Chapitre 21
En media, "Protège-moi", Placebo
Mon avion décolle à quatorze heures trente. Après notre promenade matinale, nous nous arrêtons prendre un vrai petit déjeuner en ville, dans le premier bar que nous trouvons ouvert. Nous partageons l'endroit avec quelques groupes de jeunes qui font la fermeture des boîtes de nuit, mais qu'importe, chaque moment avec Thomas reste exceptionnel, et tant pis si ça sent la transpiration, le tabac froid et la vodka mal digérée autour de nous.
Nous rentrons ensuite chez moi, et je termine de préparer mes affaires. Contrairement à mes habitudes, je n'ai emporté que quelques vêtements, et deux paires de sandales, j'achèterai mes produits de toilettes là-bas, et les chaussures aussi, je vais quand même en Italie. J'ajoute le petit cahier que j'ai commencé à remplir sur Montolo, avec l'article de presse imprimé, et les renseignements que m'a déjà donnés Vincenzo. J'espère qu'il sera vite chargé d'informations. Je range aussi mon nouveau lecteur mp3, la mini-enceinte et plusieurs livres, jusqu'à ce que la valise atteigne sur ma vieille balance de salle de bains les vingt kilos auxquels j'ai le droit. Tom aura pour mission de m'en envoyer d'autres régulièrement par la poste.
Peu après dix heures, mon amour va chercher sa voiture et je reste seule un instant. Je coupe le gaz et l'eau, débranche les appareils électriques puis reste assise sur mon canapé, en attendant son retour. Je joue avec le téléphone sur mes genoux, j'ai tellement envie d'envoyer un message à mes parents. Juste un petit quelque chose, je vous aime, prenez soin de vous. Mais c'est impossible, je sais qu'ils comprendraient tout de suite et je ne peux pas risquer de me faire découvrir maintenant. J'imagine déjà la scène demain, quand ils ouvriront la lettre postée vendredi. Je vois mon père tonner dans l'entrée, ma mère pleurer probablement, puis appeler Nico, Thomas, Caro peut-être, en quête de réponse. Je sais que je vais les blesser, les inquiéter, comme s'ils n'avaient pas assez souffert comme ça, mais tant pis. Ma soif de vengeance est un ouragan qui emporte tout.
Tom revient et saisit ma valise.
- Tu es prête ?
- Oui.
Je me lève, sors derrière lui et ferme la porte.
Il charge mes affaires dans son coffre, puis nous nous mettons en route vers l'aéroport de Luxembourg qui propose un vol hebdomadaire en direction Lamezia, en Calabre, à une centaine de kilomètres de Casalnuovo. La musique envahit l'espace, à défaut de conversation, et je regarde le paysage défiler, comme il y a deux semaines, quand il m'a emmenée à ce dîner surprise qui aura un peu changé le cours de ma vie.
Le visage de Tom est fermé, sa mâchoire crispée, les sourcils froncés vers la route. Parfois, il sent mon regard sur lui et me sourit, laissant son visage s'éclairer, avant de se concentrer à nouveau sur sa conduite sur l'A31, au trafic chargé, quelle que soit l'heure, quel que soit le jour.
Mon cœur bat vite dans ma poitrine, en proie à des tas de sentiments contradictoires. La peur, l'angoisse et la tristesse de quitter la France et mon amour, mais aussi une excitation immense. Pour la première fois, j'arrive à mettre un mot sur ce besoin d'aller seule régler mes comptes en Calabre. J'ai passé trop d'années à me laisser porter par les évènements depuis le départ de Tom il y a neuf ans. J'aurais pu aller le revoir, à cette fête quand il est rentré avec sa compagne, Jeanne, me battre pour lui, lui dire que je l'aimais encore, mais je n'ai rien fait. J'ai abandonné mes études, incapable de remettre les pieds à la fac, j'ai accepté la proposition de promotion de mon patron de l'époque, Des hommes, Matthieu, Serge et tant d'autres sont entrés dans ma vie, pour une nuit ou quelques années, et en sont sortis, sans que je ne fasse vraiment grand-chose ni pour les accueillir, ni pour les retenir. Et Tom est revenu, avec son magnifique projet, que j'ai accepté aussi. Voilà ma vie depuis onze ans, depuis toujours en fait. J'ai toujours assumé les choix que j'ai faits, mais je n'ai réellement décidé de rien. J'attends passivement, je dis oui, ou non. Mais je ne me bats pour rien, je ne suis pas actrice de ma vie, me contentant de vivre les choses comme elles m'arrivent. Aujourd'hui, c'est à moi de provoquer le destin, et je dois le faire seule pour me prouver à moi-même que j'en suis capable.
