Chapitre 27
En media, "the wanderer", Jil is lucky
Quand j'ouvre les yeux, je suis seule dans le lit mais l'oreiller à côté de moi est froissé, son livre et ses lunettes sont posés sur le chevet. Je souris et me roule sur le dos, m'étire longuement. Tom est là. Tous les muscles de mon corps sont douloureux, mais je me sens heureuse comme ça n'a pas été le cas depuis plusieurs semaines. Neuf heures quinze. Je n'ai jamais dormi aussi tard depuis que je vis ici.
La veille, nous avons fait une longue promenade après le repas. Nous avons commencé par aller saluer Cuncettina ensemble, même si Tom était un peu gêné par leur dernière rencontre, puis je lui ai montré les lieux que j'ai découverts et que j'aime ici, la villa comunale bien sûr, le petit centre-ville, les jolies places, les fontaines anciennes où l'on peut boire de l'eau fraîche et pure. La nuit tombée, j'ai relevé le challenge et l'ai laissé sélectionner trois parfums de glace que j'ai ensuite avalé sans moufter, même si je continue de penser que prendre autant de calories pour manger quelque chose qu'on a pas choisi, c'est quand même un peu con. Et inutile, parce que je préfère quand même ceux que je prends habituellement. Enfin, sauf tartuffo, peut-être. Ça, c'était vraiment bon.
Je l'ai emmené jusqu'au pozzo, et nous avons dégusté notre dessert sur ce petit belvédère, face aux étoiles, dans cet endroit qui deviendra notre favori à Casalnuovo, notre rituel chaque soir, où, une granita ou un pot de glace à la main, Tom m'apprendra à reconnaître les constellations qui déroulent leur arc scintillant devant nous.
Je me lève et ouvre en grand la porte fenêtre, pour recevoir l'air déjà tiède sur mon visage, puis je descends le rejoindre dans la cuisine.
— Ciao Bella, sourit-il en venant m'embrasser. Bien dormi ?
— Oh, que oui, je réponds, extatique.
Il est en train de se battre avec la moccha, et je la lui prends des mains pour lui montrer comment fonctionne la cafetière, pour une fois que je peux lui apprendre quelque chose dans une cuisine. Il suit mes mouvements, attentif, afin de pouvoir à son tour préparer le café demain matin.
— Je n'ai pas de thé, désolée. Je ne t'attendais pas...
— Pas grave, je prendrai du café en attendant qu'on en achète, il a l'air terrible le kawa qu'on fait avec cette machine.
— Et attends de goûter aux cappuccini de chez Bernini !
Je sors un paquet de gâteaux secs aux amandes que nous grignotons en attendant que le café monte, puis je nous sers deux tasses.
— Hum... respire Tom, les yeux fermés. Il goûte et sourit. Ça ne vaut pas un bon earl grey, mais c'est pas mal du tout. Bon, alors, c'est quoi le programme d'aujourd'hui ?
— Eh bien, je te propose que nous allions prendre la suite du petit déjeuner dans mon QG, et faire quelques courses à côté. Ensuite... je vais y aller Tom.
— Où ? demande-t-il innocemment en croquant dans un biscotto.
— Eh bien, je vais... hum... faire ce que je fais depuis que je suis arrivée. Je vais passer devant chez Montolo voir s'il y a du mouvement, peut-être planquer chez son comptable...
— Et moi je reste ici, c'est ça ?
— Tom... je suis désolée, mais on en a parlé hier, c'est ce qu'on avait convenu.
La contrariété passe sur son visage, mais il ne proteste pas. D'un geste sec, il vide sa tasse, et la repose sur la table.
— De toute façon, j'ai pris plein de bouquins, bougonne-t-il. Bon, on va le boire ce cappuccino ?
***
Enzo a été ravi de trouver mon amoureux assis à la table de la cuisine quand il m'a rejointe pour dîner le lundi soir. Je crois, qu'en bon italien, il est rassuré de savoir que mon fiancé veille sur moi, même si ce n'est pas vraiment le cas. Et puis, il n'a pas beaucoup d'amis, hormis ses collègues, et Tom et lui s'entendent bien. Notre présence semble le divertir, il est heureux de passer du temps en notre compagnie.
