1. Alcool, drogue et tentation

[ Placebo - Where Is My Mind ]

3 mois plus tôt

Les jambes qui tutubent et la tête qui tourne, je tente d'insérer la clé dans la serrure. Mes mains tremblent, accompagnées de grognements mais lorsqu'un déclic résonne dans le palier sombre et silencieux, je pousse un soupir de soulagement. À peine la porte claquée d'un coup de pied, je m'effondre sur le canapé au centre de la pièce. La solitude m'accueille à bras ouverts et amplifie cette douleur dans ma poitrine qui ne me quitte plus.

Mes paupières se ferment progressivement alors que des souvenirs de la soirée défilent à toute allure dans ma tête. Je me revois assis sur la banquette de ce bar, les lumières tamisées me donnant la migraine, le cœur qui pulse dans ma poitrine et cette belle blonde sur mes genoux. Les mouvements hypnotiques de ses hanches autour de mon bassin se ravivent dans mon esprit et suffisent à réveiller mon désir. Mon sexe se tend, frotte contre ma braguette de mon jean qui devient trop serré. L'excitation est si forte que je crains d'éjaculer dans mon froc comme un novice.

Putain, je dois vraiment être éclaté pour avoir la trique rien qu'en pensant à sa bouche autour de ma verge !

Durant ces trente derniers jours, le sexe, l'alcool et la drogue ont été l'échappatoire à tous mes maux ; le moyen d'oublier son visage et de noyer ma culpabilité. Chaque soir, alors que la lutte contre ma conscience devient trop difficile après une énième journée de plus à porter ce poids maudit, j'emprunte le chemin étroit de la dépravation et sombre peu à peu dans la déchéance. Le même schéma se reproduit inlassablement. Lorsque la nuit tombe et que le petit matin se lève, je me retrouve finalement seul, effondré sur mon canapé et abandonné de tous avec l'esprit plein de regrets. Ce soir n'en fait pas exception ; je peux sentir les litres d'alcool qui coulent dans mes veines.

Les traits de son visage hantent mes nuits, ainsi que la peur qui me noue le ventre et me tord l'estomac. Je vis avec cette angoisse constante de tomber dans les griffes des autorités car même s'ils ne semblent pas me soupçonner et que j'affiche une assurance infaillible, les apparences sont parfois trompeuses. En réalité, je suis terrifié à l'idée d'affronter les conséquences de ma folie. Ce désagréable sentiment de me guette de nouveau et j'enfonce ma tête dans le cuir du canapé. Mes mains trouvent leur route jusqu'à mes cheveux – que je tire pour soulager la sensation de mon cœur qui se comprime dans ma poitrine – et retombent ensuite mollement dans le vide.

Affalé sur le canapé, auquel ma peau semble se dissoudre et se fondre avec le cuir de celui-ci, mon regard se perd dans le vide et j'observe mon appartement vide dans lequel un silence de mort règne. Mes doigts se frayent un chemin dans la poche de mon jean et l'écran de mon portable s'allume automatiquement. Aucune notification en attente ; personne ne se préoccupe de mon état, ni si je vais bien. Je suis seul dans mon antre, tel un loup solitaire.

Pendant longtemps, j'ai rejeté tous ceux qui m'entouraient, guidé par ce mal-être qui m'emprisonnait. J'ai beau tenter d'en faire de même avec mon demi-frère, quelques fois, il m'arrive de l'envier... ou plutôt les gens qui l'aiment et s'inquiètent pour lui. Depuis que mon seul amour a rendu son dernier souffle, plus personne ne s'intéresse de savoir où je me trouve et si je suis encore vivant. Mon père est décédé il y a maintenant deux ans, ma mère n'en a jamais rien eu a faire de moi, et je n'ai pas d'autre famille ou amis.

