Chapitre 3

En media, "Trouble", Cage the elephant

Le hall de la salle des fêtes est encombré de brancards, tables et appareils compliqués. Il y a des personnes de tous les âges, plusieurs autour de la cinquantaine, pas trop de jeunes. Je n'ai jamais eu la phobie des hôpitaux, mais ça me fiche la trouille, il y a une odeur bizarre, une atmosphère étrange de faux calme et à peine arrivée, j'ai envie de repartir. Tom doit pressentir mon geste car il se dirige vers le personnel d'accueil en tenant fermement ma main qu'il ne lâche que lorsque je suis prise en charge pour remplir le questionnaire préalable, destiné à savoir si je suis apte à donner mon sang. Un clin d'œil d'encouragement et c'est parti. Il sait combien je suis orgueilleuse, je ne peux plus reculer.

Je réponds bravement aux questions, en remuant un peu sur ma chaise. Le jeune médecin en face de moi est sérieux, et j'ai peur de ne pas donner les bonnes réponses, je me sens comme à un oral de concours. Mais puisque je n'ai pas eu de multi-partenaires, ni de tatouage au cours des derniers mois, et que je ne reviens pas de zones à risques, je semble remplir toutes les conditions.

- Bon, alors, je vous explique la suite, poursuit le médecin en posant son stylo. Comme c'est votre première fois, nous allons commencer par contrôler votre taux d'hémoglobine, avec ce photomètre, c'est quasi-indolore et instantané.

Les yeux baissés vers ma main gauche, je regarde l'homme désinfecter mon index, le piquer avec une lancette pour absorber le sang et l'insérer ensuite dans un petit appareil posé sur son bureau.

- Et voilà ! Je vous oriente vers un don simple pour commencer, surtout que vous êtes un petit gabarit, mais rien ne vous empêche de revenir dans huit semaines, hein... Ah bah non... vous êtes drôlement anémiée, madame. Vous ne m'aviez pas dit que vous aviez une thalassémie ! Vous auriez dû nous le préciser... grogne-t-il en se levant avec impatience.

- Une quoi ? Thalassémie ? Qu'est-ce que c'est ?

Le médecin me considère un instant, et la curiosité remplace la contrariété sur son visage. Il a l'air de se demander si je me moque de lui, mais il se rassoit finalement en face de moi, derrière la table qui lui sert de bureau.

- Une thalassémie, madame. Une anémie méditerranéenne. Vous ne le saviez pas ?

- Non... C'est grave ?

- Vous êtes en bonne santé, c'est forcément une bêta-thalassémie mineure, alors non, ce n'est pas vraiment grave, mais c'est étonnant que vous ne soyez pas au courant, c'est une anémie héréditaire. L'un de vos parents est espagnol, italien, grec ?

Je cherche Tom des yeux, mais il est allongé à l'autre bout de la salle, il ne peut pas me voir.

- Non, rien de tout cela.

L'homme grince des dents, il semble réellement ennuyé.

- Écoutez, je ne veux pas trop m'avancer. Je vous conseille de prendre rendez-vous avec votre médecin traitant, il vous prescrira un hémogramme et vous serez fixée. Mais pas de don pour aujourd'hui, j'en suis désolé.

Il tente un sourire poli et je comprends que je dois laisser ma place à un autre. Je le remercie, un peu groggy, et traverse la pièce pour rejoindre mon amoureux.

- Ça va ? Ça s'est bien passé ? s'enquiert-il dès que j'approche.

- Je... euh non, je ne peux pas donner mon sang, a priori j'ai une espèce d'anémie.

- Oh mince ! Rien de grave ?

- Non, je ne crois pas... ça dure encore longtemps ton truc ?

- Une heure et demi environ. Je te rejoins après à la librairie, si tu veux, tu n'as pas l'air dans ton assiette.

- Si, si, ça va. Pas besoin. Bon courage pour tout ça, à plus.

- Attends...

Tom attrape mon bras avec sa main libre et m'attire à lui. Il se redresse comme il peut et m'embrasse tendrement.

- Mon amour... j'arrive dès que j'ai fini ici.

Il est presque onze heures trente quand Tom pénètre dans la boutique. Il y a quelques clients, je suis occupée avec l'un d'entre eux. Il se dirige vers la partie salon de thé de notre petite librairie, se prépare une tasse de Earl Grey et passe entre les rayons, donnant son avis aux clients, n'hésitant pas à engager la conversation. Je m'interromps pour le regarder, sourire aux lèvres.

Nous fermons comme chaque jour à midi et sortons pour déjeuner.

- Chez toi ou chez moi ?

- T'as pas le moral et moi je suis tout faiblard, resto.

- T'as pas l'air si faible... objecté-je en souriant.

- Si, si, je t'assure.

Installés dans une brasserie, je lui rapporte les paroles du médecin de l'EFS. Tom fronce les sourcils mais me rassure.

- Fais des examens complémentaires. Il a dû se tromper, ce médecin. Est-ce qu'on est sûr que c'est fiable, ce petit appareil qu'il a utilisé ? Ça fait beaucoup de choses qui ne collent pas... Tu as déjà fait des prises de sang tout de même ?

- Oui, bien sûr, et mon docteur ne m'a jamais signalé cette maladie !

- Ton docteur ? Tu as toujours eu le même praticien ? s'étonne-t-il.

- Oui, mon médecin de famille, quoi. Celui que je vais voir depuis que je suis gosse. Pourquoi ?

- Pas d'hospitalisation non plus ?

- Non, Tom. A quoi tu penses ?

- Ne t'inquiète pas. C'est sûrement une erreur.