Notre petite vie s'organise, ici aussi, tout doucement. Nous prenons nos marques à deux, et je suis heureuse de me coucher aux côtés de mon amour, chaque soir. Il s'est parfaitement intégré à ma routine, preuve que nous sommes faits pour aller ensemble, et il joue à l'homme au foyer, nettoyant la maison, préparant de bons petits plats ou bavardant avec Cuncettina quand je vais, de mon côté, faire le détective. Hormis ces quelques heures quotidiennes séparés, nous passons tout notre temps ensemble et vivre avec lui me paraît désormais plus qu'une évidence. J'attends avec impatience la délivrance, ce moment où, libérés, nous pourrons rentrer en France et acheter notre appartement.
Thomas me réclame tout de même une trêve d'un jour, pour mon anniversaire, ce que je lui accorde bien volontiers. J'aurai trente ans le vingt juillet et la perspective de les fêter sans ma famille et mes amis est un coup dur.
— Happy thirtieth, my love, sourit-il quand je m'éveille, et encore embrumée par le sommeil, je me dis que l'avoir à mes côtés est d'ores et déjà mon plus beau cadeau.
Quand nous descendons un peu plus tard, je trouve deux paquets sur la table de la cuisine. Tom me tend le plus petit, et je découvre, sous le papier d'emballage, un album-photos. Sur chaque page, un cliché grand format d'un de ceux qui me sont chers, avec un « 30 », dessiné par trente objets. Trente craies pour Capucine l'instit, trente cubes de bois à côté de la bouille de Loris, trente capsules de bière et le sourire de Baptiste, mon ex-copain qui est resté mon ami. Il y a tout le monde, petits et grands, amis et famille, tous ceux qui comptent à mes yeux ont posé pour Thomas avant son départ, pour fêter mes trente ans avec moi, même à deux mille kilomètres. Je tourne chaque page, les larmes aux yeux, découvrant des installations réalisées avec les escarpins de Charlotte, les playmobils de Zoé, des galets, des fleurs, des trombones, ou des fraises symbolisant la grossesse de Caro... La dernière image est celle de mes parents, posant ensemble, à Noël dernier.
— Je n'ai pas osé aller les voir, m'avoue Tom. Mais je voulais qu'ils soient là, alors j'ai mis cette photo que Nico m'a envoyée.
J'ai la gorge nouée en refermant l'album, je me concentre pour ne pas pleurer franchement. C'est un formidable cadeau, mais je me rends compte de combien tous ces gens me manquent après à peine plus d'un mois d'absence. Je quitte ma chaise pour aller m'assoir sur les genoux de Tom, enfouir mon nez dans son cou, incapable de dire un mot. Il me serre contre lui, attendant pour son second cadeau que je reprenne le contrôle.
Quand enfin j'articule un « Merci » d'une voix éraillée, il m'embrasse et tend la main pour attraper le gros paquet toujours posé sur la table. Il a une drôle de forme, c'est assez lourd. Intriguée, je déchire le papier d'emballage pour trouver un gros panier tressé. A l'intérieur, un magazine –français-, un drap de bain, un de mes maillots, de la crème solaire.
— C'est quand même un drame d'être ici et de n'être jamais allés voir la mer ! Alors aujourd'hui, je t'y emmène, Babe !
Je n'ai plus du tout envie de pleurer, au contraire, je bats des mains comme une enfant, trop heureuse de son initiative.
— Trop bien ! Quelle merveilleuse idée ! Et tu sais où aller ? Enzo m'a donné des bons plans quand je suis arrivée, mais sans voiture, pas facile de me déplacer, et franchement, je n'avais pas vraiment la tête à ça.
— Je sais exactement où t'emmener, moi aussi j'ai fait ma petite enquête, répond-il, l'air mystérieux.
Nous nous habillons à la hâte, et descendons vite fait avaler notre traditionnel cappuccino chez Bernini avant de partir. Alessandro m'attend au bar.
— Auguri ! s'écrie-t-il quand j'entre, avant de me tendre un cornetto surmonté d'une bougie.
Je rougis alors que Tom et lui entonnent « Tanti Auguri a te », la version italienne de « Joyeux anniversaire ».
— Grazie... Verro, è una bella sorpresa.
Ravie, je souffle ma bougie et partage le croissant avec Tom tout en dégustant notre boisson mousseuse, puis, après avoir remercié Ale pour son gentil geste, nous sautillons jusqu'à la maison. J'adresse un signe de la main à ma voisine qui étend son linge devant la maison, puis nous jetons le sac de plage dans le coffre et nous mettons en route.
