Chapitre 17

Michaël – Le petit archange


Ce fut une étrange sensation d'empressement qui me réveilla, comme si mon instinct hurlait en prévision d'une chance à saisir à tout prix. Lorsque j'ouvris les yeux, tous mes souvenirs me revinrent les uns après les autres, s'imbriquant dans mon esprit comme les pièces d'un grand puzzle, alors je compris que ce besoin urgent était celui d'empêcher Nathan de disparaître de ma vie.

J'avais refusé mes sentiments et l'envie qu'il m'inspirait par crainte de blesser ma famille et de paraître anormal aux yeux des gens, mais le moment était venu de faire un choix : vivre pour moi ou pour eux. Pourrais-je seulement être heureux sous le costume d'un homme que je n'étais pas ? J'étais certain que non. Je savais aussi que mon attachement pour un autre homme ne conditionnait en rien ma personnalité. Elle était déjà ancrée en moi mais attendait que je m'accepte tel que j'étais pour s'épanouir.

Je voulais voir Nathan.

Avec cette nécessité enracinée dans mon cœur, je me levai et m'apprêtai à sortir de la chambre quand je remarquai grâce à ses affaires que j'étais dans celle de Nathan. Les murs blancs rendaient l'endroit lumineux et agréable. Les poutres apparentes, ainsi que la cheminée surmontée d'un grand miroir, donnaient un certain cachet à la pièce, rappelant que l'appartement se situait à proximité du cœur de la Ville Rose. Mon regard tomba sur le lit dont les draps portaient encore les traces de mon corps, et le souvenir de notre moment d'intimité me revint. Je devais parler à Nathan, je devais lui expliquer tout ce que j'avais ressenti.

Des flashs de l'exorcisme de Sytry me sautèrent soudain au visage. La peur du démon, la colère de Nathan, l'angoisse de le perdre. Puis la chaleur de ses bras autour de moi et le timbre déchiré de sa voix lorsqu'il m'avait avoué ses sentiments. Je devais le rassurer sur les miens pour nous laisser une chance.

Ma décision était actée, je voulais être moi.

À peine pris-je cette résolution que Nathan entra dans la chambre. Il se figea en me voyant, m'offrant une expression mêlée de crainte, de colère et de détermination. Je remarquai aussi les bandages propres enserrant son poitrail puissant qui se levait et se baissait au rythme de sa respiration tranquille. Ce moment privilégié fut brisé par la voix froide de mon vis-à-vis :

— Tu vas être en retard à ton boulot.

Il se décala pour me livrer passage, pourtant je ne bougeai pas. Pas tout de suite, et quand je le fis, ce fut uniquement pour fermer la porte de sa chambre afin que mes confessions ne soient pas surprises par une oreille indiscrète. À l'instant où je fis de nouveau face à Nathan, son regard se chargea de reproches muets.

— On doit parler, annonçai-je.

— Je n'ai pas le temps, j'ai une nécromancienne à trouver.

Il me tourna le dos avec l'intention de prendre des vêtements dans son armoire mais je le retins, libérant ainsi le flux bleuté guérisseur. Mon attention, comme celle de Nathan, tomba sur nos mains au creux desquelles brûlait une douce énergie. Je pris conscience à cet instant qu'elle m'avait manqué et à quel point elle était agréable même pour moi. Je fixai de nouveau Nathan toujours muet.

— C'est important, repris-je. C'est même vital, pour moi. Je... Je me souviens de tout.

Une expression de culpabilité et de tristesse passa dans les magnifiques yeux noirs de cet homme pour lequel j'avais envie d'affronter mes plus grandes peurs.

— Tu ne m'as jamais blessé, lui confiai-je.

— Tu n'étais pas d'accord, me rappela-t-il.

Ma main se resserra sur la sienne :

— J'étais mort de trouille et totalement perdu parce que je sais que mes parents n'accepteront pas celui que je suis vraiment. J'ai peur de les perdre comme j'en ai eu peur toute ma vie alors oui, j'ai hésité, j'ai nié en bloc, j'ai refusé l'évidence. C'est à cause de ça que je ne voulais pas que Sytry fasse quoi que ce soit, mais il l'a fait, et avec le recul je l'en remercie.

Je comblai la distance entre nous d'un mouvement lent car je sentais Nathan prêt à se fermer et à fuir.

— C'est moi qui ai murmuré ton prénom, chuchotai-je.

Je vis à son regard qu'il se souvenait à la perfection de ce moment qui nous avait fait perdre la tête. Dès lors, je fus certain d'avoir brisé ses barrières, de l'avoir enfin convaincu de me faire une place dans sa vie. Aussi, lorsqu'il lâcha ma main et recula, tous mes espoirs s'effondrèrent.

— Tant que tu es à ton boulot tu ne risques rien, me dit Nathan. Reviens ici après, Tit te protégera.

