Chapitre 14
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Je m'assis sur mon canapé, face à mon ordinateur et au dossier contenant toutes les vidéos. Je n'en ouvris aucune. Ces nuits, je les avais vécues, j'avais tué chacune de ces créatures, qu'elles soient âmes damnées, croque-mitaines ou monstres en tous genres. Je n'avais pas besoin de me remémorer ces souvenirs car ils étaient gravés au fer blanc dans ma mémoire.
Pourtant, il me faudrait bien les visionner si je voulais choisir celles à montrer à Michaël... Devais-je le faire ? Devais-je le mettre face au gamin apeuré que j'étais ? Je ne voulais pas qu'il me prenne en pitié ni qu'il s'apitoie sur mon sort. Aujourd'hui, je savais me défendre seul. J'étais assez fort pour annihiler toutes ces créatures d'un claquement de doigts, particulièrement depuis que Tit m'apprenait à mieux gérer mes flux d'énergie.
L'arrivée d'Aprilia dans le salon coupa court à mes pensées. La chienne de l'Enfer avait retrouvé un peu de force depuis qu'elle avait mangé presque cinq kilos de viande fraîche par jour, payée par l'Ordre, cela allait de soi. Le molossoïde s'arrêta près de moi et s'assit.
— Qu'est-ce qu'il y a ? demandai-je.
— Si je t'aide à retrouver Cerbère, m'autoriseras-tu à rester ici avec toi ?
— Avec moi ? répétai-je, surpris. Pourquoi ?
— Tu as dit que je ne pouvais rester libre sur Terre, alors je veux rester avec toi. Je ne veux pas retourner en Enfer, ajouta-t-elle. Là-bas je ne suis utile à personne. Ici, je pourrai t'aider et te protéger. J'ai demandé à l'esprit de la maison et il est d'accord tant que je reste loin de sa cuisine.
Je me retournai pour y jeter un coup d'œil. Alors comme ça, on complotait dans mon dos ? La fidélité avait bien changé.
Je fis de nouveau face à Aprilia :
— Comment pourrais-tu m'aider à retrouver ton patron ?
— J'ai vécu à ses côtés depuis ma naissance, je connais son odeur, je peux la retrouver et te conduire à lui.
Si elle disait vrai, je n'aurais alors plus besoin de Sytry et je pourrais libérer Michaël de son fardeau. Le jeu en valait la chandelle.
— Je marche, acceptai-je. Dès demain on ira se promener en ville voir si tu trouves sa piste.
— Pourquoi pas aujourd'hui ?
— Parce que j'ai une tournée à faire. Et ce soir, j'ai autre chose de prévu, répondis-je en posant les yeux sur les vidéos. Profite de ta journée pour te reposer encore.
J'allai à mon bureau chercher une clé USB avant de revenir à l'ordinateur. Même si je n'en avais pas envie, j'ouvris quelques vidéos et en choisis quatre « anodines » que je transférai sur ma clé. Une fois le téléchargement terminé, je la glissai dans ma poche puis éteignis l'engin.
Aprilia n'avait pas bougé d'un poil, observant mes moindres faits et gestes dans l'espoir de comprendre mon quotidien afin de s'y intégrer. Son désir de ne pas retourner en bas n'était pas feint.
— Je vous confie la maison, à Tit et à toi, lui dis-je en me redressant.
Je m'habillai, pris mes clés de moto et sortis. J'avais quelques sorciers à aller visiter, ce qui me prendrait une bonne partie de la journée, après quoi je passerais chez Michaël. J'avais beau vouloir minimiser les contacts entre nous, ce que m'avait dit Dylan m'inquiétait vraiment, aussi préférai-je ne pas tarder. Je savais que la manière dont s'était terminée notre dernière rencontre m'affectait toujours et que je lui en voulais encore un peu, mais il ne s'agissait pas de moi, ici. La santé de Michaël passait avant tout, même avant mes propres sentiments.
Comme je m'y étais attendu, mes contrôles de routine avaient duré toute la journée, à tel point que je me retrouvai à frapper à la porte de l'appartement de Michaël à l'approche des dix-neuf heures trente. Je n'attendis pas longtemps avant qu'il vienne m'ouvrir. La surprise de me voir le cloua sur place :
— Qu'est-ce qu'il se passe ? demanda-t-il, inquiet.
— Je peux te parler ?
Il se décala pour me laisser entrer. J'observai rapidement son intérieur, d'où tous les cartons de son emménagement récent avaient disparu, tandis qu'il refermait, puis je me tournai vers lui. J'ouvris la bouche pour annoncer l'objet de ma visite mais il me coupa dans mon élan :
— Je suis désolé pour lundi soir, débita-t-il.
Son excuse me rappela à quel point ses mots m'avaient blessé, déchiré.
— Pourquoi t'excuser ? Tu le pensais.
