L'ange offert

Bruce ressentait plus de fascination que de pitié envers l’adolescent qui se tordait pour se soustraire aux cordes mordant sa chair.  Le prisonnier gémissait, haletait et rageait, impuissant .  Puis, s’avouant vaincu, il se composa un visage d’une neutralité déstabilisante.  Lentement, il décolla son dos d’une imposante structure en métal froid et il se mit à sonder Bruce du regard.  

Bruce jubila. les yeux posés sur lui étaient deux grandes émeraudes incrustées dans un visage laiteux, irrésistiblement constellé de taches de rousseurs, encadrées elles-mêmes par des boucles de bronze. Un ange! Ils allaient faire offrande d’un ange au Dieu!

-Bruce! pousse-moi ce machin jusqu’au balcon, grésilla une voix féminine particulièrement aiguë dans le vieux talkie walkie accroché à la chemise sale de l’homme, rompant sa contemplation psychotique.

Au lieu de cela, il sortit de la pièce lugubre d’un pas nerveux, mais revint accompagné d ‘autres hommes bardés de muscles.

Ensemble, ils poussèrent, soulevèrent et tirèrent la catapulte géante  à laquelle  était attachée l’offrande à présent affolée.

Ils furent engloutis par la lumière du jour tandis q’ils débouchaient sur un énorme espace surélevé. Une clameur gronda. Au pied de la Cathédrale des Sacrifices, s’étendait un bon millier de crèves-la -faim excités par la propulsion du cadeau divin, dégoulinants de frénésie et de crasse sous la vive chaleur. Bruce luttait pour garder un digne contrôle, rester impassible alors même que ses entrailles se convulsaient d’extase devant ce tableau.

La femme du talkie walkie prit la parole, sa voix criarde amplifiée par un micro, son langage de charretier accompagné du bourdonnement caractéristique des appareils déficients.

-« Bon, la populace! Vous savez comme moi que j’suis obligée de faire ce discours- question de vous rappeler qu’on fait pas ça pour s‘amuser, en principe- Alors faites pas durer l’affaire et m’interrompez pas!

Rares furent ceux offusqués par tant d’indifférence apparente, car la plupart savaient qu’au delà, il y avait en elle une vraie conviction. Personne n’était plus exalté que ce petit bout de femme.

-« Les riches et la classe moyenne se sont cassés y’a plein d’années, petit à petit,on s’ait pas où, on n’sait pas comment , j’crois qu’y avaient enfin trouvés une planète où ils avaient pas semé toutes ces merdes comme le terrorisme, la pollution, la misère… »

« Ces chiens ont emporté toute la technologie en nous laissant, Nous, les prisonniers, les pauvres et les malades, avec tous les engins foutus! »

« Mais nous qui sommes restés sur la Terre Mère, Nous avons été bénis, et Dieu nous a parlé!

Des râles d’approbation secouèrent l’assemblée.

-« En nous donnant espoir, en nous demandant de nous acharner au travail, aux récoltes, Il nous a empêché de trop nous déchirer!

Et depuis, il fait jour! Le soleil éclaire notre labeur à chaque heure du jour! »

La femme s’égosilla, s’étranglant d’émotion par moments.

-« c’est pour ces bénédictions que, s’Il nous demande d’augmenter les récoltes; NOUS LE FAISONS!

Bruce dut se retenir de s’arracher les tympans lorsqu’elle cria.

-« S’Il  nous demande de ne plus essayer de quitter la Sainte Terre; NOUS LE FAISONS!

« Et, quand Il nous demande de leur envoyer de beaux jeunes garçons;

NOUS LE FAISONS!!!

Au grand dam de l’adolescent attaché, ce fut la foule qui scanda cette dernière phrase.

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