Chapitre 8
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
L'odeur d'humidité dans le bâtiment en ruines était suffocante. Le vent faisait grincer les vieilles planches de bois de cet ancien hangar à bateaux situé sur la rive ouest du fleuve, non loin de Portet-sur-Garonne. Malgré l'abandon évident de la bâtisse depuis des décennies, l'endroit grouillait de vie depuis que des dizaines de policiers inspectaient l'endroit dans les moindres détails. Il me fallut attendre que la zone ait été passée au peigne fin avant d'être conduit par le lieutenant Kanaté jusqu'au lieu du crime.
Les lames du parquet étaient tellement imprégnées d'humidité qu'elles se seraient affaissées sous notre poids si un chemin avec des planches neuves n'avait pas été tracé par les premiers policiers arrivés sur les lieux. Cela me laissa songeur.
— Qui a trouvé le corps ? demandai-je au lieutenant.
— Un chien du quartier. À force de l'entendre aboyer, des gamins sont venus voir et ils ont aperçu le corps par une fenêtre.
— Et comment la victime et son meurtrier ont-ils pu rentrer sans passer à travers le plancher ?
— Ça, on n'en sait rien du tout, mon Père.
L'appellation me crispa, malgré tout, j'en fis abstraction une fois encore. La femme s'arrêta devant une porte entrebâillée avant de se tourner vers moi :
— Je vous préviens, c'est pas joli.
Elle poussa le battant qui me livra une vision effroyable : un homme nu, la cage thoracique ouverte, était crucifié sur un mur, la tête en bas, au centre d'un pentagramme tracé avec son sang. Le cœur manquait à l'appel, de toute évidence. Mais le détail qui me frappa fut que la victime avait été castrée et que son pénis était fourré dans sa bouche. Je grimaçai par réflexe en imaginant la douleur du pauvre homme.
J'approchai du corps afin de l'examiner de manière plus complète. Au-dessus du pentagramme était écrit en lettres écarlates un message à mon intention : « Le Saint Exorciste perdra ». Voilà un meurtrier bien sûr de lui.
— Je ne suis pas très calée en trucs d'église, commença le lieutenant Kanaté, mais je sais qu'il y a au moins un prête exorciste dans chaque diocèse. Je l'ai contacté, on m'a renvoyé vers l'archevêché, et vous voilà. On ne sait pas si le terme de « Saint Exorciste » fait référence à un prêtre exorciste en particulier ou à tous. Et puis il y a ça...
Elle pointa du doigt la chevalière à l'auriculaire gauche de l'homme.
— Ce sont les armoiries d'un ordre catholique, reprit le lieutenant.
— L'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem, complétai-je.
Je ne connaissais pas tous les membres de l'Ordre mais ce bijou prouvait que cette victime y appartenait.
— En effet. Vous connaissez ?
— Ordre héritier des Templiers qui a éclaté après la Révolution. Certains s'en réclament les descendants mais l'Ordre en lui-même n'existe plus depuis longtemps.
À l'exception de la branche occulte que je servais qui, depuis la première croisade, protégeait les humains de l'emprise des démons. Les autres branches, plus politiques que mystiques, avaient vécu au gré des bouleversements de l'Histoire et avaient fini par disparaître, fusionner ou muter. Elles s'étaient adaptées.
— Il n'existe plus officiellement, nuança le lieutenant. Seulement il y a eu une autre victime avant cet homme, et elle portait la même chevalière. Quelque chose me dit que cet Ordre n'est pas aussi mort qu'on veut bien le croire et que ses membres sont la cible de notre tueur.
— Quand a eu lieu le premier meurtre ? questionnai-je.
— Le 22 octobre.
Le jour de l'attaque de zombies. Ce ne pouvait pas être une coïncidence. Le nécromancien serait-il aussi tueur en série ? Mais pourquoi s'en prendrait-il à l'Ordre ? Et particulièrement à moi ? Ce n'était pas logique. Si les démons avaient d'excellentes raisons de me haïr, ce n'était pas le cas des sorciers.
Je me penchai un peu pour inspecter encore le cadavre. À certains endroits, la peau nécrosait déjà. J'examinai ensuite le trou dans la cage thoracique sans trop tenir compte de l'odeur qui, bien que désagréable, l'était moins que l'haleine d'un croque-mitaine affamé – rien ne puait plus que ces bestioles hideuses. Je remarquai alors des traces de griffures nettes sur les côtes de l'homme. Ce n'était pas humain.
