Chapitre 19

Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem


Desservi par ma carrure, je peinais à avancer dans le conduit d'aération tandis qu'Aprilia, qui nous dirigeait grâce à son flair, s'en tirait à merveille. Elle veillait même à ce que ses griffes non rétractiles ne frottent pas contre les parois au risque de nous faire repérer.

Nous crapahutâmes ainsi durant plusieurs dizaines de minutes, le temps pour le molosse de trouver le chemin à suivre et pour moi d'avancer bon gré mal gré. Il faisait totalement noir, m'obligeant à me fier à la nyctalopie de ma camarade. Ce détail me laissa pourtant perplexe : pourquoi aucune lumière ne filtrait-elle par les grilles ? Les personnes ayant investi les sous-sols devaient bien s'éclairer.

Devant moi, Aprilia s'arrêta d'un coup, un grognement sourd roulant dans sa gorge.

— Qu'est-ce qu'il y a ? chuchotai-je.

— Le sang est là, répondit-elle.

— Humain ?

— Entre autres.

— Amène-moi.

Elle obéit et rampa sur quelques dizaines de mètres encore avant de s'arrêter près d'une grille. Je m'en approchai avec prudence et jetai un coup d'œil en contrebas : je ne voyais qu'un couloir désert seulement éclairé par une lumière de secours et je sentais une violente odeur d'hémoglobine.

Qu'est-ce qui se passait, ici ?

J'agrippai la grille d'aération et utilisai mon pouvoir pour la déloger sans bruit. Une fois le passage ouvert je me laissai tomber dans le couloir. Une substance visqueuse au sol me fit déraper et je tombai de tout mon long. Je me redressai avec précaution avant de voir que les dalles de béton étaient recouvertes d'un liquide foncé, tout comme je l'étais. Je fis un tour sur moi-même en écarquillant les yeux d'horreur : combien de créatures avaient été tuées ici pour qu'une telle quantité de sang soit répandue ?

Aprilia me rejoignit lorsque j'inspectai les alentours. Je découvris vite qu'il n'y avait pas que du sang par terre mais aussi des os auxquels étaient encore accrochés des morceaux de muscles. Je portai une main à ma bouche pour retenir un haut-le-cœur que je parvins à endiguer de justesse.

— Tu sens quelque chose ? demandai-je d'un voix blanche à ma compagne à quatre pattes.

Elle reniflait l'air depuis tout à l'heure, expirant de temps en temps par la truffe pour en chasser l'odeur parasite d'hémoglobine.

— Il y a quelque chose de vivant, répondit-elle en prenant les devants.

Je restai dans ses pas par peur de la perdre de vue dans ce labyrinthe de couloirs. Je restais aux aguets du moindre bruit suspect car je n'étais pas convaincu que la créature responsable de ce massacre ait quitté les lieux.

Aprilia bifurqua à gauche après un coude avant de s'engouffrer dans un bureau dévasté. Des dossiers entiers étaient éventrés par terre et maculés de sang. À première vue, il n'y avait personne dans cette pièce. Le molosse s'était-il trompé ? Je le crus jusqu'à ce que son étude minutieuse d'une bouche d'aération au ras du sol n'attise ma curiosité. Une seule pensée de ma part me permit d'ôter la grille. Je me penchai et attrapai à pleine main ce qui encombrait le conduit.

— Sors de là, intimai-je à l'inconnu.

— Lâchez-moi ! protesta-t-il.

L'homme d'une quarantaine d'années se débattait comme un diable pour se soustraire à ma poigne. Loin de m'échapper, il commença à me taper sur le système.

— N'ayez pas peur, je ne vais rien vous faire, tentai-je d'une voix rassurante.

— Il est encore là ! On doit se cacher !

— Qui ?

L'homme me bouscula de tout son poids avec l'intention de retourner dans son trou, ce qui termina de m'agacer. Je le poussai brusquement contre le mur avant de lui octroyer une claque magistrale qui le calma net. Je l'attrapai par le col de sa chemise et le soulevai tout en déployant mon aura afin de l'intimider :

— Continue et je prendrai plaisir à te tuer moi-même, le menaçai-je.

Je le vis perdre ses couleurs en même temps que ses yeux ternes se remplissaient de larmes.

— Qui êtes-vous ? questionnai-je.

— Je m'appelle Antoine et je travaille pour Mayer & Bale, un groupe pharmaceutique privé qui tente de mettre au point des remèdes contre le cancer.

— Qu'est-ce qu'un groupe de cette taille fait dans les sous-sols d'une cité de Toulouse ?

