Chapitre 7

Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem

Debout devant ma fenêtre ouverte sur la Garonne, « Lullaby » de Nickelback à fond dans mes écouteurs, je repensais à la mort. Celle d'une mère que je n'avais pas connue, celles d'innocents que j'avais échoués à protéger, et celle de David. Je me surpris alors à comprendre les nécromanciens, à partager ce besoin de combler un vide arrivé trop tôt, trop vite. Je compris la tentation de ramener vers soi l'être aimé et d'éprouver la force de notre amour en défiant jusqu'aux lois divines. Plus de Bien, plus de Mal, juste une douleur aliénante à faire taire coûte que coûte. Quel monstre l'amour nous poussait-il à devenir ? Était-ce seulement lui le responsable, ou notre propre faiblesse ?

J'aurais tout donné pour ramener David et lui dire que je l'avais tant aimé, pour ramener ma mère et lui demander si elle avait, même une seconde, éprouvé de l'affection à mon égard.

L'image de la famille de René me revint soudain en mémoire et je serrai les poings. Personne ne sera là lorsque je mourrai. Pas de pleurs, pas de douleur, pas d'amour. Plus que les autres, je serai seul face à Dieu, enroulé dans un linceul taché de sang, de honte et d'indifférence.

Une large main se posa alors sur mon poing. Sa chaleur détendit mes muscles crispés par mes pensées noires. J'ouvris mes doigts pour les refermer aussitôt sur ceux de Tit. Debout à côté de moi, le domovoï me regardait de ses grands yeux où brillait une déchirante tristesse. J'enlevai mes écouteurs d'un geste mal habile.

— Je suis désolé, soufflai-je.

De quoi ? Je ne savais pas. Peut-être d'exister, de causer autant de tort, autant de morts ?

— Noï bloïch.

Même si je ne versais pas de larme, Tit avait compris que j'avais envie de pleurer toutes ces années de solitude. Il savait aussi que depuis ma rencontre avec Donna, Dylan et Michaël, j'avais pris conscience de ne plus vouloir être esseulé dans la foule. Mais il savait aussi que j'étais terrifié à l'idée de les voir mourir.

— Nathanoï mon ami.

J'esquissai un sourire fragile avant de m'agenouiller à hauteur de Tit. Il posa son front contre le mien sans lâcher ma main, comblant un peu le vide dans mon cœur.

— Projto toï.

— Je sais, Tit. Tu m'as toujours protégé.

— Oï. Toï dnon miam miam tnan ?

Cette fois, je souris franchement. Ce vieil esprit domestique ne perdait jamais le nord ! Je me redressai puis allai nous préparer un petit encas tandis qu'Aprilia nous rejoignait, attirée par l'odeur de la charcuterie destinée à Tit. Pour moi, ce serait nouilles instantanées. La chienne de l'Enfer prit forme humaine pour se servir dans le frigo avant de s'asseoir à table. L'Ordre épluchait toutes mes dépenses depuis sept mois, impossible d'acheter cinq kilos de viande fraîche tous les jours sans révéler la présence d'Aprilia. Cette dernière s'était fait une raison, elle prenait désormais ses repas comme une humaine.

Tout en mangeant, je me repassais en tête les informations récoltées jusqu'à présent.

— Il y a une chose qui me chiffonne dans cette affaire, pensai-je à haute voix. Pourquoi l'attaque a eu lieu à l'endroit et au moment où une équipe tournait ?

— L'effet Donna ? avança Aprilia.

— J'en doute. Se faire attaquer par des zombies n'est pas vraiment un coup de chance. Ça me donne plutôt l'impression d'un test. Mais pourquoi un nécromancien en aurait besoin ?

— Un débutant ?

— Non, sinon il n'aurait pas pu invoquer des dizaines de morts.

— S'il a attaqué des gens, c'est parce qu'il savait qu'ils étaient là, songea Aprilia. Donna connaît peut-être le nécromancien sans le savoir.

Cette déduction plus que plausible m'inquiéta car cela voulait dire que Donna n'était pas à l'abri de subir une nouvelle attaque.

— Psieurs morts ? intervint Tit. Estoï flifet da fé qué faï rélvé psieurs morts, noï nécro.

Mon ami avait dit ça au moment où j'avalais mes nouilles. Je faillis m'étouffer et toussai durant une bonne minute. Une fois ma quinte calmée, je fixai Tit.

— Quel sifflet de fée ? demandai-je d'une voix un peu enrouée.

