Chapitre 9 : Se battre contre sois-même

Sous mes paupières closes se dessinait un paysage mental. Un mince filament argenté brillait, aussi frêle qu'un fil de soie. Au milieu de l'obscurité, il n'était pas évident, malgré l'urgence, de savoir ce qu'il faut faire.

« J'arrive petit dragonnier. »

Autour du filament gris, un autre, couleur Or, vint s'enrouler jusqu'à former un unique filament d'un blanc incandescent, tendu comme un arc. La conscience de mon compagnon rejoignait la mienne. L'obscurité paraissait moins dense et dans l'ombre, je pus diriger le filament vers la source des maux. Il semblait épuisé. Mais c'est dans sa moelle épinière que l'ombre se terrait. L'ombre semblait la ronger petit à petit. Nous n'avions pas d'autre choix que de plonger dans l'obscurité. À peine entrer ma conscience s'écrasa sous le poids des ténèbres. Je sentis deux mains me tirer en arrière. Si Soliane n'avait pas lié son filament au mien, ma conscience se serait surement déchirée en deux.

- Ça va ? tu te sens comment ? s'inquiéta le doc, on te sentait partir aussi, tu étais en train de devenir froid.

- J'y retourne, je sais à quoi m'attendre.

- Sois prudent Jolan, m'intima Charlie, tu vas y arriver.

Nous replongions avec Soliane, les ténèbres étaient oppressantes mais la surprise passé c'était supportable. Plus de joie, plus d'espoir, tout le bonheur avait disparu.

« Appelle-le, peut -être. » conseilla Soliane.

« Ester ! Es-tu là ? »

Un nouveau filament, apparu devant nous. D'un bleu profond, il n'y avait aucun doute sur son origine. Ce filament aussi fin qu'un cheveu, sur le point de se rompre, c'était celui d'Ester.

« Vite Lassa ! »

Notre filament eu à peine le temps de s'enrouler autour de celui d'Ester que celui-ci se rompit. J'avais l'impression qu'on essayait de déchirer mon esprit.

« Ester ! Reste avec nous ! » appelais-je à nouveau.

« Pourquoi faire ? Je suis le pire des apprentis, et le pire des dragonniers. Otil trouvera quelqu'un de mieux. C'est un dragon génial, et je n'ose pas le regarder en face. Laisse-moi donc partir. »

La pression sur ma conscience se faisait de plus en plus forte. Combien de temps allait-on tenir ici ? Il fallait tenir, nous n'avions pas le choix.

« Tiens le coup petit dragonnier ! »

Notre filament se resserrait autour des deux morceaux d'Ester qui tentaient de s'échapper. Hors de question de repartir sans lui.

« Ne dis pas n'importe quoi ! C'est l'ombre qui te fait dire ça ! L'apprentissage n'a commencé que depuis deux semaines ! Tout est encore à faire ! »

« Jolan, laisse, c'est mieux comme ça. Je vais retrouver ma petite sœur. Tout ira bien pour moi. Il fait si froid ici. Laisse-moi donc. Je suis heureux de t'avoir connu et d'avoir pu attirer ce froid loin de toi. »

Je sens des gouttes de sueur perlées tout autour de mon visage. Ma conscience luttait pour me sortir des ténèbres. Nous devions tenir encore un peu. Il fallait chasser l'ombre.

« Ne dis pas n'importe quoi. Écoute, peut-être que c'est toi le gardien, mais dans notre amitié, nous devons nous protéger mutuellement. Ester, je ne sais pas ce qu'il s'est passé avec ta sœur, mais aujourd'hui, des gens ont encore besoin de toi. Tu ne peux pas laisser Otil. Lorsqu'un dragonnier meurt, son dragon risque le même sort sous le coup du chagrin. Tu dois vivre. »

« Je n'ai pas le droit de laisser Otil. »

Le filament s'étirait de nouveau. Petit à petit, très lentement, les deux bords du filaments rompus se rapprochèrent l'un de l'autre.

