Chapitre 3


Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem

Neuf jours avaient passé depuis l'exorcisme de Laëtitia, pourquoi l'archevêque me convoquait-il ?

Je longeais la nef de la basilique Saint-Sernin et trouvais mon supérieur immobile devant l'autel. À cette heure-ci, l'église encore fermée au public était vide, ce qui n'empêcha pas l'homme de chuchoter lorsqu'il s'adressa à moi d'une voix usée par sa longue vie.

— Comment allez-vous, mon enfant ?

Vu ce que j'étais, il n'aurait jamais voulu de moi comme fils. Son hypocrisie me donnait envie de vomir.

— Bien. Tu veux en parler maintenant ?

— Parlons-en en marchant.

Joignant le geste à la parole, il s'éloigna. Je lui emboîtais le pas tout en lui expliquant la manière dont s'était déroulé l'exorcisme. Une fois mon récit terminé, il hocha simplement la tête avant de descendre à la crypte dans un silence parfait. Il s'arrêta au bas des marches et me toisa.

— Vous êtes certain que le démon est retourné en Enfer ?

— Oui. Pourquoi ?

— Pour être sûr.

— Tu doutes de moi ?

Il ne répondit pas. À la place, il baissa les yeux sur mon bracelet endormi.

Eh ben, son Excellence avait-elle peur que je passe du mauvais côté de la Force ?

— Non, j'ai confiance en vous.

Foutaises !

— Alors pourquoi voulais-tu me voir en personne ? Mon temps aussi est précieux.

Il ne releva pas mon ton arrogant. Sans doute n'osait-il pas. Lui ne puait pas la peur, il empestait la lâcheté. J'avais connu de simples prêtres bien plus valeureux que cet homme heureux de se complaire dans l'amour de la vaine gloire.

— Je voulais entendre la version des faits de votre bouche. Vous pouvez disposer.

Je ne pris pas la peine de le saluer et tournai les talons pour sortir de la basilique. Comment perdre son temps ? En servant un Ordre qui craint plus que tout ses propres erreurs et qui a la fâcheuse tendance à posséder des dirigeants trop incertains.

En sortant de l'édifice, j'attrapai mes gants en cuir noir dans la poche arrière de mon jeans et les enfilai tout en rejoignant ma moto. Je mis ensuite mon casque et lançai l'engin dans les rues pavées de Toulouse, direction le sud de la ville où une autre facette de mon boulot m'attendait.


Je garai ma moto à quelques pas d'une fleuriste bien connue à Pech-David, quartier abritant, entre autres, l'hôpital Rangueil. C'était justement une amatrice de soins alternatifs – comprendre « une sorcière » – que je venais voir. En entrant dans la boutique, le mélange des fragrances florales agressa mon nez plus habitué à l'odeur d'essence et de sang. Mon regard tomba sur le dos des deux clients devant moi puis, derrière le comptoir, sur Virginie, une trentenaire en beauté. La patronne se figea en m'apercevant. La lueur d'inquiétude dans ses yeux ne m'échappa pas : elle savait pourquoi j'étais là. La question était de savoir si elle l'avouerait.

Je restais à ma place dans la file et attendis. Virginie termina sa composition florale avant de demander à son employé d'encaisser la commande, après quoi elle contourna l'homme devant moi pour me rejoindre.

— On devrait aller en bas, proposa-t-elle discrètement.

— Je te suis.

Elle me conduisit au sous-sol par un escalier situé dans l'arrière-boutique. Une porte solide et fermée à double tour marquait la fin de la descente. La patronne attrapa une clé pendue à la chaîne en or autour de son cou et l'ouvrit. Elle me précéda sans m'inviter à entrer, ce qui ne me retint pas de le faire. Je découvris une pièce remplie de fleurs non commerciales, de fioles et d'alambics, ainsi que d'un autel rituel.

— J'habite au-dessus de la boutique mais mon appartement est trop petit et mon fiancé n'apprécierait pas, se justifia-t-elle pendant que je fermai la porte, au cas où son employé aurait la folle idée de descendre.

Plantée au milieu de la pièce éclairée par des néons, Virginie me faisait face. Malgré l'air assuré qu'elle tentait de prendre, je la sentais tendue.

— Je n'ai rien fait de mal, assura-t-elle de bonne foi.

— J'ai entendu dire que tu possédais de la digitaline. C'est une substance dangereuse entre les mains d'un humain, mais c'est pire dans celles d'une sorcière.

— Qui vous a dit ça ? demanda-t-elle, sur ses gardes.

— Où est-elle ? questionnai-je sans tenir compte de son interrogation.

Elle m'observa quelques secondes. Elle devait calculer ses chances de survie si elle me contrariait. Consciente qu'elles seraient inexistantes, elle déverrouilla un petit tiroir de la table bureau où trônaient les alambics et en sortit un coffret en bois qu'elle ouvrit quand je m'approchais. À l'intérieur se trouvaient quatre flacons.

