Chapitre 8

Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem


Je raccrochai avec Père Luc dans la soirée du lundi. Depuis notre entretien concernant la disparition de Cerbère, il tentait de grappiller des infos en douce auprès des autres Hospitaliers. Pour l'instant, il n'était pas parvenu à obtenir plus que des impressions de la part de certains de ses pairs. Il semblait que l'Ordre souffrait de l'influence de deux Grands Maîtres dont l'opposition scindait notre groupe en deux. Hélas, nous n'avions pas plus de précisions. Mon statut particulier m'interdisait de me trouver en présence des Grands Maîtres, au cas où je deviendrais subitement instable et avide de sang. Ce n'était pas comme si en cas de mort prématurée, on pouvait les remplacer...

Je posai mon portable sur mon bureau et basculai contre le dossier de ma chaise tout en soupirant. Je tournai en rond en attendant de trouver une piste. C'était rageant de ne rien pouvoir faire, pourtant je n'avais pas vraiment d'autre choix que la patience. Quelqu'un finirait bien par bouger ou par commettre une erreur.

Ma sonnerie retentit soudain dans le calme de mon bureau. Je me redressai avant de décrocher en voyant le numéro de Michaël :

— Un problème ? m'enquis-je.

Euh, non, répondit mon interlocuteur d'une voix basse comme s'il ne voulait pas que sa conversation soit surprise. Enfin, je crois pas. Sytry a senti un truc bizarre, du coup on a suivi la piste jusqu'à une usine où y'a du mouvement.

J'entendais en effet la circulation en bruit de fond.

— Tu es tout seul ?

Non, y'a Donna et Dylan.

— Envoie-moi l'adresse et attendez-moi sans bouger. Ne tentez rien, toi en particulier. Peu importe ce que dira Sytry, ça sera une mauvaise idée. Compris ?

Il y eut un blanc.

— Michaël ? C'est sérieux. Ne tente rien.

OK. On t'attend.

— J'arrive, assurai-je en me levant.

Je filai à mon entrée pour passer mon équipement de motard pendant que mon téléphone sonnait pour m'annoncer l'arrivée d'un nouveau message. J'attrapai les clés de ma moto et descendis. Une fois l'itinéraire mémorisé, je filai dans les rues étroites du centre d'une Toulouse crépusculaire jusqu'à Montaudran où se trouvait l'ancienne usine Latécoère dont certains halls pouvaient être loués. Je me garai un peu loin afin que le moteur de ma grosse cylindrée n'attire pas l'attention, puis je terminai le trajet à pied en veillant à me faire aussi discret qu'une ombre. Une fois près de l'ancienne usine, je ne trouvais aucune trace de Michaël, Donna et Dylan, ni même d'une quelconque personne. J'attrapai mon portable et envoyai un texto : « Vous êtes où ? ». La réponse ne se fit pas attendre : « Sur la galerie, façade est. »

Je vérifiai une nouvelle fois que la voie était libre avant de me diriger à pas de loup vers leur position. Je grimpai sur des caisses entassées près d'une porte avant de me hisser sur le toit de la galerie. Je vis les trois comparses le nez collé à de grandes fenêtres donnant sur l'intérieur. Ils tournèrent la tête vers moi lorsque je les rejoignis.

— Qu'est-ce que vous faites là ? demandai-je.

— Je te l'ai dit, répondit Michaël, perdu.

— Pas toi. Je parle des deux zigues, là, précisai-je en désignant Donna et Dylan du menton.

Si Dylan se sentit mal à l'aise, Donna répondit avec son aplomb habituel et son sourire lumineux :

— Un coup de chance !

Une lueur amusée dut passer dans mes yeux car Donna ne se départit pas de sa bonne humeur jusqu'à ce que je focalise mon attention sur ce qu'il se passait à l'intérieur de ce hall d'usine. À notre droite se trouvait un laboratoire éphémère tandis qu'à notre gauche, des paravents médicaux semblaient cacher des médecins et leur patient. De notre position, il était impossible de voir de qui il s'agissait. Je m'éloignai de la vitre, imité par mes trois compagnons, avant de me tourner vers Michaël :

— J'ai besoin de parler à Sytry.

Il y eut un silence avant que la voix un peu trop grave de Michaël ne me confirme la présence du démon :

— Je ne sais pas si ça a un rapport avec Cerbère, me dit-il, mais ce qui se trouve dans cette usine est lié à l'Enfer.

— Ça pourrait pas être Cerbère lui-même ? hasarda Donna.

— Non, affirmai-je. Cerbère fait dans les seize mètres de haut.

Aux yeux arrondis de stupeur qu'elle ouvrit, je compris qu'elle venait de visualiser la masse de la bête et son impossibilité à rentrer sous un plafond de seulement huit mètres.

— Je suis le seul à me demander comment des types ont pu chouraver un chien à trois têtes haut de seize mètres ? demanda Dylan.

— Toute la question est là, répondit Sytry.

Le démon avait raison. Si on trouvait comment cette prouesse avait été possible, on trouverait son auteur à coup sûr. Le seul problème, c'était que je ne voyais pas du tout comment réaliser un tel exploit. Même un cardinal de l'Ordre ne serait pas assez puissant pour le faire. Du moins, pas tout seul.

— Sytry, tu peux disposer. Je vais aller jeter un œil à l'intérieur, annonçai-je lorsque Michaël hocha la tête pour me faire comprendre qu'il était aux commandes. Vous trois, rentrez.