« Je serai lâche. Je m'appelle Ester, je viens du royaume d'Alizée, et j'ai la chance immense d'être le cavalier d'un dragon magnifique du nom d'Otil. »

Les deux bords du filament se touchaient, et Soliane me demanda de retirer notre filament. À l'instant où notre filament se séparait du sien, celui-ci se souda enfin de nouveau. Il brillait faiblement, mais au fur et à mesure qu'Ester parlait, la lumière gagnait en intensité. Comme un écho, notre filament blanc émettait une lueur de plus en plus forte. Ester criait presque.

« Je m'appelle Ester, le maitre de la lumière Jolan est mon Mona. Otil et moi sommes liés, ma maitrise de l'eau l'aidera à combattre sa peur ! Je suis en apprentissage à la guilde des dragonniers ! Je suis un dragonnier. »

Il n'avait plus besoin de nous, il ne persistait aucunes trainées d'ombres dans son esprit. Ester était revenu parmi nous et nous avions chassés l'ombre de son corps. Une minute, si l'ombre n'était pas dans son corps, où était-elle ?

Deux mains me tirèrent en arrière. Au-dessus de Charlie et du doc qui m'avait ramené, l'ombre. Visible uniquement grâce à un vêtement bleu, elle me fixait.

- Un enchainé, souffla le doc Roran.

Mon corps luisait toujours d'un halo de lumière blanche, bien plus faible qu'avant d'entrer dans l'esprit d'Ester. En me concentrant sur l'ombre enroulé dans ce tissu bleu, deux yeux rouges affrontaient nos regards. Immédiatement j'essayais d'établir un contact télépathique avec cette créature.

« Qu'est-ce que vous cherchez ? »

Pas de réponse.

« Je sais que tu m'entends. »

« Toi. »

« Pourquoi ? »

« Tu es le garçon fée. Nous avions presque réussi à te prendre dans cette clairière, mais tu es déjà trop conscient. Tu as déjà un gardien, nous avons échouer. C'est trop tard pour lui. »

« De qui vous parlez ? »

« Il nous est impossible de te le dire. »

« Voulez-vous ma mort ? »

« Non, il te veut vivant. Il utilise nous autres, les enchainés pour t'amener à lui. Il ne sait pas où tu es. Mais impossible pour nous de désobéir. »

Un silence s'en suivit. L'ombre se tortillait, le vêtement bleu se tordait dans tous les sens. Cette chose, cet enchainé semblait lutter.

« Aide-nous. Cherche le peuple de l'ombre. »

Puis il se figea.

« Comment savoir si je dois vous faire confiance ? Vous avez essayé de me faire tuer mon dragon et mon ami. »

L'ombre attendait quelque chose. Son regard pourpre me dit frissonner.

« Tu es encore trop jeune, trop faible et trop ignorant. Dépêche-toi, c'est ton rôle garçon fée. Nous t'attendions. Il nous rappelle. Un jour, nous te rappellerons à l'ordre. Estime-toi prévenu. »

« Je serai prêt. »

L'enchainé perdit son vêtement bleu et comme un serpent se glissa dans mon front, une migraine me foudroya et l'ombre déjà ressortait et s'enfuit.

« Tu as sauvé mon cavalier. Merci petit dragonnier. »

Otil me tirait de mon malaise, à l'aide de petites vagues d'énergie cumulés avec des vagues d'apaisements. Sa maitrise du sujet était de loin supérieur à celle de Soliane où la mienne. Je pus rouvrir les yeux pour regarder Charlie et le doc toujours assis par terre. Charlie se remit sur ses pieds et me tendit une main que je saisis. Le doc souffla puis ramassa Orion avant de me le tendre. Autour de nous, seul Camélia et Jo encore à l'infirmerie avaient été réveillés et témoins de ce qu'ils venaient de se passer. Charlie s'approcha de Camélia et s'assit sur son lit pour la rassurer. J'aidais le doc à remettre Ester sous les couvertures. Pourquoi ne s'était-il pas réveillé ? Devant mon air inquiet il expliqua avec un sourire :

- Il dort juste. Son énergie est à plat. Il sera sur pieds après un gros dodo.

