Chapitre 7


Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem

La sonnerie de mon smartphone me tira du sommeil à six heures du matin. J'émergeai péniblement dans la lueur pâle de l'aube. Mes yeux piquaient tellement que je ne pris pas la peine de regarder le nom de l'appelant avant de décrocher.

— Nathan, annonçai-je d'une voix ensommeillée.

On m'a rapporté un autre cas de possession, débita mon interlocuteur d'une voix éraillée.

Père Luc. Il était donc rentré de son pèlerinage en Terre sainte ? Ce vieux bonhomme grincheux me faisait office de chaperon depuis mes dix ans et était le lien entre l'Ordre et moi-même. Je préférais largement traiter avec lui qu'avec l'archevêque de mes deux.

— Où ? demandai-je.

Centre de la rue Aubert. J'ai dit aux parents que tu ne tarderais pas. Je t'envoie les informations par texto.

— OK. Je me prépare et j'y vais.

Sans rien ajouter, je raccrochai. Il m'était sympathique mais je voulais qu'il se souvienne que malgré mon serment de fidélité, je restais plus puissant que tous les chevaliers réunis. Si certains de ses compères venaient à l'oublier, ils auraient tôt fait de me donner des ordres à tire-larigot et je me ferai bouffer par leur ambition.

J'expirai profondément pour me détendre avant de m'extirper des draps. J'attrapai des vêtements propres et filai sous la douche. Possession ou pas, j'aimais être propre et si je mettais trop de temps au goût de certains, rien à battre. Le démon ne partirait pas tout seul, sinon je ne servirais à rien.

Une fois lavé, séché et habillé, j'allai manger un bout dans la cuisine d'où les miettes de pain de la veille avaient disparu.

— Tu dors ? demandai-je.

Silence.

J'attendis quelques secondes et m'apprêtais à réitérer ma question quand une voix rocailleuse me répondit :

— J'estoï.

L'accent et le langage étranges me firent pouffer de rire. J'avalai un morceau de chocolatine de travers et m'étouffai à moitié.

— Ké oï ?

Je toussai encore.

— Rien, répondis-je quand ma quinte fut calmée. Comment tu t'appelles ?

— Tit, oï.

— Titoï ?

— Noï. Tit. Oï.

— Noïtitoï ? répétai-je, taquin.

Un torchon roulé en boule venu de nulle part percuta soudain mon visage, manquant de faire tomber ma viennoiserie sur le sol.

— Té faï spré ! éructa la créature. Stupidoï umaï es cerveï !

Woh, pas commode, le petit. Si j'avais su qu'il avait aussi mauvais caractère, j'aurais réfléchi à deux fois avant de l'accueillir ici.

— Désolé, Tit.

Nouveau silence. J'entendis gratter derrière le four, puis plus rien. Il devait avoir changé de position.

— Séreï. Moï dormir. Dasvidanoï.

La bouche pleine du dernier morceau de mon petit déjeuner, je me demandais si tous les domovoï finissaient leurs mots par « oï » ? Il faudrait que je me renseigne auprès de la belle-mère de Grigory, mon nouveau voisin. En attendant, j'avais un démon à renvoyer en Enfer. Je récupérai ma crucem nomine dans ma réserve, passai mon équipement de motard avant de me rendre à l'adresse communiquée par le Père Luc.


Quelques minutes plus tard, je trouvai sans mal une place dans la rue à sens unique, à quelques pas de la maison de la famille Lejeune. Cette fois encore la victime était une adolescente. Lola avait quinze ans et se comportait étrangement depuis presque une semaine. Ses parents avaient hésité à faire appel à un exorciste, jusqu'au jour où ils avaient retrouvé leur fille en train de découper le chat en petits morceaux debout au plafond.

Le portail et la minuscule cour passés, je toquai à la porte. Ce fut une quadragénaire au teint livide qui m'accueillit. Les proches des possédés étaient toujours dans un sale état, elle ne faisait pas exception à la règle. Je me présentai. La femme, Denise, me laissa à peine terminer. Elle me pressa de la suivre à l'étage.

— Le prêtre vous a dit de l'attacher ? me renseignai-je.

— Oui, mais nous n'avons même pas pu rentrer dans la chambre, gémit-elle, au bord de la crise de nerfs.

Au premier, Laurent, le père, attendait devant la porte close de sa fille, l'air abattu.

— Je vais m'en occuper, assurai-je. Vous pouvez m'attendre en bas.

— On reste, affirma Laurent.

