Chapitre 9
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Je me réveillai en sursaut, le cœur cognant contre mes côtes. Dans la pénombre, il me fallut de longues secondes pour remettre mes idées en place malgré un mal de tête redoutable. En dépit de ma vue floue, je reconnus mon appartement, puis le canapé sur lequel j'avais dû m'écrouler en rentrant. Les lumières nocturnes de la ville filtraient par les grandes fenêtres en demi-lune, m'offrant un faux espoir de sécurité.
Je me rappelai ensuite l'exorcisme de Zozo et l'état pitoyable dans lequel il m'avait laissé. Je ne me souvenais même pas du trajet de retour, ni d'être monté dans l'ascenseur de mon immeuble pour arriver jusqu'ici.
J'étais fatigué.
Je fermai les yeux, inspirai un bon coup pour me détendre mais je le regrettai aussitôt car ce fut comme si on me tordait les entrailles de l'intérieur. J'expirai doucement pour minimiser la douleur, ce qui fonctionna plutôt bien.
Privé de ma vue, j'écoutais le silence. Petit à petit, le tic-tac de la pendule du salon se fit entendre, puis le murmure de la ville, des frottements sur le parquet... et des gémissements d'agonie.
J'ouvris les yeux : une silhouette noire était penchée sur moi. Je sursautai avant de tenter de la dégager, mais l'Ombre compressait ma cage thoracique dans l'espoir de la briser. La pression me coupa la respiration et m'empêcha de crier.
De toute façon, qui m'aurait aidé ?
Je voulus repousser mon assaillant mais une autre Ombre agrippa mon bras gauche et le tira vers le sol. En porte-à-faux sur le canapé, il se briserait si l'Ombre forçait encore.
Les os de ma poitrine commençaient à craquer, et moi à suffoquer. Un Notre Père tournait en boucle dans ma tête pour insuffler une force divine à ma main droite encore libre. Dès que je la sentis prête, je frappai l'Ombre au-dessus de moi. La décharge claqua comme un éclair, éloignant tous mes ennemis d'un coup.
Pour combien de temps ?
J'inspirai à pleins poumons avant de rouler sur le côté pour me retrouver par terre. Je devais me mettre à l'abri.
Ma poitrine me faisait tellement mal que je peinais à me relever tout comme je peinais à respirer. Mes poumons me brûlaient. À moitié conscient à cause des séquelles de l'exorcisme et du manque d'oxygène, je me traînai à quatre pattes vers les grandes fenêtres. Les Ombres n'aimaient pas la lumière. Elles ne devraient même pas être ici. C'était pas logique. C'était pas possible.
Mon état de stress important n'aida pas mon organisme à gérer, au contraire. Je fus pris de vertiges et perdis l'équilibre.
Je m'écroulai par terre.
Les frottements revinrent, plus nombreux. Puisant dans mes dernières forces, je rampai jusqu'aux fenêtres que j'atteignais presque quand les Ombres me saisirent aux chevilles. Mon cri de douleur emplit toute la pièce. Puis je sentis une pression douloureuse sur mon dos. Du sang chaud remonta le long de ma trachée et coula par ma bouche. À mon poignet droit, mon bracelet vibrait fort. Ses runes crépitaient dans un bruit blanc presque apaisant au milieu du vacarme des rires ignobles : il était sur le point d'obtenir une nouvelle chance.
La tête me tourna. Je sursautai à peine en sentant mes côtes flottantes se briser. Je n'étais plus tout à fait conscient, pourtant j'entendis une voix familière briser les espoirs des âmes damnées.
— Vast dombroï ! tonna Tit.
Vu le boucan qui me parvint, il devait être en train de vider le contenu de tous mes placards sur les Ombres mais le plus étonnant, ce fut qu'elles prirent peur.
— Spéce dé nassoï ! Vast o diablos ! Vast-vast-vast-vast-vaaaast !
La douleur à mes chevilles et le poids sur mon dos disparurent aussitôt.
Le calme tomba comme une enclume.
Parmi le flou que je pouvais encore distinguer, je vis une silhouette petite et trapue avancer vers moi avec une démarche proche de celle d'un grand singe. Une large main se posa sur ma tête.
— Dodo, Nathanoï. Tit veille... Mon ami.
La chaleur de sa paume se diffusa doucement dans tout mon corps. Je fermai les yeux et sombrai dans l'inconscience.
J'ouvris les yeux dans un sursaut. La barre de douleur qui me frappa aussitôt au milieu du dos m'arracha un long râle de souffrance. Je m'immobilisai et m'employai à respirer lentement pour calmer le mal. Mes esprits me revinrent en même temps que le souvenir de l'agression des Ombres.
Comment avaient-elles fait pour m'attaquer ? Depuis quand étaient-elles aussi fortes ?
