Chapitre 9

Donna – Étudiante suspicieuse


J'adorais passer du temps avec Michaël, vraiment, mais là, il m'agaçait. En fin d'après-midi, il m'avait invitée à manger au resto mais, ayant du travail, j'avais décliné à contrecœur. Comme Michaël était un ange, il avait décidé d'amener le resto à moi et nous étions donc tous les deux en train de manger des ramens dans mon studio. Jusque là, tout était parfait sauf que j'avais très vite compris que si mon ami avait voulu me voir, c'était pour me parler d'une chose importante. Or, depuis son arrivée, il tournait autour du pot et ça commençait à m'énerver. J'avais envie de le secouer comme une hystérique jusqu'à ce qu'il en ait la nausée !

Les yeux plissés de suspicion, je le fixai tandis qu'il remuait son café à la fin du repas. N'y tenant plus, je décidai d'attaquer sans détour :

— Michaël, si tu veux me parler franchement, fais-le.

— Quoi ?

— Fais pas ton innocent, je te connais par cœur. Y'a un truc qui te tracasse, pas vrai ?

Il posa sa cuillère sur sa soucoupe sans un mot et détourna le regard. Le voir ainsi me brisa le cœur. Ce que Nathan lui avait pris lui manquait-il autant ?

— Chaque fois que je te vois, j'ai l'impression d'avoir oublié des morceaux de ma vie, confessa-t-il après un court instant. Et depuis quelques jours, je rêve d'un scorpion.

Je posai ma tasse vide sur sa propre soucoupe en sentant un sentiment de culpabilité me sauter à la gorge. J'avais promis à Nathan de ne rien dire de lui à Michaël, mais voir ce dernier aussi mélancolique me faisait mal.

— Qu'est-ce qui te fait penser que tu as oublié des événements ? demandai-je avec bienveillance.

Il me raconta alors un rendez-vous médical qu'il ne se souvenait pas avoir pris, les reproches de ses amis ainsi qu'une étrange discussion avec sa mère. Puis il me parla de ses rêves durant lesquels apparaissait par flashs un scorpion protecteur. Et, en fond, une présence menaçante semblait le ronger de l'intérieur. Les réminiscences de Sytry, certainement.

— Je ne sais pas quoi te dire, avouai-je. Ni même quoi faire pour t'aider.

— Tout est plus fort quand je suis avec toi. Alors je pensais, si tu es d'accord, dormir ici ce soir pour voir ce que ça donne.

L'instant que je redoutais tant depuis notre escapade dans l'ancien appartement de Nathan était arrivé. Je devais faire un choix : refuser pour tenir ma promesse ou accepter et risquer de voir Michaël se souvenir. D'un autre côté, ce n'était pas de ma faute si ma présence réveillait la mémoire de mon ami. Et le fait de le laisser dormir chez moi cette nuit ne briserait en rien ma promesse.

Le moment était peut-être venu de remettre nos destins en marche.

— Ok, acceptai-je. Si ça peut t'aider, je suis partante. Mais je te préviens, mon deuxième matelas est fin comme du papier à cigarette, tu vas avoir le dos en compote demain.

— Je prends le risque. Merci, Donna.

Je lui souris pour toute réponse, n'osant pas lui dire d'attendre avant de me remercier. Aucun de nous ne savait ce qui se passerait cette nuit.


J'éteignis ma lampe de chevet avec une boule d'angoisse au ventre. Je ne connaissais ni la force ni l'étendue de mon pouvoir, et encore moins comment le contrôler. Je ne savais pas non plus quels facteurs rentraient en compte dans la situation de Michaël. Il y avait tellement d'inconnus dans l'équation qu'elle me donnait mal à la tête.

Allongé sur un matelas à même le sol, Michaël s'était mis dos à moi et ne bougeait plus. Dormait-il déjà ? J'en doutais. Alors à quoi pensait-il ? Avait-il peur qu'il se passe quelque chose ou l'espérait-il vraiment ? Et si ce qu'il revivait le changeait ? Je ne savais pas ce qu'il avait ressenti quand Sytry le possédait. Je ne savais pas ce qu'il avait vécu, à quel point ça avait été terrible.