Je sentis le sol se dérober sous mes pieds. Je ne voulais pas être protégé par Tit, je voulais l'être par Nathan. Sous le choc de ses paroles austères, je restai planté au milieu de sa chambre, ce qui finit par l'agacer. Il m'attrapa par le bras et me mit gentiment mais sûrement dehors, et je fus incapable de protester.

Rempli de dégoût, j'entrepris de m'en aller lorsque je croisai Dylan et Donna dans le couloir. Cette dernière ne portait plus aucune blessure à ses mains, preuve que Nathan avait retrouvé sa foi en Dieu. Le fait que je n'y sois pour rien me rendit inexplicablement malheureux ; malgré tout je ravalai mon amertume. Je saluai mes deux amis puis filai avant de devoir répondre à leurs questions car j'avais vu à leur expression que mon tourment ne leur avait pas échappé. Je ne voulais pas parler, pas à eux. Ce matin-là, je quittais l'appartement avec la sensation qu'une journée fastidieuse s'annonçait.

**

Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem


Torse nu, j'observai ma brûlure, du moins ce qu'il en restait. Le flux bleuté m'avait guéri en majorité au point qu'il subsistait une simple peau rougie. Rien qui ne me laisserait des cicatrices.

Les paroles de Michaël faisaient encore vibrer mon cœur tant elles m'avaient rendu à la fois heureux et triste. Cependant, tous les récents événements tragiques survenus dans ma vie s'étaient accumulés au point de saturer mon esprit. Je ne savais plus quoi ressentir, pour quoi être enthousiaste ou pour quoi pleurer. J'avais seulement conscience que nous étions encore en danger et que je devais faire quelque chose. Pourtant, lorsque je sortis de ma chambre après m'être changé, je ne pus empêcher mon regard de s'arrêter sur le bout du couloir où j'imaginais la silhouette de Michaël. Alors, mes doutes quant aux desseins de Dieu revinrent, naturels.

— Pourquoi le ramener vers moi ? murmurai-je. Tu vas me le laisser ou me le prendre comme tu m'as pris David ?

Bien sûr, je n'obtins aucune réponse. J'activai mon pouvoir divin, faible lueur bleutée presque éteinte, signe que mon questionnement bridait encore ma foi. Si Donna avait rallumé l'étincelle, c'était à moi d'en faire un nouveau brasier.

Je soufflai de dépit avant de descendre au salon où Donna et Dylan mangeaient un bout en compagnie d'Aprilia. Le jeune couple voulait rester avec moi ici mais je le convaincs que passer une journée entière enfermé entre quatre murs n'était pas ce qu'il lui fallait. Mes deux amis devaient aller en cours pour se changer les idées et non les ruminer. Ils devaient continuer à vivre d'autant plus qu'avec un peu de chance, j'aurais des nouvelles à leur donner à leur retour. C'était du moins ce que j'espérais. Dylan et Donna adoptèrent mon idée puis finirent par quitter à leur tour mon appartement.

— Qu'est-ce qu'on fait ? demanda aussitôt Aprilia.

— J'attends un mail de la part d'un de mes contacts à la mairie, l'informai-je.

— Et en attendant ?

— On reprend tout depuis le début.

En commençant par les rares certitudes que j'avais dans cette affaire. Je savais que le nécromancien était une femme, et qu'elle n'était pas possédée par un démon mais accompagnée d'une personne possédée. Ce qui expliquait la simultanéité des attaques de zombies et des meurtres rituels. Il paraissait évident que la nécromancienne voulait anéantir tous mes soutiens, d'où l'attaque contre Donna, Dylan et Michaël. Il semblait logique qu'elle le fasse sur ordre du démon.

Mon intuition me disait que ce dernier préparait quelque chose de très important, raison pour laquelle il voulait à tout prix me priver d'aide, ceci afin que je ne puisse rien contre lui au moment fatidique.

Il y avait aussi Ukobach, le démon que j'avais échoué à exorciser qui se promenait en liberté dans le corps du petit Noa. D'après ses dires, il faisait partie d'un plan impliquant au moins deux démons. La manifestation d'Ukobach servait-elle son propre plan ou était-elle liée à ceux de mon tueur en série ?

Cette pensée me fit prendre conscience qu'avec les derniers événements, je n'avais pas pensé à prendre des nouvelles des membres de l'Ordre, oubli que je réparai sur l'instant en appelant l'Archevêque. J'appris ainsi qu'aucun Hospitalier ne manquait à l'appel et que tous étaient en sécurité. Du moins pour l'instant. Ce fut donc un peu soulagé que je raccrochai lorsqu'on frappa à la porte de mon appartement. Je me serais attendu à beaucoup de choses en ouvrant le battant, mais certainement pas à trouver sur mon seuil le lieutenant Kanaté.

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