Chapitre 26

En media, « Shallow » Lady Gaga et Bradley Cooper











Dimanche 30 juin. Je suis ici depuis exactement trois semaines. Il m'en reste six si je veux tenir ma promesse.

Il a plu dans la nuit, une pluie fine et dense, qui a rafraîchi l'atmosphère, mais ce matin, le soleil est de retour. Allongée dans mon lit, je prépare mentalement le programme de la journée. Je vais commencer par mes rituels, puis après mon petit déjeuner, j'irai faire un tour à la sortie de la messe, voir si je peux y trouver Montolo, comme la semaine dernière. J'essayerai peut-être de m'approcher ou même de le suivre, mais jusqu'où ?

Enzo est sur un coup à Siderno, il ne rentrera pas avant demain. Je passerai peut-être chez Cuncettina en fin d'après-midi... maigre planning.

Je caresse les livres sur ma table de chevet, dont la pile ne cesse de descendre. Tom m'en a déjà envoyé plusieurs, des nouveautés à lire pour la librairie, autant que mon temps libre ici lui soit utile. J'ai l'impression que je passe mes journées à flemmarder, alors que j'aimerais tant ne pas voir les heures défiler, dans ma boutique adorée, mais je ne sais pas comment être plus productive ici. Je suis une piètre détective et je dois admettre que mon amoureux avait raison. On ne s'improvise pas flic.

Descendue dans la cuisine, je prépare le café et pendant qu'il monte, je mets une machine en route. Je m'attelle ensuite à ma séance de sport, puis me dirige chez Bernini après ma douche pour mon traditionnel cappuccino. C'est Rico qui est au comptoir, et il me prépare ma boisson dès que j'entre dans le bar. Je suis la chouchoute ici, la petite francese qui s'applique à se faire comprendre en italien.

Je remonte ensuite la rue, et étends mon linge sur les trois fils de la balustrade de la deuxième chambre, à l'étage.

Quand je ressors, ma vieille copine est dehors. Assise sur son éternelle chaise de paille et de bois, elle équeute des haricots verts étalés sur un journal, sur ses genoux. Elle m'adresse un signe et m'interpelle.

Ciao Luisa ! Dov'é vai ?

Passeggiata. Ho delle ricerche da fare, lui dis-je, comme chaque jour, et comme chaque jour, cette réponse la satisfait. Ciao Cuncettina. Ci vediamo.

J'ai, dans mon sac, ce carnet qu'elle entrevoit parfois, celui dans lequel elle croit que je note toutes les informations sur la végétation calabraise. On est juste un peu à côté de la vérité.

Je marche près d'une demi-heure pour arriver devant chez lui, mais c'est toujours un peu compliqué d'attendre là car, hormis ce banc de côté, il n'y a rien qui pourrait expliquer ma présence ici si je me faisais remarquer. Il est neuf heures vingt, la messe débute à dix heures, ils ne devraient pas tarder à sortir. Cachée par mes lunettes de soleil, je sors mon téléphone et le consulte. J'ai un sms de Tom, qui va passer le week-end en baie de Somme avec ses deux sœurs, Emma étant en France pour deux semaines, et un mail de Capucine. Deux ou trois fois par semaine, elle m'envoie un long courrier électronique où elle rédige un résumé exhaustif de ce qui se passe pour chacun des membres de notre petite bande. Théo a perdu sa première dent, Clément risque un contrôle fiscal, Charlotte a prévu de partir au Portugal une semaine avec sa copine Karine. Tom est passé boire un verre vendredi soir, Caro a mal au dos mais plus de nausées, Zoé s'est écorchée le genou en tombant, Thibaut est content, il va probablement avoir une promotion au boulot, elle par contre est contrariée car le dentiste lui a trouvé deux caries. Ah et tiens, elle a croisé Baptiste avec sa femme et leur fils, il s'appelle Léo, il est mignon, mais Natacha, alors, qu'est-ce qu'elle est désagréable !

