Chapitre 16 - Partie 2
Nathan – Saint exorciste
Chevalier de l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem
J'avais perdu la notion du temps. La seule chose dont j'étais certain était qu'il faisait nuit, que j'étais allongé sur mon canapé d'angle et que Tit veillait, assis à mes pieds. J'avais repoussé la couverture jusqu'à mes hanches pour que l'air frais me tienne éveillé car les Ombres glissaient sur les murs dans des frottements lugubres. Elles n'osaient pas approcher à cause du domovoï mais je sentais leur haine dégouliner sur le sol.
Un esprit des maisons n'était jamais plus fort que dans son propre foyer sur lequel il avait tout pouvoir. Pénétrer sur son territoire était courir le risque de subir ses foudres, qui ne se résumaient pas à un jeté de vaisselle. Même les Ombres le savaient. Voilà pourquoi elles tournaient autour de moi en espérant que mon protecteur finirait par se lasser et par vaquer aux tâches qui l'occupaient d'ordinaire toute la nuit.
J'entendis soudain la porte s'ouvrir. Les Ombres prirent la fuite et Tit glissa sous le canapé. Je ne gardais pas de souvenirs très nets de ce qu'il s'était passé après l'exorcisme. Des visages me revenaient en mémoire par flash, dont celui de Donna, tantôt paniqué tantôt amical. Ce devait être elle.
On alluma la lampe posée à l'entrée. Une seconde après, Donna se pencha sur moi en enlevant son blouson.
— Ça va ? demanda-t-elle sur un ton bas.
— Je récupère.
J'étais presque aphone. Je me raclai la gorge bien que peu convaincu par le résultat.
— C'est bien. Je vais te préparer un truc à manger.
— Je n'ai pas faim.
— Je ne te demande pas ton avis.
Elle me sourit puis fila à la cuisine. Je fermai les yeux pour les reposer un peu en attendant qu'elle revienne. Ce fut alors que je sentis une autre présence à côté de moi. Quand je rouvris les yeux, ils accrochèrent ceux de Michaël.
Une douleur vive mais brève compressa ma poitrine et contracta brusquement tous mes muscles.
Michaël me détaillait en silence tandis que je guettais sa réaction. Mon air surpris ne dut pas lui échapper puisqu'il m'expliqua être le chauffeur de Donna pour la soirée.
Un silence s'installa, seulement perturbé par l'entreprise de l'étudiante. Michaël semblait ne pas savoir quoi faire, alors il s'assit à côté de moi. Son attention passa de mon visage griffé au tatouage sur ma poitrine. Sans dire un mot, il posa une main sur la croix située au-dessus de mon cœur et en suivit les lignes.
— La texture pierre et l'effet 3D sont bluffants, remarqua-t-il. Tu les as fait faire par qui ?
— Un tatoueur de la Cour des Miracles.
— Ça a un rapport avec la chevalière dont t'a parlé le prêtre et que tu es censé porter ? C'est bien la croix d'un ordre chrétien, non ?
J'hésitai à lui répondre.
— Il me suffirait de chercher la devise sur le Net, je suis sûr que je trouverais des infos, ajouta-t-il.
— C'est l'Ordre de Saint-Jean de Jérusalem.
— Tu en fais partie, alors ? C'est pour ça que tu ne veux pas parler de toi ?
Je ne répondis pas. J'avais peur de le faire. Peur que cela enclenche un engrenage infernal qui lierait Michaël à cet univers démoniaque. J'avais vu mourir assez de gens autour de moi, je ne voulais plus connaître le deuil de personnes chères.
Michaël posa sa main sur mon cœur. Il fronça les sourcils d'étonnement.
— Il bat pas un peu trop doucement ?
Il se tut un instant pour se concentrer.
— Il est à cinquante battements par minute. T'as vu un médecin ?
Heureusement que oui, sinon mon cœur aurait déjà lâché tellement l'exorcisme l'avait fatigué.
— Nathan, je suis capable de garder des secrets.
C'en était assez. J'attrapai sa main posée sur mon torse dans l'intention de le repousser. Dès que nos peaux rentrèrent en contact, une brève décharge électrisa nos doigts. Si Michaël poussa une exclamation de surprise, l'électricité contracta tous mes muscles et me fit gémir de douleur.
Donna arriva en courant.
— Qu'est-ce qu'il y a ?! paniqua-t-elle.
— On a pris le jus, répondit Michaël.
— Nathan ?
Elle voulait savoir si l'interprétation de Michaël était exacte ou si quelque chose de moins « banal » venait d'arriver. Mais je n'avais pas la réponse. La décharge avait été trop puissante pour de la simple électricité statique. J'étais pourtant incapable de dire ce qu'il s'était réellement passé. C'était peut-être un simple résidu de l'énergie utilisée durant l'exorcisme.
Ou autre chose.
Quoi qu'il en soit, Donna n'avait pas besoin de savoir, alors je confirmai la version de Michaël d'un signe de tête. Soulagée, elle retourna terminer mon encas.
— Je te ferai des courses demain, lança-t-elle depuis la cuisine. Ton frigo est vide.
— J'ai pas besoin de toi, râlai-je.
Ma voix était tellement faible que même Tit, toujours caché sous le canapé, n'avait pas dû m'entendre.
— Je crois qu'elle t'a adopté, me dit Michaël. Au début je pensais que tu lui foutais les jetons. Faut croire que je me suis trompé.
Je lui faisais réellement peur, il n'y avait pas si longtemps. Son comportement avait changé depuis l'exorcisme de Camille où elle s'était montrée très protectrice, si mes rares souvenirs étaient fiables.
J'avais horreur qu'on me prenne en pitié, mais je devais avouer qu'elle me rendait bien service. Une fois que j'aurais tiré cette histoire au clair, je couperai les ponts avec elle. Avant, j'aurais certainement besoin de son aimant à chance.
J'étais claqué. La chaleur du corps de Michaël réchauffait mon flanc droit et savoir qu'il gardait les yeux rivés sur moi me rassurait. Je fermai mes paupières alourdies par ma faiblesse. Débarrassé des Ombres, je me sentais en sécurité et la bonne odeur de bouillon qui parvint à mes narines réveilla mon appétit.
Je savourai cette fragrance alléchante quand je sentis les doigts de Michaël effleurer mon visage. Un bien-être intense se diffusa dans tout mon corps. Quand son pouce frôla une entaille sur mes lèvres, j'ouvris les yeux.
Seigneur, qu'il était beau, votre archange.
— C'est prêt ! annonça Donna.
Michaël retira sa main, créant un vide immense en moi. Il se leva pour céder la place à son amie lorsqu'elle nous rejoignit, un bol rempli dans les mains.
— C'est chaud, prévint-elle en s'asseyant sur le canapé. Ouvre la bouche.
Elle mima son propre ordre. Je la regardai de travers. Elle ferma la bouche.
— Je peux manger tout seul, assurai-je.
— Tu peux bouger ?
Je me redressai pour toute réponse, non sans grimacer et gémir. Une fois assis correctement, et un peu essoufflé, elle posa le récipient dans mes mains.
— Ça va aller ? insista-t-elle.
— Oui. Rentre chez toi et viens demain en début d'aprèm.
— Je peux rester là si...
— Dehors, la coupai-je d'une voix ferme.
Elle comprit que l'ordre était sans appel. Un peu déçue par ma réaction hostile après tout ce qu'elle avait fait pour moi, elle baissa la tête et se rhabilla pour sortir. Michaël ne m'accorda pas un regard et quand ils partirent, des frottements macabres longèrent les murs.
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