Bercée par le flot continu de mes pensées, je finis par me sentir partir dans les bras de Morphée. Incapable de lutter malgré mon envie de veiller sur Michaël, je m'endormis.

Je fus réveillée en sursaut par un cri de terreur. Je me hâtai d'allumer ma lampe avant de me pencher sur Michaël. Recroquevillé sur lui-même, la tête entre les mains, il était transpirant et semblait réellement souffrir. Je me glissai hors de mon lit pour venir m'agenouiller à ses côtés tandis qu'il se balançait dans l'espoir de faire refluer le mal. Ses doigts se crispèrent sur son visage lorsqu'un long râle de douleur lui échappa.

— Michaël, murmurai-je en me penchant sur lui.

Mes doigts effleurèrent à peine son épaule, pourtant il hurla à la mort. Il me repoussa brusquement et recula jusqu'à heurter le mur.

— Sors de là ! cria-t-il en se tenant la tête. Y'a quelque chose en moi ! Sors-le de là !

Horrifiée, je portai ma main à ma bouche pour retenir une lamentation alors que mon ami se débattait contre le fantôme d'un démon.

— Fais-le sortir de ma tête ! me supplia Michaël. Ça fait mal !

Je m'approchai de lui lorsqu'il commença à frapper son crâne contre le mur. J'attrapai son visage pour tenter de capter son attention.

— Il n'y a personne. Tu es en sécurité. Il n'y a personne, répétai-je comme une litanie avec l'espoir de le calmer.

Rien n'y faisait.

Soudain, Michaël frappa l'arrière de sa tête si fort que le bruit du heurt m'arracha un frisson d'effroi le long de la colonne vertébrale. Ses yeux vitreux fixèrent le plafond tandis que sa crise passait. Ses bras retombèrent lourdement le long de son corps. D'un geste lent, je m'approchai pour dégager de son front trempé de sueur quelques-unes de ses mèches blondes. Si près de lui, j'entendis sa faible respiration et la course effrénée de son cœur.

— On m'a pris quelque chose, chuchota Michaël d'un air absent. Non... C'était quelqu'un... d'important.

— Qui ? demandai-je sur le même ton.

— On me l'a pris. On me l'a volé.

— Ça va aller, le rassurai-je d'une voix chevrotante.

— Je veux voir Nathan.

Mon cœur manqua un battement à l'entente de ce prénom. Michaël baissa enfin les yeux sur les miens effarés.

— Qui est Nathan ? me demanda-t-il.

Mes lèvres entrouvertes peinaient à articuler un mot tant j'avais peur de faire une erreur.

— Donna, dis-le-moi.

— J'ai fait une promesse, soufflai-je, au bord des larmes.

— Donna...

Michaël posa sa main sur ma joue : elle tremblait. Non, c'était tout son corps qui tremblait.

— Je me sens mal, se plaignit-il.

Sans me laisser le temps de dire quoi que ce soit, il se leva et alla vomir dans la cuvette des toilettes. Je ne savais pas quoi faire. Je ne savais pas du tout et le répit que me laissa Michaël avant de revenir près de moi ne m'aida pas à prendre une décision. À présent plus serein, mon ami s'assit sur son matelas sans me quitter des yeux. Il était blanc comme un linge.

— Il y avait quelque chose dans ma tête. Une voix douloureuse. Mais il y avait aussi un homme qui me protégeait et qui... C'était fort. Tu sais qui c'est, n'est-ce pas ? Qui est Nathan ?

Je secouai la tête de droite à gauche, incapable de briser une promesse, mais incapable aussi de voir un ami tourmenté par mon silence. Si je parlais, qui de Nathan ou de Michaël souffrirait le plus ?

Michaël prit ma main dans la sienne.

— Je veux ce qui m'appartient, Donna. Qui est Nathan ?

Cette fois, je ne pus retenir mes larmes. Pourquoi ? Parce que ma décision était prise :

— L'homme au chevet duquel tu t'es rendu. L'homme qui a prit une place spéciale dans ta vie, dans nos vies, mais qui a disparu du jour au lendemain sans laisser de trace. Je ne sais pas où il est maintenant. Et pour... Pour te protéger, il t'a effacé la mémoire.

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