Chapitre 25
En media, "In your dreams", Dark Dark Dark
De Tom ❤️ : Comment vas-tu ? Ici, soirée comptes, sur fond de Lou Reed, Transformer... je pense à toi...
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De Lou : J'ai mis les Stones pour me donner du courage pour faire un peu de ménage. Et toi, tu écoutes quoi ?
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De Tom ❤️ : Alors cette journée ? Je me balade avec Balthazar dans les oreilles, le premier album. Je vais acheter du vin, je suis invité à dîner chez Caro et Clément. Je t'appelle en rentrant.
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De Lou : J'ai mis "Stairway to heaven" pendant que je me brosse les dents. Tu dors ?
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De Tom ❤️ : Je suis en voiture, coincé dans les bouchons. J'écoute "Rainsbow" de Radiohead, et toi ?
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De Lou : Ça va ? Tu fais quoi ? Je viens d'écouter ce vieil album de M. Tu te souviens de ce concert génial ?
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De Tom ❤️ : Je traîne sur le canapé, avec Johnny Cash en fond. J'ai la flemme ce soir, rien envie de faire. Il y a eu du monde à la librairie, je suis crevé. Tout va bien ?
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De Lou : Coucou mon amour... j'ai passé trois heures devant chez Montolo pour rien, mais je me suis fait toute l'intégrale d'Aaron, ça m'a rappelé plein de souvenirs, c'est déjà ça. Et toi, ça va ?
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De Tom ❤️ : Alors ta journée ? Colin m'a invité à déjeuner à midi, c'était sympa. Je lui ai fait écouter Jake Bugg, il ne connaissait pas mais il a adoré.
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De Lou : Je repasse avec Eddie Vedder, la BO de Into the wild. Il fait au moins trente-cinq degrés, j'adore ! Et toi qu'est-ce que tu fais ?
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De Tom ❤️ : Je suis avec Kader, Ludo et Gaël, on se fait une soirée mec à l'ancienne. On écoute Jack White en buvant des coups. I miss you, babe.
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De Lou : J'ai découvert un endroit génial. Tout au bout d'une rue, derrière mon glacier préféré, il y a un puits qui donne sur la rivière asséchée, aux confins de la ville, et de là, il y a une vue imprenable sur la voute céleste. Je mange une glace sur un banc, avec Tom Odell dans les oreilles. Tu me manques.
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Chaque jour, Tom et moi échangeons des tonnes de messages. On s'envoie comme prévu ce qu'on écoute, et ce que l'on fait, comme pour partager des moments ensemble, malgré la distance. Je l'imagine laver la vaisselle, se raser ou faire les comptes en chantonnant, comme avant.
Au fils des jours, je prends mes petites habitudes. Je me lève assez tôt chaque matin, réveillée par les bruits de la rue, et en profite pour ouvrir les fenêtres en grand, tant qu'il fait frais. Je bois un café, maintenant que je maîtrise la moccha, la petite cafetière, puis, puisque je ne peux plus faire de boxe ici, je m'attelle à une séance de sport quotidienne : gainage, abdos, pompes et altères bricolées avec des bouteilles d'eau. Après ma douche, je passe prendre un vrai petit déjeuner chez mon copain Alessandro. Je connais d'ailleurs toute la famille maintenant : sa femme Anna, son frère Rico et Donnatella, la matriarche.
Ensuite, je vais faire des courses, me poser à la villa avec un livre, ou roder devant la maison de Montolo. Je passe aussi beaucoup de temps au téléphone ou à échanger des messages avec Tom évidemment, mais aussi Nico, mes amies, et mes parents.
Il m'a fallu deux jours pour les rappeler. Le temps pour moi de trouver le courage de les affronter, et de laisser leur colère s'essouffler. Mon père était toujours fâché, ma mère triste, les deux inquiets, mais résignés. J'ai répété ce que j'avais raconté à Nico, et à eux dans la lettre, écouté ensuite ma maman me faire mille recommandations en reniflant, puis j'ai demandé à reparler à mon père.
— Oui, Loulou ? fait-il, bougon, en reprenant le téléphone.
— Papoune... ne soit pas fâché contre Thomas, s'il te plaît. Tu sais, il a vraiment tout fait pour m'empêcher de partir, et quand il a compris que je ne renoncerais pas, il...
— Ne te fatigue pas. Je sais que tu mens, souffle-t-il.
Je reste muette, incapable de répondre quoique ce soit. Je l'entends marcher et sortir, pour s'éloigner de ma mère j'imagine, puis il reprend à voix basse.
— Je suis contrarié que Thomas n'ait pas réussi à te raisonner, mais je ne lui en veux pas vraiment, parce que je te connais, et je sais que tu es une tête de mule. Mais Loulou, cesse de me mentir, je sais pourquoi tu es là-bas en réalité.
Il me laisse répondre, mais je ne peux que hocher la tête, comme s'il pouvait me voir.