S'il y avait bien une chose dont j'avais horreur, c'était qu'on doute du bien fondé de mes ordres. Je me tournai vers lui et le toisai de toute ma hauteur. Il se retrouva écrasé par mon aura, au point que la peur passa dans ses yeux.

— Je vous appellerai quand j'aurai terminé, assurai-je.

Le couple échangea un regard. D'un signe de tête discret, Denise ordonna à son mari de la suivre, ce qu'il finit par faire. J'attendis qu'ils aient disparu de ma vue pour reporter mon attention sur la porte. Je posai la main sur la poignée. Une violente odeur de mort me mit mal à l'aise.

Ce cas n'était pas comme les autres.

Je baissai la poignée. Le battant glissa sur ses gonds sans aucune résistance. Le démon pensait pouvoir me tuer. Soit il était prétentieux, soit il était puissant. Si je ne voulais pas avoir de mauvaise surprise, mieux valait partir sur la deuxième hypothèse.

Comme pour Laëtitia, la chambre dans laquelle je pénétrai était plongée dans une pénombre importante à cause des doubles rideaux aux fenêtres. Je balayai la pièce des yeux à la recherche de Lola. Si je ne parvenais pas à la voir, j'entendais sa respiration sifflante. Sans geste brusque, je glissai la main dans la poche de mon manteau et sortis ma crucis. Fermement bloquée entre mes doigts, elle augmenterait mes chances de victoire.

La porte claqua derrière moi et le mal empoisonna toute la chambre. Je sentais son odeur fétide s'incruster jusque dans mes tissus.
J'entendais toujours la respiration difficile. Le souffle de l'adolescente était modifié par le démon : il était plus grave. 

Beaucoup plus grave.

— Monstre, siffla Lola.

— Montre-toi, intimai-je.

— Bâtard, fils renié, enfant d'une salope chrétienne ! cracha-t-elle.

La colère me submergea malgré moi. Ma main gauche me brûlait tandis que mon bracelet pulsait d'excitation : il réclamait du sang.
Je tournai sur moi-même en détaillant chaque recoin de la chambre. Les portes du dressing étaient ouvertes, le lit défait, le bureau renversé et son contenu étalé sur le parquet poussiéreux.

Où était-elle ?

J'entendis remuer, puis des ongles griffèrent les lames du plancher, devant moi, sous le lit.

Avec prudence, je fis un pas vers lui. Je m'accroupis doucement.

La gamine rampa vers moi à une vitesse inouïe. Elle me sauta dessus et je me retrouvai sous elle, le visage à quelques millimètres du sien, verdâtre et nauséabond. Son haleine putride faillit me soulever le cœur quand elle me grogna dessus. J'attrapai sa tête de ma main gauche et donnai une impulsion choc. L'arrière de son crâne explosa sous l'impact. Son hurlement vrilla mes tympans mais me permit de la repousser. La possédée hurlait toujours, démente, en ramassant ses bouts de crâne et en les recollant.

Hors de question que je la laisse finir.

Je l'attrapai par les cheveux et frappai sa tête sur le sol pour l'assommer un peu, puis je la traînai là où sa cervelle gisait afin de permettre sa régénération. Si je chassais le démon avant, Lola mourrait.

La gamine se débattait, hurlait, griffait et crachait mais ma prise sur sa chevelure ne souffrait d'aucune faiblesse.

— Arrête de bouger, enfoirée, grognai-je en la retournant.

Ses lèvres se rétractèrent sur sa dentition pourrie. Je bloquai ma respiration au risque de lui vomir dessus. Sans attendre, je plaquai ma crucis sur sa poitrine dénudée par notre lutte.

« Zozo », me chuchota une voix intérieure.

Je le tenais, ce fils de pute !

Mon esprit matérialisa un pentagramme incandescent sous le démon qui me griffait les bras. Il me les aurait déchiquetés sans mon manteau de motard renforcé.

— Au nom du Père, du Fils, et du Saint Esprit, retire-toi par la foi, Zozo !

— NOOOOON !

— Amen. 

Le parquet se fissura dans un craquement sourd. Un geyser bouillant de soufre me sauta au visage quand un passage vers l'Enfer s'ouvrit. Les hurlements d'agonie des condamnés faisaient trembler la maison sur sa base. Comme pour Laëtitia, des bras décharnés saisirent le démon, l'arrachant à l'enveloppe charnelle de la gamine, et l'attirèrent vers un feu infernal dont la chaleur me brûlait presque vif.

Zozo se débattait, s'accrochant aux bords de la faille pour ne pas être emporté.

