Chapitre 27
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Adid et moi nous retrouvâmes à l'abri des regards sous le passage menant de la rue de la Boule au Quai Saint-Pierre, ce qui n'empêcha pas le sorcier d'être mal à l'aise et de guetter les environs d'un œil inquiet tandis qu'il m'apprenait que le frère de Karina n'avait pas toujours été en bonne santé. D'après la médecine, il avait même été cliniquement mort durant deux heures à la suite d'un accident de voiture, avant de revenir à la vie sans la moindre lésion cérébrale. Les faits s'étaient déroulés le vingt-huit février de cette année, le jour de la Marque des Cinq, donc si Kanaté n'avait rien trouvé ce devait être parce que Karina avait fait disparaître le rapport des gendarmes qui étaient intervenus sur l'accident. J'envoyai aussitôt un texto au lieutenant pour l'informer de ce détail et lui dire de faire attention à Julien Lejeune.
— Je pense que votre démon a dû prendre possession du corps de Julien quand il est mort, imagina Adid. Karina et son frère étaient très proches. Si le démon lui a promis de ressusciter Julien en échange de son obéissance totale je pense qu'elle a accepté. Ça ne m'étonnerait pas non plus qu'elle ait carrément vendu son âme en échange... Les démons peuvent ramener les morts à la vie ?
— Non, affirmai-je. Si ce Julien était quelqu'un de bien son âme est auprès de Dieu, personne n'a le pouvoir de l'y arracher.
— Alors Karina fait tout ça pour rien ?
— Oui, et je pense qu'elle doit savoir que son frère ne reviendra jamais.
— Qu'est-ce qui vous fait penser ça ? questionna le sorcier, curieux.
— La haine qu'elle éprouve. Ce n'est pas le genre de sentiments que tu éprouves quand tu sais que l'histoire va bien se terminer. Je pense que son amour pour son frère et son espoir de le revoir se sont changés en haine quand elle a compris que le démon ne tiendrait pas sa promesse.
— Alors pourquoi elle continue de l'aider ? s'étonna Adid.
— Elle a peut-être besoin d'un coupable sur qui rejeter toute sa peine, devinai-je. L'humanité a dû endosser ce rôle à ses yeux.
— C'est une vengeance.
— Plutôt un cri de souffrance.
Je profitais du silence qui suivit pour m'allumer une cigarette et inspirer une longue bouffée de fumée.
— Il y aura des grands sabbats ce soir ? interrogeai-je avant de la recracher.
— Oui, confirma Adid.
— Où ?
— Quelque part...
Sa réponse évasive m'amusa, d'une certaine manière, car elle me prouvait que les sorciers avaient toujours à cœur de préserver le secret autour de leur art et de leur communauté. Je ne fus pas irrité par sa méfiance, juste rassuré que ses semblables n'aient pas enterré leurs traditions.
— Qu'est-ce que tu peux me dire sur Samhain qui me serait utile contre le démon ? demandai-je encore.
— Samhain est un entre-deux, une réalité entre la nôtre et l'autre, expliqua Adid. Du coucher au lever du soleil on n'est plus tout à fait dans notre monde mais on n'est pas vraiment dans l'autre.
— Comment ça ?
— La magie, quelle qu'elle soit, invoquée après le coucher du soleil disparaîtra à l'aube du jour suivant.
— Donc si le démon attaque au crépuscule et que j'arrive à le contrer avant demain matin, tout ce qui se sera passé entretemps à cause de lui disparaîtra ? résumai-je.
— Oui. Mais Karina a dû en informer le démon.
— Ça ne l'empêchera pas d'agir, crois-moi. Non seulement ça sera plus facile pour lui de se mettre en mouvement ce soir, mais en plus il doit être persuadé que je serais mort avant l'aube. Ce qui, entre nous, n'est pas impossible du tout.
— Et qu'est-ce qui arrivera si vous mourez ?
Mon absence de réponse suffit à lui faire comprendre ce qu'il se passerait si je venais à tomber : l'humanité se retrouverait à affronter une lente agonie. Sans oublier que Belzébuth serait libéré et que le challenger de l'Enfer pourrait très bien conquérir le royaume terrestre plutôt que d'affronter une fois encore Satan. La fissure restait notre meilleure chance.
— Quid des morts survenues durant l'interstice ? me renseignai-je.
— Elles seront définitives même si les victimes ont été tuées par magie, me dit Adid.
