Chapitre 27

Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem


Je me réveillai dans une chambre que je n'avais pas vue depuis de longues années. Cela ne m'empêcha pas de reconnaître le lit une place et le grand bureau encombré d'ouvrages divers et de papiers volants. Je souris en voyant sur des étagères les films, livres et BD appartenant à l'univers Star Wars. Père Luc ne changerait jamais.

Le calme ambiant m'incita à rester allongé. Je n'avais pas besoin de bouger pour savoir que mon corps prendrait plaisir à me faire mal.

La porte s'ouvrit soudain, livrant passage à un padre au visage grave.

— Il semblerait que je m'endurcisse avec l'âge, plaisantai-je.

Mais il ne sourit pas. Il tira son fauteuil, le tourna vers moi et s'y installa. Il resta muré dans son silence encore un moment avant de prendre enfin la parole.

— Qu'est-ce que tu as fait, Nathan ? me reprocha-t-il.

J'aurais préféré qu'il se taise car sa simple question suffit à faire ressurgir un cauchemar qui avait duré deux longs mois. Son expression s'adoucit quand la mienne se durcit. Je me relevai, faisant fi de ma douleur, et m'assis sur le bord du lit. La rage hurlant en moi m'obligea à respirer doucement pour la contenir, sans quoi j'étais persuadé de pouvoir torturer l'homme assis face à moi jusqu'à ce que mort s'en suive.

Le regard du padre tomba sur mon bracelet dont les runes luisaient, alimentées par mes noirs désirs.

— Qu'est-ce que j'ai fait ? répétai-je, le fiel dans la voix. J'ai empêché vos conneries de dégénérer, voilà ce que j'ai fait.

— Nous avions le contrôle de la situation.

— Quel contrôle ? grognai-je. Celui qui a coûté la vie à tous les mecs de ce putain de laboratoire pharmaceutique ? Celui qui a foutu un démon dans le corps de Michaël ? Celui qui a failli me tuer ?

Père Luc me dévisagea, horrifié par mes aveux.

— Nous ne savions pas, se défendit-il.

— Bien sûr que non, vous ne côtoyez pas les démons comme je le fais, vous n'y connaissez rien. Vous ne vous êtes pas demandé pourquoi il y avait un garde aux portes de l'Enfer ?

— Nous n'avions pas l'intention de le retenir indéfiniment, nous voulions simplement nous servir de son pouvoir.

— Pour quoi faire ?

Père Luc hésita, puis se leva avant d'attraper une carte qu'il me tendit. Je la dépliai et l'examinai : Israël.

— Nous avons trouvé l'antique temple de Salomon, expliqua-t-il en me le montrant sur le plan. Mais il se trouve que la pièce abritant l'arche d'Alliance est inaccessible. Nous voulions que Cerbère ouvre la porte y menant, lui qui en a le pouvoir.

— Et vous comptiez le convaincre comment ? questionnai-je.

L'homme hésita encore. Puis il aborda son bureau, ouvrit un tiroir duquel il sortit un écrin. À l'intérieur se trouvait un anneau que le padre fit tourner entre ses doigts.

— Grâce à ceci, dit-il en me le donnant. Le fruit de deux cents ans de recherches menées par plusieurs membres de l'Église, dont quarante de la mienne. Mon dernier voyage en Terre Sainte était pour le récupérer. Je suis rentré en France avant le début de la Marque des Cinq pour superviser l'invocation de Cerbère, raison pour laquelle l'archevêque a pris le relais avec toi.

— C'est... le sceau de Salomon.

Je pris le temps d'admirer l'objet légendaire connu pour avoir donné au roi Salomon le pouvoir de commander les éfrits, les djinns, ainsi que celui de parler aux animaux.

— Nous pensions contrôler Cerbère avec, mais nous ne savions pas comment.

— Pas étonnant, y'a aucun moyen de contrôler Cerbère avec ça. Ce n'est ni un éfrit, ni un djinn, ni un animal.

La révélation laissa Père Luc médusé.

— Mais... Alors qu'est-ce qu'il est ?

— Le petit-fils du Styx. Cerbère est un morceau vivant de l'Enfer, il appartient à l'Enfer et ne peut être contrôlé que par l'Enfer. Même Satan n'a aucun pouvoir sur lui, alors le sceau de Salomon, ça risque pas. Vous le sauriez si vous aviez ouvert le dialogue avec les sorciers au lieu de les opprimer... (Père Luc se laissa choir sur son fauteuil.) Et vous aviez le contrôle de la situation ? lâchai-je, âpre.

Padre ne dit rien, prenant sans doute conscience de l'importance de son ignorance. Je me devais de la combler un peu.

— Y'a qu'un type de Mayer & Bale qui a survécu, annonçai-je. Et aucune des créatures capturées n'en a réchappé. Qu'est-ce que ce labo foutait dans l'histoire ?

— Nous avions besoin de fonds pour les recherches et de moyens techniques pour transporter Cerbère à la basilique via un canal souterrain débouchant dans la Garonne. Nous avons passé un marché avec eux : ils nous fournissaient ce dont nous avions besoin, nous leur donnions des créatures à étudier qui ne connaissent pas la maladie. Leurs expériences devaient permettre de soigner les différents cancers.