— L'heure viendra bientôt, petit pédé, où nous t'enculerons toi et tes putains d'humains !

— Ta gueule !

Mon aura explosa et lui brisa net les bras. L'Enfer l'engloutit, puis la faille se referma.

Une douleur atroce irradia d'un coup ma colonne vertébrale. Je fus pris de spasmes violents qui me coupèrent la respiration. Je tombai sur le sol en essayant de calmer la virulence du choc en retour.

C'était pas normal. Pas aussi vite. Pas aussi fort.

Mon corps convulsa, m'ôtant l'usage de tous mes sens. Un poids immense compressa ma poitrine alors que mon cœur frôlait la tachycardie. La pression dans mes veines augmenta avec fulgurance. Mon organe ne tiendrait jamais la cadence.

Dans le chaos de mon esprit, les voix des Ombres s'élevèrent, s'enroulèrent autour de mon âme et je pus entendre leurs rires ignobles. Ma conscience luttait pour garder le contrôle, mais elle n'y arriverait pas sans aide.

Je ramenai mes bras tremblants vers moi. Avec peine, je réussis à poser ma main droite sur mon cœur et, dans un effort qui me coûta mes dernières forces, j'envoyai une impulsion divine qui me projeta brusquement contre le mur.

Je laissai échapper un gémissement étouffé à l'instant où mon cœur retrouva un rythme normal. Petit à petit, ma pression artérielle chuta et mes sens me revinrent. À nouveau lourd comme du plomb, mon bracelet glissa jusqu'à ma bouche et but tout le sang qui en coulait.

Je restai allongé là de longues minutes, à attendre que mes muscles daignent se remettre en marche.

On toqua à la porte.

— Nathan, tout va bien ?

La voix inquiète de Laurent me parut lointaine, pourtant elle m'aida à fixer un point dans la réalité qui permit à mon esprit de retrouver pied pour de bon. Je me relevai avec difficulté, haletant, et je parvins à lui ouvrir. L'exclamation affolée de Denise ne me rassura pas sur mon aspect général.

— Lola va bien, m'empressai-je de dire avant qu'elle n'associe mon état à celui de sa fille. Elle va dormir jusqu'à demain, ne vous inquiétez pas.

Laurent passa à côté de moi pour s'occuper de sa fille encore allongée sur le sol, inconsciente. Denise, elle, me prit doucement par la main.

— Venez.

Je n'étais plus capable de réfléchir, je la suivis donc sans poser de question. Elle m'amena à la salle de bain où je croisai mon reflet. De mon nez, de ma bouche sèche et de mes yeux rouges avait coulé une quantité impressionnante de sang. Autour de mes orbites et sur mes tempes, des vaisseaux sanguins avaient explosé, constellant ma peau de plusieurs dizaines de points rouges.

Qu'est-ce qu'il s'était passé ? Zozo était un démon mineur, il n'aurait jamais dû être capable de m'infliger de tels dégâts.

Je m'assis sur le rebord de la baignoire et laissai la maîtresse de maison me soigner.

— C'est toujours comme ça ? osa-t-elle demander après un long silence gêné.

— Non. C'est la première fois.

— Et... c'est fini ?

— Lola n'a plus rien à craindre, assurai-je au moment où Laurent nous rejoignait.

— Et nous ? demanda l'homme.

— Je vais bénir la maison.

Denise prit mon visage en coupe. Elle s'appliqua tant à ne pas me blesser que ses mains me firent l'effet d'une caresse printanière. Ses grands yeux d'un bleu limpide capturèrent mon regard, et je crus rêver celui de ma mère.

Ma gorge se serra à m'en faire mal.

— Est-ce que vous voulez qu'on vous ramène ? proposa-t-elle.

— C'est gentil, mais j'ai ma moto.

— Ce n'est pas prudent, argumenta Laurent.

— J'habite pas loin, je ferai attention.

Ils se regardèrent mais ne dirent rien. Ils n'avaient de toute manière aucun droit de m'empêcher de partir. Ce que je fis d'ailleurs sur-le-champ. Je me levai doucement pour ne pas chanceler. Pas après pas, je marchai vers la sortie tout en bénissant la maison. Je n'étais pas très concentré, j'espérais que ça ferait l'affaire. Je récupérai mon casque à l'entrée. Ce fut à ce moment que je vis les manches de mon manteau déchiquetées en lambeaux. Il me faudrait en racheter un nouveau.

La journée s'annonçait vraiment merdique.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top