J'adore lire ces petites tranches de vie. Cela me serre parfois le cœur, mais j'ai l'impression, durant ces quelques lignes, de vivre ce quotidien avec eux, de ne pas être que bloquée dans ma dimension parallèle.

Durant près de quarante minutes, je fais mine de m'intéresser aux plantes qui bordent les maisons alentours, de les observer attentivement, prélever des échantillons, les photographier et prendre des notes sur mon carnet. Plus le temps passe, plus mes battements cardiaques s'accélèrent, plus mon ventre se noue. Pour rien, car Montolo ne pointe pas son nez, ni personne d'autre d'ailleurs. Quand dix heures sonnent, je sais que c'est trop tard, je me résous à quitter mon poste. Je me dirige à pied vers la chiesa bianca, où je les ai aperçus en famille la semaine dernière, et durant le temps de l'office, je vais boire deux espressi au bar qui fait l'angle de la place. C'est un bel endroit, avec une grande fontaine, une edicola, un des pâtissiers les plus réputés de la ville, et cette magnifique église blanche qui trône, majestueuse, devant la place pavée.

Quand j'entends les cloches, je sors à nouveau et je guette chaque personne qui passe la grande porte noire. Mais il n'est pas là. J'attends longtemps, longtemps. Les groupes formés à la sortie de la messe pour discuter, échanger ragots ou nouvelles se sont dispersés, il n'y a plus personne. Dépitée, j'ouvre mon carnet, et note à l'intérieur.

30/06/19 : pas à la messe de 10h à l'église blanche. Une autre ?

Je me sens complètement découragée. C'était la seule habitude que je pensais avoir identifiée, la seule piste que je pouvais avoir pour l'approcher, et je me suis peut-être complètement trompée. Si ça se trouve, il a ses habitudes ailleurs, dans une autre église, ou alors c'est exceptionnel qu'il ait manqué la messe ici. Que devrai-je faire la semaine prochaine ? Revenir ici ou essayer ailleurs ? Mais où ?

La déception, le découragement, m'assaillent comme autant de vagues. J'ai l'impression que je n'arriverai jamais à rien.

J'erre un moment dans les rues, comme si ça pouvait me permettre de tomber sur lui. Je fais mon détour quotidien jusqu'à la villa comunale, et m'y promène un moment pour me calmer, entre les allées ombragée, avant de reprendre la direction de ma maisonnette. Il est presque quatorze heures quand j'arrive, il n'y a personne dans les rues, c'est l'heure de la sieste. Tous les petits vieux ont abandonné les chaises et tabourets de bois pour somnoler sur le sofa, ou dans le fauteuil devant la télé. 

Lorsque j'actionne la clef dans la serrure, celle-ci ne tourne pas. Je pose alors la main sur la poignée et la baisse doucement. Sans surprise, ma porte est ouverte. La paranoïa s'empare de moi, mon cœur s'emballe. Je me suis fait repérer à force de rôder autour de chez lui, ils sont là, ils m'attendent. Puis je me modère. J'ai simplement dû oublier de fermer en sortant. J'entre malgré tout, sans bruit, et mon sang se glace quand j'entends du raffut qui vient de la cuisine. Un instant, j'hésite à m'enfuir mais je suis interpellée par l'odeur de légumes grillés qui embaume la maison. Des mafieux ne cuisineraient pas avant de me descendre, quand même ? A moins que ce ne soit une tradition d'ici ? Un dernier bon repas ? C'est peut-être juste Cuncettina, mais je n'y crois pas. Il lui arrive de faire irruption chez moi, mais jamais quand je n'y suis pas.

Je m'avance sur la pointe des pieds, en tremblant jusqu'à la porte ouverte de la cuisine. Il est là, de dos, affairé devant le vieux fourneau à gaz. Je n'arrive pas à y croire. Les larmes me montent aux yeux, mon cœur cogne dans ma poitrine, à me faire mal. Il se retourne pour attraper la planche à découper et le couteau derrière lui sur la table quand il m'aperçoit. Ses lèvres se fendent en un petit sourire gêné, le sourire de l'enfant qui a peut-être fait une bêtise et qui a peur de se faire engueuler.

