Cat in the snow
Elle aurait pu me laisser rester à l'intérieur.
Jia se retrouva seule devant la porte d'un petit chalet en bois. Elle fixait le panneau métallique, espérant que la seule force de sa pensée suffise à le faire céder. De l'autre côté, Noélie lui jeta un rapide coup d'œil réprobateur à travers la petite ouverture ronde. La petite chatte baissa les yeux, les oreilles rabattues sur le crâne. Elle n'avait pas fait exprès de blesser sa maîtresse. Ce coup de griffe lui avait coûté sa place au chaud. Rien que de repenser au canapé dont elle avait fait son repaire ces derniers jours la faisait grelotter.
Autour d'elle, les arbres dansaient dans le vent. Devant ce spectacle, la plupart des humains s'arrêtaient pour s'émerveiller, Jia, elle, restait de marbre. Elle aurait pu courir après les oiseaux, mais son pelage blanc la rendait trop visible dans ce paysage minéral coupé de forêts. Seule la neige pouvait la dissimuler entièrement. Cependant les flocons se faisaient toujours attendre, comme si l'hiver était retenu prisonnier. Le froid quant à lui était bien présent.
La saison de la neige était la préférée de Jia. Elle pouvait chasser, et aussi, c'était la seule fois de l'année où elle ne se promenait pas sur du bitume. La ville et la montagne n'avaient pas la même odeur : l'une portait celle du danger et des voitures tandis que l'autre dégageait une senteur de liberté et d'aventure. L'une était l'Enfer et l'autre le paradis.
Là où je vais bientôt envoyer cet écureuil qui me nargue du haut de sa branche.
Sur un arbre voisin, ni gêné par le vent ni par la présence d'un chat se tenait un petit écureuil. Du haut de sa branche, il se balançait d'avant en arrière, comme pour défier la gravité. Son pelage roux reflétait la lumière du soleil et faisait concurrence aux couleurs de l'automne que certains arbres n'avaient pas encore perdues. De ses yeux perçants il défiait la chatte de l'attraper.
Jia se tourna vers lui les crocs découverts. Il ne sembla pas impressionné ou du moins, il le cachait bien. Pour la provoquer, il s'avança même un peu dans sa direction. Un merle poussa un cri strident, comme pour encourager le petit animal. La chatte blanche détala vers lui. Elle avait une fierté et si un rongeur pouvait se moquer d'elle, elle n'était plus digne de cette appellation de « chat ».
Je vais lui faire regretter de se payer ma tête comme ça, se promit-elle. Noélie, elle, ne laisse personne lui marcher sur les pieds par contre, elle n'a aucun souci à me mettre dehors.
Cette pensée lui laissa un goût amer dans la gueule. Quand elle arriva à la hauteur de l'écureuil, celui-ci ne bougea pas.
– Je te laisse dix clignements d'œil pour t'enfuir sinon je te mange, miaula Jia.
Elle avait essayé de prendre son air le plus autoritaire et menaçant possible. Au lieu de s'enfuir, il ricana :
– Toi, me manger ?! Essaie au moins de monter jusqu'à moi !
Il continua de rire. Son rire sonnait faux mais visait néanmoins à énerver.
Il ne manque pas d'air.
Si Jia avait eu la patte assez longue, elle l'aurait balayé au sol pour lui faire regretter ses paroles, mais son seul moyen de l'atteindre était de grimper dans le pin. Elle aurait aimé être aussi puissante qu'un chien pour pouvoir ébranler le tronc d'une charge et faire tomber l'écureuil, pouvoir voler comme un aigle pour le faucher ou encore pouvoir faire peur comme un ours. La petite chatte, comme figée, restait immobile et l'insolente petite bête se tordait de rire.
– Un chat de ville, me faire la peau !
Il essuya une larme au coin de son petit œil, semblable à une bille noire. Sans prévenir, Jia bondit. Le rongeur grimpa sur la branche suivante. Il évoluait dans l'arbre avec souplesse et agilité. Les branches supportaient parfaitement son poids et ses petites griffes s'enfonçaient dans l'écorce en lui offrant une prise solide. Tout le contraire de Jia. La petite chatte tenta de se rétablir et pria pour qu'aucune branche ne se casse. Seule sa queue, qui ondulait pour lui faire garder l'équilibre, lui garantissait une fragile stabilité. Alors que le vent propulsait l'écureuil plus haut, il la déséquilibrait. Heureusement pour elle, les arbres ont toujours un sommet et une fois celui-ci atteint, le fuyard ne pourrait plus se hisser sur une branche plus haute. Une inquiétude demeurait dans l'esprit de Jia : les branches tiendraient-elles sur son passage ? Un doute qui se confirma :
Crac !
La chatte blanche sentit la branche s'affaisser. Elle n'avait pas le temps de bondir. La peur lui contracta l'estomac quand elle vit le sol se rapprocher. La chute est comparable au deuil : au début, on n'accepte pas de tomber, on est persuadé de rêver ; puis on réalise que l'on est impuissant et que la réalité est belle et bien celle que l'on voit. Et enfin, on attend l'impact. Cependant, du début à la fin, la peur et l'angoisse sont présentes.