— Tu connais son identité, n'est-ce pas ?
— Oui, murmuré-je, et je l'entends soupirer.
— Ma chérie, fais ce que tu as à faire, puisque tu ne peux pas avancer sans cela, et que nous ne pouvons rien tenter pour t'en empêcher, mais je t'en prie, je t'en supplie...
— Oui Papoune, je serai prudente.
— Loulou ? Tu sais, je ne te l'ai pas dit depuis très longtemps, mais... je t'aime. Comme si tu étais ma fille. Pour moi ça n'a jamais fait de différence.
— Moi aussi, et tu es et resteras toujours mon papa. S'il te plaît, ne dis rien à Mamoune.
Je crois que ça me soulage que mon père soit au courant de mon dessein véritable. Comme si le fait de savoir la vérité pouvait lui permettre de me protéger à distance. Je suis seule ici, mais soutenue par les deux hommes de ma vie, et cela me redonne un peu du courage qui me manque depuis mon arrivée.
Je me lie beaucoup avec Enzo aussi. Il vient quatre ou cinq soirs par semaine, et nous passons la journée ensemble lorsqu'il ne travaille pas. Nous apprenons à nous connaître et je découvre, sans surprise, un homme doux, marqué par la vie, et terriblement seul. Hormis ses collègues et son frère en France, personne n'a idée de sa véritable profession, autant pour se protéger lui, que ses proches. Cette double vie l'empêche de nouer des liens sérieux avec une femme. Il m'avoue avoir fréquenté quelqu'un pendant deux ans, il y a quelques années, jusqu'au jour où elle est passée lui rendre visite à l'usine de thon où il prétendait travailler. Elle s'est aperçue qu'il lui avait menti et lorsqu'elle lui a demandé des comptes, et il l'a quittée du jour au lendemain, pour ne pas la mettre en danger.
— Elle a dû croire que je me moquais d'elle, que j'avais une autre femme, alors que je l'aimais. Mais impossible de la détromper, de lui dire la vérité. De toute façon, ça ne rimait à rien. On n'aurait jamais pu se marier, ou avoir d'enfants. Elle aurait bien fini par apprendre la vérité... Voilà, conclut-il, une vie sentimentale ou professionnelle, j'ai choisi.
— Mais ça ne te rend pas triste de n'avoir personne de sérieux dans ta vie, personne qui te soutienne quand tu rentres et que tu as eu une journée difficile ? Surtout avec ton boulot !
— J'ai l'habitude. Et je savais à quoi m'en tenir en acceptant cette responsabilité. Je ne regrette rien. Un jour, je raccrocherai, je prendrai un poste sans risque dans un bureau, et je me caserai, peut-être.
Malgré moi, je pense à ces années sans Tom, cette sensation de passer à côté de quelque chose.
— Et toi, Louise ? Vous êtes ensemble depuis longtemps avec Thomas ? Ça a l'air d'être l'amour fou entre vous.
— Dix-huit mois... ou onze ans. C'est compliqué, enfin ça l'a été.
Alors je lui raconte notre histoire. Le coup de foudre au milieu de l'amphi, la félicité durant deux ans, puis son départ, notre couple brisé par ses velléités de voyage et mon orgueil. Le retour ensuite, la librairie, les sentiments confus, ambivalents, niés même, jusqu'à l'évidence commune. Le bonheur depuis, entravé par les révélations sur mes origines.
Enzo et moi passons aussi beaucoup de temps à travailler ensemble, sur le dossier qui nous rassemble.
Depuis ma première planque, j'ai bien progressé. Chaque jour, je consacre plusieurs heures à observer Montolo et ses hommes, et à prendre des notes. Enfin... ses hommes surtout car le parrain local reste quasi invisible. En trois semaines, je l'ai aperçu une fois en voiture, alors que je me promenais près de chez lui, et une autre fois, à pied cette fois, avec sa femme et ses enfants, devant la chiesa bianca, l'église blanche, piazza Garibadi, dimanche dernier. Je suis restée pétrifiée, devant la vision de cette famille unie, devant cet homme qui est mon géniteur, en chair et en os pour la toute première fois. J'avais l'impression de m'être pris un coup de poing à l'estomac, puis, le choc passé, j'ai dû m'exhorter au calme pour ne pas traverser la foule sortant de l'église en vociférant, le haranguer en le traitant de tous les noms. Je suis restée calme, loin de lui, observant les regards pleins de déférence des gens autour de lui, puis de morgue une fois les yeux détournés. Un respect de façade, cachant du mépris, voilà ce qu'il inspire à la population, mais aucun de ces pleutres n'ose s'élever contre ce mafieux de pacotille. J'ai fini par tourner les talons, excédée, et je ne l'ai pas revu depuis.
J'ai un peu plus avancé en ce qui concerne son équipe. J'ai recoupé mes informations avec celles que m'a fournies Enzo, et tout est noté dans mon petit carnet qui se remplit doucement.
