Chapitre 26
Donna – Étudiante incertaine
Le mercredi soir, après m'être fait copieusement incendiée par Dylan pour ne pas l'avoir prévenu que je me rendais sur les lieux du dernier exorcisme sans lui, j'allai chez Nathan vers dix-neuf heures puisque j'avais attendu que Michaël finisse le travail et me rejoigne. Au moment où je frappai à la porte de mon exorciste, je ne pus m'empêcher de redouter la conversation que nous allions avoir.
La porte s'ouvrit toute seule. Nous rentrâmes et trouvâmes Nathan derrière le bar. Nous le rejoignîmes au moment où il y posait deux assiettes contenant une belle part de pizza faite maison.
Mon estomac approuva l'idée, surtout que l'odeur donnait envie !
Michaël et moi nous assîmes sur les hauts tabourets tandis que Nathan restait côté cuisine, comme si le bar symbolisait la distance qu'il voulait installer entre nous. Était-ce un moyen de nous faire comprendre que nous n'étions pas du même monde ?
Sûrement.
— Bière, Coca ou eau ? demanda Nathan.
— Bière ! réclamai-je.
— Coca, choisit Michaël. Je conduis après.
Nathan nous servit en silence. J'avais beau saliver devant la pizza, j'aurais préféré qu'on s'explique d'abord. Pourtant, personne ne parla.
Michaël et moi étions mal à l'aise ; Nathan, lui, affichait un air grave, presque trop sérieux. Est-ce qu'il nous appréciait ? Était-ce pour ça qu'il semblait si affecté par ce qu'il s'apprêtait à nous dire ? Car je savais comment finirait l'histoire, Père Luc nous l'avait dit. Une part de moi espérait encore qu'il se soit trompé, mais une autre me criait qu'il était dans le vrai.
Zut ! Je ne tenais plus, il fallait qu'on en parle !
— Nathan... On pourra continuer à se voir ? questionnai-je, un regard de Chat potté levé vers lui.
— Non.
Sa réponse sans appel fut comme une claque. J'eus un pincement au cœur.
Je reposai mon morceau de pizza dans l'assiette. Je n'avais plus faim.
— Je sais que je serais mort sans votre aide, reprit-il sur un ton reconnaissant. Et c'est justement parce que je vous suis redevable que je ne veux plus que vous m'approchiez. La prochaine fois, vous pourriez bien être les cibles de mes ennemis. Vous n'avez pas à porter ce fardeau.
— Et si on a envie de courir le risque ? avançai-je. On est assez grands pour prendre ce genre de décisions.
— Il y a une chose que tu ne sembles pas comprendre, Donna, dit-il en s'accoudant au bar devant moi. Si vous mourez, qui devra vivre avec ça sur la conscience ? Vous, ou moi ?
Sa question me laissa sans voix.
Je n'avais pas pensé à ça. Je m'étais seulement dit que quitte à mourir un jour, autant le faire en protégeant quelqu'un. Je n'avais pas pensé à celui qui resterait.
— Il n'y a que pour les vivants que la mort est cruelle, Donna, ajouta Nathan. J'ai déjà perdu une personne chère, je ne veux plus avoir à connaître ça.
Il se redressa.
— Mais si j'ai de la chance...
— La chance est incertaine, me coupa-t-il. Si elle te lâche au mauvais moment ça te coûtera la vie. Ce n'est pas parce que tu es certaine de pouvoir t'en tirer que tu t'en tireras toujours.
— Mais...
J'avais beau chercher des arguments, je n'en trouvais plus et ça me mettait en rogne ! En plus, Michaël ne disait rien pour m'aider ! Il ne disait rien du tout, mais je vis qu'il avait lui aussi reposé sa pizza et qu'il avait à peine touché à son Coca.
J'étais désemparée au point que je sentis des larmes de résignation monter à mes yeux. Ma voix s'enroua :
— On ne peut pas retourner à nos vies tranquilles en sachant ce qu'on sait. En tout cas, moi, je ne peux pas.
— Je peux t'effacer la mémoire, si tu veux.
Je fixai Nathan, désappointée par sa proposition.
— Pardon ?