La dernière personne qui souhaitait encore se rapprocher de moi était Louis et je l'ai royalement envoyé balader quelques jours après l'enterrement. Certainement parce qu'au fond de moi, ces bribes de colère et de jalousie m'y ont poussé... Mais surtout car suite à mes erreurs, je ne mérite pas une telle chance. Je ne peux même plus me regarder en face. Depuis le début, j'ai toujours entretenu une haine envers ma mère et tous les gens de son milieu qui se croient supérieurs et tout permis. La certitude qu'elle et le reste du monde étaient la cause à mon état mais j'étais en réalité mon propre poison.

Homo homini lupus – l'homme est un loup pour l'homme.

Ce besoin obsessif familier se répand dans mes veines et mes doigts pianotent sur l'écran lumineux de l'appareil. J'ouvre Instagram et clique sur le compte qui s'affiche dans mes recherches récentes : RomaneMontano_12. J'ai déjà épié ce profil de fond en comble avant d'en venir à la conclusion que tu aimes rester discrète sur ce réseau, contrairement à ma première impression dans ce bar. Je pensais y trouver des photos de tes amies, de vos vacances ensemble, des selfies aguicheurs ou encore des plats... mais rien de tout ça ne figure sur ta page.

Un portrait en noir et blanc de ton visage en guise de photo de profil demeure le seul indice qui me certifie que ce compte t'appartient. Une vingtaine d'autres clichés y figurent, en passant par les vinyles de vieux groupes de rock dans un un magasin, un skate au milieu d'un skatepark baptisé de graffitis, des maisons délabrées et abandonnées, des plantes, ou encore une bouteille de Jack posée sur un comptoir que je reconnais comme étant celui de ton lieu de travail. Le seul point commun de toutes ces photos est le filtre noir et blanc que tu sembles appliquer d'office à tous tes clichés – et qui semble être un indice sur ta vision de la vie.

Mon regard est attiré par une nouvelle photo que tu as posté la nuit dernière : tu te tiens debout aux côtés d'une jeune femme qui semble avoir ton âge, une barbe à papa à la main et dans laquelle tu croques. En arrière-plan, je peux apercevoir une grande roue lumineuse et des stands de nourriture. Je clique sur le compte identifié de ton amie qui se prénomme Noah. Le compte est privé et de ce fait, je ne peux pas accéder à ses photos. J'échappe un grognement. Je retiens seulement son prénom et sa teinture violette que je remarque sur sa photo de profil.

Mes doigts se resserrent autour de l'appareil que je range dans ma poche. Mes anciennes pulsions enfuies se réveillent peu à peu et le besoin de te voir devient trop grand. Je me hisse sur mes jambes flageolantes, shoote dans des débris et cadavres de bouteilles abandonnées au sol, et me traîne jusqu'à la salle de bain. Placé devant le miroir, je détaille ce visage qui me paraît pourtant inconnu. Je ne me reconnais pas. Je n'arrive pas à croire que j'ai pu un jour causer la mort de victimes innocentes, d'autant plus la femme que j'aimais... Je suis un monstre.

J'ouvre avec rage le placard et chope le premier flacon de médocs qui me passe sous la main. L'étiquette indique qu'il s'agit d'anti-dépresseurs ; mon traitement que j'ai arrêté de prendre depuis presque deux ans, tout comme mes neuroleptiques. Lorsque j'ai commencé à consulter un psychologue sous l'obligation de mon père quand j'étais gosse, on m'a immédiatement diagnostiqué comme bipolaire et souffrant de troubles obsessionnels et compulsifs. Le médecin m'avait préscrit ces merdes au bout de trois ans quand il a remarqué que mon état s'empirait avec le temps. J'ai été suivi depuis mes six ans par un psy, pris des médicaments et tenté de me convaincre que je demeurais normal jusqu'au point de rupture ; l'année dernière, lorsque j'ai rencontré Allison et que mon obsession pour elle est née.

Je verse deux pilules dans le creux de ma main et les avale sans hésitation. Le poids qui repose sur ma poitrine est tellement lourd que tout l'alcool ou les médicaments du monde n'y changeraient rien.

