Chapitre 12 : Le fruit de la vulnérabilité
Maitre Anila nous attendait, les bras sur les hanches, en haut de la falaise de l'envol, pour un entrainement de nuit. Elle nous avait interrompu pendant le dîner avec entrain pour nous annoncer un entrainement surpris. Je n'avais pas honte de dire que j'étais épuisé. La fatigue était largement partagée par les autres membres du groupe. On sortait de la salle sous les regards compatissants des autres apprentis en formation. Alors que nous marchions derrière elle, Côme demandait :
- Mais où trouve-t-elle toute cette énergie et cette créativité pour nous épuiser, encore et encore ? Je ne rêve que de mon lit.
- Elle est impressionnante, avoua Camélia, fatiguée elle aussi.
- J'en ai marre de faire des siestes comme un petit vieux après les cours, avoua Côme.
- Arrête de râler et marche, le réprimanda Garance.
- Les falaises semblent bien plus loin que hier pendant le défi, dis-je.
- Je suis sûr que le premier dragonnier s'amuse de nous et les recule encore et encore, souffla Côme.
Maitre Anila nous attendait avec Charlie et Kira, premiers arrivés. Elle glissa quelque chose à notre chef qui semblait d'un coup plus stressé.
- Bien, les moucherons, interdit de parler. Le premier qui dit un mot, à partir de maintenant, il va nettoyer les stalles des dragons toute la nuit. Seul Charlie peut parler. Vous allez apprendre à vous organiser autour de votre chef.
Voilà de quoi nous faire passer l'envie de parler. Chacun rêvait juste d'un lit, alors faire des exercices physiques, de nuit, sous les ordres de Charlie, lui-même sous les injonctions de maitre Anila, était une torture. Mais c'était pour lui que l'exercice était le plus complexe. Aucun de nous ne pouvait parler, alors quand on devait interagir les uns avec les autres, seul sa voix pouvait nous coordonner, d'autant plus qu'il n'était pas juste debout à nous regarder mais avec nous dans la boue, à faire les exercices.
Au bout d'un moment qui nous parut une éternité, maitre Anila leva son interdiction de parler. Nous hésitions un moment et c'est Elwin qui coupa le silence.
- Et maintenant ?
Le dragon jaune de maitre Anila atterrit et elle monta sur son dos.
- Maintenant vous rentrez, Charlie c'est toi qui éclaires tout le monde. Jolan pas de magie, Jo non plus, aucune autre source de lumière que votre chef. On se retrouve au dîner.
Le retour fût chaotique. Complètement dans le noir, avec la lune lumière et les étoiles comme guide, nous rentrions à la guilde sous la lueur de l'unique flamme de Charlie. Celle-ci avait bien du mal à éclairer les pas de neuf personnes dans l'incertitude. J'avais arrêté de compter le nombre de fois où Jo avait marcher sur les pieds de Garance. Elwin qui avait les yeux les plus sensibles fermaient la marche, mais ça ne l'empêchait pas de jurer quand ses pieds rencontraient un obstacle imprévu. Nous avions par plusieurs fois émit des doutes sur notre itinéraire mais entre le sens de l'orientation de Rayan et les indications de Charlie nous voyons enfin les lumières de la guilde se détacher dans la nuit. Charlie nous félicita et nous félicitions notre chef de son commandement.
Maiter Anila nous attendait les mains sur les hanches et en nous raccompagnant, avec un sourire, jusqu'à la grande salle, elle me m'apostropha.
- Jolan, maitre Tom t'attend dans ses appartements. Tu devrais éviter de le faire attendre plus longtemps. Il ne devrait y avoir plus que vous dans la grande salle. Rejoins-nous quand tu as fini, et si tu as un problème avec le maitre, contacte-moi.
