Chapitre 2 - Dévoré et rongé.
Imagine Dragons - Radioactive
A l'âge de sept ans, on est encore juste un gosse. On est encore innocent, on rêve d'aventures. Notre esprit est encore bien naïf, il croit que tout est beau, tout est joli... que personne ne nous veut du mal.
A cet âge-là, j'étais dingue de mes petites voitures de courses, et de mes figurines de super-héros. Je ne me séparais jamais de mon précieux Batman, qui sauva un nombre incalculable de fois la petite ville imaginaire que j'avais créée à l'aide de quelques cubes en plastique. Mais ce que j'adorais par-dessus tout, c'était surtout embêter ma petite sœur, Julia.
Elle n'était pas comme la plupart des autres fillettes qui aimaient jouer avec leurs poupées, ou avec ces bébés qui leur faisaient jouer un rôle de maman, non. Julia, ce qui lui plaisait, c'était jouer avec moi, avec mes figurines et les siennes. Si moi, je n'avais d'yeux que pour mon Batman, pour Julia, c'était une poupée Barbie appelée Ju, qu'elle avait rafistolée elle-même. Adieu longue crinière blonde, bonjour petite coupe courte et cheveux teints en noir à l'aide d'un marqueur indélébile. Pas de robe pour la précieuse poupée, non... seulement des pantalons, qui étaient bien plus pratiques pour toutes ses aventures. A travers nos figures, nous jouions aux super-héros, nous rêvions d'une vie plus juste, certainement moins triste.
« Charly, et si on disait que, pour une fois, c'est Ju qui sauve Batman ?
- N'importe quoi ! Les filles, ça sauve pas les garçons ! »
Cette réplique me valut un bon coup de coude dans le nez, et ce geste lui valut une bonne poignée de cheveux tirée. Et pour cette petite querelle, nous fûmes « condamnés » par notre mère à passer l'après-midi dans nos chambres respectives. Quelle punition ce pouvait être que de se retrouver coincé dans sa chambre, remplie de jouets et de livres ! Mais tant que ma mère pouvait avoir la paix, j'imagine que ça suffisait. Tant qu'elle pouvait s'isoler, être au calme et prendre ses quelques cachets qui atténuaient sa peine, alors ça suffisait. Tant qu'elle pouvait abandonner son rôle de maman pour souffler, ça suffisait.
Ce soir-là, j'étais avec Julia dans notre salle de jeux. Notre mère nous avait donné la permission de pouvoir y retourner, à condition de jouer dans le calme. Tout devait toujours se faire dans le calme, à la fois pour ne pas perturber son repos, et aussi pour ne pas fâcher notre père.
Nous étions occupés avec nos jouets, chacun de notre côté. Elle avec ses poupées, et moi avec mes figurines de super-héros. Encore une fois, Batman sauvait la ville de Gotham City des griffes du méchant Joker, incarné par l'un de mes petits oursons en peluche, à défaut de ne pas posséder la bonne figurine. Julia boudait dans l'autre coin de la pièce, contrariée qu'une fois de plus je refusais de laisser Ju devenir l'héroïne.
« Arrête de faire le bébé, et viens jouer !!
- T'es nul, Charly.
- Bla-bla-bla... j'entends rien du tout !! », rétorquais-je, lui adressant ma plus belle grimace.
Je ne gardais pas bien longtemps cette grimace. Un bruit retentit, provenant de l'étage d'en bas, et attira aussitôt mon attention. Un bruit de verre brisé, et deux voix qui s'élevaient, l'une essayant de se faire plus entendre que la première, et vice versa.