— Au moment où je l'ai dit oui, je le pensais. Mais à ce moment-là j'ai aussi oublié d'inclure ton mode de vie dans l'équation. Je t'ai jugé par rapport à moi et je suis désolé. Je me suis vraiment conduit comme le dernier des enfoirés.
Il me fixait, attendant certainement une réponse de ma part que je ne sus pas lui donner. Je ne savais plus comment gérer un lien social, particulièrement quand mon interlocuteur ne me laissait pas indifférent.
Au lieu de lui répondre, j'attrapai ma clé USB et la lui montrai.
— Dylan est venu me voir pour me raconter votre escapade à l'archevêché, expliquai-je tandis que son visage se parait d'une expression contrite.
Il se passa une main sur la nuque, conscient que fouiller dans ma vie sans ma permission était irrespectueux.
— Il m'a aussi dit que tu avais veillé à ce que Sytry ne puisse pas accéder aux informations.
— Je sais que ce qu'on a fait n'est pas bien mais je ne voulais pas risquer de te mettre en danger.
— D'après ce que je sais, c'était à Dylan et Donna de choisir quoi te dire.
— Ouais.
— Si t'as un ordi, je peux le faire moi-même.
Il me fixa, à la fois estomaqué que je ne lui fasse aucun reproche et reconnaissant que je veuille le mettre dans la confidence. Il me prit l'objet des mains, alluma son écran plat et le brancha dessus. Le dossier contenant les vidéos ne tarda pas à s'afficher.
— Y'avait beaucoup plus de fichiers, remarqua Michaël en prenant sa télécommande.
— Ils sont tous dans la même veine que ceux-là.
Sans s'asseoir, il lança la première vidéo... à la fin de laquelle il se laissa choir sur son canapé, atterré. Sans prononcer un mot ni même me regarder, il visionna tous les contenus. Lorsque la dernière vidéo se termina, Michaël resta sans voix durant un instant.
— T'avais quel âge ?
Sa question me surprit moins par son fond que par sa forme car sa voix avait un peu tremblé en la posant.
— Six ans dans la première et dix ans dans la dernière. C'était juste avant que je sois confié à Père Luc.
— Pourquoi ils ne t'aidaient pas ?
— Pour voir jusqu'où mes pouvoirs allaient. Et pour voir si j'étais capable de survivre.
Il n'ajouta rien le temps d'une minute. J'aurais tout donné pour connaître ses pensées et savoir si Sytry y allait de ses commentaires.
Michaël se leva soudain. Toujours silencieux, il éteignit sa télé, délogea la clé USB de son port et me la ramena. Il s'installa entre nous un moment de flottement durant lequel ni Michaël ni moi ne sûmes quoi dire. Lui semblait mal à l'aise devant ma vie tandis que je l'étais devant tout ce que j'avais envie de lui dire. Mais certaines paroles m'étaient interdites si je voulais protéger les personnes à qui je tenais. J'aurais aimé, là, pouvoir me confier à lui, pouvoir mettre des mots sur les peurs de mon enfance et celles de mon présent. J'aurais aimé me décharger de toutes mes responsabilités, mes obligations et mes entraves en lui racontant mon quotidien et toutes les blessures qui avaient fait de moi l'homme que j'étais.
Mais je restai muet pour maintenir intacte la distance qui me séparait de cet homme vers lequel j'étais inexplicablement et irrémédiablement attiré. Et même sacrément attiré, pour être tout à fait honnête avec moi-même. Ce qui n'était pas réciproque.
Incommodé par la situation, je décidai de couper court à notre entrevue en prenant le chemin de la sortie. À ma grande surprise, Michaël me retint.
— Tu as mangé ? me demanda-t-il.
Je le fixai, un peu hébété. Pourquoi il me demandait ça ?
— Non, je n'ai pas mangé, répondis-je.
Depuis que Tit vivait avec moi, j'attendais qu'il se lève le soir pour dîner à l'heure de son petit déjeuner.
— Tu veux manger ici ? reprit Michaël. Ma mère est passée m'amener des lasagnes mais il y en a trop pour moi.
L'idée était tentante mais mauvaise. Je ne devais rien faire qui puisse lui laisser penser que je l'appréciais.
— Puis quand tu es là, Sytry met généralement la sourdine, ajouta-t-il devant mon hésitation.
Alors voilà la vraie raison de son invitation. J'aurais dû m'en réjouir, pourtant j'en fus incapable. J'en fus même attristé et l'amalgame de mes sentiments commençait à m'agacer. Pourquoi ne pouvais-je simplement pas ressentir ce que je devais ressentir au lieu d'éprouver des désirs irréalisables et dangereux ?
Malgré tout, je ne pouvais pas le laisser délibérément en pâture à Sytry et si j'avais la possibilité de lui offrir quelques instants de répit, je devais le faire. C'était mon devoir.
— Très bien, acceptai-je.
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