Chapitre 28
En media, "Bonny and Clyde", Serge Gainsbourg Brigitte Bardot
Dès le lendemain matin, bien décidée à laisser s'impliquer Tom, je ressors tous les dossiers et notes, et lui expose ce que je sais, ce que j'ai appris, même s'il s'agit de bien peu de choses, avant de partir faire le pied de grue devant une église au hasard. Je n'ai jamais recroisé Montolo devant l'église blanche. Je ne sais même pas s'il va régulièrement à la messe, mais je n'ai aucune autre piste pour le moment.
Mon amoureux compulse les papiers, les sourcils froncés. Je le vois consulter son téléphone, sa montre, et j'attends patiemment qu'il me livre son analyse.
— Il y a sept églises à Casalnuovo, me dit-il, page Wikipédia à l'appui. Et elles officient toutes le dimanche matin. Où étais-tu la semaine dernière ?
— A la Sainte-Famille.
— OK ; on va la retirer, du moins momentanément, puisque tu ne l'as pas vu. Les messes à San Rocco et l'église du Calvaire n'ont pas encore commencé, je te propose qu'on aille chacun y faire un tour, et la semaine prochaine, on essaie les trois qui restent, avec l'aide d'Enzo s'il est disponible. Ça te va ?
Je hoche la tête, impressionnée.
— Si je le vois, poursuit-il, je t'appelle immédiatement pour que tu me rejoignes. Guette ton téléphone. Je vais faire l'entrée et la sortie, et sinon, on se rejoint ici ensuite, d'acc ?
— Oui... c'est... une bonne idée. Merci, Tom.
— De rien. Le Calvaire est la plus éloignée, elle est tout à l'Est de la ville, j'y vais moi, en voiture, et je passerai prendre du pain au retour. Je te dépose près de San Rocco ?
— Non, c'est tout près, je la connais bien, c'est celle à côté de la villa et du centre. Ça m'étonnerait que Montolo y aille, c'est vraiment loin de chez lui.
— Qui ne tente rien... Allez, on se met en route, on n'est pas en avance. A toute, Bonnie, sourit-il en m'embrassant.
Je le retiens un instant, mes bras autour de son cou.
— A plus, Clyde. Sois prudent.
— Toi aussi.
Je marche d'un pas rapide jusqu'à la bâtisse de pierre jaunes, dont les cloches résonnent déjà pour appeler les paroissiens. Ce n'est pas la plus grosse église mais c'est la mieux située et il y a déjà beaucoup de monde sur la petite place devant l'édifice quand j'arrive. Je tente de me frayer un passage entre les différents groupes et finis par monter sur un petit muret pour dominer la foule. Discrétion néante, mais tant pis, je ne peux pas me résoudre à passer à côté de lui s'il devait être là. Mais évidemment, pas de trace du mafieux. J'attends que tout le monde soit entré ou éloigné, puis, maussade, je me dirige vers un banc du viale, le petit chemin qui longe le parc botanique, à quelques dizaines de mètres de là pour attendre la fin de la messe. Je n'ai pas le temps de l'atteindre que je reçois un sms de Tom.
De Tom❤️: Pas de Salvatore mais je suis quasi certain d'avoir aperçu sa femme et son fils. Veux-tu que je vienne te chercher ?
Mon cœur s'emballe. C'est un tout petit morceau d'espoir, mais c'est mieux que rien. Et qui sait, il va peut-être rejoindre son épouse aussi, ou venir la chercher. J'accepte bien vite la proposition de Tom et bats impatiemment des jambes sur mon banc en l'attendant. Enfin, au bout d'une dizaine de minutes, j'aperçois sa voiture approcher et me précipite sur le siège passager, à peine s'est-elle immobilisée.
— Allez, fonce ! m'écrié-je en attachant ma ceinture.
— Calm down, on a le temps de l'office quand même, il reste au moins une demi-heure.
— Quand même, dépêche-toi ! J'ai pas envie de les louper...
Tom sourit avec indulgence, et me conduit jusqu'à l'église du Calvaire, à l'autre bout de la ville.
Effectivement, nous arrivons largement en avance. Tom me dépose, va se garer et me rejoint avant que la messe ne soit achevée. Il s'assoit à côté de moi sur le muret où je gigote, et passe un bras autour de mes épaules, pose l'autre sur ma cuisse.
— Tu fais quoi, là ? C'est le moment, tu crois ?
