Chapitre 34
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Lorsque j'ouvris les yeux, une vive lumière me rassura. Je me sentais bien, je n'avais plus mal, je n'éprouvais plus aucune peur. J'étais heureux et serein, plongé dans un océan de sensations divines.
— C'est parce que tu es aux portes du Paradis, entendis-je.
La voix féminine qui m'avait parlé était douce, chaleureuse et sublime. J'ouvris encore une fois les yeux, du moins fut l'impression que j'eus. Cette fois, je vis une femme. Elle n'était pas devant moi, ni derrière ou même à côté, elle était partout tout comme je l'étais. Nous étions l'infini.
L'inconnue n'ajouta rien. Elle se contentait de me regarder avec son visage presque juvénile. Elle ne devait pas avoir beaucoup plus de vingt ans, et sans l'avoir déjà vu j'étais certain de la connaître.
— Ça, c'est parce que tu as la moitié de moi en toi, me dit-elle en souriant.
— Tu es...
— Dis-le, m'encouragea-t-elle.
Je n'y arrivais pas parce que je n'y croyais pas. Où étais-je ? Où étaient Michaël, Donna, Dylan, Aprilia et les Chevaliers ? Avais-je vaincu Bael ?
— Je suis mort, compris-je. Et tu es...
— Dis-le, Nathan, que je puisse l'entendre au moins une fois.
— Marie. Tu es ma mère.
Un sourire lumineux éclaira son beau visage et j'y vis toute la splendeur des Cieux.
— Tu es si jeune, remarquai-je en prenant son visage en coupe.
— J'avais vingt-et-un an, se souvint-elle. Ils ne te l'ont pas dit ?
— On ne m'a rien dit sur toi. J'ai tes yeux, remarquai-je avec fierté.
— Et mon menton, ajouta-t-elle.
J'attrapai ses mains dans les miennes. Elles étaient si petites que j'aurais pu les briser rien qu'en serrant un peu.
— Je suis désolé, m'excusai-je d'une voix déchirée. Je suis désolé que ma vie t'ait pris la tienne. Je ne veux pas que tu me détestes.
— Nathan, chuchota-t-elle en approchant son visage du mien. Quand ce monstre a transformé ma vie en enfer, j'ai maudit l'être que je portais en moi. Mais le jour où j'ai su pour toi, la Vierge m'est apparue et m'a dit que seul mon amour sauverait cet enfant du démon qui l'habitait. Alors je t'ai accepté, puis je t'ai aimé un peu, puis de tout mon cœur et enfin, de toute mon âme. Quand tu es venu au monde, Dieu m'a fait la grâce de te serrer dans mes bras et d'assurer ta protection avant de me rappeler à lui.
Cette fois, ma mère m'attira dans ses bras.
— J'ai veillé sur toi, je sais que tu as honte de ce que tu es, mais tu n'as aucune raison de l'être. Nathan, tu es la preuve que même au cœur de l'horreur la plus abjecte, il y a toujours un éclat de Bien qui la surpasse. Je suis tellement fière de toi. Tellement fière de celui que tu es et de tout ce que tu as accompli.
Je la serrais contre moi avec toute la force de mon amour. J'avais si souvent rêvé de ce moment que je voulais en profiter toute l'éternité.
— Nathan, reprit ma mère. Père Luc va bien. Et ne pleure plus David, il est ici et heureux que tu aies retrouvé une personne à aimer.
J'opinais d'un signe de tête car j'étais incapable de dire un mot tant ma gorge était serrée dans un étau de larmes.
— Moi aussi je suis heureuse, ton archange est un cœur valeureux, je l'adore. Veille sur lui, puis sur Donna et Dylan, ils sont précieux.
— Je les protégerai d'ici.
— Non, mon ange. Tu les protégeras d'en-bas.
Je reculais un peu pour la regarder dans les yeux :
— Qu'est-ce tu veux dire ?