— Ce sont des doses létales, fis-je remarquer. Et en prime, tu en as assez pour réveiller tous les cadavres de Toulouse. Pour quoi en as-tu besoin ?

— J'ai des problèmes cardiaques mais je n'ai pas de digitale pourpre ici. C'est une amie, que je vois une fois l'année, qui la fabrique pour moi. Je ne suis pas nécromancienne, Saint Exorciste. Le contenu de ce coffret est pour mon usage personnel, répéta-t-elle. Je vous le jure.

— Si je devais croire toutes les personnes qui jurent, je serai déjà mort depuis longtemps. Un flacon te dure combien de temps ?

— Trois mois.

— Et celui qui est entamé ?

— J'en ai encore pour un peu plus d'un mois.

J'attrapai les trois flacons intacts et les fourrai dans mes poches sous le regard outré de Virginie.

— Je t'apporterai une nouvelle dose dans un mois, lui promis-je.

— Vous ne pouvez pas faire ça !

— En effet, je ne peux pas laisser une substance aussi dangereuse entre les mains d'une sorcière. Ne te plains pas trop, j'aurais pu tout te prendre sans que tu ne puisses rien faire. Tu ne t'en tires pas si mal, au final.

À en juger par le regard noir qu'elle m'octroya, elle n'était pas du même avis que moi. 

— Tu veux t'opposer ? demandai-je sur un ton menaçant.

Elle douta, jusqu'à ce qu'elle remarque le bracelet à mon poignet et que les légendes à mon sujet lui reviennent en mémoire. Vraies ou fausses ? Elle ne le savait pas, comme tout le monde, mais me sous-estimer était dangereux et ça, c'était de notoriété publique.

Je fis un petit pas en avant, elle recula de deux longues foulées.

— Partez, supplia-t-elle.

— Je serai là dans un mois sans faute.

Je n'attendis pas sa réaction et m'en allai. La boutique était pleine quand je la quittais, au point que j'aurais dû coudoyer la file d'attente si l'aura qui m'entourait n'avait pas incité les clients à se décaler d'eux-mêmes sur mon passage. Ma nature avait parfois quelques avantages, surtout dans une boutique de fleurs à deux jours de la Saint-Valentin.

J'enfourchai ma bécane en songeant que faire la police auprès de certains acteurs du milieu surnaturel ne m'emballait pas. C'était beaucoup de palabres pour tenter de régler les choses sans faire de vagues au risque de mettre son Excellence en rogne. Il me sortait déjà par tous les trous en temps normal, je ne tenais pas à m'infliger sa mauvaise humeur en prime. Encore, si j'avais pu le frapper, OK, mais ça serait interprété comme le signe que je ne contrôlais plus la situation. Le corps clérical de l'Ordre avait plus de facilité à croire aux prémices de l'Apocalypse qu'au fait que la majorité d'entre eux était des putains de têtes à claques. Étrange...

Sur cette pensée ô combien philosophique, je décidai de rentrer chez moi et de passer la journée au calme. Depuis mon dernier exorcisme, je ne dormais pas bien la nuit et je commençai à atteindre mes limites à en juger par mon irascibilité de ce matin. Quelques heures de sommeil ne seraient pas de trop.


De retour dans mon appartement situé au dernier étage d'un immeuble récent, je pris le temps de me déchausser et de me dévêtir un peu avant d'aviser le pan de mur près de l'escalier menant à une mezzanine fermée. Je posai les mains sur la grande paroi aux pierres apparentes située entre le bar de ma grande cuisine américaine et l'escalier nord. La cloison disparut aussitôt, ouvrant un passage sur une salle dérobée aux murs lambrissés couverts d'étagères supportant aussi bien des livres que des accessoires en tous genres.

Au fond de ma réserve, je trouvai un coffret dans lequel je rangeai les fioles de digitaline avant de retourner au salon. À peine sortis-je de la salle secrète que le mur la dissimulant réapparut. Je créai un rappel sur mon smartphone pour ne pas oublier la dose de Virginie et, une fois débarrassé de toutes mes corvées, je le posai sur ma chaîne Hi-Fi et lançai Nickelback. Les notes de guitare de « Savin'Me » montèrent jusqu'au plafond, puis la voix grave du chanteur occulta le reste du monde. Je me laissai choir sur mon canapé et soupirai d'aise avant de m'allumer une cigarette.

L'immeuble appartenait à l'Ordre et m'était réservé, sauf cas particulier où des personnes étaient hébergées temporairement dans les autres appartements. Ou quand je logeais des SDF durant les grands froids. Mais c'était occasionnel. Tant mieux. Ma vie était déjà assez compliquée sans que j'aie besoin de me coltiner des gens trop curieux... 

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