Chapitre 4

Donna – Étudiante intriguée


— T'as eu un sept ?!

Sadia et Amélie s'étaient exclamées d'une même voix et vu la tête qu'elles tiraient, elles étaient vraiment choquées.

Je les fixais, hébétée. Mais, mais, mais... Pourquoi avaient-elles retenu ma note et pas le bracelet au mauvais endroit ?

Je battis des paupières, incrédule. Un truc ne tournait vraiment pas rond chez elles.

Amélie m'arracha le cliché des mains et se pencha dessus, imitée par Sadia.

— Mais elle est malade ta prof ! s'insurgea Amélie. Elle aurait dû te mettre vingt rien que pour le mec !

Larguée.

J'étais totalement larguée.

Et le bracelet ?

— C'est vrai que sur le reflet le bracelet n'est pas au bon endroit, remarqua Sadia.

Enfin !

— Pourquoi t'as attendu tout ce temps pour nous en parler ? demanda Amélie.

— Je voulais avoir plus d'infos sur lui, répondis-je.

Madame Perez m'avait rendu la photo mardi et nous étions déjà vendredi. J'avais rongé mon frein pendant deux jours, le temps pour moi de mener ma petite investigation. Dès que j'avais eu de nouveaux éléments, j'avais appelé les filles pour qu'elles rappliquent fissa et nous étions donc toutes les trois dans mon petit studio sous les combles, assises sur trois poufs colorés et moelleux à souhait, entrain de discuter autour d'un café brûlant, d'un chocolat chaud et d'un thé fumant. Et de la photo non retouchée d'un beau mec au reflet étrange qui m'avait valu l'une de mes pires notes.

Sans attendre davantage, je leur racontai comment j'avais passé la casquette de détective pour enquêter sur le bel inconnu. Comme je ne savais rien sur lui, j'avais opté pour discuter avec une personne susceptible de le connaître un minimum : le commerçant qui l'avait alpagué dans la rue où je l'avais photographié. J'avais mis mon plus beau sourire sur mon visage et j'avais donné à ma voix tout le miel dont j'étais capable pour jouer la jeune femme frappée par le coup de foudre.

— Et il a marché quand tu lui as sorti que ce mec avait volé ton cœur ? demanda Sadia, étonnée.

— Ah non. Il a couru, rectifiai-je, fière de moi.

Je posai ma tasse de café sur le parquet, attrapai la photo et la leur montrai, les yeux brillants d'excitation.

— Il s'appelle Nathan, annonçai-je, et il habite dans le quartier.

— Ici, à Arnaud-Bernard ? questionna Amélie. Eh ben, on va mettre des mois à le retrouver...

— Nope, la contredis-je. Il se rend à la basilique tous les dimanches à quatorze heures.

— Y'a pas de messe à cette heure-ci, si ? demanda Sadia.

— Non, confirmai-je. J'ai vérifié sur leur site internet.

— Alors qu'est-ce qu'il va y faire ? s'interrogea Amélie.

— Peut-être ce qu'on fait dans une église : prier, avança Sadia.

— Tous les dimanches ?!

— Tout le monde n'est pas aussi athée que nous.

— On s'en fout de ce qu'il y fait, les interrompis-je. L'important c'est que je sache où et quand le trouver. Alors, qui vient avec moi ?

— Pas moi, déclina Sadia. C'est la Saint-Valentin. Avec Éric on s'est prévu une journée à Carcassonne.

— Ça sera sans moi aussi, j'ai un repas de famille le midi, regretta Amélie.

— Dommage. Je serai la seule à pouvoir lui faire du charme, la taquinai-je.

— Oh... Tu as appris comment faire ? me retourna-t-elle.

Dire que je pris la mouche fut un euphémisme. Elle m'entendit marmonner que si je le voulais, je pouvais, et cela la fit rire aux éclats.

— Tu as beau avoir une chance insolente dans la vie de tous les jours, intervint Sadia, tu n'en as pas vraiment dans ce domaine-là.

— Je n'ai pas à me plaindre, rétorquai-je. Sébastien n'était peut-être pas un canon de beauté mais j'ai passé de magnifiques moments avec lui.

— Mais tu l'as largué, me rappela-t-elle. Nathan est peut-être un signe du destin ?

— Non, réfutai-je. Parce que dans la vraie vie les beaux mecs sont soit casés, soit cons, soit homos. De toute façon, je veux d'abord trouver un boulot qui me plaise avant de penser à me poser. Et je dois vous avouer que ce Nathan me laisse un avis mitigé.

— Pourquoi ? demanda Amélie.