J'ai identifié son bras droit, son beau-frère, qui sera probablement celui qui prendra la suite avant Michele, même si j'ai l'espoir fou d'ébranler assez l'organisation en le faisant tomber pour éradiquer la mafia casalnuovese. Il a deux espèces de gardes du corps de bas étage, avec lesquels il se promène le plus souvent. Son cousin sous-germain, Carmelo, est son comptable, il vit à trois rues de chez moi. Il y a aussi trois jeunes gars, Aldo, Rico, et le dernier dont je ne connais pas le nom, qui prélèvent le pizzo, et Benito, le beau gosse de la bande et le seul à parler anglais, ce qui lui confère le statut envié de gestionnaire des relations internationales. Relations internationales, cela me fait bien rire.
Je passe aussi pas mal de temps avec Cuncettina. Comme beaucoup ici, elle souffre de la solitude. Elle ne voit ses enfants et petits-enfants, établis à Milan et à Bologne que deux ou trois fois par an.
Plusieurs fois par semaine, elle toque et pousse la porte de chez moi en murmurant « permesso », et je l'accueille pour un café ou un verre de latte di mondorla. Comme Enzo me l'avais promis, je maîtrise désormais assez bien l'italien pour que nous puissions communiquer basiquement. Les vraies conversations ne sont pas encore possibles, mais nous parvenons à nous comprendre. Elle croit toujours que je suis venue observer la faune et la flore du Sud de l'Italie. En échange de ma compagnie, elle m'apporte régulièrement une portion du plat qu'elle a préparé, patatine e pipe friutti, pasta al forno, ou minestrone. Parfois même, nous partageons la même table, avec ou sans Enzo, ce qui est d'ailleurs à l'origine de mon plus gros fou rire ici.
Ce soir-là, nous dînons tous les trois chez elle. Enzo a apporté une bouteille de bon vin et elle enchaîne les verres, plus habituée aux vinaigres de sa campagne qu'aux grands crus. Elle a l'œil qui frise, l'ambiance est bon enfant, et, enhardie par l'alcool, elle pose la question qui semble lui brûler les lèvres depuis longtemps.
— Perchè non ti baci mai ? demande-t-elle, entre le fromage et les fruits du dessert.
Je reste interdite, pas sûre d'avoir bien compris, mais Enzo éclate de rire.
— Perchè non siamo in una relazione !
Elle ouvre de grands yeux, abasourdie, puis fronce les sourcils et réplique, sans se démonter :
— Se, lo sei !
— No !!!
Enzo est plié en deux et je me laisse à mon tour gagner par l'hilarité. Je ne l'ai jamais vu rire comme ça et cela fait bien trop longtemps que je n'ai pas ri non plus.
Cuncettina nous regarde tour à tour, intriguée, semblant se demander si on se moque d'elle. Piquée, elle baragouine quelque chose à Enzo qui a à présent les larmes aux yeux tant il se marre. Plus nous rions, plus sa colère enfle, et plus elle se fâche, plus nous nous esclaffons.
— Elle pense qu'on est en couple, parce qu'ici, l'amitié homme femme n'existe pas, annone enfin le flic. Elle ne comprend pas pourquoi on refuse de le lui avouer.
Je sèche les larmes qui ont coulé sur mes joues, et vais chercher mon téléphone posé sur la console de l'entrée. Je le déverrouille et entre dans l'application photo, pour chercher des clichés de Tom et moi.
— Mi amore. Sono fidanzata, Cuncettina. Enzo e solo un amico.
La vieille femme regarde quelques photos, puis lève des yeux suspicieux vers nous, jaugeant la vérité potentielle de ces faits. Mais son regard s'adoucit.
— E carino, questo ragazzo. Come si chiame ?
— Thomas.
— E perchè non e qua, con te ? grogne-t-elle. Sie è tuo fidanzato, dovrebbe stare con te.
Enzo m'aide à lui faire comprendre que Tom travaille, et moi aussi sur ma thèse, qu'il ne peut pas être ici avec moi.
Cuncettina semble satisfaite de nos explications, et débarrasse, sans poser davantage de questions.
Le flic va ensuite chercher trois glaces à emporter chez Bernini pour clôturer cette belle soirée, et nous sortons les manger sur le pas de la porte, profitant de la brise vespérale. Je contemple mes drôles de nouveaux amis, mon Lucky Luke rital avec son gros pot tartuffo, pistaccio et stracciatella, et la petite vieille ridée, à moitié sourde mais plus vive que moi, qui déguste son gelato al limone mini format. Je me dis que ma vie a bien changé en quelques mois, mais heureusement qu'ils sont là.
Hello,
Désolée pour le retard, j'ai essayé de poster hier soir mais Orange en a décidé autrement : plus d'internet, ni wifi, ni 4G.
Un chapitre un peu fouillis, le temps de laisser Lou se poser à Casalnuovo... il se passera plus de choses dans le prochain.
Bonne fin de semaine, et à dimanche !
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