J'hochai la tête et me laissai guider par mon bracelet jusqu'aux appartements du dragonnier taciturne. Arrivé face à la bibliothèque, je longeai le couloir circulaire qui en faisait le tour pour m'arrêter devant une porte en bois noir que je frappai de trois coups. Il m'invita à entrer. Un salon de réception rudimentaire occupait le devant de la pièce. Maitre Tom m'attendait assis dans un fauteuil en bois et s'était enfin débarrassé de sa lourde cape. Sur le côté de la pièce, une porte discrète devait mener à l'espace nuit. Je m'avançais et m'inclinai devant le maitre. Il m'incita à m'assoir d'un signe de la main sur le deuxième fauteuil, de l'autre côté de la table basse. Derrière lui, proche des fenêtres, un bureau croulait sous les parchemins. Les appartements du maitre étaient somme toute assez impersonnels, pensais-je en m'asseyant, excepté peut-être l'assortiments de pierre qui trônait sur un meuble à côté d'un sablier de verre.
- Regarde, dit-il en poussant vers moi un fruit bicolore, bleu et rose.
- Qu'est-ce que c'est ?
- Les dragonniers l'appellent affectueusement : fruit de la vulnérabilité. Son effet premier est d'affaiblir la circulation énergétique dans le corps. Très utilisé il y'a quelques siècles, pour priver les mages de leur maitrise élémentaire. À forte dose, il a aussi un usage insoupçonné. Un peu comme du venin de serpent qui peut tuer ou être l'antidote, en fonction de la dose. Ce fruit peut propulser celui qui en ingère l'essence dans les flux d'énergies, ainsi partager des souvenirs avec un mage qui se les remémore. Les délires du fruit de la vulnérabilités sont intenses, je te préviens.
- Mais ils sont d'accord avec ça ? Partager leur souvenir ? demandai-je.
- Es-tu prêt ?
- Prêt pour quoi ? Vous n'avez même pas répondu à ma question.
Maitre Tom poussa un soupir et se sépara de ses bottes avant de se lever. Les pieds nus sur le bois, il s'avança vers moi avec le fruit dans la main.
- Tu ne connais rien de ce monde et des maitrises. On dirait un nouveau-né et tu as plus d'énergie que bien des dragonniers. Nombreux seraient les maitres dragonniers qui te mettraient sous traitement semi permanents, le temps que tu apprennes à catalyser ton énergie. Foutaise. Le fruit de la vulnérabilité entraîne un déclin de la santé sur le long terme en plus d'une accoutumance. Le mage doit prendre des doses toujours plus importantes et arrêter est une tâche compliquée et je ne parle pas des effets sur l'esprit.
- Alors quoi ?
- Je vais t'en injecter en grande quantité directement dans le cœur pour que cela passe vite dans ton organisme. Tu n'auras pas accès à tes maitrises de manière temporaire mais ça te ferra voir du pays.
- Mais en quoi cela va m'être utile ?
Il commençait à extraire du fruit un liquide vaporeux jaune. L'éclat du liquide attirait mon attention. J'avais déjà vu cette essence quelque part.
- Tu regarderas moins ton nombril. Tu es le petit nouveau et les autres tournent trop autour de toi à mon goût. Être aussi faible avec autant de potentiel, est dangereux. Ce fruit te donnera peut-être une chance. Après tout, ça serait du gâchis si tu mourais si vite. On n'aurait le temps de rien. Sous les enseignements de ton maitre de formation tu devrais développer ton potentiel, mais cela sera-t-il suffisant pour que tu arrives vivant jusqu'à l'apprentissage ? Aucune idée.
- Mais est ce que maitre...
- Je n'ai besoin de l'autorisation de personne. Un conseil, accroche-toi au siège. Ça risque de piquer un peu.
L'essence du fruit heurta ma poitrine et imprégna ma tunique. Lorsque mon corps commença à l'absorber, le froid s'insinuait littéralement à l'intérieur de moi. Le froid était si intense que la brulure qui en résultait me fit attraper les accoudoirs du fauteuil avec force. Cette sensation s'accompagnait rapidement d'une sensation de vide intense et d'une fatigue étrange. Je venais d'être coupé de mon énergie magique.
« Respire petit dragonnier. »
Ma conscience sombra dans le brouillard tandis qu'un sommeil m'entrainait dans les délires du fruit de la vulnérabilité.