— Mes supérieurs m'ont envoyé ici pour travailler sur le code génétique de créatures... Euh...

— Infernales, complétai-je.

L'homme me dévisagea, estomaqué.

— Je fais partie de l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem, l'éclairai-je alors. Ça ne me dit pas pourquoi ici et pas ailleurs ?

— Mes supérieurs se sont dit qu'au cas où l'une des créatures s'échapperait, les premières victimes seraient les Arabes du quar...

Je resserrai mes mains sur sa gorge tant la rage me submergea dès que je compris son sous-entendu.

— Ce ne sont pas des pertes acceptables, grognai-je, fielleux. Ce sont des êtres humains. Leur vie ne vaut pas moins que la vôtre, espèce de malades !

Le plaidoyer d'Antoine sortait de sa bouche sous forme de gargouillis inintelligibles. Je n'avais pas envie d'entendre ses arguments car aucun ne pourrait justifier de sacrifier une vie plutôt qu'une autre.

De sacrifier une vie tout court.

Pourritures !

— Tu vas le tuer si tu ne le laisses pas respirer, me raisonna Aprilia.

Je relâchai un peu ma prise, conscient que j'allais trop loin.

— Comment avez-vous trouvé ces créatures ? repris-je.

— Un prêtre... C'est un prêtre de votre Ordre qui a ouvert un passage vers l'Enfer. La première créature capturée s'est échappée de notre premier labo, alors on a amené les autres ici.

— Le nom du prêtre ?

— Je ne sais pas. Je vous jure que je n'en sais rien, répéta-t-il face à mon air menaçant. Je ne l'ai jamais rencontré. Je n'ai pas les détails.

— Et pas de cerveau non plus, cinglai-je. À cause de votre inconscience, combien des vôtres sont morts ici ?

Antoine fondit en larmes au souvenir du carnage auquel il avait assisté.

— Vous êtes tarés, sifflai-je en lâchant l'homme brusquement. Si vous voulez sortir d'ici en vie, restez derrière moi.

— Vous allez où ?! paniqua-t-il. Le monstre est encore là !

— Quel monstre ?

— Un chien démoniaque trois fois plus gros que celui-là, expliqua-t-il en désignant Aprilia.

— Un chef de meute, précisa cette dernière. Il faut qu'on sorte vite, Nathan. Il ne doit plus rien y avoir à sauver et le fait que l'humain soit encore en vie est un miracle. Mais si le dominant nous trouve, nous n'en réchapperons pas vivants.

La voir si inquiète m'incita à ne pas tergiverser. Je saisis Antoine par le bras et le poussai pour sortir du bureau. Le niveau était grand, nous avions une chance de le quitter avant d'être repéré par le molossoïde de l'Enfer.

Aprilia nous ouvrait la voie. La tête dans le prolongement du corps, les oreilles bien droites et la queue entre les membres postérieurs, il était aisé de voir qu'elle était terrifiée. Si elle faisait partie des chiens infernaux les plus faibles, pas étonnant qu'elle craigne à ce point un apex prédateur. Elle marchait d'un pas si rapide qu'elle se retrouva à trottiner après seulement quelques mètres, nous obligeant Antoine et moi à nous calquer sur son rythme, ce qui n'était pas pour me déplaire.

Nous atteignîmes la bouche d'aération par laquelle nous étions entrés. Aprilia y sauta d'un bond tandis que je fis la courte échelle à Antoine. Une fois ce dernier en sécurité, je lévitai pour les rejoindre et me faufilai dans le conduit. Je parcourus à peine un mètre quand un grognement sinistre trancha le silence du sous-sol.

Nous nous immobilisâmes tous les trois par réflexe.

Au cœur du silence, le grognement se fit de nouveau entendre. Il était juste à côté de nous, dans le couloir.

J'étais tellement focalisé sur mon ouïe que mon cœur cognant contre mes côtes me semblait faire un vacarme d'enfer. J'avais l'impression qu'il résonnait sur les parois du conduit et qu'il allait nous faire repérer. Mais ce n'était qu'une simple impression.

Un choc violent ébranla soudain tout l'immeuble. Des griffes impressionnantes percèrent le conduit à ma hauteur, laissant présager la taille du molossoïde de l'Enfer. Il n'aurait aucun mal à transpercer le mur !

— Aprilia, va-t-en ! ordonnai-je lorsque la patte monstrueuse du dominant explosa la paroi.

Ses griffes se plantèrent dans mon mollet et le transpercèrent. Un rugissement effroyable couvrit mon cri de douleur puis je sentis une force titanesque me tirer en arrière. Sans prise pour m'accrocher, je fus emporté par le monstre.

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