Chapitre 16

Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem


Malgré la douleur de ma blessure, je m'étais levé avant de monter à l'étage avec l'intention de refaire mon bandage. En arrivant dans ma salle de bain, je tombai nez-à-nez avec Dylan. Nous nous figeâmes, aussi mal à l'aise l'un que l'autre.

— Je... T'aurais des pansements et une brosse pour Donna ? demanda timidement Dylan.

Je lui donnais le tout sans oser dire un mot, puis il me remercia mais ne bougea pas. Le silence qui suivit devint vite gênant.

— Je suis désolé pour hier soir, m'excusai-je alors.

— C'est normal que tu aies craqué vu ce qui s'est passé. En fait je me suis toujours demandé comment tu avais réussi à garder la raison avec tout ce qui t'es arrivé depuis ton enfance.

Mon attention se porta par réflexe sur ma main droite désagréablement normale.

— C'était la goutte de trop ? questionna Dylan devant mon silence.

Je sentis une vague de tristesse amère monter en moi au souvenir de Père Luc, de tout ce que nous avions vécu ensemble, de tout ce que je ne vivrais plus avec lui, et des derniers mots cruels que j'avais eus à son égard. Je me détestais tellement à cet instant que j'aurais sans hésiter vendu mon âme au Diable pour punir mon égoïsme. L'Ordre avait sans doute eu raison de me traiter toute ma vie comme un monstre car je l'étais sans aucun doute.

— J'ai jamais cru en Dieu, confessa soudain Dylan.

Interloqué, je l'observai tandis qu'il s'asseyait sur le rebord de ma baignoire.

— L'idée que quelqu'un décide de ma naissance et m'impose des épreuves tout au long de ma vie ne me plaît pas, poursuivit-il. C'est ma vie, elle n'appartient qu'à moi, pas à une entité que je n'ai jamais vue et à qui je ne dois rien parce que toutes les galères que j'ai connues, je les ai surmontées sans son aide. J'ai fait face tout seul à mon daltonisme, ma dyslexie et ma dysphasie. J'étais seul face aux regards des autres à l'école, à leur incompréhension de ma différence et à tout ce qu'elle impliquait dans ma vie.

Surpris que Dylan se livre ainsi, je m'assis à côté de lui sans dire un mot car ses paroles faisaient écho à ce que j'avais ressenti.

— Mes parents sont dans le milieu du cinéma, continua-t-il. Depuis que je suis gosse je veux être caméraman, mais quand on m'a diagnostiqué daltonien j'ai fait un blocage net avec les images. J'étais persuadé d'être incapable de réaliser de bonnes prises de vue et ça m'a détruit au lycée, jusqu'au jour où j'ai découvert l'univers du son. Pas d'image, pas de lettres, c'était fait pour moi. À partir de cet instant, je me suis donné à fond pour percer dans ce domaine, j'ai travaillé sans compter mes heures. J'ai même bossé en plus de mes études pour m'acheter tout mon matos. Je ne voulais pas d'aide de la part de mes parents, je voulais que ce soit ma victoire.

— Je ne pensais pas que tu avais vécu tout ça, avouai-je.

— Peu de gens le savent. Je crois même ne jamais l'avoir dit à Donna.

— Pourquoi ?

— Je sais pas vraiment, répondit-il en haussant les épaules. Je crois que j'ai peur d'abîmer l'image qu'elle a de moi. Tout le monde associe mon silence à une espèce de sagesse précoce, alors que ça vient juste du fait que parler correctement a longtemps été difficile pour moi. Encore aujourd'hui j'ai peur de prendre la parole si j'ai pas bien réfléchi à ce que j'allais dire et à comment j'allais le dire... Toi non plus tu n'aimes pas parler des blessures de ton passé.

Je baissai la tête face à son affirmation.

— Non.

— Pourquoi ? me demanda-t-il à son tour.

— Pour la même raison que toi, je suppose. Ce n'est jamais agréable d'avouer qu'on a été faibles. J'ai vécu des choses tellement lourdes à porter que j'aimerais les laisser derrière moi et les oublier.

— Mais nos proches veulent connaître ces choses-là parce qu'elles font partie de nous. Sans elles, on serait certainement quelqu'un d'autre, non ? questionna Dylan.

— Peut-être.

