Chapitre 7

En media, "Christine"  Christine and the Queen



Françoise n'aimait pas Salvatore. Elle n'était pas sotte, même si elle parlait peu, elle avait bien compris qui il était. Et la mafia ne lui évoquait que des malfrats, des bandits qui exploitaient les gens sous couvert de les protéger. La semaine dernière, Tina, la petite lavandière de la rue San Rocco avait refusé de payé le pizzo, et sa boutique avait été incendiée. Il n'y avait pas de hasard. Les choses se savaient. Salva n'était qu'un sous-fifre pour le moment, mais il obéissait au parrain local, Girolamo Falcioni. La jeune femme ne pouvait pas comprendre comment Giuseppina et ses parents pouvaient accepter cela, et ça la mettait mal à l'aise. Plus le temps passait, plus elle avait envie de rentrer. Ses parents lui manquaient, la France aussi. Elle avait téléphoné à sa mère qui lui avait demandé de patienter quelques semaines. Noël approchait, elle viendrait passer deux semaines à Casalnuovo avec Jean-Pierre, le père de Françoise et ils rentreraient tous ensemble à Nice ensuite. Elle avait parlé de traditions, Noël en famille, et Françoise, peu habituée à protester, s'était laissée convaincre.

En attendant ses parents, elle évitait de passer trop de temps avec sa cousine et la bande de jeunes gens. Sa tante tentait toujours de la pousser à sortir, autant pour qu'elle veille sur sa fille que pour l'encourager à s'amuser. La jeune française rechignait, prétextait des maux de tête, de la fatigue, mais ne pouvait refuser à chaque fois. Les garçons la dévisageaient, ils essayaient toujours de passer un bras autour de ses épaules, la toucher, poser une main sur une cuisse, frôler un sein. Giuseppina et Salva s'embrassaient goulument devant tout le monde, quand ils ne disparaissaient pas à l'extérieur ou dans l'arrière-salle du bar qu'ils fréquentaient. Elle détestait quand l'italienne l'abandonnait avec Rico, Tony ou Elio mais cela n'était rien à côté des regards que lui lançait Salvatore quand ils revenaient. Il finissait de remonter sa braguette ou de boucler sa ceinture et ses yeux plantés dans les iris gris de Françoise lui disaient : « un jour, tu seras à moi aussi. »

C'est pour cela qu'elle s'est méfiée ce jour-là, où ils s'étaient croisés. A cause de ces regards. Il était en voiture, seul, et elle à pied, chargée de commissions. Il s'était arrêté au bord du trottoir, avait baissé la vitre du côté passager.

— Ciao Bella, je te ramène ?

— Bonsoir Salvatore. Non merci, je préfère marcher.

— Sois pas bête, t'es chargée et il fait un froid de canard.

Françoise avait hésité, elle avait mal aux doigts à cause des paniers en osier trop lourds, mais l'idée de partager un espace confiné avec lui ne la mettait pas à l'aise.

— C'est très gentil, mais je suis presque arrivée.

Trop tard. Salvatore avait perçu la légère hésitation dans sa voix. Il était sorti de la voiture, avait pris les courses d'autorité des mains de la jeune femme et les avait déposées dans le coffre avant d'ouvrir la portière à Françoise. Un peu contrainte, n'osant créer de scandale, elle avait pris place à ses côtés.

— Peux-tu me déposer chez mon oncle et ma tante s'il te plait ?

— Bien sûr, principessa, avait-il souri avant de prendre le volant. Alors, dis-moi, tu te plais ici ? On n'a jamais l'occasion de discuter tous les deux.

« Faudrait déjà que tu retires ta langue de la bouche de ma cousine » pensa Françoise, mais elle opta pour une réponse plus polie.

— Oui, beaucoup.

— Quelle conversation. T'es pas une grande bavarde, toi. Et qu'est-ce que tu aimes dans la vie ? Le ciné, comme Pepinna ? Aller à la mer ?

— J'aime lire, murmura Françoise.

— Lire ? Qu'est-ce que c'est ? lança Salvatore avant d'éclater d'un rire gras. Et c'est tout ? T'aimes rien d'autre ? La bouffe, t'aimes pas la bouffe ?

— J'adore les pasti secci, avoua-t-elle. Ceux aux amandes surtout, les amaretti.

— Ah bah voilà ! T'en as de la chance, je connais le meilleur pâtissier de la région, c'est à deux pas d'ici, fit le calabrais en changeant de direction.

— Salva... Non, je préfère rentrer. Rosa m'attend.

— T'inquiète, c'est à Taurianova, c'est pas loin.

Françoise se sentait prise au piège. Elle tenta encore de protester, mais le jeune mafieux l'ignorait, un sourire satisfait aux lèvres. Elle avait envie de pleurer.

A la pastecceria « Bonbon », il lui fit goûter plusieurs sortes de pasti secci, jusqu'à l'écœurement, puis il consentit enfin à la ramener, après plusieurs demandes. La nuit était tombée, Françoise fut soulagée quand l'Alfa Romeo repris le chemin de Casalnuovo. Pourtant, juste avant d'entrer dans la ville, la voiture rouge se gara sur le côté de la route, le long d'un champ d'oliviers.

— Qu'est-ce que tu fais, Salvatore ? demanda Françoise, en essayant de maîtriser le tremblement de sa voix.

— On s'amuse bien, on ne va pas déjà rentrer...

— Écoute, il est tard, Rosa a besoin des courses pour préparer le repas, et elle va s'inquiéter...