— Que tes amis n'ont pas l'intention de t'abandonner, me dit-elle. Moi non plus, d'ailleurs. Je suis un ange gardien, à présent. Si tu me le demandes, je pourrais veiller sur l'un d'eux.
Mon choix fut vite fait : Donna avait sa chance et Michaël m'aurait moi.
— Veille sur Dylan, s'il te plaît.
— Ainsi soit-il, alors.
Elle déposa un baiser sur mon front avant de s'éloigner de moi.
— Tu pars déjà ? m'enquis-je.
— Oui, et toi aussi. Je t'aime.
— Je t'aime aussi, Maman.
Deux immenses ailes immaculées apparurent dans son dos, puis elle s'envola loin de moi. Pourtant ce ne fut pas une sensation de solitude qui m'envahit, ce fut celle d'un amour sincère et immortel.
Je restais seul un certain moment, me demandant ce que je devais faire lorsqu'une silhouette se dessina sous mes yeux. D'abord floue, ses traits se firent nets dès qu'elle s'approcha. Je fus stupéfait de me retrouver face à Julien, le frère de Karina qui, sans la présence de Bael en lui, me fit une impression de confiance. L'homme tendit sa main à l'intérieur de laquelle brillait quelque chose que je ne reconnus pas.
— Je sais que ma sœur a fait beaucoup de mal, me dit Julien, mais elle ne mérite pas de passer l'éternité en Enfer.
— Pourtant c'est le résultat logique de ses actions, lui rappelai-je.
— Non. J'avais neuf ans quand on a perdu nos parents et Karina s'est toujours occupé de moi quitte à sacrifier sa vie personnelle. Elle m'a tout donné, alors je refuse de croire qu'une vie d'amour, d'abnégation et de complicité lui vaille un aller simple pour l'Enfer. On était très proches. À sa place, je crois que j'aurais été capable d'agir comme elle l'a fait pour la garder à mes côtés.
— Qu'est-ce que tu attends de moi, au juste ?
— Que tu lui donnes ça, répondit-il en mettant le morceau de lumière dans ma main. C'est la moitié de mon cœur, comme ça elle pourra me rejoindre ici.
Le cadeau de Julien pour sa sœur pulsait doucement au creux de ma paume. La chaleur qui s'en dégageait était agréable, réconfortante, même, à l'image d'un cœur pur.
— Tu le feras ? s'enquit l'homme.
— Je ne peux pas refuser de sauver une âme. Je le ferai, assurai-je.
Julien me sourit en guise de remerciement, puis je le vis s'éloigner :
— Dis-lui que notre chien Raisin est ici et qu'il essaye toujours d'attraper son oreille.
L'anecdote me fit sourire. Avant que je puisse ajouter quelque chose, Julien avait disparu.
J'entendis à cet instant comme le son lointain d'un sifflet, puis une large main se posa sur mon épaule et je ressentis entre ses doigts l'existence de tous les univers.
— Tu ne seras plus seul, me dit une voix millénaire venant de partout et de nulle part.
D'un seul coup, la main me poussa en arrière et j'ouvris les yeux.
**
Michaël – Le petit archange
Le sifflement se perdit dans le brouhaha que firent les forces de l'ordre en débarquant sur la place. Une quadragénaire nous rejoignit en courant et se présenta comme étant le lieutenant de police Kanaté. Elle se pencha sur Nathan pour prendre son pouls.
— Pourquoi il se passe rien ? demandai-je d'une voix éteinte.
Donna fixa le sifflet d'un regard larmoyant sans parvenir à formuler une réponse. Je me redressais pour guetter le moindre signe de vie sur le visage de Nathan sans lâcher sa main. Face à la cruelle réalité qui s'imposait à moi, je sentis des larmes monter.
Soudain, la main de Nathan serra la mienne quand il ouvrit les yeux dans un sursaut. Le flux bleuté libéré fut si puissant que son onde de choc balaya tout le parvis et me vida de mes forces. La froidure des premières minutes de novembre se rappela à nous dès que le pentagramme infernal disparut dans la foulée.