— C'est pas toi qui es anormal, Nathan, c'est la vie que tu as eues qui l'est. Malgré tout, malgré elle, tu as réussi à être quelqu'un de bien et à le rester. Père Luc en avait conscience, ça s'est senti dans sa voix quand il nous a parlé de toi. Je suis sûr d'une autre chose : Père Luc ne nous aurait jamais rien dit s'il n'avait pas vu en nous une aide pour toi.

Je ne sus pas quoi ajouter aux dernières paroles de Dylan tant j'avais mal au cœur.

— Donna a vraiment souffert de ton départ, Nathan. Tu devrais aller lui parler.

— Je ne suis pas certain d'en avoir le courage.

— C'est pas une question de courage, mais d'amitié.

Je consentis enfin à regarder Dylan dans les yeux. Il y avait tellement de bonté et de douceur en lui que je compris pourquoi Donna l'aimait avec tant d'ardeur. Il était rassurant, patient et compréhensif, très loin de toutes les personnes qui avaient jalonnées ma vie depuis ma naissance, à l'exception de Père Luc et David. Et Donna.

— Tu as raison, conclus-je simplement.

Je me levai en gratifiant Dylan d'un « merci » sincère avant de gagner ma chambre d'ami. Je m'immobilisai sur le seuil de la porte pour observer Donna, assise sur le bord du lit, en train d'enlever non sans mal les bandages à ses mains : elles étaient rouges et meurtries par de vilaines blessures. La voir ainsi me vrilla les entrailles de culpabilité. Elle avait été blessée à cause de moi et j'étais incapable de la guérir.

Après un instant, j'osai enfin entrer dans la pièce inondée par la lumière du soleil levant. Mes pieds nus sur le parquet appréciaient la faible chaleur de l'astre qui me réchauffa. Sans un bruit, je m'assis à même le sol entre les jambes de Donna que la surprise tint muette. Son hésitation passée, elle se pencha sur moi et posa ses avant-bras sur mes épaules.

— Je suis désolée pour Père Luc, me chuchota son timbre chantant.

— Dieu me l'a pris..., soufflai-je d'une voix déchirée.

— Alors tu ne crois plus en lui ?

— Je ne sais pas, avouai-je. Je ne sais pas pourquoi je devrais continuer de croire en lui alors qu'il me prend mes proches les uns après les autres.

— Moi non plus je ne crois pas en lui, me confia Donna. Je ne crois pas en lui comme mon Dieu mais je crois en lui comme ton ange gardien, celui qui t'a donné le pouvoir de ne pas céder au démon et de sauver l'humanité. Celui qui t'a appris la souffrance et ses ravages pour que tu ne la souhaites à personne...

Sa voix trembla sur ses derniers mots. Je sus pourquoi lorsqu'elle reprit :

— J'ai compris, Nathan. J'ai compris l'horreur de voir la personne qu'on aime le plus sur le point d'être tuée sans qu'on puisse rien y faire. J'ai ressenti la terreur de survivre à Dylan et j'ai acquis la certitude de ne plus jamais vouloir vivre ça. Je le protégerai tout comme je te protégerai, toi. Parce que je t'aime.

Ma gorge se serra sous la force des larmes que j'aurais aimé verser. Je basculai la tête en arrière et la calai sur l'épaule de Donna.

— C'est ce que tu as ressenti aussi devant chaque horreur de ta vie, pas vrai ? me demanda-t-elle. La certitude d'épargner aux autres toute cette souffrance ?

Je ne répondis pas. J'en étais incapable. À la place, j'attrapai délicatement ses poignets pour saisir la réalité de sa présence bienveillante au-dessus de moi.

— Si Dieu t'a testé en te prenant Père Luc, c'est peut-être parce qu'il aura besoin de ta foi indéfectible pour affronter ce qui arrive... En tout cas je te promets une chose, Nathan : je ne t'abandonnerai pas. Même si Dieu te prive de pouvoirs, même si l'Enfer s'ouvre sous tes pieds, je serai là pour t'empêcher de tomber et pour te redonner courage quand tu douteras. Que tu le veuilles ou non, tu n'es plus seul. Que tu le veuilles ou non, l'endroit le plus sûr pour nous, à présent, c'est à tes côtés.

Mes doigts se resserrèrent malgré moi sur Donna. Tandis que des larmes silencieuses m'échappaient, mon cœur un peu soulagé libéra des bribes de pouvoir divin qui s'enroulèrent autour de ses mains pour en guérir chaque blessure. En fermant les yeux, je sentis mon amie déposer sur mon front un baiser léger. Jamais la paix n'avait revêtu plus beau visage que celui de cet ange penché sur moi. 

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