Les pattes de Jia heurtèrent le sol. Son corps se déforma sous l'impact. Elle entendit un cri, le dernier avant que le noir ne l'avale, emportant avec lui la douleur.
La première chose dont Jia gardait un souvenir, remontait à son enfance. Le premier visage, la première odeur, la première voix... Tout appartenait à Noélie. Elle l'avait nourri et protégé, aimé et éduqué. Pourtant, un vide immense remplissait sa tête comme un trou noir qui avalait toutes ses peines. Des souvenirs trop douloureux à porter, des cicatrices ancrées et profondes que l'on cherche à dissimuler si bien que l'on croit les oublier. Mais parfois, elles se rouvrent, saignent à nouveau. Le seul remède est l'amour. Aimer ou être aimé donne de la force. Si un ennemi fait plus de mal qu'apportent en bien dix amis, il suffit de doubler le nombre d'amis pour compenser. Jia, elle, n'avait pas fait ce choix.
– Tu m'entends ? Le matou ?
Une voix nasillarde remplit le crâne de la petite chatte. Aussi insupportable soit elle, elle la ramenait vers la réalité. Un fil d'Ariane bien trop précieux pour le laisser filer. Jia aperçut une tache de lumière qui se transforma en lac puis en océan avant de l'avaler toute entière. Elle était de retour dans la réalité. Au-dessus d'elle, penchée sur sa tête, une silhouette aux grandes oreilles la secouait.
– Arrête, marmonna la chatte blanche.
Elle se redressa faisant reculer l'ombre.
– Fais gaffe !
Cette voix, elle la connaissait. Elle appartenait au rongeur qui l'avait fait chuter de l'arbre.
– Je vais te faire la peau, l'écureuil !
Pour toute réponse, elle reçut un violent coup de griffe sur le museau.
– Ça fait mal !
– Ça t'apprendra !
Avec sa patte la plus proche, Jia le faucha et il tomba au sol à côté d'elle.
– Comme ça, on est quitte.
L'écureuil soupira :
– Si tu veux.
– Pourquoi tu ne t'es pas enfui ?
– J'avais un service à te demander.
Il hésita avant de poursuivre :
– Personne n'a voulu m'aider alors je comprendrai que toi aussi.
– Je t'écoute.
– J'ai un ami que les humains ont capturé dans un de leurs pièges. Il est retenu prisonnier sur un stand d'un marché. Tout seul, il m'est impossible de l'aider.
– Tu n'as pas d'amis qui auraient pu te donner un coup de patte ?
L'écureuil secoua la tête.
– Personne ne m'a cru. Je ne crois même pas que l'on m'a écouté.
Un nuage assombrit la lune comme pour refléter la tristesse du petit animal. Dans un élan de compassion, Jia déclara :
– J'accepte !
Elle ne savait pas dans quoi elle s'engageait ni comment aider le rongeur. Noélie aurait fait la même chose.
Les étoiles semblaient tracer un chemin que l'écureuil suivait, guidant Jia dans la forêt. Elles éclairaient la terre tels des milliers de petits soleils aussi pâles que la neige. Leur lueur argentée se reflétait sur la robe blanche de la chatte. Elle en devenait presque... Fantomatique.
– Au fait, je m'appelle Rush, annonça le rongeur.
– Moi, c'est Jia.
À travers les troncs des pins en rangs serrés, Jia distinguait une multitude de lumières colorées. Elles formaient un ruban rangé dans une boite ronde. Un mini ciel qui aurait fait pâlir la toile céleste si elle avait eu des yeux.
– On va là-bas ? s'enquit la petite chatte.
Rush acquiesça. Le marché n'était pas grand, on pouvait facilement en faire le tour en quelques minutes. Les boutiques, aussi, suivaient ce modèle : petites et tassées, elles contraignaient les visiteurs à suivre un chemin déjà tracé à l'avance.
La faible concentration de chalet-échoppes se compensait par les imposants décors lumineux et musicaux disposés ici et là. Des arbres richement ornés se dressaient à l'entrée, tels des gardiens veillant sur l'accès. Le petit écureuil se glissa derrière un chalet et son amie tenta de le suivre se collant tantôt à terre tantôt contre une boutique.
Il s'arrêta devant une maisonnette en bois recouverte de fausse neige. De l'autre côté de la paroi, des chuchotements et des grognements laissaient planer une ambiance morbide. Jia avait accompagné plusieurs fois Noélie dans ce genre d'endroit. Dans le jargon humain, on appelait cela « marché » mais dans la langue des animaux, on le voyait plus comme un regroupement d'humains qui n'avait d'yeux que pour les marchandises étalées sur les tables en hauteur.
– On est arrivé.
La petite chatte fit la moue.
