Chapitre 7

Donna – Étudiante en plein test de scénario.


— Eh là paf ! Le type se fait égorger ! révélai-je.

Amélie et Sadia, suspendues à mes lèvres, me dévisagèrent d'un air écœuré qui ne m'empêcha pas de continuer :

— Et notre inspecteur va alors découvrir un indice super important que la victime avait dans la poche de sa veste !

— C'est quoi ? demanda Sadia, curieuse de connaître le dénouement de l'histoire.

J'esquissai un sourire de requin.

— Il va découvrir un...

Mon téléphone portable sonna, me coupant dans mon élan dramatique. Si le nom de Nathan ne s'était pas affiché sur mon écran, j'aurais fait abstraction de l'appel.

— Désolée les filles, c'est urgent.

Je les entendis râler pendant que je décrochais.

— Je savais que je finirai par te manquer ! débitai-je aussitôt.

Ne t'emballe pas. J'ai juste besoin de toi, rectifia-t-il.

— C'est un peu pareil, non ?

Non. Tu peux venir chez moi maintenant ?

Je regardai l'heure au réveil posé sur ma commode : il n'était que dix heures du matin.

— J'ai des amies à manger. Je veux dire que je les ai invitées à manger avec moi, pas que je vais les manger. Bref, tu m'as comprise.

C'est à propos de Michaël et c'est sérieux. Débrouille-toi comme tu veux mais rapplique fissa.

— Je peux les amener ?

Il y eut un silence.

Elles savent rester à leur place ?

— Oui, sans souci.

OK, je vous attends.

Nous raccrochâmes et je me rendis compte que j'avais négligé un tout petit détail : Amélie et Sadia ne savaient pas du tout que le « beau gosse » de la photo qui m'avait valu un sept en cours faisait partie de mon carnet d'adresses depuis presque deux mois. J'allais avoir droit à une supra avalanche de questions.

Pas grave, j'avais encore du temps pour trouver quoi leur dire sans trop en dire. Un jeu d'enfant !

Enfin, presque.

Je me levai de mon pouf d'un bond.

— Les filles, habillez-vous, je vous emmène balader !

— Où ? demanda Amélie.

— Dans un endroit qui va faire du bien à vos yeux !

Elles se levèrent tout de suite. La confiance qu'elles me témoignaient me rendait toute fière ! Avec cette pensée réjouissante en tête, je m'habillai chaudement avant de les précéder dans l'étroit escalier en colimaçon de ce vieil immeuble du centre de Toulouse.

Dehors, presque tous les commerces étaient fermés en ce dimanche matin. Mes amies et moi remontâmes la rue du Taur quasiment déserte jusqu'à la basilique que nous contournâmes par la gauche pour rejoindre la rue Émile Cartailhac où habitait Nathan. Au dernier étage du plus haut immeuble, la porte de l'unique appartement du niveau s'ouvrit sur un Nathan sexy en diable. Amélie et Sadia restèrent scotchées sur le seuil, leur mâchoire à deux doigts de tomber – j'exagérais à peine.

— Je suis là ! annonçai-je d'une voix chantante en écartant les bras.

— Entrez, nous invita-t-il.

J'obéis, avant de faire demi-tour et de coudoyer mes amies pour les tirer de leur léthargie.

— Je croyais que tu avais laissé tomber ton inconnu au premier échec, se souvint Amélie sur un ton de reproche.

— C'est compliqué, répondis-je doucement. Entrez.

Elles hésitèrent, puis me suivirent finalement à l'intérieur. En bon hôte, Nathan nous proposa à boire et nous acceptâmes chacune un café. Tout en nous les préparant, il nous proposa de nous installer dans le coin salon séparé de la cuisine américaine par une belle table. J'abandonnai mes amies afin d'aller aider mon exorciste. Je contournai le bar pour le rejoindre.

— Qu'est-ce qu'il se passe avec Michaël ? demandai-je tout de go.

Nathan me tendit une première tasse pour Amélie dans laquelle je mis deux sucres. Mes amies nous regardaient par-dessus le dossier du canapé mais elles ne pouvaient pas nous entendre.

— La porte de l'Enfer n'était pas refermée quand il est venu m'aider.

— Et alors ? Ce n'était plus qu'une petite crevasse ridicule.

— C'était suffisant pour laisser passer un démon, révéla-t-il.

— Quoi ?!

Mon ton surpris alerta Sadia et Amélie. Je leur fis signe que tout allait bien avant de retourner mon attention sur Nathan qui me regardait bizarrement.

— Désolée, m'excusai-je. Je ne m'attendais pas à ça, et surtout pas balancé de cette manière. (Je marquai une pause pour réfléchir.) Tu es en train de me dire qu'un démon a pris possession de Michaël ?

— Oui, et pas n'importe lequel. D'ordinaire, seuls les démons mineurs prennent possessions des humains, les majeurs préférant conclure des pactes. Mais la situation est différente aujourd'hui, ajouta-t-il en me tendant la tasse pour Sadia.

Je ne la sucrai pas. J'attendis que Nathan me donne des cuillères puis j'apportai le tout à mes amies.

— Donna, ça va ? me demanda Amélie en prenant son café.

— Oui. On a juste un truc à voir ensemble et on arrive. Je reviens.