Le vocabulaire employé nous fit tous sourire et détendit l'atmosphère. Le soleil perçait derrière les rideaux. L'aube pointait le bout de son nez. Je m'assis sur le bord du lit de Jo.

- J'ai appelé les autres, intervint Charlie qui tenait toujours Camélia dans ses bras. Ils ne devraient pas tarder à nous rejoindre.

- Ils sont tous déjà réveillés ? Demandais-je.

- Non, j'ai un peu forcé pour les tirer de leur sommeil.

Jo semblait très nerveux. Il n'arrêtait pas de d'effleurer la cicatrice qui barrait son œil gauche et de maltraiter ses cheveux blonds. Je lui envoyais une vague d'apaisement et il s'éloigna sur le bord opposé du lit.

- Jo, demandais-je tout bas pour éviter que les autres entendent, tu maitrises plusieurs éléments aussi ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles. Tu as vu la sélection, je suis électrique.

Il n'y avait aucune raison d'insister. Il ne voulait pas en parler et risquait de se braquer. La porte de l'infirmerie s'ouvrit laissant entrer Kira, Elwin et les jumeaux, les deux maitres de la glace nous rejoignirent quelques minutes plus tard. Elwin croisa mon regard et croisa les bras. Il savait. Charlie s'était relevé et Kira avait pris Camélia dans ses bras.

- Pourquoi nous faire venir à l'infirmerie avant le petit déjeuner Charlie ? demanda Garance qui tressait ses cheveux. Nous tirer du lit comme ça devrait être sanctionné, tu devrais être jeté en pâtures aux élusims.

- Il faut qu'on mette quelque chose au clair avant le début des cours.

Ses yeux couleurs de rouille me perforaient du regard. Je me levais.

- Il y'a quelque chose qu'il faut que je vous dise. Enfin plusieurs choses. Vous pouvez vous assoir, ça risque d'être un peu long.

Garance et Côme s'assirent sur le lit de Jo, mais les autres restèrent debout, en dehors de Kira qui coiffait Camélia.

- Dans la salle de détection, vous avez tous vu mon aura.

- Bien sûr, me coupa Garance, tu es un irrégulier comme Camélia.

- Ce n'est pas le cas, contredis Elwin.

- Tu sais ce qu'il va nous dire ? demanda Côme.

- Simple déduction. Arrêtons de le couper.

Je le remerciais d'un signe de la tête.

- Je tiens d'abord à vous présenter des excuses. Si les ombres, ou les enchainés, nous ont attaqué nous et nous seuls lors du défi, c'est de ma faute. C'est moi qu'elles cherchaient.

- On ne voyait que de l'obscurité. Comme des nuages de fumées. Qu'est-ce que c'est un enchainé ? demanda Côme.

À la surprise générale, c'est Camélia qui nous donna de précieuses explications.

- Les enchainés sont des âmes de... mages, qui sont restés attachés à la terre à leur mort par deux émotions précises, la colère et la tristesse. Ce sont des créatures qui repoussent toute lumière. Elles sont comme d'obscurité enroulées dans un tissu bleu. La légende raconte que sous les mains d'un mage très puissants, ils quittent leurs vêtements bleus pour lui obéir, quelques soit ses desseins. On dit aussi que quiconque croise leur regard rouge comme la colère, se retrouve frapper de la malédiction du peuple de l'ombre.

Un silence suivit son récit. Bien que Camélia ai précisé qu'il ne s'agissait que d'une légende, je ne pouvais m'empêcher de frissonner. Pourtant, l'ombre avait réussi à revêtir son habit bleu. La malédiction du peuple de l'ombre...

- Je suis un maitre de la lumière, c'est la raison qui pousse ces enchainés à mes trousses. Celui qui les contrôlent me cherche. J'ai parlé avec l'enchainé.

