Chapitre 21

Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem

Lorsque j'ouvris les yeux le lendemain, j'étais allongé sur un grabat et enchaîné à un mur dans un vieux cachot sec éclairé par des ampoules en fin de vie. Mon corps était lourd, bien plus que les épais fers cerclant mes poignets attachés dans mon dos. Je n'avais aucun moyen de m'échapper.

Je m'assis. Mauvaise idée, car une onde de douleur ravagea alors tous mes muscles.

J'étais dans le brouillard complet. Ma mémoire me faisait autant défaut que mes sens. Il fallait que je me concentre pour faire un état des lieux de la situation en commençant par l'endroit où j'étais.

L'archevêché.

Si je n'avais pas dormi trop longtemps, nous devions être le dimanche 28. Le dernier exorcisme aurait lieu soit aujourd'hui, soit demain. Le temps était compté, je devais trouver un moyen de sortir d'ici.

Une clé tourna soudain dans la serrure de la porte qui s'ouvrit peu après sur Julian. Il tenait un bol de soupe.

— Alors, tu ne dors plus ? demanda-t-il sur un ton suffisant.

— C'est la deuxième fois que tu me tutoies, lui fis-je remarquer. Je vais finir par croire que je suis ton pote, c'est dégradant.

— Hé bien ! On a de la répartie dès le réveil, à ce que je vois.

Il s'approcha de moi puis attrapa la cuillère. Il aurait pu ferrer ma main droite d'une autre manière pour que je puisse manger sans le menacer, mais son but était clairement de m'humilier. Tant pis, je devais jouer son jeu pour retrouver des forces.

Julian récupéra de la soupe dans la cuillère et la porta à mes lèvres.

— Une cuillère pour feue ta maman, annonça-t-il avec un grand sourire chargé de sous-entendus.

Je récupérai le précieux liquide et le lui crachai à la figure.
Rien à battre des forces !

Julian me jeta au visage la soupe chaude qui me brûla la peau. Il profita que la douleur me fasse fermer les yeux pour me frapper de toutes ses forces. Son poing percuta ma joue de plein fouet mais il dévia vers mes dents qui l'entaillèrent sur une belle longueur, me laissant un goût cuivré dans la bouche. Julian recula en jurant.

— Tu devrais faire un vaccin contre la rage, lui lançai-je sur un ton goguenard.

Il prit la mouche, marmonna comme un gosse et tourna les talons.
Bon. C'était bien beau, tout ça, mais j'avais la dalle. Je n'avais rien mangé depuis deux jours.

Je me réinstallai plus confortablement dans un effort qui me coûta le peu d'énergie dont je disposais encore. Je calai ma tête contre le mur et finis par me rendormir.

Ce fut le bruit de la clé dans la serrure qui me réveilla longtemps après. La porte de ma cellule livra passage à un Père Luc préoccupé. Il grimaça en me voyant ; je devais être dans un sale état. Il remercia le garde et le congédia avant de s'asseoir à côté de moi sur mon lit sans matelas.

— Comment tu vas ? s'enquit-il.

— Bof. On est quel jour ?

— Dimanche.

— Il me semblait. Pourquoi t'as fait une tête bizarre en rentrant ?

— Tu as le visage couvert de sang et le torse tuméfié. Et tu aurais besoin d'une bonne douche.

— J'ai surtout besoin de manger. T'aurais pas un truc sur toi ?

Père Luc me sourit tout en fouillant ses poches. Il en sortit des barres énergétiques.

— Je me suis douté que tu aurais faim.

Il ouvrit la première et me la tendit. Je croquai dedans à pleine dent.

— Trois jeunes gens sont venus me voir, hier, me dit-il. Ils voulaient en savoir plus sur toi et sur ce qui t'était arrivé.

Je vidai ma bouche.

— Tu leur as rien dit, j'espère ?

Il hésita à répondre.

Eh merde !

— T'as pas fait ça, sérieux ?! m'énervai-je. Putain, padre, c'est ma vie, ils ont pas besoin de la connaître !

— Baisse d'un ton, intima-t-il.

— Tu leur as dit quoi, exactement ? demandai-je en obéissant malgré moi.

— Tout, et j'ai appris que ça avait recommencé. Le flux bleuté.

Mon cœur se serra au souvenir de Michaël. Lors du voyage de retour chez moi après le dernier exorcisme, j'avais eu quelques moments de conscience durant lesquels je m'étais senti en sécurité dans ses bras, comme si rien ne pourrait jamais m'atteindre. Je n'avais plus connu cette sensation depuis David.

— Tu éprouves de nouveau des sentiments pour quelqu'un.

Ce n'était pas une question que posait Père Luc, c'était bien une affirmation.

Peut-être, oui.

Sûrement, même.