— Si c'est trop dur pour toi de faire comme si rien ne s'était passé, je peux effacer ta mémoire, répéta-t-il.
Mais il était sérieux, en plus !
— Mais-mais-mais... C'est possible ?
— Oui.
— Mais je veux pas ! Je veux pas t'oublier et oublier qu'il y a des démons et des Ombres qui nous menacent, qu'il y a des sorciers et des chevaliers pour nous protéger et... toi. Je... Je croyais vraiment que tu étais dérangé, avouai-je, peu fière de moi. Mais j'ai appris à te connaître et j'ai compris que les personnes comme toi sont trop rares. Tu es prêt à tout pour nous protéger, pourquoi nous on ne peut rien faire ?
— Parce que j'ai été éduqué et formé pour ça. C'est mon travail comme soigner les gens l'est pour un médecin. Est-ce que ça te viendrait à l'idée d'improviser une opération à cœur ouvert ? Ou est-ce que tu laisserais faire les personnes qui ont les moyens et les compétences de le faire ?
— Je...
Je ne trouvai rien à répondre. Parce qu'il avait raison, et il le savait.
— Ta voie n'est pas la mienne, Donna. Alors vis ta vie et laisse-moi risquer la mienne.
Je sentis mon menton trembler en comprenant qu'on arrivait au bout de la conversation et que j'étais en train de vivre mes derniers instants en sa compagnie.
— Tu devrais finir de manger, ta pizza va être froide, me conseilla-t-il gentiment.
— J'ai plus faim, articulai-je d'une voix étranglée par les sanglots.
Mes larmes coulèrent malgré moi. En présence de deux hommes que je n'avais jamais vu pleurer, je me sentis honteuse.
J'avais besoin d'air.
Je repoussai mon tabouret pour en descendre, puis j'attrapai mon manteau à l'entrée avant de m'en aller sans me retourner, le visage ruisselant de larmes.
Je n'avais pas envie de rester. Je n'avais pas envie de partir. Je voulais rentrer chez moi et aller ailleurs, rester éveillée toute la nuit et dormir, me souvenir et oublier. Je voulais tout à la fois et rien du tout. Rien, à part être moi aussi capable de protéger les gens que j'aimais.
**
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem
Je n'aurais jamais pensé que voir pleurer Donna me ferait autant mal au cœur. Je comprenais ce qu'elle ressentait mais je ne pouvais pas la mettre délibérément en danger par caprice. Il valait mieux qu'elle passe à autre chose, tout comme Michaël.
Je portai mon attention sur ce dernier. Il me parut un peu fiévreux et hagard.
— Ça va ? m'enquis-je.
— Je sais pas. Je crois que je ne m'attendais pas vraiment à ce que l'histoire finisse comme ça même si Père Luc nous avait prévenus.
— Comment ça ?
— Il nous a dit que l'Ordre t'interdisait de te lier avec des gens afin que tu n'aies pas de point faible. Vu que je peux te guérir, je pensais pas en être un.
— La dernière personne qui a eu ce pouvoir est morte dans mes bras, rétorquai-je.
Trop vite.
Je m'en mordis les doigts et priai pour que Père Luc ne leur ait pas parlé de David, auquel cas Michaël pourrait faire un lien entre mes sentiments et lui.
Ma révélation le choqua, bien que je ne sus pas vraiment pourquoi. Au moins cela le fit-il réfléchir.
Il baissa la tête.
— Je comprends, lâcha-t-il.
Il repoussa son tabouret et s'en alla. Lorsque la porte se referma derrière lui, mon cœur manqua un battement.
Je m'appuyai au bar, complètement anéanti.
J'aurais préféré ne jamais les rencontrer. Le monde se serait certainement mieux porté si j'avais laissé ma vie lors des exorcismes.
Tit monta sur le plan de travail pour se mettre à ma hauteur. Je sentis sa large main se poser sur mon épaule en un geste rassurant tandis qu'il chipait un bout de pizza de l'autre.
— Toï sorvoï, Nathanoï.
— Je sais. Je survivrai toujours.
C'était bien là ma plus grande malédiction.
Fin
*
*
Du tome 1 ;)
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