Passant sous silence le surnom duquel m'avait affublé pour une raison inconnue, je leur résumais la conversation. Kira se leva et posa un genou à terre.

- Si tu es un maitre de la lumière, cela fait de toi notre supérieur à tous.

J'étais trop choqué pour réagir. C'est Elwin qui prit la relève. Il se dépêcha de relever Kira et tous deux se fixèrent dans le blanc des yeux pendant quelques secondes. Puis il prit la parole :

- Kira vient du royaume de Kona. Ses habitants sont des soldats, ils se mettent aux services de ceux qui sont plus forts qu'eux, expliqua-t-il.

- Désolé, c'était un réflexe, loin de moi l'idée de te mettre mal à l'aise.

Je me confondais en excuse aussi et elle se rassit à côté de Camélia qui lui prit la main. Elle semblait très proche. Puis je continuais mon récit, depuis la clairière à aujourd'hui. Ma seule présence les mettait en danger, il m'était interdit de leur cacher quoique ce soit. Ni mon amnésie, ni la présence des ombres dans mon passé. Ce monde que j'ai quitté n'étais pas le mien, c'est une certitude. Ma maison est ici, dans ce monde, je n'ai aucune envie de retourner là où j'ai grandi.

- Tu vois Kira, je suis faible. Faible par l'âge, l'ignorance, l'amnésie, l'inexpérience. Je ne sais même pas comment utiliser ces pouvoirs. Vous êtes libres de me demander de partir, vous pouvez en parler à qui vous voulez, je n'ai rien le droit de vous demander.

C'est Camélia qui m'attrapa la main, toujours assise dans son lit, pour m'attirer contre elle. Elle sentait bon.

- Nous sommes un groupe et tu en fais partie. Tu n'as pas eu de chance toi non plus par le passé. Ensemble, faisons un futur radieux.

Pas le temps de demander ce qu'elle voulait dire par là, Kira passa sa main dans le dos de Camélia, Ilyès, ou Rayan, difficile encore de les différencier, attrapa son frère et Charlie vint passer sa main autour de nos épaules. Garance dans les bras de son frère, c'est Jo qui surprit tout le monde en sortant de ses draps pour sauter sur le dos d'Elwin.

- Tu m'étrangle, dit-il avec peine.

Je ris de bon cœur. C'était une certitude, même avec le peu de souvenirs que j'avais récupéré. C'était ici chez moi, et eux mes compagnons. La lame de glace commençait à fondre doucement.

- Ce n'est pas tous les gosses, mais il est bientôt l'heure de prendre votre petit déjeuner. Il est hors de question d'ailleurs qu'un seul d'entre vous se retrouve de nouveau dans un de mes lits ce soir. Est-ce bien clair ?

Nous répondions tous par l'affirmative. Tout le monde se leva et Charlie surveillait attentivement Camélia. D'un coup d'œil dans la pièce je cherchais les trois créatures qui étaient mes nouveaux compagnons. Vague, le petit dragon d'eau semblait veillé attentivement sur Ester et Remus, le petit louveteau gris trottait entre les jambes de Camélia. Le chef de la guilde avait raison, les boucliers étaient faits pour veiller dans l'ombre, je n'avais aucuns soucis à me faire vis-à-vis de leur présence. Braise me fit sursauter au moment où il se posa sur mon épaule. Charlie prend la tête du groupe, je m'approchais d'ester qui dormait paisiblement et nous sortons tous de l'infirmerie.

Nous discutions distraitement en marchant jusqu'à la grande salle. J'enfilais mon pull qui était resté à l'infirmerie et Camélia attachait ses longs cheveux verts, tressés par Kira en un chignon retenu par un cordon de cuir.

Rayan et Ilyès marchaient un peu en retrait et se disputaient pour savoir lequel des deux étaient l'ainé. Côme qui marchait juste à côté de moi souffla et passa la main dans ses cheveux blonds. Bien que je ne sois pas très grand, il était sensiblement plus petit et ses traits étaient aussi fins que ceux de sa sœur.