Tom se gare au sous-sol de l'aéroport et quand nous arrivons au milieu du hall, l'enregistrement a déjà commencé. Nous prenons place dans la file assez conséquente. La belle saison débute, et même si ce n'est pas encore les vacances scolaires, il y a pas mal de monde, personnes âgées, ou couples avec de tous petits enfants. J'espère qu'aucun de ces mômes n'aura la mauvaise idée de hurler pendant tout le vol. Je me détourne, frappant nerveusement le sol de mon pied, vérifiant pour la millième fois que j'ai bien mon passeport et mon billet.
- Calm down, souffle Tom, en saisissant ma main, avec un sourire.
Même à cet instant, il ne songe qu'à m'apaiser.
Mon bagage enregistré, nous nous installons pour prendre un sandwich et un café. La courte nuit se fait ressentir sur nous deux et nous baillons à tour de rôle. Tom a les yeux rougis, cernés.
- Tu ne vas pas t'endormir au volant au moins ? m'inquiété-je. Sois prudent...
- C'est l'hôpital qui se fout de la charité, se moque-t-il en retour. Ok, je ferai gaffe sur la route et toi, tu feras attention aux coups de fusil dans le dos et aux incendies surprise ?
- Bien sûr, je te l'ai déjà dit. Tom, tu dois cesser de stresser avec ça, sinon tu ne vas pas dormir, ou te faire un ulcère, ou je ne sais quoi...
- Écoute, le mieux, ce serait que tu m'envoies des nouvelles toutes les deux heures, histoire que je sois certain que tu vas bien.
- Rêve. Tu dois me faire confiance, c'est tout.
- Lou, ce n'est pas en toi que je n'ai pas confiance... mais je plaisantais, ajoute-t-il avec un sourire. Toutes les trois heures ça suffira.
Vient le moment où nous devons nous dire au revoir. Nous avons beau nous préparer, c'est un déchirement. J'ai beau psalmodier mentalement « deux mois... deux mois... deux mois max... », la vérité c'est que je ne sais pas quand je reverrai Tom, ni même si je rentrerai un jour. Nous avons bien fait d'évacuer la pression hier c'est la seule chose qui nous empêche de craquer complètement au milieu du hall des départs. Je reste un long moment contre lui, lovée dans ses bras, respirant son odeur familière, que j'aime tant, mais je m'arrache à regret de son giron. Il prend alors mon visage dans ses mains et plonge ses yeux dans les miens. Son regard bleu, si pur, si doux.
- Take care, my lovely darling. And come back soon. Please.
- Promis. Je t'aime, Tom.
Je l'embrasse, avec toute la passion que l'on peut mettre dans un baiser quand il sera peut être le dernier, et je m'éloigne rapidement, sans attendre sa réponse. Je ne peux m'empêcher de me retourner, comme pour garder une dernière image de lui, debout au milieu de l'aéroport, les mains dans les poches, si beau dans son jean et son tee-shirt blanc, parce qu'il n'a besoin de rien d'autre. Je lui souris, malgré les larmes qui commencent à brouiller ma vue, et il m'envoie un baiser.
J'ai l'impression que mon cœur se fend encore un peu dans ma poitrine. Je déteste les au revoir.
Hey !
Nous voici à la fin de la première partie, Lou est maintenant en route pour affronter, seule -ou presque-, son passé et son destin. Que pensez-vous de sa décision ? Qu'imaginez vous pour la suite ?
Atterrissage en Calabre prévu dimanche !
Des bisous en attendant, et bonne fin de semaine
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