— Je n'ai rien dit à Cuncettina pour ton anniversaire, s'excuse Tom. J'avais un peu peur qu'elle ne bousille mes plans.
— Ne t'inquiète pas, je l'aime beaucoup, mais je suis enchantée de passer cette journée seule, en tête-à tête avec toi, mon amour. Alors, où va-t-on ?
— Surprise !
— Tu sais ce que je pense des surprises...
— Allez, arrête ton cinéma, Babe, rigole-t-il, les dernières étaient bonnes quand même !
Je souris sans répondre. Il a raison. Je pose ma main sur sa cuisse et laisse mon regard divaguer par la fenêtre.
Je passe aussi pas mal de temps sur mon téléphone, répondant aux appels et aux messages d'anniversaire. Nous roulons une heure environ, avant d'arriver à destination. Tom a choisi pour notre journée en amoureux un petit village de pêcheurs, Scilla, situé à flanc de colline et bien sûr recommandé par notre ami flic. C'est tout simplement magnifique. Nous nous garons, non sans peine, en bord de mer, et mon homme me propose de commencer par explorer la ville en hauteur. Sous un soleil de plomb, nous gravissons les milliers de marches, déambulons dans les ruelles pavées, entre maisons de pierre, glaciers traditionnels, échoppes proposant des panini al pesce spada, la spécialité locale, et les marchands de souvenirs. L'endroit est sublime. Préservé, malgré les touristes, très typique. Le ciel azur, sans aucun nuage, ajoute encore au charme de la ville. Nous marchons enlacés, ou main dans la main, comme deux vrais vacanciers. Je me remémore nos dernières vacances, il y a pile un an, la semaine passée en Corse tous les deux après le séjour avec les copains. Ça me paraît tellement loin.
Il est près de quatorze heures quand nous redescendons. Sur le longo mare, nous dénichons un restaurant de poissons et fruits de mer où nous nous régalons de pasta alle vongole, et d'involtini al tonno, accompagnés d'un vin blanc délicieusement frais. Je me sens dans une bulle, normale, pour la première fois depuis bien longtemps. J'observe les clients du restaurant, et je me dis que personne ne peut connaître mon véritable dessein en Calabre. Loin de me décourager, cette journée off me redonne des forces et je me sens plus prête que jamais à affronter mon destin et Montolo, même si je comprends à cet instant que je n'obtiendrai rien sans me mouiller davantage. Il va falloir prendre des risques. De vrais risques, si je veux atteindre mon but. Je garde cela pour moi, décidée à ne pas gâcher la journée, car je sais bien que Tom, radieux à cet instant, ne sera pas aussi enthousiaste que moi.
Après le déjeuner tardif, nous repassons à la voiture récupérer nos affaires et posons nos serviette sur un petit coin de plage. C'est surpeuplé, pas vraiment romantique, mais qu'importe. J'ôte ma robe à bretelles et mes sandales, puis m'allonge, trop heureuse de pouvoir vraiment profiter du soleil.
— Tu viens te baigner ? me propose mon amoureux une fois qu'il a fini d'enduire sa peau claire de semi-rosbif de crème solaire.
— Impossible, je suis en charge là, marmonné-je en ouvrant un œil derrière mes lunettes.
— Alors je vais nager un peu, d'acc ? Je reviens.
— Tom... attends.
Je me redresse et l'attire à moi pour l'embrasser.
— Merci. Pour tout. Et passe-moi la crème solaire, que je t'en mette dans le dos, tu l'as étalée n'importe comment, tu vas ressembler à un zèbre.
Le reste de l'après-midi passe comme dans un rêve entre demi-siestes au soleil, baignades et fou rire. Je redécouvre le plaisir des baisers salés, des câlins dans la mer, des dessins dans le dos à la crème solaire, et retrouve l'insouciance qui me fait défaut depuis cinq mois.
Vers dix-huit heures trente, le monde commence à s'espacer, mais nous ne quittons pas notre poste stratégique, trop heureux de profiter du calme qui s'installe enfin sans les familles braillardes.
— Tu m'attends quelques instants ? Je reviens... souffle Tom, en renfilant short et tee-shirt.
— Où tu vas ?
Il se contente d'esquisser un sourire énigmatique, et je comprends qu'il ne sert à rien de protester. Je prends le livre glissé avant de partir dans mon sac de plage et me plonge dans ma lecture alors que le soleil décline doucement.