— Ben ils sont tous morts, sauf un que j'ai sauvé in extremis.

— Et Michaël ? Que vient-il faire au milieu de tout ça ?

— Oh, pas grand-chose, sauf que les âmes commençaient à se barrer d'en-bas et à affamer les démons, alors Satan a envoyé l'un de ses Princes pour retrouver Cerbère. Sytry a pris possession de Michaël quand il m'a sauvé la vie après la Marque des Cinq et il lui a fait vivre un cauchemar jusqu'à hier. Sytry devenait trop dangereux, je l'ai exorcisé... (Je contrôlai les tremblements de ma voix de justesse, je ne devais rien laisser paraître devant lui.) L'absence prolongée de Cerbère aurait obligé les démons à envahir la Terre pour survivre. Mais à part ça, vous aviez le contrôle de la situation.

— Nous ne voulions pas..., commença Père Luc, les larmes aux yeux. Nous voulions trouver l'arche et l'ouvrir pour ramener la paix entre les peuples. Nous sommes impuissants face à la haine des Hommes, ces attentats au nom de Dieu, tous ces morts, toute cette souffrance... Nous voulions les unifier, tous.

— Qui a monté ce plan ? L'Église ?

— Oui, avec l'aide d'imams et de rabbins. Il a fallu pour retrouver le temple et le sceau recouper les informations disséminées dans tous les textes sacrés. Nous voulions juste la paix, Nathan.

— Cette paix que même notre Sauveur a échouée à instaurer ? C'était prétentieux, non ? Puis une fois qu'elle aurait été là, tout le monde se serait fait bouffer par des démons dans la joie et la bonne humeur. Hourra !

Mon ton était dédaigneux et sarcastique mais je n'arrivais pas à digérer tout ce qui m'était arrivé à cause du rêve utopique de grands enfants.

Je me levai tant bien que mal et me rhabillai en grimaçant de douleur.

— Où vas-tu ? me demanda Père Luc.

— Chez moi, me reposer. Oubliez-moi pendant quelques semaines, sinon je risque de devenir sacrément méchant et Belzébuth pourrait aimer ça.

J'avisai la sortie lorsque padre m'interpela.

— Tu as oublié quelque chose, je crois, me dit-il.

Je serrai le sceau dans ma main.

— C'est à toi de l'oublier et de te souvenir que nous devons protéger tous nos congénères, pas décider pour eux. Notre devenir appartient à Dieu.

Je me détournai de lui en titubant. J'utilisai le chambranle de la porte pour reprendre mes esprits.

— Tu ne peux pas rentrer à pied dans ton état, argua Père Luc.

— C'est à cause de toi si je suis comme ça, lui rappelai-je avant de claquer la porte.

Je suivis le couloir jusqu'à la sortie d'un pas peu assuré. J'avais mal partout, chacun de mes muscles me brûlait et j'étais épuisé. Je voulais juste retrouver mon lit et dormir pendant une semaine sans voir personne. Je voulais être seul.

Dans la rue, je pris le temps d'inspirer une grande bouffée d'air frais qui me gela les poumons. C'était vivifiant. Mais l'idée de devoir traverser tout le centre de Toulouse dans cet état m'abattit.

— Nathan.

Je me retournai : Aprilia sous sa forme humaine se tenait sur le trottoir, et elle était habillée normalement. La vision me fit sourire. La chienne, elle, fit la moue.

— Qu'est-ce que tu fais là ? demandai-je.

— Quand les chevaliers t'ont sortis de la basilique, je t'ai suivi jusqu'ici. J'ai décidé d'attendre que tu te réveilles, alors Donna m'a trouvé des vêtements et m'a appris à me servir de ce truc, dit-elle en me montrant un smartphone.

— Pour quoi faire ?

— Pour que je puisse appeler Dylan dès que tu te réveillerais. Je l'ai fait quand je t'ai entendu parler au prêtre, il sera là bientôt pour nous ramener. (Aprilia s'approcha très près de moi.) Je suis contente que tu sois vivant, je vais pouvoir rester. Mais je ne veux plus porter ces vêtements, ils me gênent. Et je n'aime pas marcher sur deux pattes.

— Tu reprendras ta vraie forme à l'appart...

Mes jambes flanchèrent d'un coup. Je me serai étalé sur le trottoir si Aprilia ne m'avait pas rattrapé de justesse. Elle passa mon bras autour de son cou pour me soutenir. Avec sa grande taille et sa musculature, elle n'avait aucun mal à le faire.

Un monospace se gara alors en double file à notre hauteur. Donna en descendit pour venir m'aider à son tour. Avec leur concours, je parvins à monter en voiture, puis je laissai Dylan me ramener chez moi.

J'adorai ces jeunes et, pour la première fois depuis notre première rencontre, je pris conscience qu'ils étaient peut-être les seuls en qui je pouvais avoir toute confiance. Et ça me combla de joie.

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