comment vous alliez. Et d'entendre vos voix, aussi. lacha timidement le plus jeune.

Oh mais on en est tous extrêmement ravis.

Puis Seojin récupéra son téléphone et se lança dans l'une de ses tirades incongrues dont il avait le secret. Il raconta comment la patronne du Lounge Surf, le café branché de la plage, avait salement vieilli et que ses cheveux blonds peroxydés semblaient désormais lui tomber de la tête.

Mais mec, elle n'a pas arrêté de me parler de toi cette vieille cougar, tu te l'étais tapée ou quoi ? demanda Seokjin, faisant aussitôt soupirer Amber et Yoongi.

Mais Namjoon n'écouta pas la suite. À nouveau, il s'égara dans ses pensées, tout disposé à accueillir cette nouvelle sérénité qui s'insinuait dans son corps, à présent qu'il entendait Jungkook rigoler. C'était un sentiment étrange que de les sentir tous présents. C'était comme si tout le monde était là, sur cette plage et sous le ciel bleu marine de la nuit. Jimin aussi. Surtout Jimin en fait. Jimin partout. Au cœur de l'étoile, comme avant.

Et à l'endroit où Namjoon pensait avoir tout perdu, tout avait subsisté. Tel quel, presque inchangé malgré le temps passé. Il n'y avait aucune raison d'en avoir peur finalement, certaines choses ne pouvaient simplement pas se ranger sous un lit.

Et Nam ? demanda tout à coup Jungkook.

Je suis là, répondit le concerné.

Tu vas bien ?

Je crois, oui. C'est vraiment cool de t'entendre.

Je... je voulais te dire félicitations, j'ai appris la nouvelle.

Sept paires d'yeux curieux se braquèrent alors sur lui.

Tu... Quoi ? Comment ?

J'ai ta femme en amie sur Facebook depuis des années. J'y allais peu avant, mais dernièrement j'y suis beaucoup, j'ai vu qu'elle l'avait annoncé.

Oh...

Namjoon ne s'était pas imaginé que le sujet arriverait sur le tapis de cette manière-là. Et en même temps, il pensa qu'il n'y avait pas de plus belle façon, après tout. L'absent ne revenait pas tout seul. C'était une fois encore l'histoire du vide et du plein qui se rencontraient et se mélangeaient.

Jimin disait toujours que tu serais le premier, tu sais ? lui dit Jungkook un petit sourire dans la voix.

Oui, je sais, sourit Namjoon.

De quoi il parle, Nam ? demanda doucement Yoongi.

Alors le petit Français fixa ses yeux sur le visage curieux de son ami. Il le détailla, comme si ça faisait mille ans qu'il ne l'avait pas vu. Et peut-être bien que cela faisait mille ans, d'ailleurs, il n'en savait rien. Car après tout, on lui avait dit que la vie avait la forme d'une bulle qui tournait, pas vrai ? Et que, si l'on n'avait conscience que d'un seul moment à la fois, ça ne voulait pas dire que le reste n'existait pas. Dans cette bulle, il y avait cet instant où Jimin surfait encore, où Scoups aboyait derrière la fenêtre en l'attendant, impatient. Quelque part dans cette bulle, Namjoon quittait de nouveau l'orphelinat, vide de ses amis, mais plein d'espoir quand même. Il y avait un endroit où Venda criait encore à George de lâcher son tuyau d'arrosage et de venir manger, où Seokjin faisait le pirate dans les escaliers et où Jungkook se ralliait à Hoseok et Taehyung en faisant rager tous les autres. Il y avait aussi sûrement un moment où Yoongi et Namjoon se retrouvaient de nouveau dans cet aéroport, où ces quatre années de séparation semblaient un millénaire et où leur étreinte ne finissait jamais.

Parce que Yoongi signifiait allié.

Et que dans ce même langage inconnu, Namjoon désignait ce mouvement constant du vide qui se remplit et du plein qui se vide.

Taehyung voulait dire beauté, Jungkook fragilité, Hoseok tendresse et Seokjin électricité.

Jimin lui, était sans doute le cœur de ces étoiles dans l'espace lointain, qui rendaient la nuit plus claire et le noir plus bleu. Peut-être même que Jimin, dans un langage qui ne serait ni le coréen, ni l'anglais, ni l'espagnol, était le nom que portait cette couleur. Ce bleu, celui qui voulait dire : "N'aies pas peur, ça va. J'entends ton cœur qui bat".

Et c'était bon, de savoir ça.

Maintenant, venait l'instant où il fallait s'ouvrir au plein infini qui n'en finirait plus de faire chavirer la vie. La minute où, enfin, Namjoon se sentait prêt. Qu'elle dure, ou qu'elle ne dure pas, elle était là. Parce que le vide était plein, et le plein était vide. Alors, sans hésitation, sans mal de tête, aussi sûr que pouvait l'être Hoseok, aussi courageux que l'avait été Jimin sur sa planche, il dit :

Je vais être papa, les gars.

Nda : Re petit Lecteur. 

Et voilà, cette histoire s'achève finalement. J'espère que tu auras voyager un peu. 

Ne sois pas trop triste, s'il te plait. Comme Namjoon, ne retiens du noir que le bleu qui l'illumine. D'accord ?

Je fais cette petite note pour te signaler que la playlist complète de cette fic existe sur youtube et Spotify, et que si tu veux les liens, n'hésite pas à me demander.

Toutes les photos sont de moi sauf les trois dernière. 

Je t'embrasse, à très bientôt !

Charlie.

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