Il revient une demi-heure plus tard, les bras chargés.
— Dîner au coucher de soleil, ça te dit ?
— Avec de la pizza et des bières ? demandé-je, les sourcils froncés devant ce qu'il rapporte.
— Pizza au feu de bois quand même ! Bon, ce n'est pas le top, je te l'accorde, mais je n'ai trouvé que ça, grimace-t-il dans une moue d'excuse.
— Je te taquine. C'est parfait, je crois même que c'est le dîner le plus romantique de toute ma vie.
C'est le cas, effectivement. Nous mangeons nos pizzas face au soleil rougeoyant qui descend devant nos yeux, se reflétant sur l'étendue d'eau. Il reste quelques personnes autour de nous, mais tout le monde se tait, absorbé par la scène.
Je détourne les yeux un instant du spectacle pour regarder mon amoureux. Il ne sent pas mon regard sur lui et continue d'observer la lente progression de l'astre. Les rayons incandescents se reflètent sur son visage, cuivrant son teint de reflets orangers. Je ne l'ai jamais trouvé aussi beau que maintenant, avec sa courte barbe, et les petites rides qui font leur apparition au coin de ses yeux, derrière ses lunettes noires vintage.
— Je t'aime, Tom, prononcé-je avec émotion.
Il se tourne alors vers moi, et me sourit. Il n'y a besoin de rien de plus.
Une fois que le soleil a complètement disparu, les derniers groupes quittent la plage et nous nous retrouvons quasi-seuls sur les petits cailloux.
— Tu es pressée ? me demande Tom.
— Pas le moins du monde, c'est l'avantage d'être loin de tout et de tout le monde, réponds-je en essayant de mettre un peu d'humour dans ma voix.
— Alors on reste encore un peu si tu veux bien. Je suis sûr que le ciel doit être magnifique, la nuit.
Je profite de ce moment de calme pour répondre aux derniers sms d'anniversaires, quand je reçois le coup de fil que j'attendais et redoutais à la fois, celui de mes parents. Depuis l'appel après mon arrivée, nous ne nous sommes plus parlés au téléphone, nous contentant de nous donner des nouvelles quotidiennes par message.
— Allô, murmuré-je, en asseyant d'affermir ma voix.
Durant quelques secondes, seul le silence me répond, puis j'entends le timbre flûté de ma maman.
— Allô, ma chérie... Je te souhaite un très joyeux anniversaire.
A présent, je sais ce qu'elle pense, dans un petit coin de sa tête, à chaque année qui passe.
— Merci Mamoune. Comment vas-tu ?
— Moi, ça va, ça va. Et toi ma chérie, est-ce que... tout se passe bien ?
— Oui, tout va bien, réponds-je prudemment, sans trop en dire. Tom m'a emmenée à Scilla, c'est superbe. Tu connais ?
— Oui, j'y suis allée plusieurs fois. C'est vrai, c'est très beau. Et... tu rentres bientôt ?
— Je ne sais pas encore, Mamoune.
Un léger blanc s'installe, je reprends doucement avant que la gêne ne nous envahisse tout à fait.
— Papoune va bien ?
— Il est près de moi, je te le passe. Je t'embrasse, ma chérie. Au revoir.
Déjà.
— Allo, Loulou ? grogne mon père en saisissant l'appareil.
— Bonjour Papoune.
— Bon anniversaire, ma princesse, ajoute-t-il d'une voix plus douce.
— Merci.
— Bon, j'espère que Thomas a assuré, hein. Tu as passé une bonne journée ?
— Mieux que ça encore. C'était merveilleux.
— C'est bien, il avait intérêt. Bon, profite bien. Je t'embrasse ma Loulou. Sois prudente, ajoute-t-il tout bas. Tu nous manques.
— Vous me manquez aussi. Bisous.
Je raccroche et pose le téléphone sur mes genoux. Durée de la conversation : cinquante-sept secondes. On n'a même pas tenu une minute. Tom perçoit ma mélancolie et m'entoure de ses bras. Je pose la tête sur son épaule. Les premières étoiles brillent dans le ciel à présent noir.
— Laisse-moi t'aider.
— Tom... soupiré-je, on ne va pas revenir dessus. On en a parlé quand tu es arrivé, et...