Mains libres mais chaînes aux chevilles, la peau bleu constellée d'hématomes et d'éraflures. Une fillette regardait son reflet dans l'eau d'un sceau. L'eau renvoyait son portrait. Des cheveux châtains hirsutes, des mèches de cheveux étaient tressées avec un ruban de couleur verte, s'assortissant joliment avec ses grands yeux en amende. La tresse était à moitié défaite. Ses oreilles bleues étaient pointues.
Une porte grinça et elle se retourna en sursaut. Un homme et une femme entrèrent. Il était petit, dégarni et trapu, ses mains épaisses donnaient l'impression de pouvoir broyer un os. Elle était grande et terrifiante, un fouet pendait à sa ceinture, des yeux d'aigles se cachaient derrière un nez aquilin. La petite fille se recroquevillait dans un coin, le plus proche possible du sceau d'eau. J'essayai de parler, pour la rassurer ne sachant ni où je me trouvais si elle allait m'entendre.
« Tout ira bien ! Ce n'est qu'un souvenir ! »
Elle tressaillit et son regard promena la pièce une seconde. Elle m'avait entendu. La femme s'approcha de la petite qui se collait au mur. D'un geste de la main, elle s'empara de l'eau du sceau et la projeta timidement sur les arrivants. Loin de les arrêter, la femme se mit à rire.
- Tu penses me faire peur avec un peu d'eau ? Tu es vraiment mignonne.
- Alors ? Elle vous intéresse ? s'impatienta l'homme.
La petite se repliait dans un coin, terrifiée, les mains collées sur le mur froid. La femme essuya son visage mouillé sur un coin de vêtement épargné par l'attaque. Elle sortit une dague de sa ceinture et s'approcha pour s'accroupir devant la petite. À la vue de l'acier de la lame, la fillette ferma les yeux et ne bougea plus.
- Oh ne t'inquiète pas, je ne ferai rien à ton minois. Je n'abîme jamais la marchandise. Par contre, je peux couper cette tresse si tu bouges ou si tu ne réponds pas à mes questions. L'elfe a-t-elle un nom ?
- Son père hurlait « Mizu » avant qu'on ne le tue. Ça doit être le nom de la gamine. Quelle importance ? demanda le braconnier dégarni.
La femme se retourna et jeta la dague en direction de l'homme. Elle se planta entre deux pierres derrière. Je retenais mon souffle.
« Ce n'est qu'un souvenir, tout ira bien. » répétais-je.
- Est-ce que vous savez combien peut valoir un elfe vendu au marché noir ? Est-ce que vous savez combien certains nobles au Sud sont prêt à payer pour en posséder ? Et vous en avez tué un ? enragea la femme, le visage tourné vers le braconnier.
- À Zéphyr ?
- Comme si c'était possible de commercer avec ceux-là ! Hurla la femme.
- Il était dangereux ! se défendit l'homme.
- Pas un mot, ordonna-t-elle.
Elle posa la main sur la joue de la fillette et le sourire qui se peint sur son visage fit trembler la fillette qui pourtant ne pleurait pas.
- Mizu n'est-ce pas ? Comment vas-tu ? Quel âge as-tu ?
La fillette leva cinq doigts bleus.
- Tu es encore trop jeune pour être vendu comme esclave, alors tu vas rester avec moi pour le moment. Tu en as de la chance.
« Tout va bien ! Ce n'est qu'un souvenir ! Tu n'as plus à avoir peur ! »
La scène se fouta et l'image d'une elfe à la peau bleu d'une vingtaine d'années me fit face et derrière elle disparaissait le cachot et la terreur.
« Mizu ? »
« Qui es-tu humain ? Que me veux-tu ? »
« Je ne veux rien. Tout va bien ? »
« Les humains ne se préoccupe pas des elfes de la sorte. »
« Il faut croire que je suis bizarre. »
« C'est certain. Sors de ma tête. »
Aussitôt je fus emporté vers un autre souvenir.
Une femme coupait à travers les champs un nouveau-né en pleurs dans les bras. Elle se retournai frénétiquement en voyant un cavalier avec un étendard noir se rapproché au galop.