Hey, Babe.

J'avale en courant l'espace qui nous sépare et me jette dans ses bras. Mes jambes entourent sa taille, il me serre à me briser les os, mais tant mieux, c'est de cela dont j'ai besoin après tant de jours sans lui. Je plonge le nez dans son cou, respire son odeur boisée, comme une droguée qui n'a pas eu sa dose depuis trop longtemps. Trois semaines, trois semaines seulement, mais qui m'ont paru des mois, des années. J'ai l'impression de rêver.

— Tom, Tom, mon Thomas, tu es là... Tu m'as tellement manqué.

Nous restons silencieux quelques instants puis mon amour desserre légèrement son étreinte et je me laisse retomber en face de lui. J'éprouve ce sentiment que l'on ressent lorsqu'on rentre chez soi après une longue absence. Tout semble plus intense. Je le redécouvre, et il m'apparaît d'autant plus beau. Ses traits doux, son nez droit, son sourire éblouissant. Sa fossette sur la joue gauche est à présent cachée par une courte barbe, piquetée de quelques poils gris qui trahissent l'âge que ne lui donneraient jamais ses grands yeux rieurs.

— Je suis désolé, Lou, je sais que tu ne voulais pas que je vienne, mais je devenais dingue en France. Te savoir seule ici... J'ai essayé, j'ai vraiment essayé, mais je n'y arrive pas.

— Tu as bien fait. Je crois que j'avais vraiment besoin de te voir, murmuré-je en posant ma tête contre son torse.

Nous restons plusieurs minutes enlacés, incapables de nous séparer, mais il finit par se reculer un peu. Il prend doucement mon visage dans ses mains, et m'embrasse tendrement, avant de me serrer à nouveau contre lui, et là seulement, nous parvenons à nous dessouder. Il contemple l'espace autour de lui, et lâche, d'un air moqueur :

— C'est coquet chez toi !

— Et encore, t'as pas vu la salle de bains... Mais au fait, comment es-tu venu ? Je n'ai pas vu ta voiture... Et surtout comment es-tu rentré ? J'avais bien fermé, non ?

— J'ai pris l'avion ce matin, à l'aube, et j'ai loué une voiture à l'aéroport, je suis garé un peu plus haut dans la rue. Je suis arrivé il y a deux heures, puis j'ai patienté devant la porte, mais comme je n'avais aucune idée de l'heure à laquelle tu pouvais rentrer, j'ai décidé d'aller toquer chez toutes les voisines. Quand tu es arrivée ici, tu m'avais dit que l'une d'elles, Cuncettina, avait les clefs. Elle t'avait ouvert avant qu'Enzo ne te rejoigne.

— Tu te souviens d'un nom pareil ? Quelle mémoire !

— Il est possible que j'aie tout noté, parce que j'avais plus ou moins prévu de venir te rejoindre... grimace-t-il.

Je souris. C'est mon Thomas. Je comprends à présent qu'il m'ait laissée partir si facilement. Il reprend :

— J'ai trouvé la bonne au troisième essai, heureusement. Je lui ai montré des photos de nous sur mon téléphone, et elle m'a ouvert.

— Encore heureux que tu ne sois pas un mari violent que j'essaye de fuir !

Tom éclate de rire.

— Je ne dois pas avoir l'air d'une brute, et je suis sûr que si elle t'a un peu pratiquée, elle ne trouve pas non plus que tu ressembles à une victime !

— De toute façon, je lui avais parlé de toi, et montré des photos aussi. Mais comment tu lui as demandé ça, toi qui ne parle pas italien ?

— Eh bien, comme toi depuis que tu es arrivée : google trad, et mes mains.

— Vas-y, montre-moi.

Ciao, siete Cuncettina ? Sto cercando Cuncettina. 

— Pas mal ! Super accent, dis donc ! Comment tu peux si bien te débrouiller ?

