Chapitre 24

Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem


Le souffle suspendu, j'observais la femme vêtue d'une cape dont la capuche dissimulait son visage. Elle détaillait l'endroit sans bouger. Que venait-elle faire ici ? Était-elle arrogante au point de croire pouvoir me vaincre sur mon propre terrain ?

La pauvre femme allait être déçue. L'avantage était qu'on ne tarderait pas à mettre la main sur le sifflet. Il me fallait seulement attendre encore quelques secondes.

— Ta mère ne t'a pas appris à dire « bonjour », Saint Exorciste ?

Cette voix, je la connaissais. J'étais certain de l'avoir déjà entendue il n'y avait pas si longtemps. Mais où ?

— Ah... J'oubliais que tu n'as pas de mère, s'amusa la femme.

Sa réplique fit mouche puisque je sentis monter un certain énervement. Je lui aurais volontiers éclaté la tête contre un mur. À la place de céder à cette alléchante envie, je me redressai pour me montrer, captant ainsi toute l'attention de la visiteuse. Les fenêtres de mon salon laissaient passer la lumière des lampadaires qui éclairait notre tête-à-tête.

— Une petite envie suicidaire ? demandai-je en descendant les marches d'un pas lent.

— Une terrible impatience, rectifia l'intruse. J'étais aussi curieuse de mettre un visage sur la voix grisante du Saint Exorciste.

Sa remarque réveilla ma mémoire : l'infirmière qui m'avait appelé pour René, c'était elle. Karina ôta sa capuche et je découvris une trentenaire comme une autre, l'incarnation de la normalité. Que lui était-il arrivé dans sa vie pour la remplir d'autant de haine ? À quel moment son existence lui avait-elle échappé ?

— Je suis ravi de pouvoir satisfaire ta curiosité, commentai-je en m'immobilisant devant elle.

— Tu ne l'es pas autant que moi car le visage n'est pas la seule chose qui mérite le déplacement.

Elle posa sa main entre mes pectoraux avant de laisser ses doigts courir le long de mes abdominaux.

— Sublime, laissa-t-elle échapper. Crois-tu que nous pourrions nous octroyer une petite trêve, juste pour la nuit ?

Je soupirai de désolation face au manque de sérieux de la sorcière :

— Si tu avais fait tes devoirs tu saurais que je négocie au lit uniquement avec les hommes. Toi, j'ai envie de te défoncer mais pas de la manière dont tu le voudrais.

L'expression luxurieuse de la femme devint haineuse en une fraction de seconde. Je sentis le mal en elle suinter par tous les pores de sa peau nivéenne.

Je crois que je venais de la vexer.

— Bâtard ! bava-t-elle.

Le mouvement de son bras droit m'alerta sur son intention, ce fut donc sans peine que je bloquai son poignet avant qu'un poignard ne me transperce l'abdomen.

— Il va falloir faire mieux que ça, Karina, l'encourageai-je. Je ne suis pas un amateur.

Je libérai d'un coup mes énergies contraires qui projetèrent la nécromancienne contre le mur sur lequel elle resta adossée alors même que le sol se trouvait à trente centimètres sous ses pieds. Un rire sinistre lui échappa tandis qu'un manteau de brume noire l'enveloppait. Les yeux de la femme devinrent vert électrique pendant qu'une odeur de mort emplissait le salon. Je jetai un rapide coup d'œil vers le couloir de l'étage où il n'y avait personne. Aprilia avait dû dissuader mes amis de venir m'aider. Tant mieux, surtout que mon appartement était l'endroit le plus sûr au monde pour moi.

Droit et immobile comme une statue, je défiais mon adversaire du regard en lui signifiant que je n'avais pas peur, ce qui eut l'effet prévisible de la mettre hors d'elle. Karina lévita jusqu'au milieu du salon tout en psalmodiant des incantations incompréhensibles. Un cercle de pourriture se forma en dessous d'elle. D'abord petite, sa superficie augmenta avec l'intention de m'engloutir en fin de course.

— Le jeu de ce démon parano a assez duré, cracha Karina. Je vais en finir avec toi maintenant !