Je filai retrouver Nathan qui reprit son explication concernant un démon majeur du nom de Sytry, grand prince de l'Enfer, en mission sur Terre pour retrouver Cerbère avant que les âmes ne foutent le bordel en bas. Aux dernières nouvelles, l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem n'était pas étranger à cette disparition. Michaël avait accepté de conclure un pacte avec Sytry et Nathan pour que le démon reste dans son corps le temps de régler l'affaire. Car si les Hospitaliers étaient impliqués, ils ne laisseraient pas Nathan libre de ses mouvements, d'où l'aide de Sytry. Ses pouvoirs, même diminués par l'enveloppe charnelle qu'il parasitait, pourraient se révéler utiles.

Quand mon exorciste eut fini son explication, je le fixai avec des yeux ronds comme des soucoupes. J'avais buggé. Je savais que la situation n'était pas bonne, mais je ne savais pas à quel point.

— Concrètement, ça veut dire quoi pour Michaël ? Est-ce qu'il va finir par devenir comme ces petites que tu as exorcisées ?

— Non. Michaël va vivre quelques temps en symbiose avec Sytry et une fois Cerbère retrouvé, ou le démon partira de lui-même, ou je l'exorciserais. Mais en attendant, Michaël va devoir résister à Sytry et ce n'est pas évident si on prend en compte qu'il a accès à tous ses souvenirs, à toutes ses envies, à toutes ses peurs et qu'il peut même prendre le contrôle de son corps et parler à sa place. J'ai posé des restrictions, cependant Sytry est assez malin pour les contourner. Et c'est là que tu interviens.

— Moi ? Comment ? En l'assommant dès que Sytry fait des siennes ?

Nathan sourit.

Oh ! J'avais réussi à le faire sourire !

— Je pensais plutôt en l'écoutant s'il a besoin de parler et en prenant régulièrement de ses nouvelles. Il ne faut pas le laisser seul sinon Sytry finira par lui faire perdre la tête.

Nathan me tendit mon café que je posai sur le plan de travail avant de m'en désintéresser. Il y avait une évidence que mon exorciste semblait ne pas voir, ou ignorer.

— Quand est-ce que Michaël est venu te voir ? questionnai-je.

— Hier en fin de soirée.

— Nathan... Hier soir, Dylan et moi avons mangé chez Michaël et il ne nous a parlé de rien. De rien du tout.

Mon exorciste ne me regarda pas, préférant fixer la cafetière. Je vis à son expression qu'il savait où je voulais en venir, pourtant, je continuai.

— Il a préféré venir ici malgré ta volonté de ne plus nous voir. Il a confiance en toi plus qu'en nous. Pourquoi est-ce que tu refuses de le protéger toi-même ?

— Je n'aurai pas le temps, argua-t-il après une hésitation.

— Il y a deux mois je t'aurais cru, mais pas aujourd'hui. Tu prends le temps d'aider ceux qui en ont besoin. Il y a autre chose.

— Rien que tu ne doives savoir.

— Père Luc nous a dit pour David, confiai-je dans l'espoir de l'inciter à parler.

La tasse qu'il avait sortie pour lui explosa dans sa main, nous éclaboussant de café chaud au passage. J'essuyai grossièrement mon pull marron avant de lever les yeux vers Nathan : les siens étaient terrifiants de souffrance et de colère.

— Donna, ça va ? me demanda Sadia.

L'intervention de mon amie lui fit retrouver le contrôle de lui-même. Il rassembla les plus gros morceaux et les jeta à la poubelle.

— Va avec tes amies, je vais nettoyer.

Soucieuse de ne pas le mettre davantage en colère, j'attrapai ma tasse et filai rejoindre mes amies qui me dévisageaient comme si j'avais trahi leur confiance. Amélie se rapprocha et se pencha sur Sadia pour que je l'entende chuchoter :

— Tu nous expliques ?

Je devais mentir plausible. Qu'est-ce que je pouvais dire pour ça ?

— Je l'ai recroisé par hasard quelques temps après la Saint-Valentin. Je l'ai abordé mais il a surtout sympathisé avec Michaël, qui était avec moi, et du coup on a été amené à se revoir plusieurs fois.

— Il est célibataire ?

Je levai les yeux au ciel. Amélie ne changerait jamais.

— Il est homo, murmurai-je.

Elle souffla, dépitée. Eh ouais, c'était souvent comme ça.

— Pourquoi il voulait te voir ? demanda Sadia.

Mentir plausible. Surtout, mentir plausible...

— Pour faire des photos. Il veut se lancer dans le mannequinat.

C'était plausible, ça ?

Amélie se tourna pour jeter un coup d'œil à mon exorciste.

— Il va cartonner, commenta-t-elle.

C'était plausible !

Finalement, je ne m'en sortais pas trop mal.

Je me tournai à mon tour pour l'observer. Ouais, c'était carrément plausible.

Si j'avais eu un appareil photo en mains à cet instant, j'aurais pu immortaliser la faille qui s'était ouverte en Nathan à l'évocation de son ancien petit-ami mort dans ses bras. J'avais été totalement stupide de lui dire ça, j'aurais dû me douter de l'impact que ça aurait sur lui mais j'avais espéré... Je ne sais pas. En fait si, je savais. C'était un peu fou, mais j'aurais espéré que Michaël soit celui qui serait assez fort pour vivre aux côtés de Nathan.

C'était un peu fou, oui...

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