Nathan se redressa puis m'attira contre lui où je fondis en larmes. L'incendie dans ma gorge me faisait tellement mal que je ne parvins pas à articuler le moindre mot, mais ce n'était pas la peine de parler. La force avec laquelle m'étreignait Nathan me disait tout ce que je voulais savoir, et bien plus encore.
— Ça a marché ! exulta Donna avant de nous sauter littéralement dessus. Tit va être content !
— Qu'est-ce qui a marché ? demanda Nathan sans relâcher son étreinte sur moi le temps que ma fatigue reflue.
— Votre amie a utilisé le sifflet, répondit Yannick. Et il semblerait que par une chance incroyable, il ait ramené votre âme parmi nous.
— Veinarde, lâcha mon amant à Donna qui lui souriait de toutes ses dents. Mais merci. Merci pour tout.
Sa voix trahissait toute son émotion, elle était magnifique. Là contre lui, je n'avais plus froid ni peur, j'étais heureux.
— Joyeux anniversaire, Nathan, glissai-je à son oreille.
Alors, il me serra dans ses bras pour m'envelopper de son amour, signe qu'il était touché que je n'aie pas oublié. Je n'avais rien oublié de lui, même quand un sortilège avait entravé ma mémoire.
— Où est Karina ? demanda soudain mon compagnon.
Sa question surprit tout le monde et me poussa à m'arracher à son étreinte pour le fixer.
— Elle est là, m'indiqua Donna. Pourquoi ?
Sans lui répondre, Nathan se leva.
**
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Ce fut toute une délégation qui me suivit lorsque je m'approchais de Karina encore vivante et à moitié défigurée. En me penchant sur elle, je vis que la balle du sniper avait frôlé son cœur. La femme n'était pas morte sur le coup mais elle ne survivrait pas longtemps. Je m'assis à ses côtés avant de la prendre dans mes bras sans qu'elle oppose la moindre résistance ; elle n'en avait pas la force.
— J'ai froid, se plaignit-elle.
— C'est rien, chuchotai-je.
— J'ai peur, confessa-t-elle en pleurant. Je veux voir mon petit frère. Je veux qu'on me rende Julien.
Ses sanglots se mêlèrent à ses hoquets de douleur. J'activai mon pouvoir divin au feu duquel brûlait le présent de Julien pour sa sœur.
— Je l'ai vu, lui confiai-je en posant ma main sur sa poitrine où la moitié du cœur de son frère purifia le sien. Il t'attend avec Raisin qui essaye encore d'attraper son oreille. Tu te souviens de Raisin ?
Karina hocha la tête :
— C'était le Beagle que nous avaient offert nos parents avant de mourir.
— Tu vas être heureuse avec eux, Karina, la rassurai-je. Tu vois Julien ?
Nouveau hochement de tête.
— Prends sa main, l'encourageai-je. Prends-la.
Karina fixa l'horizon sans parler.
— L'Éternel est mon berger : je ne manquerai de rien, récitai-je, avant d'être repris en chœur par tous les Chevaliers. Il me fait reposer dans de verts pâturages, il me dirige près des eaux paisibles. Il restaure mon âme, il me conduit dans les sentiers de la justice, à cause de son nom.
La femme ferma les yeux. Les traits tirés de son visage s'adoucirent.
— Quand je marche dans la vallée de l'ombre de la mort, je ne crains aucun mal, car tu es avec moi : ta houlette et ton bâton me rassurent. Tu dresses devant moi une table, en face de mes adversaires ; tu oins d'huile ma tête, et ma coupe déborde. Oui, le bonheur et la grâce m'accompagneront tous les jours de ma vie, et j'habiterai dans la maison de l'Éternel jusqu'à la fin de mes jours.
Le corps de Karina s'alourdit quand son âme le quitta pour l'éternité. Personne n'ajouta rien ; ç'aurait été indécent, car nul mot ne pouvait décrire la perte d'une vie.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top