— T'as pas eu une impression bizarre en le voyant ? la questionnai-je.
Elle prit un instant de réflexion et je vis à son air sérieux qu'elle avait eu le même sentiment. Elle haussa finalement les épaules.

— Peut-être. C'est vrai que c'est pas forcément le mec qui met en confiance direct, mais ça veut pas dire non plus que c'est un sociopathe en puissance.

— C'est peut-être un psychopathe ? avançai-je.

— C'est quoi la différence ? interrogea Sadia.

— L'origine du trouble, répondit Amélie, notre future psychologue.

— C'est-à-dire ?

— La sociopathie serait due à des facteurs environnementaux, expliqua Amélie. Comme une enfance difficile ou un entourage absent ou délinquant, par exemple, qui rendraient insensibles aux émotions humaines et à l'autorité. Les psychopathes, eux, naîtraient avec des facteurs génétiques, biologiques voire psychologiques favorables à la manifestation de leur personnalité antisociale. En résumé, et en théorie.

— Je me souviens pourquoi j'ai choisi de devenir esthéticienne.

— Une fois ta boîte ouverte, t'auras aussi ton lot de cas sociaux, lui prédit Amélie, un sourire amusé aux lèvres.

— Je verrai ça en temps et en heure. 

Sadia se tourna vers moi :

— Du coup, tu sais comment tu vas l'aborder, ton Nathan ?

Cette fois, ce fut à mon tour de hausser les épaules.

— Je trouverai bien !


Le dimanche suivant, pendant que tous les amoureux fêtaient la Saint-Valentin, je me retrouvai devant les portes de la basilique de style roman et une question idiote – mais pas tant que ça – me traversa l'esprit : si Nathan était en couple, viendrait-il aujourd'hui aussi ?

Après une courte réflexion, je décidai que l'interrogation arrivait trop tard. Puisque j'étais là, autant aller voir. Je rajustai ma tenue et pris une profonde inspiration avant de rentrer. Devant l'immensité solennelle de l'intérieur, je pris conscience que je venais ici pour la première fois. Alors que j'avais visité tous les bâtiments abandonnés de Toulouse, j'en avais négligé l'un des plus beaux encore en fonction. Je restai sans voix devant la longueur de la nef, la largeur du vaisseau principal et la hauteur de la voûte. Face à tant de grandeur et de majesté, je me sentis minuscule.

Je fis quelques pas puis m'arrêtai devant le bénitier. Je plongeai le bout des doigts dans l'eau fraîche et commençai à me signer... quand j'eus un doute inattendu.

Le Saint-Esprit était à droite ou à gauche ?

Ma main suivait ma pensée sans parvenir à choisir. Droite, gauche ?

Droite, gauche, droite, gauche.

Zut !

Je levai la main en direction du chœur.

— Salut, Dieu, chuchotai-je.

Ça ferait l'affaire.

J'avançai dans la nef en détaillant les piliers à arcs doubleaux. Je remarquai les armoiries sur la voûte proche du chœur puis mon regard tomba sur les stalles des chanoines. Je me figeai.
Nathan était assis au premier rang.

Je sentis l'excitation monter en même temps qu'une horrible incertitude quant à la manière de l'aborder et d'amener le sujet. Je ne pouvais pas l'appeler par son prénom alors qu'on ne se connaissait pas et lui dire que j'étais là exprès pour lui parler de son drôle de reflet sur une photo que j'avais prise à son insu.

Si ?

Non. J'avais un grain, mais pas à ce point. Bah, je trouverai ! Je serai bien obligée.

Je repris ma progression silencieuse, slalomai entre les visiteurs et m'assis deux rangs derrière lui. Puisque j'étais décalée par rapport à sa position, je pouvais voir une partie de son visage baissé et je remarquai qu'il était en pleine prière, les yeux fermés. Je n'avais plus qu'à attendre.

Alors comme ça, il était croyant ? Je ne l'aurais pas imaginé, mais au moins ça m'avait permis de le retrouver. Par contre, l'athée que j'étais craignait un peu les pratiquants. Selon moi, ils se divisaient en deux catégories : ceux qui pensaient que le monde se résumait à leur foi, et ceux qui savaient que leur foi faisait partie du monde. Les premiers étaient moralisateurs et intolérants tandis que les deuxièmes incarnaient les valeurs d'entraide, de soutien, de générosité et d'humilité que véhiculait la religion.

À quelle catégorie appartenais-tu, Nathan ?


Je regardai mon bracelet-montre : j'attendais depuis dix minutes. Soit ce mec avait commis un génocide, soit sa vie était pourrie pour qu'il ait autant de choses à dire à Dieu. Je croisai les bras et m'affalai sur ma chaise en bois en ruminant.

Je me redressai aussi sec.

Nathan s'était levé !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top