Je rejetai ces questions dans les tréfonds de ma mémoire : j'y penserai après, sous la douche.
Je tournai la tête pour embrasser la pièce du regard. J'étais allongé sur le sol de la cuisine. Comme Tit n'avait sans doute pas pu me ramener à ma chambre, il était allé chercher mon oreiller et une couverture.
Je me tournai un peu sur le côté et réussis à m'asseoir. Je voulus enlever mon pull et mon tee-shirt pour constater les dégâts de la veille mais Tit l'avait déjà fait pour moi. Un strapping enserrait même mon tronc au niveau des côtes cassées, cachant ainsi une partie de l'immense scorpion dont la tête était tatouée sur mon flanc droit et dont la queue remontait dans mon dos.
J'adorais ce tatouage. Il avait été le deuxième que les hospitaliers m'avaient autorisé à me faire faire, le premier étant une croix de l'Ordre sous chaque clavicule, le tout dans un effet vieille pierre en 3D. Entre les deux, notre devise apparaissait en latin, dans une magnifique écriture calligraphiée : Tuitio Fidei et Obsequium Pauperum – Défense de la Foi et Assistance aux Pauvres. Quelle hypocrisie. La branche que je servais était plus soucieuse de son confort et de sa survie que du sort des pauvres.
Foutue vie...
Et pour couronner le tout, j'avais mal à la tête. Je me massai les tempes durant quelques secondes. Sans faire disparaître la douleur, cela l'apaisa un peu. Dès que je me sentis prêt à me lever, je fis un essai. Même si ce fut laborieux, je parvins à tenir sur mes deux jambes ; mais je soufflais comme un bœuf. Je m'appuyai au plan de travail pour reprendre le contrôle de ma respiration.
— Tit, ça va ?
Il était cinq heures trente du matin, il ne devait pas être encore endormi.
J'entendis remuer derrière le four, puis plus rien.
— Oï. Dombroï nassoï vast. Moï soïne toï.
— J'ai vu que tu m'avais soigné. Merci beaucoup. Je n'aurais pas survécu sans toi, l'exorcisme m'avait vidé. Au fait, tu as mangé ?
— Noï. Toï dodo.
Les esprits des maisons n'avaient pas le droit de se servir à manger seuls puisque la nourriture était rapportée par les humains. Ils devaient donc attendre qu'on leur dépose leur part.
J'allai au frigo en grimaçant de douleur à chaque pas. Tout en piochant dedans de quoi manger, je m'interrogeai sur la meilleure manière d'aller chez le médecin. S'il n'y avait eu que les côtes cassées, j'aurais pu tenter d'y aller par mes propres moyens, mais à ça s'ajoutaient les séquelles de l'exorcisme de Zozo. Si je prenais la moto, je serai un danger public en puissance.
Appeler un ami était hors de question vu que je n'en avais pas. Je connaissais beaucoup de monde susceptible de me dépanner de bon cœur, mais personne ne savait pour ma particularité et les questions seraient plus dérangeantes qu'autre chose.
Pas le choix, je prendrai un taxi.
Je revins vers le four les mains remplies de charcuterie, de fromage et de pain que je posai sur le plan de travail. Une pomme verte les rejoignit bientôt.
— Je vais me doucher et après je sortirai, le prévins-je. Bon appétit.
— Spasiboï.
Je le laissai à son repas et montai à ma chambre. L'ascension de l'escalier fut tellement longue que je me serais presque ennuyé si je n'avais pas eu autant mal de partout.
Sous la douche, je pris enfin le temps de récapituler ce qui m'était arrivé et deux choses me dérangeaient profondément : que Zozo ait pu autant me blesser et que les Ombres aient gagné en puissance. L'hypothèse que les deux événements soient liés me paraissait plus que probable car démons mineurs comme Ombres étaient sensibles à l'activité des démons majeurs. Plus ces derniers se rapprochaient de la surface, plus les êtres insignifiants gravitant autour d'eux devenaient dangereux dans le but d'assister leurs souverains dans l'invasion du monde humain.
Mais alors, qu'est-ce qui se cachait derrière tout ça ? Un démon ? Plusieurs ? Des sorcières ? Des satanistes ? Était-ce lié à l'alignement des planètes ? À un élément géographique ?
Il y avait tellement de possibilités que sans plus d'informations, je risquais de tourner en rond un sacré moment. Une seule chose était sûre : si quelque chose d'autre devait arriver dans l'immédiat, mon corps ne tiendrait pas le coup. J'avais beau pouvoir guérir les autres, j'étais incapable de le faire pour moi et la médecine traditionnelle n'était pas assez efficace pour me retaper assez vite.
À cette pensée, une idée me frappa.
Je devais aller dans ma réserve avant de partir.
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