Je connaissais ces voix, il s'agissait de celles de mes parents. Celle de mon père, dure et froide comme de la pierre, et celle de ma mère légère, plus aiguë... et tremblante de larmes. J'avais une idée de ce qui se tramait, mais je ne voulais pas que Julia comprenne. D'ailleurs, elle restait imperturbable dans son instant de bouderie. Les bras croisés sur son petit buste, la mine renfrognée et le regard presque noir. Je me demandais si elle entendait, ou si elle faisait semblant, si elle comprenait pourquoi maman criait. Je ne voulais pas qu'elle sache comme nos parents étaient brisés. Ou plutôt que ma mère était brisée. Alors, je me rapprochais d'elle, et lui adressais un petit sourire, pour qu'elle ne s'affole pas. Je lui tendais l'ourson en peluche qui servait de Joker, et même mon Batman. A elle de tirer les rennes de cette histoire, et fini de jouer pour moi. Doucement, je plaçais mes mains sur les oreilles de ma petite sœur, pour l'empêcher d'entendre, d'écouter. Elle se retourna aussitôt, pour protester à travers un froncement de sourcils qui m'amusait, d'ordinaire. Mais pas maintenant. Ses mains s'apprêtaient à écarter les miennes, mais s'arrêtèrent à mi-chemin. Je crois qu'elle comprenait ce que j'essayais de faire. Nous nous regardâmes quelques secondes, notre silence et nos regards parlant à notre place. Elle me rendit alors mon sourire, sans ajouter quoique ce soit, et saisit les jouets que je lui avais laissés, pour reprendre l'histoire en cours de route. Batman fit un vol plané dans les airs, et Ju vola à son secours.
Maman cria pendant encore quelques minutes, avant de s'arrêter. Je crois que c'est parce qu'elle pleurait trop pour pouvoir crier davantage, ou peut-être que l'indifférence de mon père l'eut à l'usure.
Elle et mon père se disputaient presque tous les soirs, parce qu'il rentrait beaucoup trop tard. Elle était en colère, elle lui en voulait parce qu'il ne passait pas assez de temps avec sa famille, ou même rien qu'avec elle. Il la laissait seule, toute la journée. Il lui manquait, mais je ne crois pas qu'il comprenait tout ça. Je doute que mon père ait été un jour capable de comprendre ou de prendre en compte les émotions de ceux qui l'entourent.
Je ne savais pas qui des deux je devais comprendre le plus ; ma mère toute triste et toute esseulée, ou mon père trop passionné par son travail ? Du moins, je le croyais passionné. Avec mes yeux de petit garçon, je ne voyais que ça : son travail était vraiment important, il empêchait les gens de mourir, il les soignait, les guérissait. Je l'admirais, mon père, je voulais tellement lui ressembler. Avoir cette assurance, cette prestance même, et cette élégance britannique qui était presque clichée.
Il m'emmenait souvent à l'hôpital, pour pouvoir m'enseigner quelques trucs. Rien de traumatisant, ma mère s'en assurait toujours. Je n'y voyais que de beaux moments passés avec mon père, je n'y voyais que de la bienveillance. Je ne faisais pas attention à ses regards, à ses gestes furtifs mais durs. J'étais en totale admiration devant ce maître d'orchestre de bistouris, je voulais être comme lui, sa réplique exacte. Quelque part, je ne comprenais pas ma mère, qui lui en voulait tant ; on n'en veut pas aux héros, on en est reconnaissant.
Des bruits de pas provenant des escaliers me tirèrent de mes rêveries. Mon regard se porta sur la porte fermée, sous laquelle je pouvais apercevoir un peu de lumière, puis une ombre passée. Mes sourcils se froncèrent lorsque je vis cette ombre se rapprocher mais, par chance, elle ne s'arrêta pas devant la porte. Personne n'entra. Qui que cela puisse être, cette personne poursuivit son chemin jusqu'à la pièce suivante, claquant sèchement la porte derrière elle, me faisant sursauter par la même occasion. Les voix avaient cessé de résonner à travers la maison, et à présent un silence pesant régner, un silence profondément triste.
Je retirais mes mains des oreilles de ma petite sœur, et m'approchais d'elle pour lui murmurer ;
« Reste ici, d'accord ? Je reviens vite. » Je n'attendis pas de réponse de sa part, je n'en voulais pas. Je voulais qu'elle reste ici, qu'elle continue d'être aussi innocente que possible.
Sans faire le moindre bruit, je pris les escaliers pour rejoindre le rez-de-chaussée, puis m'avancer lentement jusqu'au salon. Je savais déjà où mon père se trouvait : sur son fauteuil, près de la cheminée. Il était même presque certain qu'un verre de whisky se trouvait dans sa main droite, pendant que la gauche pianoterait sur son accoudoir.
J'étais loin de me tromper, il était à cet endroit, dans cette exacte position. Son regard était perdu dans la danse que réalisaient les flammes. Il semblait en transe, obnubilé par ce mélange intense de couleur et bercé par le crépitement sourd du bois qui se transformerait peu à peu en cendre.