— C'est pour passer incognito. On est juste un couple de mécréants qui se bécote le dimanche matin au lieu d'aller prier, m'explique-t-il avec son sourire désarmant.
Je glousse, et me laisse aller dans ses bras, jusqu'à ce que les cloches sonnent la fin de l'office religieux. Je me redresse alors brusquement, les yeux fixés sur la grande porte de bois. Mon amoureux me lâche prudemment, sur le qui-vive lui aussi.
Des grappes de personnes arrivent sur le parvis, riant, discutant, et s'éloignent en devisant. Puis elle sort à son tour. Je la reconnais immédiatement, même sans Salvatore. J'ai tant observé sa photo, que c'est comme si je la connaissais. Elle porte une robe noire à pois blancs, et des gants, un chapeau, comme dans les années soixante. Elle tient le bras d'une femme plus âgée et aussi apprêtée qu'elle, sa mère probablement. Michele est dernière elles, il les suit en traînant la patte, avec l'air revêche de l'adolescent au meilleur de sa forme. Tom presse ma main, mais je la lâche pour me lever, ne pas perdre ma cible de vue.
— Je m'occupe d'eux, vérifie si Montolo arrive, soufflé-je à Tom.
Il acquiesce silencieusement, et s'éloigne vers la rue tandis que je tente de suivre le groupe qui m'intéresse. La mère et le fils se sont joints à un couple âgé, avec lequel ils discutent. D'autres arrivent, certains repartent, la femme du chef semble très sollicitée, et les discussions s'éternisent. A quelques mètres d'eux, je tente de garder une contenance, mimant d'être passionnée par l'écran de mon smartphone. Enfin, elle se décide à prendre congé et s'éloigne, sa mère et son ado boudeur toujours aux basques, pour se diriger vers sa voiture. J'ai été tellement obsédée par sa présence, que je n'avais pas vu sa Fiat 500, parquée n'importe comment, sur la place juste devant l'église. Piètre enquêtrice. Je n'ai pas le temps de me maudire que la voiture de Tom s'arrête à ma hauteur, et qu'il se penche par la fenêtre.
— Tu montes ?
Je contourne le véhicule en courant et saute à l'intérieur pour ma première filature en voiture. Il conduit nerveusement pour ne pas se faire repérer, sans perdre la Fiat des yeux. Je ne sais pas où cela va nous mener, mais mon cœur bat si fort qu'il résonne jusque dans mes oreilles. Les battements décelèrent néanmoins d'un coup, quand je reconnais le chemin.
— Laisse tomber, maugréé-je, elle rentre juste chez elle. Ça ne sert à rien.
— Tu crois ? Je continue quand même, on ne sait jamais.
Je me rejette en arrière sur le siège passager, les yeux fermés, laissant le goût amer de la déception d'infiltrer. J'en ai marre.
Tom la file effectivement jusqu'à la grande résidence. Madame Montolo s'arrête le temps que la grille électrique s'ouvre, puis pénètre dans l'enceinte. Mon amoureux la dépasse, et s'arrête un peu plus loin, dans une rue perpendiculaire, coupe le contact.
Délicatement, il retire mes paumes qui cachent mes yeux.
— Eh Babe, c'est pas si grave, murmure-t-il.
— J'y croyais Tom, je pensais vraiment qu'elle allait nous mener à lui. Je ne sais pas quoi faire... je vais finir par aller sonner à leur porte.
— Et ensuite ?
— Quoi, ensuite ?
— Une fois que tu auras sonné chez lui, qu'est-ce que tu vas lui dire ? « Salut Papa ! Les mains en l'air, je viens te faire arrêter » ?
— Merde, Tom ! Tu te crois malin ?
— Pardon, Lou, mais... je ne sais pas quoi te dire. J'aimerais vraiment pouvoir faire plus, faire mieux pour t'aider.
— Peut-être qu'il n'y a plus rien à faire.
Nous rentrons tristement à la maison. Il est presque midi. Tom s'attelle à la préparation du déjeuner pendant que je rumine sur le canapé du salon. Il y a vingt-quatre heures, j'étais pleine d'une ambition nouvelle, mais aujourd'hui, tout est différent. J'ai la sensation d'être arrivée au bout du chemin. J'ai voulu, j'ai espéré, je me suis prise pour ce que je ne suis pas, mais au final, j'ai perdu presque six semaines de ma vie ici, et beaucoup d'illusions. Au fur et à mesure que les jours passent, je suis de plus en plus triste et aigrie, mes vieux travers que je pensais loin de moi refont surface au rythme des déconvenues, or, je ne veux plus être cette Lou, pas avec Thomas en tout cas. Il faut que j'admette ce que je refuse de voir : je ne peux rien contre Montolo. Cette énième déception a raison de mon orgueil, je vais m'arrêter avant que cette histoire ne nous ronge complètement, Tom et moi. C'est fini.