— Je te rappelle que j'ai vécu six ans en Argentine, dont la langue officielle est un dialecte espagnol qui ressemble finalement beaucoup à l'italien. Et l'italien est pas mal parlé là-bas, j'ai quelques notions.

— Je ne savais pas. Et ensuite, tu lui as dit quoi ?

Per favor, avete la chiava ? Sono i fidanzato di Lou, prononce-t-il avec application.

— Tom, tu es trop sexy quand tu parles italien !

— Je ne sais pas mais en tout cas ça a marché, répond-il avec un clin d'œil. 

Il se penche vers moi pour m'embrasser et à nouveau, je me presse contre lui. C'est tellement bon de le savoir auprès de moi.

— Je vois que tu as déjà pris tes marques, souris-je en me dirigeant vers l'antique gazinière.

Une poêle pleine de couleurs est posée sur la plaque, à côté d'une casserole d'eau qui attend d'être chauffée.

— Oui, vu l'heure, j'ai décidé de m'occuper en préparant le déjeuner.

— Ça sent bon ! Qu'est-ce que c'est ?

— Penne aux légumes grillés. Justement, c'est ton amie Cuncettina qui m'a dépanné, parce que j'ai vite constaté qu'ici non plus tu ne changeais pas tes habitudes. Ton frigo ferait pleurer un rital.

— Oui, bon, bref. Et du coup, c'est bientôt prêt ?

— D'ici dix ou quinze minutes je dirais. Les légumes sont à point, il faut juste faire cuire les pâtes. Tu as faim ?

— Oui, très... Mais pas de pâtes, avoué-je en plongeant mes yeux dans les siens, tout en m'approchant lentement.

— Ah oui ? demande-t-il sur le même ton alors qu'un sourire se dessine sur ses lèvres.

— Hin hin, et je trouve ta nouvelle barbe torride.

La réaction de Tom ne se fait pas attendre. Il me plaque contre le mur, ses hanches contre mon bassin, m'embrassant fiévreusement, puis il laisse ses baisers dévier le long de ma mâchoire jusqu'à mon épaule. Je le repousse doucement, et, sans le quitter du regard, je laisse glisser les bretelles de ma robe le long de mes épaules, jusqu'au sol. Il déglutit, je vois sa poitrine se soulever au rythme de sa respiration saccadée. Quand je dégrafe mon soutien-gorge, qui rejoint ma robe au sol, il ne se contient pas plus longtemps et fond à nouveau sur moi, dans un grognement tellement sexy. D'un baiser impérieux, il investit ma bouche, caressant ma langue avec la sienne. Je sens ses mains glisser le long de mon dos et de mes fesses puis passer derrière mes cuisses pour me soulever et m'emmener jusqu'au canapé où il ôte son tee-shirt à la hâte. Il mordille le lobe de mon oreille, la naissance de mon cou et je frissonne de plaisir. Ses lèvres descendent lentement le long de ma poitrine, de mon ventre. Ma peau se couvre de chair de poule alors que je me tortille à l'anticipation de ce qui va suivre, mais il remonte son visage vers le mien, les pupilles incandescentes.

— Enlève-moi mon short, intime-t-il d'une voix rauque de désir.

Je souris, je sais combien Tom aime que je le déshabille. Je me relève et le bascule en arrière pour le surplomber et, sans rompre le contact visuel intense qui nous unit, je défais lentement la boucle de sa ceinture, puis lui retire son bermuda et son boxer, avant de couvrir, à mon tour, son corps de baisers.

— Oh bon Dieu, Lou... gémit-il.

— Oui, je sais, c'est trop bon.

— Non, arrête !

Je le regarde, surprise. Ses yeux sont braqués vers l'entrée. Je me redresse brusquement et me retourne.

A la porte, Cuncettina nous observe, paralysée, main devant la bouche ouverte et yeux écarquillés. J'attrape le plaid en tricot qui protège le vieux divan et couvre ma poitrine nue avec. Tom le tire aussi pour cacher aussi sa virilité, qui en prend un coup.