— Oh Lou, je t'en prie ! Tu vois bien que jusqu'ici, tu n'as pas été très efficace.
— Merci, je fais ce que je peux ! répliqué-je, à nouveau agressive devant ses critiques.
— Je le sais bien, et je constate aussi que toute seule, ce n'est pas facile. Mais tu as le droit de demander de l'aide Lou, ça ne change rien à ce que tu vaux, ou ce que tu es capable de faire. On est une équipe, et parfois on a besoin de son équipe pour vaincre.
— C'est non. C'est mon histoire, je veux que tu restes en dehors de ça.
— Mais t'es pas possible !
Il se lève brusquement, la tête entre les mains, excédé. Je le suis des yeux, circonspecte devant sa colère soudaine.
— Je veux juste jeter un coup d'œil à tes notes, pas prendre ta place ! Lou, enfin !
Il se laisse tomber à genoux sur les petits cailloux, face à moi. Déjà, la fureur s'est envolée, il n'y a plus que la tristesse dans ses beaux yeux bleus. Je reste silencieuse, alors qu'il reprend, très doucement.
— Je ne veux pas me disputer avec toi, surtout pas maintenant... Mais des moments comme aujourd'hui, on devrait en vivre tous les jours. Je veux rentrer à la maison avec toi. Je veux qu'on classe cette histoire, et qu'on puisse être heureux tous les deux, comme avant.
— Tom... je ne sais pas comment te dire ça sans te blesser, ou te peiner mais... parfois, dans tes yeux, je ne vois que la femme que tu dois protéger, dont tu dois prendre soin. Tu m'as rendu le sourire, tu as réalisé mon rêve, tu me rends immensément heureuse mais ce bonheur, je voudrais aussi, pour une fois, ne le devoir qu'à moi. D'une certaine façon, cette manière de m'entourer me rabaisse, parce que c'est comme si je n'étais pas capable de résoudre mes problèmes seule...
Tom baisse les yeux, sans répondre, longtemps. Très longtemps. Trop longtemps. Mon cœur bat à cent à l'heure, je ne sais pas quelle issue va prendre cette énième discussion houleuse. Quand il relève la tête pour plonger son regard sombre dans le mien, sa mâchoire est crispée, ses traits contractés. Je l'ai blessé, mais il cède, comme toujours. Il avale péniblement sa salive, et murmure :
— Je comprends ton point de vue. Je ne t'embêterai plus à ce sujet, je te le promets.
Cette nouvelle preuve d'amour, alors que je craignais qu'il n'ait atteint le point de non-retour, me bouleverse. Au fond de moi, je sais qu'il a raison. Je sais aussi que j'ai besoin de rester indépendante, de me prouver à moi-même que malgré tout l'amour que j'éprouve pour Thomas, je peux me débrouiller sans lui. Pourtant, ce n'est peut-être pas le meilleur moment pour exercer mes velléités d'autonomie. Tom souffre à cause de moi. Depuis des mois, il est présent, disponible, il a accepté tous mes coups de sang, de colère, tous mes désirs, même quand il n'approuvait pas mes décisions ou quand ça lui a déchiré le cœur. Pas de chantage, ni d'ultimatum,parce que ce n'est pas lui, mais je le sens à bout. Malheureux, par ma faute. Aujourd'hui, il a besoin que je le laisse entrer dans cette histoire, et en toute honnêteté, je patine dans la semoule, un regard neuf ne peut m'être que bénéfique.
— C'est d'accord.
Ses yeux s'arrondissent brusquement sous l'effet de la surprise.
— Quoi ? Tu es d'accord ? Pour que je t'aide ? bégaye-t-il.
— Oui. Tu as raison... Je suis désolée d'avoir voulu te tenir à l'écart de tout ça.
—Je te l'ai dit, je comprends ce que tu veux dire, et je te promets que je n'interfèrerai pas dans...
—Ah oui, c'est moi qui garde les rennes ! m'empressé-je d'ajouter.
— Bien sûr, marmonne-t-il, goguenard. C'est évident. Bon, alors déjà, je pense que...
— Non, pas ce soir. On reparle de tout ça demain, tu veux bien ?
Il acquiesce et délicatement, je pose mes mains sur ses joues, et mes lèvres sur les siennes, pour sceller notre accord, puis reprends ma place entre ses jambes, laissant ma tête reposer au creux de son épaule, face aux constellations qui illuminent la nuit.
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