- Laissez-nous tranquille ! Je ne vous laisserai pas mon garçon !
Lorsqu'elle rejoignit la route pour courir vers le village, le tissu qui retenait ses cheveux se détacha pour révéler une chevelure bouclée châtain claire. Les cavaliers se rapprochaient et elle se mit à appeler au secours. Alors qu'elle sentit avec peur les chevaux sur ses talons elle leva la main vers le bord du chemin pour soulever une quantité d'eau qu'elle lança avec force sur les cheveux. Ceux-ci hennirent et s'arrêtèrent, laissant du temps à la femme pour atteindre le village. Des villageois s'agglutinèrent autour de la mère prise de panique.
Un cavalier en armure noir mit pieds à terre et s'approcha des villageois. Sa voix résonna dans son heaume.
- Donnez-nous l'enfant. Nous l'emmenons à Vilm.
- Qui êtes-vous pour venir prendre enlever un enfant à sa mère ? S'indigna une femme avec une petite fille accrochée à ses jupons.
- Cet enfant est un mage.
- Oui ! Comme sa mère ! Où est le problème ? cria un autre villageois.
- Il nous le faut. Le grand roi demande des enfants mages à élever pour en faire des mages régaliens. On emmène cet enfant.
- Parce que vous pensez que je vais vous laisser emmener mon fils ? demanda un homme.
Un homme en tablier de cuir dépassa le cercle pour se planter devant les cavaliers. Il tenait une pince à métaux dans la main gauche et une épée dans l'autre, dont la garde n'était pas achevée mais seulement enroulée dans du tissu. Ses yeux couleurs de rouille fixaient le soldat qui avait mis pieds à terre.
- Écoutez-moi bien. Vous allez remonter sur votre cheval et partir. Vous allez laisser ma femme et mon enfant tranquille et plus jamais vous ne remettrez les pieds dans ce village pour enlever des enfants à leurs parents.
Il y'eut un blanc et le forgeron fit demi-tour pour rejoindre sa femme lorsqu'il entendit un bruit métallique. Le soldat avait sorti son épée. La vue du fer en fit trembler plus d'un. La femme ferma les yeux un instant et je ne vis plus rien. Quand elle les réouvrit s'était à cause d'une rafale de vent. Un dragon rouge venait de se poser et avançait en grondant pour séparer le soldat du reste du village.
- Qu'est-ce qu'il se passe ici ? tonna quelqu'un.
Un vieil homme, dont les habits sophistiqués contrastaient avec ceux qui se trouvaient ici, leva un sourcil devant la dragonne et s'avança vers les soldats.
- Rentrez chez vous. Ce village n'a pas besoin de vous.
- L'enfant est un mage, nous devons l'emmener à la capitale. Sans enseignement il mourra, déclara un cavalier toujours en selle.
- Ce village est sous protection de la guilde des dragonniers. Si nous avons des problèmes à régler avec des mages, nous ferons appel à eux. Je vais vous demandez de partir où vous réglerez vos problèmes directement face aux dragonniers. Ce hameau est sous leur protection, le grand roi le sait. Vous serez condamnés. Allez-vous-en.
La dragonne avait suivi la conversation et se hissa sur ses pattes arrière pour surplomber les soldats de toutes sa hauteur. Lorsqu'elle rugit, elle fit trembler les villageois mais aussi les soldats. Celui qui avait mis pieds à terre remonta en selle et ils s'en allèrent enfin. Le forgeron lâcha ses instruments et se précipita pour prendre sa femme et son fils dans ses bras. Les villageois se réunirent autour d'eux et des larmes coulèrent sur les joues de la jeune mère.
- Tout ira bien maintenant Anna, on ne nous l'enlèvera pas. Je te le promets.
Il prit son fils dans ses bras et le berça pour le calmer, ses mains sales tâchant le linge propre dans lequel l'enfant était emmitouflé. La jeune mère s'approcha alors du vieil homme et s'inclina devant lui.
- Merci Seigneur. Merci pour tout.
