Chapitre 2
Donna – Étudiante en audiovisuel
J'adorais le mois de février ! Surtout quand il gelait dans la nuit, on avait toujours des journées ensoleillées idéales pour prendre de magnifiques clichés – c'était plus facile de se trimbaler un appareil photo qu'une caméra, non ?
J'accélérai le pas tout en rajustant ma grosse écharpe en laine autour de mon cou gracile. Mes longs cheveux bruns ondulaient sous mon bonnet et cascadaient sur mes épaules. Poussée par la basse température, je m'engouffrai dans un café au coin de la rue du Taur et de la place Saint-Sernin dominée par la magnifique basilique. J'adorais ce coin de Toulouse !
Je repérai mes amies du premier coup d'œil et les rejoignis. Sadia, belle black au summum de la classe à qui j'enviais sa longue chevelure lui frôlant les cuisses, et Amélie, une blonde énergique à la coupe garçonne, m'attendaient à une table près de la fenêtre. Je leur fis deux bises à chacune avant de m'asseoir avec elles et de frissonner toute entière à cause du changement de température.
— Ce week-end je fais de l'urbex, annonçai-je. Qui vient avec moi ?
Elles levèrent les yeux au ciel d'un même mouvement.
Sympa...
— T'as pas autre chose à photographier que des vieux bâtiments en ruine ? soupira Sadia.
— Pourquoi ? C'est génial l'exploration urbaine ! Selon où je vais je me fous les jetons toute seule, déclarai-je, fière de moi.
Sauf que mes camarades n'y voyaient rien de drôle. Elles étaient bizarres, des fois.
— D'accord, soupirai-je, vaincue. Qu'est-ce qu'il faudrait que je photographie pour que vous veniez avec moi ?
Elles échangèrent un regard complice avant de me fixer, visiblement d'accord :
— Des beaux mecs, les entendis-je répondre d'une seule voix.
— Vaste programme...
— T'as pas un devoir en cours ? se souvint Sadia.
— Pour lequel tu dois fournir une photo sans aucune retouche, rappela Amélie. Quoi de mieux qu'un beau mec pour te faire passer l'envie de modifier l'image ?
OK, elles marquaient un point. Ne restait qu'un problème.
— Et je les trouve où, les beaux mecs ? leur demandai-je. Parce que je vous rappelle que, contrairement à vous, mon radar à mâles attirants est en rade depuis pas mal de temps.
— À en juger par le seul copain que tu as eu en vingt ans, je dirais même depuis toujours, glissa Sadia.
Prends-toi ça dans les dents, Donna. Au moins, je ne risquais pas d'attraper la grosse tête avec ce duo-là.
— Et c'est justement pour ça, dit Amélie, que Sadia et moi-même nous proposons pour t'accompagner dans le métro, le bus ou...
— La basilique, la coupa Sadia dont le regard était rivé dehors.
Amélie et moi tournâmes la tête vers l'extérieur : un beau brun en jeans portant un manteau de motard noir traversait la place. Il émanait de lui une aura étrange, peut-être parce qu'il se tenait bien droit et que sa démarche était fluide, presque féline ? Ou peut-être pour autre chose...
— On bouge, me pressa Sadia, déjà debout.
— Mais j'ai même pas commandé mon café ! protestai-je.
Sans tenir compte de mon regard de chien battu, elle m'attrapa par le bras pour me faire lever et me tira derrière elle. Cette fille n'avait pas de cœur, c'était obligé !
— Je vous rattrape, lança Amélie qui s'occupa de leur addition.
Un peu dépitée par la tournure des événements, je laissais mon amie me guider à la suite de notre proie – comment l'appeler autrement... Le pauvre. Je songeais distraitement que tous les beaux garçons de la ville avaient de la chance que mes amies ne soient pas passionnées par la photo et que moi, je préfère les vieilles demeures abandonnées à leur postérieur alléchant. D'ailleurs, celui qui nous précédait était franchement pas mal ! Finalement, les filles avaient peut-être eu une bonne idée.
Tout en marchant à côté de Sadia, j'ôtai le cache de l'objectif et allumai mon appareil dès qu'un commerçant héla notre inconnu. Amélie nous rejoignit dans l'intervalle. Nous nous arrêtâmes toutes trois à quelques mètres pour ne pas être repérées. De profil par rapport à nous, les deux hommes parlaient sans faire attention à notre présence. J'apportai mon appareil à mon œil et zoomai. Dans la trajectoire de mon objectif, je remarquais qu'une haute glace sur la devanture du commerce renvoyait le reflet du beau brun, me permettant de le voir en entier. Je détaillais l'homme et la première chose qui me frappa fut la capacité expressive de son visage un peu carré portant une fine moustache courte.
Ses lèvres pleines soit s'étiraient en un sourire ravageur dévoilant ses dents blanches parfaitement alignées, soit esquissaient des mimiques montrant la palette impressionnante de ses expressions faciales. Sonregard n'était pas en reste, avec ses beaux yeux sombres. Ils étaient surmontés par des sourcils dessinés, témoins parlants de chacune de ses émotions.
En à peine quelques secondes, je vis son visage sérieux, déconneur, attentif et peiné : un miroir parfait de la conversation qu'il entretenait avec le commerçant. Ce dernier, en comparaison, me sembla impassible et froid alors qu'en d'autres circonstances, je l'aurais sans doute trouvé normal. Mais pas à côté de mon fascinant inconnu. La théorie de la rétroaction faciale ne s'appliquait pas du tout à lui.