Je soupirai, las. J'étais fatigué et honteux.

— Je sais que c'est mal, ce que j'éprouve, confiai-je d'une voix fragile.

— De l'amour ?

— De l'amour pour un homme.

Père Luc s'adossa au mur et reprit sur le ton de la confidence :

— J'avais un frère qui aimait les hommes.

Pour de la révélation, c'en était une ! J'en restai coi.

— Je ne l'ai pas connu longtemps, continua-t-il, car il m'a été enlevé par des homophobes qui l'ont battu à mort. J'avais quinze ans, nous étions dans les années 60, les mentalités étaient différentes.
Certains n'avaient pas évolué depuis.

Je retins ma remarque afin de laisser parler le Père.

— Suite à cela, reprit-il, je suis rentré dans les ordres comme si ma vie pieuse pouvait racheter la conduite inexcusable de mon frère et lui offrir une place aux côtés du Seigneur. J'ai mis plus de vingt ans à comprendre que mon frère n'avait jamais péché, contrairement à ceux qui ont pris sa vie... Tout ça pour te dire, Nathan, que si Dieu condamnait ta préférence, Il ne prendrait pas la peine de te confier Son pouvoir. Et Il ne donnerait pas aux hommes dont tu es amoureux la capacité de te guérir. Dieu est amour, mon fils.

— Ne m'appelle pas comme ça.

Il posa une main affectueuse sur ma tête et me regarda avec tendresse.

— Mon tort a été de me taire par lâcheté, Nathan. Mais depuis que j'ai vu le courage de ces jeunes gens, hier, je me sens moi-même courageux. Je sais que tu te considères comme une hérésie mais pour moi, tu es un jeune homme d'une exceptionnelle bonté. J'aurais été fier d'avoir un fils comme toi.

Sa sincérité et sa chaleur me désarmèrent. Si ma gorge se serra, un sentiment de joie fit s'envoler mon cœur. Je n'avais jamais eu de père. Celui qui m'avait engendré était un monstre et j'avais longtemps été trimbalé d'un chaperon à un autre, jusqu'à ce que j'atterrisse définitivement chez le Père Luc à dix ans. J'étais déjà grand, j'avais mon caractère et mon passé trop chargé pour un gamin de cet âge, mais il avait pris le temps d'apprendre à me connaître. Sa patience avait fini par m'apprivoiser. Aujourd'hui, il représentait la seule figure paternelle de ma triste existence et je crois que je l'appréciais énormément.

Il enleva sa main de ma tête, mettant fin à ce moment privilégié, et me donna un autre bout de barre énergétique avant de revenir sur la Marque des Cinq.

— Que comptais-tu faire pour la contrer ?

— Exorciser la dernière gamine et improviser ensuite.

— Tu comptais sur l'influence de Michaël sur toi ?

— Non. C'est trop dangereux.

— Sans lui tu ne seras pas capable d'affronter ce qui t'attendra après la cinquième Marque. Tu en as conscience ?

— Je me débrouillerai. Perdre David m'a suffit. Je ne veux plus que ça recommence.

— Il porte le prénom de l'archange, argua-t-il.

— Ce n'est qu'un nom.

— La fille-chance sera aussi avec toi.

— Je ne peux pas compter sur la chance, elle est trop aléatoire.

— Mais si tu meurs...

— Si je meurs, le coupai-je, quel sera le premier endroit où Belzébuth ira, à ton avis ? Envahir la Terre compte moins que de régler ses comptes avec Satan. Une fois de retour en Enfer, leur lutte va reprendre durant des siècles, voire des millénaires, et il ne préparera une invasion que dans l'hypothèse où il parviendra à vaincre son ennemi juré. De toute façon, je ne suis qu'une prison temporaire. Que je meure maintenant ou dans cinquante ans, quelle différence ? Padre, je dois sauver l'âme de cette enfant et j'ai besoin de ton aide pour ça.

Père Luc souffla.

Au moins, il réfléchissait sérieusement à ma demande. Tout n'était pas perdu tant qu'il n'avait pas refusé.

— Alors ? demandai-je.

— Je crois que je deviens fou en vieillissant.

Il attrapa une clé dans l'une de ses poches et ouvrit mes fers.

— Attends que je sois parti avant de t'enfuir, conseilla-t-il. Mon implication sera soupçonnée mais pas évidente.

— Pars maintenant, dans ce cas.

Il me donna les barres énergétiques puis se leva.

— Que la Force soit avec toi, jeune padawan.

Je ris.

— Faut arrêter les Star Wars, padre.

— Jamais de la vie ! Ça, ça serait un péché, mon fils.

Cette fois, je ne fis aucune remarque. Père Luc me sourit, puis il s'en alla.

À moi de jouer !

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top