Je me rapprochais en silence, triturant nerveusement mes doigts entre eux. C'était une de mes sales habitudes lorsque j'étais pris de nervosité, mais voilà, je n'étais jamais vraiment rassuré lorsque je le savais en colère, ou même simplement contrarié. Je savais que c'était le cas ce soir-là, qu'il était en colère. L'atmosphère de la pièce était électrique, oppressante.
« Cesse donc de jouer avec tes doigts de cette façon. Ça te donne un air tellement... stupide. », sa voix me fit légèrement sursauter.
J'étais surpris qu'il me sache dans son dos, je m'étais tant appliqué à être le plus discret possible. Et comment savait-il, pour mes doigts ?
Je déglutis, sans même m'en rendre compte, et m'avançais un peu plus encore. Je cachais mes mains dans mon dos, pour qu'il ne puisse pas se rendre compte de leur état. Je les avais tellement trituré que ma peau était rouge à certains endroits, et je savais parfaitement que c'était une chose qu'il ne tolérait pas. Je ne réalisais pas encore à cet âge que même si j'admirais cet homme, je le craignais tout autant.
Son visage m'apparut à mesure que mes pieds foulaient le parquet du salon. Il avait un air sombre, mon père, un air presque solennel, mais austère aussi, mais surtout il avait l'air détaché de tout. Ses yeux noirs se détournèrent des flammes un instant, pour se poser sur moi. Son regard n'avait rien de tendre, en fait j'avais même la sensation d'être inspecté, d'être passé au rayon X.
« Montre-les-moi », m'ordonna-t-il, sèchement. Je n'étais plus inspecté désormais, mais plutôt menacé. Que m'arriverait-il si je ne les lui dévoilais pas ? Je préférais ne même pas le savoir.
Je baissais les yeux, honteux, et tendis mes mains vers lui, priant pour que les rougeurs se soient estompées par miracle en quelques secondes, et craignant sa réaction si ça n'avait pas été le cas.
Sèchement, je sentis l'une de ses mains s'abattre contre l'arrière de ma tête. Rien de fort, rien de douloureux... mais l'avertissement était bien là. Dans son geste, dans sa voix, et dans ses doigts qui cramponnaient ma nuque ;
« Combien de fois est-ce que j'ai bien pu te dire que tu devais y faire attention ?! , me lança-t-il, d'un ton sec, dédaigneux même.
- Je vais faire attention, pardon. »
Une sorte de grognement lui échappa, et je sentis sa main relâcher son emprise, si soudainement qu'elle me poussa légèrement en avant.
Je me figeais, les yeux rivés sur le parquet sous mes pieds, essayant de me demander si cette scène s'était bien produite. Mon esprit de petit garçon ne comprenait pas, qu'est-ce qu'il y avait de si mal à ce que je tortille mes doigts de cette façon ? Ca l'agaçait tant que ça ?
« Vas te coucher maintenant Charles. »
Je hochais la tête, en silence, et fis demi-tour pour retrouver ma petite sœur à l'étage. Le surréalisme de cette scène m'avait secoué. Je savais déjà que mon père n'était pas quelqu'un d'affectueux. Mais plus je grandissais, et plus je le trouvais dénué de toute émotion. Quand ma mère me déposait à l'école, je voyais beaucoup de papa étreindre leur petit avant de leur souhaiter une bonne journée, ou même à la télévision, je voyais tellement d'affection et d'amour... Pas de « bonne nuit », ni de « fais de beaux rêves », rien de tout ça. Juste une espèce d'obsession plus qu'étrange pour mes mains.
Cette fois, je ne pris plus autant de précaution pour être discret, ça m'était un peu égal. Et puis, de toute façon, j'étais un peu trop sonné pour ça. Mais apparemment, pas suffisamment pour ne pas entendre les sanglots de ma mère, qui provenaient de sa chambre. Je savais que tout ça la rendait triste, qu'elle aimerait que mon père soit plus affectueux, même avec elle. En fait... Surtout avec elle. Je pensais qu'elle devait se sentir seule à rester à la maison toute la journée, à ne sortir que pour venir nous emmener ou nous chercher à l'école. J'ignorais même si elle avait des amies, en fait.