- Encore à se disputer pour ça, souffla-t-il. Ils doivent se prendre la tête depuis vingt-deux ans à ce sujet.

- Vingt-et-un ans seulement, corrigea Garance, à moins que nos princes du désert n'aient parlé avant de marcher.

Garance était loquace, elle m'expliquait que Elwin et Kira était les ainés du groupe et avait respectivement vingt-quatre et vingt-trois ans. Quant aux jumeaux, ils avaient le même âge que les princes du désert.

- Elwin porte des lunettes pour protéger ses yeux, ils sont ultrasensibles a environ tout : la lumière, le vent, la poussière, le pollen...

- Tu ne vas pas prendre froid ? lui demandais-je en voyant qu'elle ne portait qu'une chemise.

- Mais non ne t'inquiète pas. Côme et moi avons grandis sur les terres gelées de borée, alors le froid est notre amie.

Jo et Elwin était plus proche qu'on pouvait le penser au premier abord. Il n'arrêtait pas de le taquiner. Garance m'expliquait, toujours aussi bavarde, qu'il était l'ainée d'ester d'un an seulement, ce qui faisait de lui le quatrième plus jeune du groupe. Elle m'expliquait aussi qu'il ne valait mieux pas l'interroger sur sa cicatrice, il ne voulait pas en parler. Nous arrivions devant la grande salle et Charlie s'arrêta pour s'arrêter à ma hauteur. Il était en train de nouer sur son front, un bandeau de tissu noir pour retenir les mèches des cheveux qui lui tombaient devant les yeux. Nous nous installions tranquillement à table pour déjeuner. Elwin se laissa tomber sur le banc à côté de moi, et attrapa distraitement un fruit et un verre. Une bonne demi-heure plus tard, maitre Anila arriva dans notre dos et me fit sursauter.

- Où est Ester ? demanda-t-elle.

Je croisais le regard de Charlie qui prit la parole.

- Il n'est pas très en forme, messire Roran le garde pour la journée.

- Je m'en doutais un peu. Devenir gardien est épuisant les premiers temps.

Elle nous demanda ensuite de la suivre. Sur le chemin, nous croisions un groupe d'apprenti qui suivait un véritable colosse vêtu d'une tunique bleu. Il salua maitre Anila et je croisais le regard d'un des apprentis qui le suivait. Petit et avec des lunettes il parlait avec un garçon brun qui regardait le sol, l'air blasé et les mains dans les poches. Le groupe bleu contenait une vingtaine de personnes. Et au milieu, trottait deux créatures, une sorte de renard qui portait un oiseau à l'apparence gelée sur son dos, sûrement des boucliers élémentaires. Personne ne semblait y faire attention. Les trois nouvelles créatures de notre groupe n'attireront donc pas vraiment l'attention. Après deux mots échangés avec ce colosse de deux mètres, nous traversions la grande cour pour en rejoindre une plus petite. Un cabanon en bois dans le fond, des cibles sur le côté gauche, des balles lourdes d'entrainement, c'était la cour où nous nous étions entrainés à la télékinésie. Elle était séparée de la grande cour par un muret en pierre surmonté de colonne de pierre.

- Ce matin, entrainement physique, formation combat, j'espère que vous êtes bien reposé. Un des membres du conseil a émis le souhait d'assister à votre entrainement du matin. Maitre Tom devrait donc arriver dans la matinée. Faites donc honneur à sa présence, peut-être choisira-t-il un d'entre vous comme apprentis.

- Maitre Anila ?

- Oui Jolan.

- Les. Maitres choisissent-ils toujours des apprentis qui maitrisent le même élément qu'eux ? demandais-je.

- En général oui, mais ce n'est pas une règle stricte. C'est d'autant plus vrai que certains apprentis, un peu hésitant mettent plusieurs années à déclarer leur élément. Mais en général c'est le cas. Maintenant posez donc tout ce qui pourrait vous déranger sur le muret.