Il lui tapota gentiment l'épaule et repartit sans autres mots. Anna s'approchait de la dragonne et je ne pus m'empêcher de parler.
« Elle est aveugle. »
La mère sursauta et se pencha pour remercier la dragonne. Celle-ci s'envola sans demander son reste et je remarquai qu'elle s'envolait vers le sud. Les villageois retournèrent à leur occupation et la femme avec la petite fille toujours accrochée à ses jupons passa un châle autour des épaules de son amie.
- Rentrez chez vous Anna. Je m'occuperai de la cueillette.
Elle essuya une larme et secoua la tête. Le forgeron l'embrassa sur le font, le nourrisson dormant contre son torse. Elle jeta un coup d'œil au père et il hocha la tête.
- Non, je vais y aller, ça me fera du bien.
- Je garde les petits. Allez-y.
La petite fille se détacha de sa mère pour prendre la main que lui tendait le forgeron et il la souleva d'un bras pour la porter avec son fils. Les deux mères regardèrent un instant le forgeron et le souvenir s'estompa.
J'émergeai en sueur, couché sur le parquet. À bout de souffle et le cœur battant à tout rompre, j'essayais de faire entrer de l'air dans mes poumons. En même temps que je reprenais ma respiration, une main se posa dans mon dos pour m'assoir. Lorsque mon souffle se stabilisa, je sentis de nouveau l'énergie circulé dans mon corps. J'avais retrouvé mon pouvoir. Je me penchais en avant, encore tremblant. Maitre Tom n'avait pas menti sur l'intensité des souvenirs vécues. Je remontai mes genoux contre ma poitrine et posai ma tête dessus pour empêcher le monde de continuer de tourner.
« Jolan ! Jolan ! Tu es là ? »
« Je suis là Soliane tout va bien. »
« Tu es paniqué, terrifié. »
« Ce ne sont pas mes émotions, le rassurais-je. Tout va bien, je n'ai rien. »
J'essayai de me relever mais j'étais pris de vertiges. Maitre Tom m'aida à m'assoir dans le fauteuil. Il se rassit dans le sien et me tendit une tasse de thé. Je la saisis sans broncher, les mains tremblantes.
- Combien de temps penses-tu avoir passer dans les délires du fruit de la vulnérabilité ? demanda-t-il, l'air grave.
- Je ne sais pas. Une heure ? Peut être plus. Estimais-je sans boire mon thé.
- À peine une moitié d'heure, dit-il en jetant un coup d'œil au sablier en verre. Ton énergie a recommencé à circuler dans ton corps bien trop vite. Cela ne fait que confirmer ce que je pensais. S'il fallait contrôler tes pouvoirs, les quantités que tu devrais ingurgiter te tueraient.
Je ne savais pas quoi répondre. Il ne dit rien pendant ce qui me semblait une éternité. Puis il inspira d'un coup me faisait sursauter.
- Qu'est-ce que tu as vu ? Sur les mages ?
- Une petite fille à la peau bleue qui allait être vendu. Une elfe apparemment. Qu'est-ce que sont les elfes ? demandais-je.
- Je ne suis pas là pour répondre à tes questions apprenti, dit-il d'un ton sec. Et ensuite ?
- Une maitre de l'eau dont on allait enlever l'enfant pour en faire un mage royal je crois. Elle a réussi à le sauver avec l'aide de son village et d'une dragonne aveugle. Les cavaliers noirs allaient l'enlever. Maitre, la petite fille à la peau bleue et la mère m'ont entendu.
Il soupira et me jeta un regard noir entre ses mains.
- Tu as parlé ?
- La première était terrifiée, je n'avais pas le choix, la deuxième, une remarque m'a échappée. La petite fille m'a parlé à la fin, elle semblait adulte et bien portante
- Sors d'ici.
- Pardon, demandais-je.
- Va-t-en maintenant. Souffla-t-il avec un geste désinvolte de la main.
Je me levai laissant la tasse de thé que je n'avais pas touché. Au moment où la porte allait se refermer, il m'apostropha une dernière fois.