– Il est où ton ami. J'aime pas cet endroit.
Du bout d'une de ses griffes, Rush désigna une cabane un peu plus loin.
– Là-bas.
Les yeux de Jia se posèrent sur un stand plus petit que les autres. Sur ses étales, pas de bonhomme rouge ni d'angelot. Il proposait des produits plus... vivants.
– Je comprends ton dégoût, marmonna l'écureuil la mine sombre.
– Duppe est prisonnier de ces gens. Le seul moyen de le libérer est de leur dérober la clé.
Une mission plus facile à dire qu'à faire.
Les gardiens de la cabane étaient adossés à un pan de la maison. Personne ne venait sur leur stand, mais ils n'y prêtaient pas attention. Dans la main du plus grand, Jia remarqua un objet brillant : la clé. À côté d'elle, Rush l'avait aussi vu et se mit à courir comme un fou vers les deux hommes.
– Rush revient !
Les miaulements de la chatte blanche furent ignorés par le rongeur qui sauta et s'agrippa à la main où se trouvait la clé. Surpris, le commerçant la lâcha et Rush revint en courant, traînant le bout de métal derrière lui.
– On file ! S'exclama-t-il une fois arrivé à la hauteur de sa nouvelle amie.
Le voleur contourna les échoppes suivi de Jia. Derrière eux, les cris des hommes, furieux, se rapprochaient.
– Il est où ce chenapan d'animal, grognait l'un.
– Il n'a pas pu aller bien loin, répondait l'autre.
Rush se tourna vers Jia. Leur poursuivant n'allaient pas tarder à les trouver. Que feraient-ils dans ce cas ? Rejoindraient-ils l'ami de l'écureuil ?
– Prends la clé et va le libérer.
Il gonfla le torse.
– Je m'occupe de les ralentir.
Cette proposition ne paraissait pas raisonnable aux yeux de la jeune chatte. Rush était bien trop petit pour se défendre contre des géants.
– Bouge !
Malgré ses doutes, elle obéit. Ils étaient venus ici pour sauver Duppe.
Une fois arrivée dans la cabane, elle constata qu'une seule caisse était posée sur le sol recouvert d'un tissu qui n'isolait ni du froid ni de l'humidité. Au fond, tout au fond, tapis dans l'obscurité gisait une forme roulée en boule.
– Duppe ? miaula timidement Jia.
Deux yeux luisants se tournèrent vers elle. C'était la confirmation qu'elle attendait. Elle s'élança en avant et tendit la clé au captif. Il s'en saisit et déverrouilla le loquet qui le retenait prisonnier.
– Merci.
La petite chatte ne répondit pas. Sa nature de chat ne gênait pas Duppe, il avait même l'air d'avoir confiance.
– Il faut aller aider Rush !
Duppe acquiesça.
– Il a voulu avoir le beau rôle en se comportant en héros ?
– Oui.
– Alors faut que l'on se dépêche d'aller le retrouver avant qu'il ne prenne trop de risques.
Ils sautèrent sur le comptoir et guidés par les hurlements excédés des kidnappeurs, retrouvèrent assez facilement la trace de leur ami. En les voyant, le rongeur se désintéressa de son combat. Ils détalèrent tous les trois vers la forêt. Une montée d'adrénaline les poussait à toujours accélérer, ignorant le froid.
La lisière était passée depuis longtemps et Jia faisait maintenant cavalier seul. Elle avait quitté ses amis écureuils quelques minutes plutôt. Elle songeait qu'ils étaient bien particuliers, ces deux amis que tout opposait. Ils formaient une famille. Elle aussi en avait une. Elle accéléra le pas, Noélie lui manquait. La petite chatte zigzaguait entre les arbres qui semblaient passer, toujours dans le même ordre, telle une bobine de film mise en boucle.
Au fur et à mesure de sa course, un voile blanc se dessinait derrière les derniers pins. On aurait pu croire à un mur, mais en se rapprochant mieux, des petits scintillements apparaissaient. Des éclats de cristal qui descendaient du ciel. Emportée par sa vitesse, Jia le traversa, basculant de l'autre côté avec rapidité et elle sentit ses pattes se figer. Ses coussinets la brûlaient mordus par la glace. Une brûlure qu'elle connaissait trop bien ; celle de la neige. La couche glacée émit un petit craquement Jia balaya les environs du regard.
Depuis son départ, le paysage s'était métamorphosé. Les arbres avaient troqué leurs branches nues contre un épais manteau blanc. Les oiseaux ne chantaient plus et seul, au milieu de ce désert de glace, se dressait, comme un survivant, le petit chalet en bois d'où émanait un petit panache de fumée. Assise sur les marches du perron se tenait Noélie, une doudoune rouge la faisait ressembler à une flamme réchauffant les environs par sa simple présence. Elle scrutait l'horizon, la mine inquiète. Son visage s'éclaira quand elle aperçut les yeux verts qui se découpaient dans la neige.
Voili-voilou !
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