Ça, en revanche, ça ne m'arrangeait pas, mais que tout se finisse bien aurait été trop facile.
N'ayant plus rien à demander à Adid, je le laissais filer avant de remonter à mon appartement où tous mes amis étaient à présent levés. La dernière information donnée par le sorcier m'avait fait penser que j'avais omis de faire part d'un détail très important à Aprilia, aussi m'accroupis-je devant la chienne de l'Enfer, mon chapelet en main. Le molosse lui lança un regard mauvais et se tendit par réflexe.
— En cas de problème, commençai-je, il faudra que vous trouviez tous refuge dans une église.
— Je ne peux pas, opposa-t-elle.
— En fait, si, la contredis-je. Si les symboles religieux sont dangereux pour les démons, c'est parce que les personnes qui les manient les utilisent comme des armes pour se défendre. Mais si le croyant ne te veut pas de mal, ça ne te fera rien. Touche le crucifix.
Aprilia grogna de mécontentement sans bouger d'un poil. Son hésitation dura de longues secondes durant lesquelles elle jaugea la petite croix en argent. Puis, du bout du museau, le molosse la frôla. Voyant que le contact n'avait pas été douloureux, elle me laissa poser le chapelet sur son large front.
— Alors ? demandai-je.
— Je n'ai pas mal, constata la chienne.
— Si aucun religieux ne t'interdit l'entrée d'une église, tu peux t'y réfugier sans crainte.
Aprilia acquiesça d'un signe de tête. Je me redressai quand mon smartphone sonna en affichant le numéro du lieutenant Kanaté. Lorsque que je décrochai, je perçus le malaise dans la voix de la flic quand elle me demanda de venir chez les parents de Noa. Je pris congé de Michaël, Donna et Dylan puis je me rendis à mon rendez-vous à moto après avoir glissé ma crucem nomine dans ma poche.
L'attroupement de voitures de police et la présence du SAMU en bas de l'immeuble des parents de Noa n'annonçaient rien de bon. Mon inquiétude fut confirmée dès l'instant où je mis un pied dans l'appartement. Les agents et les ambulanciers m'observèrent avec étonnement, se demandant sûrement ce qu'un civil faisait sur ce qui semblait être une scène de crime. Je trouvais Kanaté en train de m'attendre à la porte du salon. Elle m'invita à la suivre d'un simple signe de tête. Dans la pièce, couchés sur le parquet poisseux de sang, les parents de Noa avaient la cage thoracique ouverte et le cœur manquant.
— On en est à cinq, me rappela Kanaté tandis que je m'accroupissais à côté des cadavres.
— Je vous ai dit que ça allait continuer.
Ce que je ne comprenais pas, en revanche, était le choix des victimes. Qu'est-ce que les parents de Noa représentaient pour mon assassin ?
— Mais pourquoi des civils ? questionna l'inspectrice. Ils n'ont pas de rapport avec votre Ordre, donc leur meurtre ne peut avoir un lien qu'avec leur fils.
L'ignorance et l'objectivité du lieutenant étaient parfois bienvenues car à force de trop me focaliser sur le démon, j'en avais oublié Ukobach. Il semblait pouvoir agir par et pour lui-même.
— Et pourquoi les cœurs ? continua Kanaté. Est-ce qu'ils ont une symbolique ou un pouvoir particulier utile à notre tueur en série ?
— Je ne sais pas, avouai-je d'un air défait. Peut-être... Ce n'est pas impossible que dévorer des cœurs permette à notre tueur d'acquérir plus de puissance. Et peut-être que c'est plus efficace si ce sont ceux des proches de leur hôte humain. Si c'est ça, alors le meurtrier de ce couple est Noa, contrairement à mes confrères qui ont été tués par le big boss.
Je me redressai et restai silencieux un instant.
— Julien Lejeune ? demandai-je alors.
— Chez lui, aux dernières nouvelles. Pourquoi ?
— Si j'arrive à l'exorciser avant ce soir on échappera au pire, expliquai-je avant de tourner les talons direction la sortie.
— Je viens, lança Kanaté en m'emboîtant le pas.
— Vous restez là, ordonnai-je. Celui-là ne se contentera pas de s'amuser avec vous, il vous tuera dès qu'il vous verra.
Sans même vérifier que la femme obéissait, je m'en allais, bien décidé à renvoyer ce maudit démon en Enfer.
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