Appuyé contre le chambranle de bois, il m'observe, ses yeux bleus assombris par l'inquiétude. Nous nous dévisageons, en silence.
— C'est prêt, dit-il simplement au bout d'un moment, avant de tourner les talons.
Je soupire, et me lève pour le suivre.
Il a préparé des pasta alla Norma, une sauce à base d'aubergines et de ricotta. Depuis qu'il est ici, il a subtilisé un tas de recettes à notre voisine, et teste chaque jour un nouveau plat. Il cuisine désormais aussi bien qu'une mamma locale.
Le plat est savoureux, mais je n'ai pas d'appétit, et je chipote, jouant avec mes pâtes du bout de la fourchette.
Personne ne parle, seul le bruit des couverts de Tom contre son assiette brise le calme. Il finit par s'interrompre, et repousse son assiette, saisissant ma main au passage. Ses iris marine me sondent et m'encouragent, je me décide alors à lui livrer le fond de ma pensée, bien consciente qu'aucun retour en arrière ne sera plus possible.
— On arrête. C'est mort.
Il cligne des yeux sans comprendre, je précise.
— Si tu veux bien, tu peux prendre des billets de retour pour nous deux... dimanche prochain s'il reste de la place sur le vol.
Je l'avais imaginé sauter de joie, me prendre dans ses bras, mais il n'en est rien, il reste silencieux.
— Tu n'es pas content ?
— Lou... hésite-t-il. Tu prends ta décision sur un coup de tête, ça ne te ressemble pas... Aujourd'hui, tu laisses la déception parler pour toi et ce n'est pas une bonne conseillère.
— Peut-être, mais tu avais raison hier soir. Je suis fatiguée de tout cela, Tom. D'être ici, loin de ma famille et de nos amis, de la librairie. Que mes journées ne tournent qu'autour de ce monstre, sans pour autant n'arriver à rien... J'ai envie qu'on reprenne notre vie d'avant, tous les deux, heureux.
— Tu penses y arriver sans aller jusqu'au bout ?
Je lève les mains, dans un geste fataliste.
— Je pense que je n'ai pas le choix. Ça fait plus de six semaines que je suis ici, et je n'ai toujours pas avancé... Il est temps que j'arrête de me voler la face. Au moins, j'ai essayé. J'y penserai sûrement ces prochains mois, mais ça va s'estomper, et un jour j'oublierai ce sale type.
Mon amoureux réfléchit, les mains jointes devant sa bouche.
— Écoute, voilà ce que je te propose : on n'est pas pressés, avant mi-août, ce sera calme à la librairie. Je prends les billets pour dans deux semaines, on se fait de vraies vacances ici : plage, balades, farniente... si d'ici là tu changes d'avis, j'annule le retour. Et dimanche prochain, on peut éventuellement aller voir les trois dernières églises, juste au cas où... Qu'en dis-tu ?
— J'en pense que tu es le meilleur amoureux dont on puisse rêver. Et cette idée de vacances dans ce paradis, c'est parfait. C'était trop bien hier.
Enzo nous rejoint le soir pour dîner, et je lui confie mes changements de plans. Il semble déçu, autant de notre départ que de ma défection soudaine, mais ne me reproche rien. Il s'excuse, au contraire, de n'avoir pu m'aider suffisamment. Nous passons la soirée à prendre des notes sur les jolies choses à voir et à faire en Calabre : la plus belle plage du Sud de l'Italie, à Vibo Valentia, une grande promenade au bord de Vacale, la rivière de Casalnuevo, aux multiples cascades, visiter Pentedattilo, ce village fantôme au cœur de la montagne, la fête médiévale de San Gorgio, et toutes les sagre qui ont lieu pendant l'été dans les communes environnantes.
En me couchant ce soir-là, dans les bras de Tom malgré la chaleur étouffante, je me sens triste d'abandonner, mais surtout en paix avec moi-même. Je découvre l'agréable sensation que l'on éprouve quand on a pris la bonne décision, quoiqu'elle nous coûte.
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