Un dilemme fracture mon âme : l'irrépressible envie de briser la glace et découvrir qui se cache réellement derrière ces clichés en noirs et blanc, sentir son corps à seulement quelques mètres du mien... Puis toutes les promesses partent en fumée. Mon serment de ne pas la suivre, la harceler ou encore de me laisser porter par mon obsession se désintègrent à mesure que l'excitation se mêle à mon sang en ébullition. L'impatience me brûle et j'ai besoin de reprendre le contrôle, besoin de la voir. C'est plus fort que moi. Il est temps de repartir à zéro et de corriger mes erreurs malgré la culpabilité qui me ronge pour toutes mes victimes. J'espère vraiment que tu me pardonneras.

Je dois prendre un nouveau départ, sans toi.

***

Le regard rivé à travers la vitre du bar, je pousse la porte et pénètre dans l'établissement. La musique m'agresse aussitôt les tympans et je me bouche les oreilles le temps de m'habituer au niveau sonore qui cogne dans mon esprit embrumé à chaque fois que l'un des membres du groupe gratte une corde de sa basse. Je jette un œil à la bande de gamins qui se démènent sur scène au rythme de leur chanson, des sourires fiers gravés sur leurs visages. Ils se sentent puissant comme si la prochaine étape était de partir en tournée pour se produire dans toute la France mais ils semblent ignorer que la vie n'est pas aussi simple. Parfois, on a beau s'efforcer de faire de son mieux, l'univers prend un malin plaisir à briser nos rêves les uns après les autres et nous rappeler que d'une seconde à l'autre, tous vos espoirs peuvent s'écrouler.

Le vacarme de leurs instruments suffit à me donner la migraine et je réprime tant bien que mal une grimace.

Ma montre m'indique qu'il est bientôt une heure du matin et même si je suis déjà bien torché, je m'assois au comptoir et commande une bière au gringalet face à moi. Mes yeux se perdent dans la salle à la recherche de celle qui hante toutes mes pensées mais je ne discerne pas sa chevelure brune. Le claquement de la bouteille en verre sur la surface me ramène à la raison et j'accoste le serveur avant qu'il ne me tourne le dos.

- Tu ne saurais pas, par hasard, si Romane travaille ce soir ? interrogé-je poliment.

Le type me regarde curieusement avant de s'emparer du torchon posé sur son épaule pour essuyer des verres propres.

- Je ne crois pas, dit-il méfiant. Elle est rentrée chez elle car elle ne se sentait pas bien. Pourquoi ?

Merde !

- Tu connais son adresse ? Ça m'arrangerait vraiment.

- Qui es-tu ? Comment tu la connais ?

L'agacement me fait perdre mes moyens et je me force à desserrer les poings. C'est un putain d'interrogatoire ou quoi ? Je prends mon plus beau sourire et lui souffle :

- Je suis un ami.

Ce connard ne paraît pas convaincu et avec assurance, il pose ses avant-bras sur le comptoir d'un air sérieux.

- Elle ne m'a jamais parlé de toi, bizarrement... ajoute-t-il en me détaillant.

- Tu pourrais au moins me passer son numéro ? tenté-je encore une fois, ma voix trahissant mon impatience.

- Désolé, mec. Je ne peux te donner aucun renseignement sur elle, termine-t-il.

Une onde de colère me traverse le corps et mes jambes commencent à trembler. Quand je comprends qu'il ne crachera pas le morceau, je bois le fond de ma bière cul sec et je me barre de cet endroit. Lorsque le vent fouette mon visage, j'étouffe un grognement. Je suis dégoûté d'être venu jusqu'ici pour rien et surtout, j'ai envie d'éclater la tronche de ce trou du cul. Ma raison me persuade qu'il a raison de protéger ces données personnelles car il doit y avoir un tas de gars mal intentionnés qui pourraient lui faire du mal dans le cas contraire.

Comme toi, me souffle ma vilaine conscience.

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