L'après-midi, la petite Flore fête ses sept ans à la librairie. C'est un des services que je propose. Activités manuelles, goûter et lecture de contes, ça marche plutôt pas mal et la librairie est réservée presque tous les mercredis après-midi. Je suis encore un peu gauche avec les enfants, mon amie Capucine, enseignante, est donc en général là pour m'aider, et Thomas prend la vente en charge afin que je puisse me consacrer aux bambins.

Ce groupe est plutôt calme et agréable, composé uniquement de fillettes, à part Gaspard, l'amoureux de Flore, qui se tient à carreaux.

Je fais peindre un cadre en bois à chaque enfant, puis j'organise une séance photos avec différents accessoires et nous passons au goûter. Mon voisin boulanger confectionne pour chaque anniversaire un gâteau choisi par l'enfant ou ses parents, que nous accompagnons de jus de pommes bio de la Meuse, ou de citronnade maison, spécialité de Tom. Enfin, après le goûter, les enfants décorent leur cadre avec rubans bariolés, paillettes, petites pièces de bois en forme de cœurs, d'étoiles ou d'oiseaux, morceaux de feutrines... J'imprime une photo des amis réunis et Capucine la place dans chaque cadre pendant que je raconte des histoires aux petits, assis sur des coussins, pour clôturer l'après-midi. J'offre son livre préféré à la petite reine de la journée, et chacun repart avec son souvenir.

Thomas m'abandonne peu après, le mercredi soir, il donne des cours d'alphabétisation dans un quartier difficile du nord de la ville, et je me rends de mon côté à mon entraînement de boxe thaï.

La journée a été dense, bien remplie, aussi, quand je m'endors, seule, quelques heures plus tard, je ne pense plus du tout à cette histoire de maladie héréditaire, en tout cas pendant quelques jours.

***

Ce dimanche midi, nous déjeunons chez mes parents. Mon frère et sa compagne Solène, qui est aussi la cousine de Thomas, sont en retard. Leur petit Loris a passé une mauvaise nuit, il se rattrape pendant sa sieste du matin et les jeunes parents le laissent récupérer. Nous décidons de ne pas les attendre pour l'apéritif.

Bien qu'ils aient fait la paix, les relations sont encore quelques peu tendues entre Thomas et mon père. Ce dernier a eu du mal à lui pardonner de m'avoir quitté pour partir faire le tour du monde, lorsque nous étions plus jeunes. Ce n'est plus qu'un mauvais souvenir, mais mon papa a la dent dure. Pourtant, il a mis sa rancœur de côté quand Tom m'a permis de réaliser mon rêve, devenir libraire et maintenant qu'il me voit si heureuse, entre mes livres et mon amour, je sais qu'il a tourné la page. Il reste néanmoins bougon à l'égard de l'homme que j'aime, comme pour lui faire comprendre que ce ne sera pas si facile de regagner sa confiance. Tom voit clair dans son jeu, et y entre volontiers.

Nous échangeons les dernières nouvelles de la famille, puis j'en profite pour remettre le sujet sur le tapis.

- Vous êtes bien nés à Nice tous les deux, n'est-ce pas ?

- Oui, Loulou, pourquoi ?

- Et tes parents, Mamoune ? Papi et mamie, ils ont des origines méditerranéennes ? Italiennes, espagnoles... ?

- Pourquoi tu me demandes cela ? demande ma mère avec méfiance.

- Eh bien, figurez-vous qu'il m'est arrivé un truc dingue ! Mercredi matin, Tom et moi sommes allés à une collecte de l'EFS, et je n'ai pas pu donner mon sang ! Le médecin pense que j'ai une sorte d'anémie, en rapport avec les pays du Sud, et...

Elle échange un bref coup d'œil avec mon père et m'interrompt.

- Non.

- Quoi, non ? demandé-je, surprise.

- Non, on n'a pas d'origines étrangères. Ni moi, ni ton père.

- C'est bien ce que je pensais, et puis, si j'avais cette espèce de maladie, le docteur Henri l'aurait probablement vu.

- Évidemment. Bon, qu'est-ce qu'il fait Nico ? Il est presque treize heures. Tant pis pour lui, on passe à table.

Elle a beau essayer de donner le change, la nervosité inhabituelle de ma mère ne m'échappe pas, pas plus que l'air sombre de mon père. Tom me regarde gravement, il sent un loup aussi. Je fais semblant de rien le reste de la journée, et lorsque mon frère arrive, l'attention de chacun se reporte sur Loris, notre filleul à Tom et moi, celui grâce à qui nous sommes réunis.

Nous rentrons chez moi en fin de journée. Dans la voiture, nous faisons le point sur la semaine à venir, la liste des choses à faire, puis nous arrivons à mon appartement, veillant toujours à ne pas nous parler franchement. Je mets de la musique et pends du linge pendant que Tom passe l'aspirateur, puis je vais prendre une douche. Ça a toujours été un moment propice à la réflexion, le moyen de me ressourcer. Quand je sors, je suis prête et Tom aussi. Assis sur le canapé, il m'attend.

Je vais m'assoir face à lui, sur le tapis, et ramène mes genoux contre ma poitrine.

- Ils ont réagi bizarrement mes parents, hein.

- Oui.

- Qu'est-ce que je dois en conclure, selon toi ?

Tom hésite, hausse les épaules.

- Je ne sais pas, mais pour commencer, il faudrait refaire une prise de sang, vérifier le diagnostic du médecin du centre de collecte.

- Mais c'est impossible, on le saurait ! Le docteur Henri...

- Lou, je pense que tu devrais aller consulter un autre médecin.

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