- Tu es encore plus dangereux que ce que je pensais. Tu n'auras pas dû venir à la guilde maintenant. Cela ne va causer que des ennuis.
Je refermai la porte sans ajouter un mot et poussai un soupir une fois celle-ci close. C'était fini. Ce qui venait de se passer était trop étrange pour que mon cerveau l'intègre. Il venait de m'envoyer dans la tête de mage grâce à un fruit. Ma tunique était tâchée de rose et bleu.
- Génial...
Je pris rapidement le chemin du dortoir en me demandant si les autres étaient toujours dans la grande salle. Je ne voulais pas rester tout seul et même si les souvenirs me tourmentaient, je devais avaler quelque chose en prévision pour demain. Réfléchissant à qui je pouvais contacter, je choisis Charlie sans trop d'hésitations. C'était notre chef.
« Charlie ? » appelai-je une première fois doucement.
Pas de réponse. Je réitérai avec plus de force, mais cela me causa un léger mal de tête. J'avais comme des nœuds dans le corps, inutile de forcer.
« Charlie ? C'est Jolan. »
« Jolan ? Tu m'as fait peur ! Je ne m'attendais pas à t'entendre dans ma tête. »
« Désolé, je ne voulais pas te surprendre. Est-ce que vous êtes toujours dans la grande salle ? »
« Oui, on discute un peu en attendant que tout le monde finisse de manger. »
« Super j'arrive ! »
Je prenais le chemin des dortoirs et entra dans ma chambre pour attraper une autre chemise et un vêtement plus chaud, le temps s'étant refroidi avec la fin de journée. Je laissai le vêtement tâché sur le bord du lit. En sortant, quelques portes plus loin, l'apprenti brun sortait lui aussi de sa chambre. Nos regards se croisèrent et je soufflai, peu désireux d'un nouveau conflit. Alors que je me mettais en route vers la grande salle, je suivais ses pas sans le vouloir.
Il se retourne, vite agacé, après quelques mètres et m'attrapa par le vêtement.
- Arrête de me suivre. C'est quoi ton problème ? Je n'en peux plus de t'avoir toujours dans mes pattes. Tu m'entends ? Toi et tes grands airs de maitre du feu vous pouvez aller vous faire voir. Sinon la prochaine fois je ne me gênerai pas.
Il me lâcha et reprit son chemin. Il me fallut quelques secondes pour reprendre contenance et répondre.
- Mais bon sang, c'est quoi ton problème ? On n'est pas des millions de dragonniers, ni des millions d'apprentis. Oui, on s'est croisé plusieurs fois, mais on ne se connait pas ! On doit surement croiser plusieurs apprentis plusieurs fois par jour alors arrête. C'est bon maintenant.
Il se retourna, ses yeux lançaient des éclairs et dans le mouvement, la fiole de liquide jaune sortit de sous sa chemise. Je la regardais un moment, comprenant son utilité, désolé. Nous nous faisions face. Je vis du coin de l'œil un apprenti rentrer dans son dortoir en nous évitant. La tension était palpable.
- Tu me cherches là, dit-il en ricanant.
- Je te demande juste de me foutre la paix. Je ne te connais pas, on s'est croisé trois fois et je ne sais même pas comment tu t'appelles. Alors maintenant fous-moi la paix.
- C'est ça le problème avec les grands princes, dit-il en s'avançant vers moi.
Je le regardai s'avancer vers moi sans bouger, sans baisser le regard. Il commença à me pousser, toujours aussi énervé.
- Vous êtes parfait, vous avez tout, tout vous réussit. Même les obstacles s'inclinent et se mettent aux pas devant vous. Vous faites semblant de vous préoccuper de la populace qui se tient sous vos yeux. En réalité, tu me juges, vous nous jugez, nous les miséreux qui n'avons pas de chance. On n'a pas besoin de chance, nous on se bat, continua-t-il en me poussant encore plus fort. Vous nous jugez parce que vous ne songez pas que ce que vous prenez pour des choix nous sont imposé.
- On a toujours le choix, répliquais-je naïvement.