Je m'arrêtais, en plein milieu du couloir. Ma petite sœur était toujours à la salle de jeux, mais ma mère était secouée de sanglots. Alors, laquelle ? De qui est-ce que je devais m'occuper en priorité ?
Sept ans. Je n'avais que sept ans, et je savais déjà que ma sœur et moi étions les seuls sur qui nous pouvions compter. J'empruntais alors la porte de la salle de jeux, et forçais un petit sourire à Julia, tendant une main vers elle.
« Au dodo maintenant... »
Elle n'hésita même pas à lâcher sa petite poupée Ju, ni même mon Batman. Elle se leva, et vint attraper ma main, pour que je la conduise dans sa chambre. Je l'aidais à mettre son pyjama, et m'occupais de la border. Son doudou serré fort entre ses bras, elle me regardait, un petit sourire étirant le coin de ses lèvres.
« Tu sais quoi ? Batman et Ju devraient faire équipe, je trouve », me dit-elle.
Un léger rictus passa la barrière de mes lèvres, sans une once d'amusement. Je venais de réaliser qu'elle avait entièrement raison, et que si nous ne formions pas une équipe... alors qui s'occuperait de nous ?
« Entièrement d'accord, Ju. Fais de beaux rêves », je soufflais avant de déposer une bise contre sa joue, puis ramenais sa couverture sur elle, jusqu'à ce que ses épaules soient couvertes.
En sortant de sa chambre, je sentis mon cœur se tordre ; j'entendais de nouveau les sanglots de ma mère, toujours aussi seule dans sa chambre. Je n'aimais pas la savoir dans un tel état. Les rôles s'inversaient, ce n'était plus le parent qui prenait soin de son enfant, et j'étais loin de me douter que cette fois-là était la première d'une longue série.
Je faisais en sorte d'être discret, tout comme je l'avais été en descendant, et entrais dans sa chambre. Elle était allongée sur son lit, les bras étalés le long de son corps et sa joue posée contre l'oreiller sous sa tête. Avec du recul, je supposais qu'elle voulait être entendue, que quelqu'un lui vienne en aide. Sinon, elle aurait cherché un moyen d'étouffer ses pleurs.
Je me rapprochais encore un peu, jusqu'à pouvoir poser ma petite main contre son avant-bras, pour lui signaler ma présence. Elle sursauta légèrement, et ses sanglots s'interrompirent un bref instant lorsque son regard se posa sur moi.
C'était un bref instant qui sembla durer une éternité. Elle me regardait, longuement, et moi je ne parvenais pas à dire quoique ce soit. Je n'entendais que sa respiration, saccadée de sanglot encore un peu retenu. Elle ne disait rien non plus, elle se contentait de me regarder, de réaliser qu'elle n'était plus toute seule. Ce silence entre nous n'était pas nouveau, mais il commençait déjà à devenir un peu trop familier. Nous ne parlions presque jamais, ou du moins rien qui ne sortait de l'ordinaire. C'était souvent des conversations banales, qui montrait qu'elle avait de l'intérêt pour moi mais pas plus, surtout pas plus. Des questions du genre « C'était bien l'école, aujourd'hui ? », ou « Tu as passé une bonne journée ? » qui rythmaient un quotidien bien agencé. Ce genre de questions auquel on répond simplement des « oui, ça a été » ou des « oui, ça va », pour éviter d'approfondir les échanges. Pas question de parler des petites brutes qui ont attaqué l'un de mes copains, non. Pas besoin non plus de raconter que ce bleu que j'avais au coude ne venait pas d'une chute maladroite dans la cour de l'école mais d'un mauvais coup reçu pour avoir prêté main forte à ce même copain. Le moins on se disait, le mieux on se portait, après tout.
Je ravalais le soupir que je manquais de laisser échapper, et écartais son bras pour trouver une place auprès d'elle. Ce dernier vint alors entourer ma petite taille, et je sentis son visage se lover dans le creux de mon cou. Mes yeux se fermaient, et je posais ma main contre la sienne, qui reposait contre mon ventre.
J'avais sept ans.
Seulement.
Trente-quatre ans, et ce genre de souvenirs hantait encore mes nuits.
