Chapitre 1
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Je marchais à côté de Père Luc le long d'un vaisseau annexe de la basilique Saint-Sernin de Toulouse. Nos voix réduites à des murmures peinaient à monter jusqu'à la voûte de la nef malgré l'endroit désert en raison de l'heure matinale. Je préférais rester discret compte tenu du sujet de notre conversation.
Les Hospitaliers et moi avions contré la Marque des Cinq voilà plus de deux semaines. Alors que Dominique, le père possédé de la dernière gamine exorcisée, était en train d'ouvrir l'une des six portes principales de l'Enfer, il avait laissé échapper une information qui me tracassait depuis. J'étais ici pour en parler avec le seul Hospitalier qui m'appréciait.
— Es-tu vraiment certain que ce sont ses paroles exactes ? insista Père Luc.
— J'étais à moitié mort mais j'en suis certain. Il a bien laissé entendre que si Cerbère n'avait pas empêché la fuite d'autant d'âmes lors de la Marque des Cinq, c'était à cause de l'Ordre.
Père Luc secoua la tête en signe d'ignorance.
— Je suis désolé, je ne vois pas. Mais on me met rarement dans la confidence, tu sais. Pour l'Ordre, je ne suis que le tuteur du Petit Diable, je ne mérite donc aucune confiance.
— Qui pourrait avoir des infos ?
— S'il existe une telle personne, il est à parier qu'elle ne te les donnera jamais par peur que tu passes du côté obscur de la Force et que ton savoir se retourne contre les mortels.
S'il m'arrivait parfois d'oublier que j'avais grandi entouré d'ennemis paranoïaques, j'étais vite rappelé à l'ordre. Sans mauvais jeu de mots...
— Je crois que tu vas devoir te débrouiller par toi-même, ajouta Père Luc.
J'acquiesçai en silence tout en songeant au meilleur moyen de trouver des informations sans me mettre toute l'Église à dos.
— Ne fais rien de stupide, Nathan, m'avertit le padre comme s'il avait deviné mes pensées. L'Ordre n'a pas apprécié que tu mettes une raclée à quatre de ses chevaliers et que tu t'échappes de ta cellule.
— En parlant de ça, ils ne t'ont fait aucun reproche ?
— Disons qu'ils m'ont clairement fait comprendre qu'il n'y aurait pas de pardon la prochaine fois. Je te conseille de mener ton enquête de la plus discrète des manières.
De toute façon, sans accès aux informations confidentielles de l'Ordre, mon investigation n'irait pas bien loin. Et Dieu savait que chaque Hospitalier se ferait un plaisir de me mettre des bâtons dans les roues s'il en avait la possibilité.
— Qu'en est-il des trois jeunes gens venus me voir à ton sujet ? demanda soudain Père Luc d'un air qu'il voulut innocent. Tu es toujours en contact avec eux ?
— Non. Il vaut mieux comme ça.
— Tu ne penses pas que l'association de la fille-chance et du petit archange puisse résister à nos ennemis ?
— Donna et Michaël sont bien là où ils sont, conclus-je.
Père Luc comprit qu'il ne servait à rien de continuer sur le sujet. Je leur devais une fière chandelle, j'en étais conscient, et c'était justement pour ça que je les tenais éloignés de moi. Pour les protéger de l'ombre menaçante de l'Enfer et de mes pairs.
— Je dois y aller, annonçai-je soudain.
Je tournai les talons et sortis de la basilique par l'ouest afin de rattraper la rue suivante où se trouvait mon appartement, au dernier étage d'un immeuble appartenant à l'Ordre. Puisque j'étais le seul à y habiter, je profitais d'un calme total et d'une intimité parfaite pour mes entraînements.
De retour chez moi, j'enlevai manteau, écharpe et chaussures avant de m'immobiliser dans mon salon. Je levai la main et, d'une pensée, je poussai mon grand canapé d'angle et ma table basse vers le mur face à moi.
Grâce à Tit, l'esprit de la maison qui squattait derrière mon four, j'avais appris à développer mon énergie. Maintenant, je ne me contentai plus d'actionner des interrupteurs ou d'ouvrir des portes, je pouvais déplacer et même faire léviter des objets beaucoup plus encombrants. Bien sûr, leur poids était une contrainte, mais je parvenais malgré tout à lever un peu plus de deux cents kilos rien qu'à la force de mon esprit, ce qui était déjà un bon résultat.
Une fois l'espace dégagé dans mon salon, je m'allongeai à même le sol, paumes contre terre, et je fermai les yeux. Mon ami domovoï, étroitement lié aux flux énergétiques de la Nature, m'avait expliqué que le pouvoir qui circulait en moi pouvait être utilisé autrement que par décharges si je prenais la peine de me concentrer. Depuis deux semaines, je m'entraînais non seulement à projeter mon énergie hors de mon corps en dosant la divine et l'infernale, mais aussi à la contrôler à l'intérieur. Le but avoué de la manœuvre étant de parvenir à me faire léviter moi-même.
Et ça, j'y étais presque.
Comme d'habitude, je fis le vide dans mon esprit en me focalisant sur les battements de mon cœur. Durant les premières secondes, les souvenirs de Michaël refaisaient toujours surface car j'avais beau vouloir le tenir loin de moi, son visage hantait toujours mes pensées. Il finissait malgré tout par s'estomper au profit d'une sérénité complète. Je pouvais alors visualiser les courants magiques parcourant mes veines et pulsant au rythme de mon palpitant tranquille.
J'augmentai ensuite leur densité afin de canaliser le plus de puissance possible au millimètre carré. L'opération prenait du temps mais plus je réussissais, plus je contrôlais mes énergies contraires.
Un courant vivifiant parcourait maintenant mon corps par vagues successives. Dès que je me sentis prêt, je tentai la lévitation. Au début, j'eus l'impression que rien ne se passait. Mais petit à petit, l'air frôlait mon dos tandis que le tissu de mon tee-shirt s'éloignait de ma peau quand je m'élevais.
— Concentreï, Nathanoï, murmura la drôle de voix de Tit.
Sa large main se faufila dans l'espace entre le sol et mon dos. Il posa ses doigts sur moi en exerçant une infime pression, simplement pour me donner un point à visualiser afin de maintenir ma concentration.
— Stop.
Je m'immobilisai. J'aurais pensé que faire du sur-place serait plus simple que de décoller mais je m'étais trompé. L'effort me coûta tant que mon corps se mit à trembler tout entier.
Tit enleva sa main au moment où je lâchai tout. Je fis une brusque chute d'une soixantaine de centimètres sur le parquet en étouffant un gémissement de douleur. Lorsque je me redressai pour m'asseoir, j'étais à bout de souffle.
— Khorochoï, me félicita mon ami.
— Merci, lâchai-je entre deux courtes respirations. Une insomnie ?
Il n'était que neuf heures du matin, il devrait déjà dormir, lui qui vivait la nuit.
— Oï, me répondit-il avant de bailler à s'en décrocher la mâchoire. Moï dodo.
Et il alla se recoucher sans autre forme de cérémonie. Le déploiement de mon énergie avait dû le tirer de son lit. Ce dont je ne me plaignais pas car, grâce à lui, j'avais réussi à léviter et je savais que rester immobile dans les airs serait ce qui me demanderait le plus de travail.
Voilà un nouveau défi. Ça tombait bien, je commençais à m'ennuyer ferme depuis que le calme était revenu sur Toulouse.
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