Mi dispiace, volevo vedere se Luisa fosse tornata e se tutto andava bene. Vedo che si... souffle-t-elle avant de disparaitre, claquant la porte derrière elle.

Tom et moi restons figés quelques secondes, avant d'éclater de rire en chœur, puis je me lève pour verrouiller la porte d'entrée.

— Mais jamais ils ne frappent, les gens, avant d'entrer ?

— Elle l'a peut-être fait, mais on n'a pas entendu. De toute façon, elle est un peu chez elle ici, j'ai l'impression. Ça me rappelle la fois où on s'est fait surprendre par Gaël, dans la salle de bain de Ludo, tu te souviens ?

— Comment oublier ? Surtout que ce jour-là, il me semble qu'on était dans une position bien plus compromettante...

— Effectivement. Bon, on reprend où on en était ?

Sorry, Honey, mais il va me falloir quelques minutes pour retrouver ma forme, là, et effacer le souvenir du regard de ta voisine sur mon...

— Oh bah tant mieux pour elle, elle n'a sûrement pas l'habitude de voir de si beaux jeunes hommes nus.

Tom rit, et m'embrasse, puis je me cale contre son torse.

— Tu sais ce qu'on devrait faire ?  murmure-t-il au bout d'un moment.

— Oui. On devrait terminer ce qu'on a commencé. Je patiente sans rien dire, mais je suis à deux doigts de la combustion spontanée.

Je perçois son sourire et il poursuit.

— On devrait retourner à Florence, quand tout sera fini. Tu te souviens comme nous avions adoré cette ville ?

— Oui, bien sûr, je m'en rappelle. Mais avant, on fait l'amour.

— Quel romantisme... soupire-t-il. Bon, ok, mais il est temps de me montrer ta chambre. Ce canapé, là, il vient de me traumatiser.

***

— Bon, alors, quoi de neuf ? fait Tom un peu plus tard, alors que nous nous asseyons face à face à la table en bois de la petite cuisine.

Il me sert une portion de pâtes mélangées à des poivrons, courgettes et aubergines grillés, saupoudre le tout de parmesan et d'huile d'olive.

— Tu as laissé pousser ta barbe. Tu es beau.

— Ouais, rigole-t-il. Je me suis dit que je laissais pousser jusqu'à ce que tu reviennes.

— J'aime, tu fais plus homme comme ça. Laisse-la.

— Parce que j'avais l'air d'un jouvenceau, avant ? Bon, et si on arrêtait de parler de ma pilosité et que tu me racontais ? Quand je te demandais « quoi de neuf », je pensais par rapport à ta vie ici, plutôt...

— Bof, rien, je t'ai tout dit au téléphone au fur et à mesure de toute façon.

— Oui, je sais. Mais maintenant je suis là. Tu n'as plus à faire semblant.

Avant même d'avoir touché au repas, je pose ma fourchette sur la table et ma tête sur mon poing. Mes yeux évitent les siens, comme toujours quand je me sens en position de faiblesse.

— Tu veux la vérité ? Alors la voilà : j'en ai marre, Tom. Je suis fatiguée de tout ça, j'en ai assez d'être ici. Une fois sur deux je ne comprends rien à ce que me disent les gens, je ne supporte pas cette baraque pourrie, tout le monde me manque, mes parents et Nico, Loris, les 3C, la librairie, et toi... Tu m'as tellement manqué. Et surtout, ça ne sert à rien. Ça fait trois semaines que je suis là, j'ai l'impression de ne pas avancer, que je n'arriverai jamais à l'approcher. Je n'ai pas l'ombre d'un plan.

— On ne s'improvise pas flic ou détective, ce n'est pas ton rôle, Lou.

— Et même si j'y arrive... qu'est-ce que je vais lui dire ? Comment je pourrais le confondre sans me faire tuer ? Tu sais, j'ai eu vraiment peur quand je suis rentrée et que j'ai constaté qu'il y avait quelqu'un. Enzo m'a dit que je ne risquais rien, mais quand même, je flippe.