Je me redressai de toute ma hauteur, un mauvais pressentiment lové au creux de mon ventre. Je ne devais pas mon surnom de Saint Exorciste à mes paires mais à l'Enfer. Ce fut en entendant les humains possédés m'appeler ainsi que les vivants le reprirent. J'étais certain que le tueur en série n'était pas un nécromancien mais un démon car toute la mise en scène renvoyait à l'Enfer, du lieu du crime putride à la nécrose précoce de la peau. Sans compter le message m'étant clairement destiné. C'était un défi. Je serrais mes poings gantés tandis que le bracelet à mon poignet droit restait étrangement muet.
Pourquoi ne te manifestais-tu pas, Belzébuth ? Toi qui adorais voir tes semblables commettre les pires atrocités sur les humains ? C'était comme si tu étais aussi soucieux que moi. Comme si tu avais compris que la simultanéité des meurtres et des morts-vivants annonçait quelque chose de beaucoup, beaucoup plus inquiétant.
— Père Nathan ?
La voix un peu cassée du lieutenant Kanaté me ramena sur la scène du crime.
— Vous avez une idée qui pourrait nous aider ? questionna-t-elle sur un ton qui n'était plus bienveillant mais méfiant.
Elle m'observait sans discontinuité depuis mon arrivée, mon changement d'attitude ne lui avait pas échappé. À voir de quelle manière elle l'interpréterait.
— Si vos victimes appartiennent toutes à l'Ordre, il vous faut trouver qui pourrait leur en vouloir, répondis-je. Peut-être une personne ayant récemment fait appel à un exorciste et qui n'en a pas été satisfait.
— Vous, vous êtes exorciste, pas vrai ? me demanda le lieutenant. C'est pour ça qu'on m'a renvoyé vers vous. Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi on m'a autant baladée avant de me donner votre numéro. Pourquoi le diocèse a botté en touche, hein ? Pourquoi il ne m'a pas donné le nom de son prêtre exorciste habituel ?
Je fixai la femme dont la détermination et la perspicacité m'inquiétaient. Face à mon silence, elle pinça ses lèvres ourlées avant de reprendre :
— Vous savez pourquoi ? Parce que je n'ai pas demandé un exorciste mais le Saint Exorciste. Et que cet homme, c'est vous. Alors je vous le demande gentiment : pourquoi ce putain de message vous est adressé ?
— Parce qu'un démon s'est échappé de l'Enfer et a envie de jouer, répondis-je d'une voix glaciale.
La femme n'apprécia pas ma réplique ; son regard se chargea de colère.
— Écoutez..., commença-t-elle en tendant un index menaçant vers moi.
— Demandez un rendez-vous avec l'archevêque de Toulouse, la coupai-je. Dès que je sortirai d'ici, cette affaire passera sous son autorité.
— Il a un lien avec l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem ?
— Il serait en tout cas le mieux placé pour. Par contre ne rêvez pas, personne ne vous laissera approcher ses membres. C'est comme si vous vouliez mener une enquête au cœur du Vatican. Autre monde, autres règles.
— La loi est la même pour tous, répliqua le lieutenant.
— Vous savez très bien que non.
La femme me dévisagea en silence un long moment, avant de soupirer de résignation tout en croisant les bras sous sa poitrine.
— Et le message ? redemanda-t-elle.
— Il m'est destiné et il est passé. Ça veut dire qu'il y aura d'autres victimes et que vous ne pourrez pas les empêcher.
— Ça, c'est ce qu'on verra, marmonna-t-elle en sortant un calepin et un crayon. Il me faudrait votre nom, pour mon rapport.
— Nathan Iscariote.
Le lieutenant suspendit son geste une fraction de seconde, avant d'en prendre note.
— Je suis désolé de ne pas pouvoir vous aider plus, lieutenant, mais je ne suis pas libre de dire ou faire ce que je veux.
— C'est le genre d'excuses que se donnent les lâches, tacla la femme. J'espère que vous arriverez à dormir avec tous ces morts sur la conscience.
Je comprenais sa réaction, mais j'avais quand même envie de la frapper. Conscient que l'agacement montait de manière dangereuse, je tournai les talons et pris la direction de la sortie quand, dans mon dos, la femme flic me promit qu'on se reverrait.
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