Voyant les autres poser leur veste, je décidais d'en faire autant. Il ne me restait qu'à suivre le mouvement. Maitre Anila demanda qui nous avions désigné comme chef de groupe. Charlie leva la main et elle lui demanda s'il avait retenu le chemin qu'il avait emprunté au début de chacun des entrainements. Il hocha la tête et maitre Anila le chargea de conduire notre course d'échauffement.

Il quitta la cour d'une foulée modérée et nous le suivons. L'appréhension de courir en botte disparut vite. La semelle plate était bien plus souple que ce que je pensais. Quand nous sortons de la guilde pour monter sur les collines, j'avais réussi à trouver mon rythme et courait tranquillement à côté de Charlie. L'air était encore froid en cette saison et nous brulait les poumons.

- Heureusement qu'Ester n'est pas là, il déteste courir, dit-il le souffle court.

- Je croyais que personne ne lui avait vraiment parler ? avouais-je.

- Ça ne fait que deux semaines que nous avons commencé la formation, s'excusa-t-il. Tu n'étais pas là le premier jour, on nous a mis un bon coup de pression pour nous faire comprendre que devenir apprentis n'était pas donner à tout le monde la première année. Mais à vrai dire, je m'en veux quand même un peu de l'avoir laissé à l'écart, avoua-t-il.

- Cela ne t'a pas empêché de voir qu'il n'aimait pas courir.

- Enfin baste, aujourd'hui nous sommes un groupe, on ne laissera personne derrière. Viens, allons motiver les retardataires.

Nous ralentissions un peu et Kira qui se baladait vu notre vitesse de course nous doubla immédiatement. Elwin suivait tranquillement et dans un silence impressionnant, c'est tout juste si nous l'entendions respirer. Garance, Côme et Jo était un peu à la traine derrière le reste du groupe.

- Jo, tu ne vas quand même pas laisser Elwin te distancer ? lança Charlie.

Cela suffit pour motiver Jo qui allongea sa foulée. Charlie prit Garance par la main et me fit comprendre d'un signe de tête d'aider Côme encore plus loin derrière. Alors que je rejoignais Côme, les autres disparurent derrière la colline pour redescendre vers la guilde. J'allais poser ma main dans le dos de Côme quand il fit un pas sur le côté avant de chuter.

- Ne me touche pas !

Si Côme n'avait pas l'air de bien m'apprécié dès le début, son attitude m'étonna tout de même. Charlie se pointa en haut de la colline.

- Tout va bien ? cria-t-il.

- Oui, on vous rejoint ! répondit Côme alors que Charlie disparaissait de nouveau derrière la colline.

Il avait le souffle court et se tenait le torse. Il suffoquait presque, sa poitrine se soulevait à peine. Je m'approchais pour faire essayer de l'aider en lui proposant de s'allonger.

- Reste loin, ce n'est pas contre toi, tête de pioche. Tu ne peux juste pas comprendre, mais c'est normal, laisse-moi juste cinq minutes.

Le col entrouvert de son vêtement, laissait entrevoir un autre tissu sous sa tunique. Voyant mon regard, il referma sa tunique et me fusilla du regard.

- Et avant que tu demandes, il est hors de question que je desserre cette bande, laisse-moi gérer d'accord ? Tu ne peux pas comprendre.

En réalité, je croyais avoir compris, Garance et lui se ressemblait comme deux gouttes d'eau, ce qui ne devrait pas être le cas. Sauf s'ils sont de vrais jumeaux, mais dans ce cas... Je tendais la main à Côme pour le relevé. Il écarquilla les yeux.

- Tu as compris ?

- Je peux me tromper.

- Non, ricana-t-il, je ne crois pas. Je suis un garçon d'accord ?

- D'accord.

- J'ai juste... juste pas le bon corps. Ne le dis à personne. Compris, tête de pioche ? Ça reste ici derrière cette colline.