Mon esprit formaté à voir à travers une caméra imagina des mises en scènes tantôt joyeuses, mélancoliques voire sensuelles. Ce mec ferait un malheur devant n'importe quel objectif !
Mon modèle involontaire s'alluma une cigarette. J'en profitais pour prendre quelques photos en rafale. Je regardais ensuite le résultat sur l'écran et une prise en particulier attira mon attention : le plan rapproché poitrine, la rougeur de la cigarette, la netteté des tatouages sur ses mains, la lumière sur le bracelet et le reflet impeccable dans la glace, tout était parfait !
Du coin de l'œil, je vis Amélie repartir en même temps que l'inconnu. Je la rattrapai au vol.
— C'est bon, j'ai ce qu'il faut !
— Déjà ? s'étonna-t-elle, déçue.
— Si vous m'aviez laissé le temps de boire mon café, je vous aurai accompagnées encore un peu. Mais là je suis en manque de caféine à cause de vous.
— Si tu avais bu ton café, tu n'aurais jamais eu ta photo, ma petite Donna Lewis, me rappela Sadia dans un sourire moqueur.
— Je ne m'appelle pas Lewis !
La chanson « I love you always forever » était la préférée de ma mère. À ma naissance, elle n'avait rien trouvé de mieux comme prénom que celui de son interprète. Une chance pour moi, la chanson étant plus connue que la chanteuse, j'avais eu droit à une avalanche de « Donna comme Donna Summer, la reine du disco ? » C'était quand même autrement plus classe !
— On ne continue pas, alors ? me demanda Amélie. J'ai même pas pu en profiter.
Comme mes amies, je suivis des yeux la silhouette de l'homme qui s'éloignait.
— Café, répondis-je simplement, mettant fin à ses espoirs.
— Puisque tu nous invites, on accepte, sourit Sadia.
Je lui jetai un regard outré, elle laissa échapper un éclat de rire qui s'éleva dans l'air hivernal. Le froid rougissait mes joues et mes mains, pourtant je l'adorais et il n'y avait rien de plus vivifiant qu'une balade entre amies dans la Ville Rose par un temps aussi magique.
Après avoir trié mes photos du bel inconnu, j'avais sélectionné la meilleure, celle qui m'avait tapé dans l'œil quand je les avais regardées sur mon appareil. C'était marrant, le beau gosse avait exactement la même tête de mort tatouée sur le dos des deux mains, mais celle sur la droite avait les orbites et la cavité nasale bleues tandis qu'elles étaient rouges sur l'autre. En tout cas, de chaque côté, le tatouage semblait continuer sur les avant-bras.
J'adorais les mecs tatoués !
Une fois le cliché imprimé sans aucune retouche et ma note d'intention rédigée, j'avais tout donné à ma prof le lendemain, certaine que mon travail allait la bluffer !
Quand elle nous les rendit une semaine plus tard, je découvris un beau « 7 » en rouge sur ma note d'intention. La mâchoire faillit m'en tomber. J'insultai copieusement ma prof dans ma tête dans les trois langues que je connaissais avant de raisonner mon ego blessé : il devait y avoir un souci. Pour savoir lequel, j'allais la voir à la fin du cours quand toute ma classe fut sortie.
— Madame Perez, l'abordai-je. Je ne comprends pas ma note. J'ai pourtant respecté les consignes.
Elle me fixa, un sourcil sceptique levé.
— J'avais demandé une photo brute. La tienne est retouchée.
— Je vous assure que non, objectai-je. Je n'ai même pas touché la chromie.
— Passe, ordonna-t-elle, la main tendue.
Je la lui donnai puis contournai son bureau pour me placer à côté d'elle afin de voir ce qu'elle me montrait. Avec son stylo, elle attira mon attention sur le reflet de l'inconnu.
— J'ai failli te donner la meilleure note car la photo est géniale. Mais j'ai remarqué ça, dit-elle en tapotant un point précis du reflet. Franchement, Donna, si tu veux tricher, ne sois pas trahie par une erreur aussi grossière.
J'écoutai à moitié ce qu'elle me disait car je n'en croyais pas mes yeux – qui devaient, à cet instant, être aussi ronds et grands que l'était ma bouche. Sur le cliché, l'homme ne portait pas le bracelet à son bras droit, mais au gauche.
Je clignai des paupières.
Non, je n'avais pas rêvé. Même en prenant en compte qu'un reflet était toujours inversé, ça ne collait pas. S'il était au bras qui tenait la cigarette sur l'homme, il devait être sur le même bras dans le reflet. Là, il était à celui tenant le briquet. Ce bracelet n'était définitivement pas au bon endroit. Pas étonnant que ma prof croit à de la tricherie.
— Ce que je ne comprends pas, reprit la femme en me tendant le cliché, c'est pourquoi tu as fait ça.
Je me redressai, incrédule.
— Je n'ai pas retouché cette photo et personne n'a pu le faire, répondis-je plus pour moi que pour elle. Je l'ai imprimée sur ma propre imprimante le soir même où je l'ai prise.
Une indicible excitation commença à me gagner.
— Si ce n'est pas toi qui l'as retouchée, quelqu'un a dû le faire.
— Ou alors..., commençai-je. Ou alors, c'est que je tiens un mystère super bizarre à résoudre ! Madame Perez, je vous adore !
Je me retins de l'embrasser, préférant m'éclipser. La hâte de raconter tout ça à Sadia et Amélie me donna des ailes dans les couloirs de l'école. Durant le trajet qui me ramena à mon minuscule studio sous les combles, j'échafaudais tout un tas de théories plus fumeuses les unes que les autres. Toutefois, j'avais une certitude : il fallait absolument que je retrouve ce type !
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