— Lou, je suis venu parce que je devenais fou à ne pas savoir si tu allais bien. Dès qu'il se passait plusieurs heures sans que tu me donnes de tes nouvelles, j'imaginais le pire. Tu as raison d'avoir peur. Peut-être que le plus sage serait de tout abandonner, de rentrer ensemble.

— Tu as raison.

Il prend ma main dans la sienne, me sourit, mais je baisse les yeux.

— Tu as raison, mais je ne peux pas. Je ne suis pas une dégonflée.

— Tu n'as rien à prouver, à personne ! lâche-t-il avec impatience.

— Je sais.

— Alors, à quoi ça rime ?

— Je dois aller jusqu'au bout. Pour moi, pour ma mère, pour Giuseppina.

La contrariété passe comme une ombre sans ses yeux marine, puis son regard s'adoucit.

— C'est toi qui vois. Mais laisse-moi rester. S'il te plaît.

— Tom... on a déjà parlé. Je suis vraiment heureuse que tu sois venu mais c'est à moi de...

— Régler ça, je sais. Je ne t'embêterai pas, je te laisserai libre de tes actes. Simplement, on sera ensemble. Je t'en prie, Lou. Loin de toi, sans savoir si tu vas bien... c'est trop dur.

— Et la librairie ? Si on reste fermé, on va faire faillite.

— Sarah nous remplacera le temps nécessaire.

— Sarah ? Qu'est-ce qu'elle y connait ? Pour la vente d'accord, mais les comptes, les réassorts, les retours ?

— Je lui tout expliqué et je l'ai formée vite fait avant mon départ. Nous non plus on n'y connaissait pas grand-chose avant de se lancer. Elle apprendra sur le tas.

— Tout était prévu alors ? demandé-je en fronçant les sourcils.

— Peut-être bien, répond-il avec un sourire timide. En tout cas, je n'ai pas encore de billet retour.

— Quand même, ce n'est pas raisonnable. Elle ne va pas s'en sortir seule, et puis les habitués...

— Arrête, Lou ! explose-t-il

Je le dévisage, surprise de la violence de son ton.

— Ça suffit, maintenant ! Rien de tout cela n'est raisonnable, mais on est là quand même, alors pardonne-moi, mais quand je pense à notre situation, les habitués de la librairie, je m'en tape un peu. Et tu dois arrêter de vouloir tout contrôler. Il faut lâcher prise !

— Tu ne crois pas que c'est ce que je fais, en venant ici ?

— Non, je pense même que c'est tout le contraire. Tu es justement en train d'essayer de tout contrôler, y compris la mafia calabraise ! Control Freak ! Mais tout ne peut pas être comme tu le veux !

— J'avais remarqué, merci ! Inutile d'en rajouter, tu crois que ça me plaît d'être coincée ici ?

— C'est ton choix, Louise. C'est toi qui as décidé, seule, de venir ici chercher tes réponses. Rien de n'y obligeait, on aurait pu continuer notre vie, peinards. Je te comprends, mais je te signale que je n'ai en aucun cas eu mon mot à dire. Je t'ai regardée partir, terrorisé, j'ai passé des nuits blanches à me demander si tu allais bien, j'ai récupéré la librairie, puis je me suis arrangé pour que ce soit Sarah qui gère ça, pour qu'on n'ait pas à fermer. Je ne t'ai fait aucun reproche, et au contraire, je t'ai toujours aidée et soutenue dans tes démarches, dans ta quête de vérité et de justice, parce que je pense que tu as raison, mais avant tout parce que tu en as besoin, et que pour moi ce sera toujours une raison suffisante ! Mais je te le répète, Lou,  c'est ton choix.

Je baisse les yeux, honteuse, alors qu'il reprend son souffle, les yeux brillants.