J'hochais la tête et nous reprenions notre course. Ma main dans son dos, j'essayais de le pousser légèrement pour l'aider. Juste avant d'entrer dans la grande cour je demandais :

- Qui sait ?

- Ma sœur et maitre Anila.

Il s'arrêta près de la fontaine pour s'asperger le visage.

- Côme ?

- Quoi ? demanda-t-il.

- Désolé, je ne sais pas quoi faire pour t'aider.

- Tu es peut-être moins chiant que ce que je pensais, tête de pioche.

Lorsque nous entrons de nouveau dans la cour, maitre Anila nous interrogea du regard. Le maitre du conseil était arrivé, maitre Tom, toujours envelopper dans sa lourde cape, l'air auster, nous regardait l'air mauvais. Côme leva la main.

- Je plaide coupable de notre retard. J'ai trébuché.

Maitre Anila hocha la tête avant de nous demander d'aller chercher une arme qui nous correspondait dans le cabanon. Le reste du groupe était déjà là évidemment. En revanche, seule Kira était déjà prête. Elle glissa deux lames longues et courbes dans une ceinture de tissu qu'elle venait de nouer, une de chaque côté. Je la regardais en attendant mon tour. Elle ressortit une seule des lames pour commencer des mouvements fluides semblable à une danse.

Charlie ressortit avec une épée de même taille mais droite. Il fixa le fourreau sur sa hanche droite, puis il rejoignit Kira. Les princes du désert ressortirent avec des hallebardes légèrement plus grandes qu'eux et aucuns fourreaux, mais une sorte de gilet. Ils s'aidèrent mutuellement à l'enfiler, et par un système de maillions de métal, dans le dos de celui-ci, des pièces de fer qui entouraient la hampe de la hallebarde venait s'aimanter. Suivant mon regard, Côme qui attendait à côté de moi m'expliqua :

- Ce système d'aimant, a été inventé par un maitre du métal, pour que les manieurs d'Hallebarde, de lance, toutes les armes d'hast, puissent chevaucher leur dragon sans risquer de le blesser. Le gilet est très rigide, c'est pour ça qu'on a souvent besoin d'aide pour l'enfiler.

Quand on parle du loup, Garance s'approchait de nous avec une lance et son propre gilet pour que son frère l'aide. De plus près le système était encore plus ingénieux. Les accroches en métal formaient une fourche qui venait s'aimanté sur la hampe de la lance de sorte que celle-ci se retrouve, en diagonal contre le dos du cavalier, la pointe de la lance dépassait au-dessus de l'épaule des cavaliers. Une fois le gilet bien accrocher, Garance mit difficile sa lance dans son dos à l'aide de ses deux mains et les attaches en métal se fermèrent avec un « clic » sonore. Elle joua des épaules pour s'habituer au point et se mit à trottiner un petit peu.

Elwin et Camélia ressortaient en même temps du cabanon. Elwin sortait une épée courte en forme de feuille de son fourreau calé sur sa hanche droite également. Il avait l'air las et Camélia venait d'attacher le fourreau d'une dague à sa daille et fixait un étui pour une lame plus courte contre sa cuisse du côté opposé. Nous entrons avec Côme dans le cabanon où Jo hésitait finissais de fixer l'étui d'une épée dont la moitié de la lame formait un demi-cercle. L'intérieur sentait le cuir et le métal. Il y avait tout ce qu'on pouvait imaginer, à gauche était rangé les armes de corps à corps et à droite les armes pour le combat à distance, des dizaines d'arc s'y alignaient. Jo regardait sa lame avant de la ranger.

- C'est un khépesh, m'expliqua-t-il, une arme typique de mon royaume natal. Autant prendre une arme que tu sais déjà manier.