— Du calme, Francesca. Tu pourrais me remercier pour les pasti, quand même.

— Je l'ai fait, je te l'ai dit, c'est très gentil, mais maintenant...

— Pas comme ça Francesca, pas comme ça... me remercier vraiment, souffla-t-il en posant sa main sur la cuisse de la jeune femme.

Elle tenta de la repousser mais il insista fermement.

— Arrête, et ramène-moi s'il te plait, supplia-t-elle, cédant à l'affolement.

Françoise ne savait pas que pour les prédateurs comme Salvatore, la panique dans les yeux de ses victimes ne fait que les exciter davantage.

Et ce qui se passa ensuite dans cette voiture, sur cette route isolée, elle aurait voulu l'oublier, pouvoir ne plus jamais y repenser. Elle ignorait qu'elle en garderait un souvenir tout le reste de sa vie.

Il poussa le vice jusqu'à la raccompagner jusque devant chez Rosa et Pasquale, comme si de rien n'était. Il sortit les courses du coffre, embrassa la jeune femme sur la joue où les larmes avaient séché, lui souhaitant une bonne soirée.

Comme un robot, Françoise déposa les paniers dans la cuisine, ignorant les remarques acides de la cousine de sa mère sur l'heure tardive et le regard inquisiteur de Pepinna qui l'avait vue sortir de l'Alfa Roméo rouge, et partit s'enfermer dans la salle de bains où elle frotta son corps dans la baignoire, vigoureusement, désespérément, mais sans pouvoir faire disparaitre la sensation des mains de l'homme sur sa peau, le souvenir de son corps en sueur contraignant le sien. Elle alla se coucher directement ensuite, et dans son petit lit pliant, elle pleura toutes les larmes qui lui restaient encore.

Dans le couloir, derrière la porte de bois, Giuseppina écoutait sangloter la jeune française, les poings serrés, la mâchoire crispée. Elle imaginait tout un tas de scénarii qui pouvaient expliquer tant de larmes, mais en réalité, elle savait très bien ce qui s'était passé. Elle savait ce que voulait Salvatore, et que quand il désire quelque chose qu'on lui refuse, il le prend, tout simplement.

Elle finit par entrer au chevet de sa cousine, et s'agenouiller au bord du lit. Françoise se retourna pour cacher son visage.

— Dis-moi ce qu'il y a, Francesca, murmura-t-elle

— Laisse-moi, hoquetta la française, rabattant la couverture sur son visage.

— Il l'a fait, hein... Salvatore... il t'a...

Seuls des gémissements lui répondirent, et les spasmes de sanglots reprirent de plus belle.

Folle de rage, la jeune italienne attrapa sa veste, et sortit en claquant la porte. Ce salaud, il allait lui payer. Elle courut presque, pour franchir les deux kilomètres qui la séparaient du bar où le groupe de jeunes gens avait ses habitudes. Effectivement, il était là, buvant des bières avec ses potes, sa bande de mafieux mal dégrossis.

— Toi ! rugit-elle en brandissant vers son fiancé un index furieux.

Tout le monde s'interrompit pour regarder son entrée en fanfare, et déjà, elle entendait les moqueries d'Elio, Tony et les autres. Mais Salva ne riait pas, lui, il savait pourquoi elle était là. Il la prit par le bras et l'entraîna à l'extérieur.

— Je sais ce que tu as fait ! hurla-t-elle

Mais il se contenta de la regarder de cet air un peu dédaigneux qu'il lui réservait lorsqu'il trouvait qu'elle exagérait. Ses yeux tombants n'exprimaient aucune autre émotion qu'un vague ennui.

Folle de rage devant son indifférence, Peppina se jeta sur lui, prête à tout pour lui arracher n'importe quelle réaction. Elle ne récolta qu'une belle gifle qui résonna dans l'arrière-cour déserte.

Le souffle coupé, les larmes aux yeux, elle porta sa main à sa joue endolorie, dévisageant celui qu'elle avait cru aimer.

— Je vais le dire, tu entends, je vais raconter à tout le monde ce que tu as fait à cette pauvre Françoise, articula-t-elle, tremblant de rage, avant de tourner les talons, mais Salvatore la tira par les cheveux. Elle étouffa un cri alors qu'il la forçait à faire volte-face.

— Non, tu vas être bien gentille, Peppina, et fermer ta grande bouche.

— Jamais ! Ça ne se passera pas comme ça ! Tu vas payer !

— Je crois que tu n'as pas compris qui j'étais...

— Oh mais si je sais, je ne dis rien, mais je sais très bien comment tu occupes tes journées ! Seulement, je ne suis pas certaine que le grand Signor Falcioni soit ravi d'apprendre que tu es prêt à salir la réputation de la famille juste parce que tu ne sais pas garder ta queue dans ton pantalon !

— Tu vas te taire, Peppina, je vais te faire taire... répéta Salvatore, d'un ton doucement menaçant, alors que sa main droite, qui maintenait le menton, de la jeune femme descendait lentement sur sa trachée.

Elle essaya, en vain de se débattre. Salvatore aima sentir le pouls rapide de Peppina sous ses doigts, voir la panique dans ses yeux, ses gestes désordonnés. Il aima entendre ses halètements rauques de plus en plus faibles. C'était la première fois qu'il ôtait la vie, mais cela lui plut beaucoup. Cet ultime pouvoir de décision. Cette impression d'être un peu Dieu. Il ferait une belle carrière, c'est sûr.

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