Lorsque j'ouvris les yeux ce matin-là, je sentais mes bras serrer ma taille, fort, si bien que lorsque je tentais de relâcher cette étreinte à moi-même, je grimaçais de douleur à cause de mes muscles trop crispés. Complètement perdu, déboussolé, je me redressais sur le matelas et parcourais la pièce du regard. J'ignorais totalement où j'étais pendant quelques secondes. Les murs, les meubles et certains bibelots me semblaient familiers, je reconnaissais même quelques photos avec mes enfants... Mais je n'avais aucun repère. Je regardais alors à ma droite, là où aurait dû se trouver Romane, toute endormie. A la place, je n'y trouvais qu'un oreiller et les draps froissés.
Un énième électrochoc. Les souvenirs me revenaient brutalement ; je savais où je me trouvais. J'étais simplement dans l'appartement que je louais depuis que j'avais quitté la maison, il y avait quelques semaines de ça.
Les sourcils froncés, je repoussais sèchement la couverture, puis ramenais mes genoux contre mon buste, passant mes mains contre mon visage, puis à travers mes cheveux pour écarter quelques mèches de mon front. Ce genre de scène, ce n'était pas nouveau pour moi. Depuis le fameux soir où j'avais quitté Romane, je n'avais pas passé une nuit tranquille, réparatrice. Elles étaient toutes ponctuées de cauchemars, parfois sans queue ni tête. Ces cauchemars n'étaient pas forcément violents, il ne s'agissait jamais d'un psychopathe qui me poursuivait avec une arme, non. Ils étaient plus vicieux, ils se jouaient de moi, de mes souvenirs et des décisions que j'avais prises dernièrement. De quoi mettre ma patience et mes nerfs à rude épreuve.
Je restais un long moment assis sur mon lit, recroquevillé sur moi-même, la tête entre les mains. J'essayais de comprendre pourquoi ce passage de mon enfance était revenu perturbé mon sommeil. Je tournais les séquences en boucle dans ma tête, tentant d'y trouver le moindre indice qui pourrait m'aider. A part un début de migraine, il n'y avait pas grand-chose qui me venait à l'esprit. Et je voulais dormir. J'en avais tellement besoin. Fermer mon esprit quelques heures, ne penser à rien, se couper du monde...
Je pris une grande inspiration, et me redressais avant de m'extirper du lit en grimaçant. Je m'étais tellement crispé cette nuit que mes muscles étaient à présent douloureux. Même mon corps me le faisait payer ces derniers temps.
Bouge toi, Charly, pensais-je, t'as du boulot aujourd'hui.
Même le travail m'était devenu une épreuve.
Romane et moi avions l'habitude de nous retrouver parfois. Elle étant sage-femme et moi chirurgien en pédiatrie, nous nous croisions presque tout le temps, ce qui donnait lieu à de petits moments passés en salle de repos, histoire de souffler.
A présent, tout ce que je pouvais croiser dans les couloirs n'était plus que le fantôme de son souvenir ; un baiser volé près d'une machine à café, des mots doux chuchotés à son oreille alors qu'elle était en pleine conversation avec ses collègues pour le simple plaisir de voir ses pommettes rougir. Evidemment qu'elle n'était pas morte, je le savais parfaitement.
Mais c'est un peu ce qu'il se passe en cas de rupture, non ? On le vit comme un deuil. On fait le deuil d'une relation, des habitudes qu'on a pu prendre. Et moi, j'essayais de faire le deuil de tout ça, à ma façon.
Je me trainais jusqu'à la salle de bain, et y évitais soigneusement mon reflet dans le miroir. Je détestais ce que je pouvais y voir, ça m'écœurait même. Je ne supportais pas d'apercevoir ne serait-ce qu'une bribe de mon visage.
Je me préparais à affronter une journée de travail, physiquement, nettoyant mon corps que je sentais encore si sale, si souillé par ce qu'il avait accompli. Mais psychologiquement, j'étais tout sauf prêt à ça, à me retrouver face à la réalité en constatant son absence, encore une fois. Cette sensation de vide ne me quittait pas, comme s'il manquait quelque chose à ma vie pour qu'elle tourne rond. Quelque chose, quelqu'un.
Il y avait de ça quelques semaines, j'avais tout pour réussir, tout pour moi, tout pour être heureux.
Aujourd'hui, je n'étais devenu que l'ombre de moi-même, dévoré par mes souvenirs, jour après jour, nuit après nuit, et rongé par mes remords.
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