Le domovoï m'expliqua alors que parmi les objets fabuleux en possession des fées existait un sifflet capable de ressusciter les morts, par un, par dizaines ou par centaines. Pour obtenir ce présent, il fallait réussir une épreuve imposée par la fée. Ce qui étonnait Tit était qu'on ne pouvait pas dissimuler ses intentions aux yeux des Belles Dames : aucune n'aurait donné un objet aussi précieux à un humain si ce dernier n'avait pas de nobles intentions.

— Quelqu'un aurait-il pu le lui prendre de force ? demandai-je.

— Noï umaï, affirma Tit.

— Ce n'est pas un humain, alors, en déduisit Aprilia. Ou bien l'humain n'était pas seul. L'Enfer est resté sans gardien durant deux mois, je ne suis peut-être pas la seule à en avoir profité pour m'échapper.

— Qu'est-ce qu'un démon ferait avec un nécromancien ? questionnai-je.

— Je ne sais pas. Qui sait ce qui peut leur passer par la tête.

La dernière réflexion d'Aprilia me laissa songeur. Un démon aurait en effet été capable de tuer une fée, mais dans quel but ? Seules les âmes les intéressaient, pas les corps. À cela s'ajoutait une autre question : devais-je chercher un nécromancien possédé par un démon ou un nécromancien accompagné d'un humain possédé ? J'avais si peu d'informations que les chances de trouver le sorcier noir avant sa prochaine action étaient nulles. Pourtant, je devais agir en procédant dans l'ordre :

— Aprilia, ça te dérangerait de surveiller discrètement Donna jusqu'à ce qu'on trouve une piste sérieuse ?

La femme me fixa de ses grands yeux rouges qui tranchaient avec sa peau noire d'ébène.

— Pourquoi ? questionna-t-elle, surprise.

— Si elle connaît le nécromancien, tu pourras l'identifier.

— Mais... Je vais dormir où ? Et je vais manger quoi ?

Je ne pus retenir un sourire amusé face à des questions aussi pragmatiques.

— Donna habite à deux kilomètres à peine, tu reviendras ici quand elle sera couchée, lui répondis-je.

— D'accord, accepta-t-elle après une courte hésitation. Et toi, tu vas faire quoi ?

— Suivre une deuxième piste : à part les collègues de Donna, certains employés de la mairie étaient aussi au courant du tournage.


J'avais appelé un de mes contacts à la mairie afin qu'il me dégote le nom de la personne en charge de délivrer les autorisations de tournage et qu'il cherche si l'un des officiers d'état civil avait perdu un proche en début d'année. Car si un démon avait quitté l'Enfer, ce ne pouvait être qu'en l'absence de Cerbère, entre février et mars. Et qui, à la mairie, était mieux placé pour côtoyer la mort que la personne responsable de déclarer tous les décès de la ville ?

À peine avais-je raccroché qu'un numéro inconnu s'afficha sur mon smartphone. Intrigué, je décrochai avant d'entendre une voix féminine me parler :

Père Nathan ?

Je levai les yeux au ciel et soupirai intérieurement. Non, je n'étais toujours pas prêtre, mais qu'importait.

— Lui-même, répondis-je.

Aminata Kanaté, lieutenant de la police judiciaire.

Les souvenirs de l'enquête sur la mort de David me sautèrent au visage et la peur d'être à nouveau soupçonné fit s'emballer mon cœur. Je me forçais à le contrôler avant de reprendre d'un ton que je voulais normal :

— Je vous écoute.

J'ai eu votre numéro par l'archevêché de Toulouse. J'aurais besoin de vous voir tout de suite. Vous avez de quoi noter une adresse ?

Je mis le haut-parleur afin d'accéder à mon GPS sur lequel j'entrai directement l'adresse.

— C'est à quel sujet ? demandai-je une fois l'itinéraire confirmé.

Un meurtre.

Mon sang ne fit qu'un tour alors que le visage ensanglanté de David me revint une fois encore en mémoire.

Ou plutôt des meurtres, précisa la femme.

— J'arrive dans vingt minutes.

En coupant la communication, je m'aperçus que mes mains tremblaient. Quant à mon cœur, il cognait sourdement dans ma poitrine au point de faire naître en moi une angoisse diffuse mais palpable. J'attrapai une cigarette d'un geste maladroit avant de l'allumer et d'aspirer une longue bouffée de fumée. Cela finit par me calmer assez pour que je puisse conduire sans crainte d'être un danger pour les autres. J'attrapai donc mes clés de moto et mon équipement avant de filer à mon rendez-vous. 

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