— On ne te laisse pas tout seul, objecta Donna.

— Je ne te demande pas ton avis.

— Nous non plus, la soutint Michaël.

— Je..., commençai-je.

Je me tus au moment où un faisceau lumineux provenant du parking nous frôla. Nous nous plaquâmes tous au sol et fîmes silence. Les voix de deux vigiles montèrent jusqu'à nous.

— Je te dis que j'ai entendu un truc, disait l'un.

— La prolongation de l'état d'urgence te tape sur le système, le railla l'autre. À part des chats y'a rien dans le c...

— Chut !

Un silence angoissant tomba. Je rampai avec précaution vers le bord du toit de la galerie, imité par Michaël. Je m'autorisai un coup d'œil rapide en contrebas : les hommes de la sécurité, armés, inspectaient les caisses qui nous avaient permis de monter. S'ils les escaladaient, on se ferait cueillir sans rien pouvoir faire.

Il nous fallait une diversion.

Mes têtes de mort s'illuminèrent doucement lorsque je canalisai mes pouvoirs dans mes mains.

— Une fois que je les aurai attirés loin, Donna, Dylan et toi partez, ordonnai-je à Michaël sans quitter les vigiles des yeux.

Je m'apprêtai à me lever quand Michaël me retint et m'obligea à me rallonger. Je tournai la tête vers lui, prêt à l'envoyer bouler, quand je vis que nos visages étaient si proches que je sentais son souffle chaud sur ma peau fraîche. Mon irritation retomba aussi sec, laissant la place à un désir sourd de goûter sa bouche maintenant.

— Ils sont armés, chuchota Michaël en une vaine tentative pour me raisonner.

Mon regard passa de ses lèvres à ses yeux.

— Ils ne me toucheront pas.

Malgré mon affirmation, les doigts de Michaël sur mon manteau ne se décrispèrent pas, bien au contraire. Mais ils étaient moins dissuasifs que ses beaux iris qui exerçaient sur moi une attraction fascinante.

Je me ressaisis quand j'entendis un des deux hommes en bas escalader les caisses.

— J'y vais.

À l'instant où je disais ça, deux gros chats se battirent sauvagement sur le toit de la galerie avant de détaler en direction du vigile. L'homme poussa un cri aigu de surprise tandis que son coéquipier riait aux éclats de sa frayeur. Un coup de chance pareil, c'était l'effet Donna.

— Ben alors, tu te laisses intimider par deux matous, l'anti-terroriste ? charria le deuxième homme de la sécurité.

— C'est bon, la ramène pas, répliqua sèchement l'autre en retrouvant la terre ferme. Putain, je crois que y'en a un qui m'a griffé au passage.

— C'est parce que c'était des flics belges en opération spéciale !

Il se mit à rire à gorge déployée de sa propre blague tout en entrainant son collègue de l'autre côté de l'usine, libérant ainsi la voie. Je me tournai vers Donna et Dylan :

— On descend.

Je me redressai et filai jusqu'aux caisses, suivi par le reste du groupe. Je descendis le premier pour m'assurer que personne n'arrivait avant de faire signe aux autres de me rejoindre. Ils passèrent ensuite devant moi, direction la voiture de Michaël garée à un bon kilomètre. Avant d'aller voir ce qui se tramait dans le hall, je voulais m'assurer qu'ils partiraient vraiment.

Michaël déverrouilla sa voiture pour que Donna et Dylan puissent s'installer à l'intérieur. Je profitai d'être seul avec le conducteur pour éclaircir un point :

— La prochaine fois, appelle-moi avant de bouger. Ça pourrait être dangereux.

— Désolé. J'ai suivi Sytry dans le feu de l'action, je n'y ai pas pensé... Tu vas y retourner ?

— Oui. Il faut que j'en sache plus.

— Je viens avec toi.

— Non, refusai-je en le repoussant. Vous rentrez.

Il pencha un peu la tête, juste une fraction de seconde, avant de dégager ma main de dessus son torse d'un geste énervé.

— Je ne suis pas en sucre, se défendit-il.

— Mais tu n'es pas invulnérable.

— Je pourrais t'être utile en cas de problème.

— Je refuse de te laisser courir ce risque.

— Putain mais arrête avec tes airs de héros maudit et solitaire ! tonna-t-il. On a tous perdu un proche et on n'en fait pas des caisses !

Un coup de massue. Ce fut l'effet que me firent ses paroles. Tellement blessantes portées par sa voix grisante, tellement venimeuses venant de lui.

Mes épaules s'affaissèrent sous le poids de mon silence. Je ne sus pas quelle expression passa sur mon visage pour faire naître sur le sien autant de remords, mais elle devait être pitoyable. Je l'étais peut-être moi-même ?

Michaël ouvrit la bouche pour parler, je lui tournai le dos avant. Je n'avais pas envie d'entendre d'autres reproches, ni même des excuses car ce qu'il venait de dire était le reflet plus ou moins fidèle de ses pensées. Après tout, Sytry n'avait pas le droit de lui mentir et quand bien même il l'influencerait, Michaël n'aurait rien dit s'il ne le cautionnait pas.

Alors que je m'éloignais, j'entendis une portière claquer. Puis le moteur démarra et les pneus couinèrent sur le bitume quand la voiture partit en trombe.

Bon débarras.

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