La force de son pouvoir soulevait sa lourde cape et ses longs cheveux blonds alors qu'en un geste divin, la nécromancienne levait les bras en croix au moment où un petit objet métallique percuta sa tête. Surprise, Karina porta sa main à l'endroit heurté avant de regarder ses doigts tachés d'un filet de sang.

— Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle, les yeux plissés de suspicion.

— C'est Tit, répondis-je.

— Quoi ?

— Tit noï quoi, stupidoï umaï ! tonna le domovoï.

Les yeux de Karina s'écarquillèrent de peur sans que je comprenne pourquoi, du moins au début. Quand elle porta ses mains à son cou et qu'un râle d'agonie lui échappa, je sus qu'elle manquait d'air. Déstabilisée, la nécromancienne en oublia son sort qui s'évapora dans une fumée noire, puis elle regagna le sol comme s'il lui était alors plus facile de respirer. Là, une force invisible se saisit de ses poignets pour les tordre et les amener dans son dos. À présent immobilisée et inoffensive, Karina me suppliait du regard de faire quelque chose.

À défaut d'aide, je me mis à fouiller consciencieusement la sorcière à la recherche du sifflet. Rien. Elle ne l'avait pas sur elle. Étrange quand on songeait qu'elle était persuadée, en venant ici, d'avoir le dessus.

— Libère un peu sa gorge, requerrai-je.

Tit y consentit, alors Karina prit une longue bouffée d'air.

— Où est le sifflet ? l'interrogeai-je.

— Comment sais-tu ?

— Je t'ai posé une question, rétorquai-je sur un ton mauvais qui la fit sourire.

— En sécurité, avec mon maître. Il ne voulait pas que je vienne avec.

Face à mon expression défaite, le sourire de Karina se mut en rire joyeux.

— Tu verrais ta têt...

Mon coup de poing heurta sa mâchoire avant la fin de sa phrase. La sorcière releva vers moi un visage ensanglanté.

— Tu me le paieras, Saint Exorciste, me promit ma prisonnière.

— Tu n'as pas besoin de parler au futur, rectifiai-je en activant mon pouvoir infernal. Tu es déjà morte.

Cette partie de mon travail me répugnait mais était obligatoire. Je devais me débarrasser de Karina tant qu'elle était sous mon contrôle.

— Elle ne l'est plus, gronda une voix grave que je reconnus.

Ukobach !

Je pivotai pour voir le corps de Noa lévitant mais je fus aussitôt balayé par un tourbillon de feu duquel je parvins à me protéger in extremis. Une fumée épaisse me fit tousser tandis que je me mettais à quatre pattes. Quand je relevai la tête, je découvris mon parquet à moitié carbonisé à l'endroit où s'était tenue la nécromancienne à présent volatilisée. Tout comme Ukobach. Je frappai des poings le sol en jurant. Et dire que j'avais été à deux doigts de me débarrasser d'un problème sur deux ! Quel abruti je faisais !

Une nouvelle quinte de toux me poussa à me lever pour ouvrir toutes les fenêtres du salon. L'air frais de la fin octobre fut un invité heureux qui purgea mes poumons.

— Nassoï nécro, pesta Tit de la cuisine.

— À qui le dis-tu. Ces crevures ont niqué mon parquet, constatai-je avec tristesse. Il est d'époque.

— Flifet ?

— Elle l'avait laissé au démon. Au moins maintenant je suis certain qu'elle est bien de mèche avec lui. Et je sais aussi que le démon a vraiment besoin de la nécromancienne. S'il pouvait utiliser le sifflet lui-même, Ukobach n'aurait jamais secouru la sorcière. Ce qui veut aussi dire qu'Ukobach aide notre démon. Ce que je ne comprends pas c'est pourquoi Ukobach voulait que je l'exorcise s'il a un rôle à jouer dans l'histoire ?

Devant la complexité de l'affaire, la fatigue se rappela soudain à mon bon souvenir. Il me fallait dormir sans quoi raisonner serait difficile. Je laissais le soin à Tit de fermer les fenêtres dès qu'il l'estimerait nécessaire puis je montai à l'étage où tous mes amis attendaient. Je leur fis un bref résumé de la situation, les rassurai puis les invitai à retourner se coucher, ce que j'avais terriblement envie de faire. Nous nous séparâmes sur le seuil de nos portes et ce fut avec plaisir que je retrouvais mon lit et les bras de Michaël.

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