J'avais beau regardé les armes contre le mur, aucune ne me semblait familière et pour cause, je n'en avais certainement manié de ma vie. Côme me ramena à la réalité en me demandant de l'aider à enfiler son gilet. Il avait pris une lance similaire à celle de sa sœur. Il allait ressortir du cabanon quand il me vit complètement perdu. Il attrapa une épée mi- longue avec une garde pouvant être prise à une main voir deux. Et il me jeta un fourreau qui se mettait dans le dos. Contrairement au sien, ce n'était pas un gilet, mais vraiment un fourreau de cuir. On retrouvait néanmoins sur le bord, un même système d'aimant.

- Prends celle-là. C'est une épée bâtarde, c'est plutôt neutre. On utilise peu souvent les dorsaux comme celui-ci, mais cela devrait plus te correspondre. Tu es plus cavalier que combattant et ces fourreaux sont utilisés en vol surtout. Tu peux le passer sur le harnais de vol. Le même système d'aimant est utilisé pour refermer le fourreau et permettre la sortie rapide de l'épée. C'est plus pour la ranger que c'est compliqué. Droitier ou gaucher tête de pioche ?

J'étais droitier. En même temps que ses explications, il m'aidait à l'installer. Une sangle me barrait la poitrine en diagonal et une autre autour de ma taille permettait de maintenir le tout stable. Maitre Anila arriva et nous demanda de nous dépêcher. Côme me tendit l'épée et à l'instant où je la saisis, juste de sentir le poids de la lame mortelle dans ma main, je la laissais tomber, pris de nausées. Je me baissais pour le reprendre et la rangea aussi vite que le tremblement de mes mains me le permit. L'odeur du métal me dérangeait. Nous ressortons du cabanon et maitre Anila nous demanda de courir, de faire un ou deux tours de cour pour nous habitués au poids. Le regard du membre du conseil pesait sur nous tous.

- Bien, aujourd'hui, comme d'habitude, petits duels. Pour la plupart vous savez déjà vous servir de vos armes. Vous êtes dix en plus, c'est parfait. Toutes les lames sont protégées par une protection à l'aide de télékinésie. Vous ne vous blesserez par grièvement, mais vous ne vous en sortirez pas sans quelques bleus. Pour aujourd'hui, une touche suffit. Elwin, Charlie, Camélia et Jolan fiés vous aussi à votre instinct. On apportera des correction et on répètera des mouvements de bases après.

Elle nous fixait un moment avant de décider des duos.

- Elwin et Charlie, essayez de progresser ensemble. Côme et Rayan, mettez-vous ensemble, vous avez trop pris de mauvaises habitudes en combattant uniquement avec des adversaires à arme courte. Camélia met toi avec Ilyès, vous êtes vos ennemis naturels. Garance et Jo, vous n'êtes pas habitués aux armes de l'autre bout du continent. Et Kira, je te fais confiance mettre Jolan dans le bain.

Nous nous mettions donc à distance les uns des autres. Je sortis mon épée du fourreau avec un cliquetis sonore. Kira ne prit qu'une seule de ses deux épées. Je me mis en garde du mieux possible en réprimant mes nausées et essayant de respirer malgré la lame de glace, profondément figé dans mon cœur. Kira s'approcha de moi, regarda où était maitre Tom, et me chuchota à l'oreille tout en corrigeant ma posture.

- Les jambes sont le siège de l'énergie métallique. Fais confiance à ton corps, il sait plus de chose que toi.

Elle se recula et maitre Tom s'approcha un peu de nous. J'avais des sueurs froides, tout le monde était sous pression. Sa présence alourdissait l'atmosphère.

- Tu es droitier, me dit Kira, ce n'est pas courant, fais-en une force.

J'hochais la tête avant de jeter un regard aux autres. Tous étaient gauchers. En me concentrant sur mes jambes, je pouvais les sentir se raidir pour m'encrer dans le sol. C'était comme si mes jambes entraient en résonnance avec l'épée. Juste de croisé mon reflet dans la lame, je me mis à trembler.

Plus que contre Kira, c'était contre moi que j'allais devoir me battre.

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