— Tu es fâché ? Tu m'en veux d'être venue ici ? murmuré-je

— Non, Louise. On en a parlé avant ton départ, ça ne me fait pas plaisir, c'est sûr, mais je te comprends. Je pense que j'aurai réagi de la même manière. Cela dit, tu m'inquiètes. Tu joues à un jeu dangereux, et parfois, j'ai l'impression que tu ne t'en rends pas compte, soupire-t-il, l'air las. Et je ne comprends pas pourquoi tu essayes de me tenir à l'écart de tout ça.

— Quand je pense que cette dispute est partie des clients de la boutique...

— Justement. Ça montre combien tu as besoin d'avoir la mainmise sur tout. Même à deux mille bornes, engluée dans des histoires de mafia et de famille, tu es contrariée à l'idée que quelques clients ne soient pas servis selon leurs habitudes. Franchement, Lou ! Chill out, Babe !

— Je suis comme ça, Tom, je l'ai toujours été, et je ne changerai pas.

— Je le sais, et je t'aime comme ça... ou malgré ça. Mais il faut parfois mettre de l'eau dans ton vin. Par exemple, si tu n'avais pas accepté de baisser la garde il y a dix-huit mois, serait-on ensemble aujourd'hui ?

Je secoue la tête en guise de dénégation, vaincue.

— Alors, laisse-moi rester avec toi,  chuchote-t-il d'un ton presque suppliant. S'il te plaît, Babe.

Il a gagné. Je me lève et vais m'assoir sur ses genoux, enfuis mon nez dans son cou.

— D'accord, reste. Sans toi, moi aussi je suis malheureuse, et j'ai peur.

— Lou, murmure-t-il en caressant les mèches autour de mon visage. Tu n'auras pas une médaille parce que tu sais te débrouiller seule. Tout le monde autour de nous sait de quoi tu es capable. Mais l'amour, un couple, c'est aussi d'accepter de l'aide, ou simplement de la compagnie, même quand on pense que ce n'est pas nécessaire... parce qu'on a toujours besoin d'être entouré.

— Tu as raison mon amour... Je suis désolée.

Je reste un moment contre lui, savourant le contact de son corps qui m'a tant manqué.

— Et si on allait se balader et manger une glace en amoureux pour se changer les idées et sortir de cette baraque ? lui proposé-je avec un sourire.

— Bonne idée. Il paraît que les glaces calabraises sont terribles. Et d'ailleurs, je parie que depuis que tu es arrivée, tu prends toujours les mêmes parfums.

— Franchement, Tom, t'es pénible là.

— C'est pas vrai, peut-être ?

— Si, je grogne. Mais ce sont mes préférés.

— Voyons voir, je dirais café et amande...

— Perdu ! Il n'y a pas de glace à l'amande là où je vais ! réponds-je, triomphante, mais pas pour longtemps.

— Parce qu'évidemment tu vas toujours au même endroit. Bon, alors, du chocolat avec des noisettes, genre rocher.

— Bacio, ça s'appelle... Tu m'énerves ! 

Thomas éclate de rire, et me serre plus fort contre lui alors que je boude.

— Je te pardonne ton mauvais caractère si aujourd'hui tu me laisses choisir pour toi.

— T'abuses pas un peu ? Je t'ai déjà dit que tu pouvais rester.

— Rien à voir, ça, c'est un exercice pour te soigner. Je choisis et tu goûtes sans savoir ce que c'est.

— Ça t'amuse, hein ?

— Oui, pas mal, avoue-t-il, hilare devant mon air exaspéré. Mais c'est pour ton bien !

— Ah oui ? Et j'y gagne quoi, moi ?

— Déjà, un premier pas dans ton combat contre ta psychorigité...

— C'est sympa !

— Et surtout, je serai fier de toi, et ça me met toujours dans de très bonnes dispositions, vois-tu ? Et comme on a trois semaines de câlins à rattraper...

— Une proposition indécente contre une glace à l'aveugle ?

— Toute une nuit, très indécente.

— Banco. Allez, on mange, le repas est froid et ensuite, on va vite la chercher, cette glace.

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