- Non, soit toi tu as toujours le choix, soit tu te mens très naïvement avec ton discours de beau parleur. Écoute-moi bien, Jolan, le nouveau prodige, le nouveau génie, le nouveau maitre du feu, tu vas arrêter de te mettre en travers de mon chemin ou je ferai de ta vie un enfer. Tu ne sais pas qui je suis, tu ne sais rien de moi, alors dégage.
Il me pousse plus fort et je tombe même au sol. Il allait continuer sa route mais me jeta un dernier regard dédaigneux, pendant que je me relevai.
- Tu n'es même pas foutu de te défendre.
- Je ne vois pas l'intérêt de me battre. Tu avais besoin de t'exprimer.
Il allait continuer d'avancer mais je me relevai et passai devant lui au pas de course, continuant d'avancer je répondis :
- Tu ne me connais pas non plus. Alors arrête de me juger moi aussi. Il faut aussi que tu saches, que la fiole, qui est autour de ton cou, pourrait très bien pendre du mien.
J'étais agacé et continuais mon chemin, mais un dernier regard en arrière fit retomber mes émotions comme les feuilles à l'automne. Il me regardait, l'air incrédule, surpris et un léger sourire se peignait presque sur ses lèvres, si ses yeux ne paraissaient pas si tristes. Je ne m'arrêtai que lorsque mes pieds arrivèrent dans la grande salle.
Charlie me fit un signe de la main et je me laissai tomber sur le banc à côté de lui attrapant ce qu'il restait à manger sur la table. Jo, Kira et Elwin jouait aux dés. Camélia caressait Remus qui était arrivé sur ces genoux sans que je sache quand. Ilyès et Rayan avaient posé leur nez dans deux livres aussi épais qu'une patte de dragon. Charlie ne me posa pas de questions sur ce qu'il s'était passé avec maitre Tom et me dit juste que les jumeaux étaient allés dormir.
- Ils viennent du nord. Ils se couchent tôt par habitude. Même si je t'avoue que je ne compte pas trainer non plus. Tout va bien ? Me demanda-t-il quand même.
- Oui, ne t'inquiète pas. Juste un peu fatigué.
- J'aimerai te dire que tu t'habitueras, mais on est tous rincer. Tout le monde espère que la prochaine semaine sera moins intense.
- N'y comptez pas mes poussins, où je ne m'appelle pas Anila ! dit notre maitre en passant derrière notre tablée.
J'haussai les épaules et ris avec Charlie doucement. La salle se vidant tandis que nous parlions. Les princes du désert quittèrent la table les premiers, rapidement suivi de Kira.
- Je m'entraine de bonne heure demain. Repos ! dit-elle en quittant la salle.
- Repos ! répondit Charlie et je le suivis.
- Les habitats de Kona se souhaitent un bon repos, vu qu'ils ne dorment pas forcément la nuit mais quand ils peuvent.
J'hochai la tête d'un signe entendu. Charlie avait l'air très au courant des coutumes des différentes parties du continent.
- Au fait, demanda-t-il. On est plusieurs à descendre à Liehle demain. On a des choses à faire au village. Tu viens avec nous ?
- Oui, avec plaisir ! Il faudrait peut-être que je trouve un travail, je n'ai rien du tout. Avouais-je.
- Tu n'as pas d'argent ? s'étonna Charlie. Pas même un disque de bronze sur toi ? Rien ?
- Je ne parlai pas forcément d'argent, mais non je n'ai rien du tout.
- Ça porte malheur tu sais ? Il vaut mieux toujours avoir un disque sur soi, me dit Charlie.
- Superstition d'Helmien ! intervint Jo.
Camélia rit doucement, et se leva pour quitter la table, elle aussi.
- Par Korn, jura Charlie. Enfin bon. Tu viens avec nous alors ?
- Je suis du voyage, affirmai-je en me levant, pressé de retrouver mon lit.
- Super ! Huit heures, couloirs des chambres, m'indiqua-t-il.
J'adressai un signe de la tête et un signe de main à ceux qui restaient à table et reprit le chemin des chambres.
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