Chapitre 17

En media, "Sunday morning"*, the Velvet Underground and Nico

*Bon, dans l'histoire, c'est lundi matin, mais tant pis, je trouvais que cette chanson se mariait bien avec ce chapitre XD.

Depuis notre grande discussion, je me sens beaucoup mieux, apaisée. J'ai enfin la sensation d'aller de l'avant, d'être en mouvement. Je ne sais toujours pas à quoi m'attendre là-bas, mais je m'en fiche. Je vais aller sur les traces de ma mère et de Giuseppina, manger des glaces, lire sur les bancs de la villa, rencontrer mon géniteur, et faire en sorte que cette pourriture aille moisir au fond d'une cellule. Chouette programme en perspective.

Tom prend sur lui, et semble accepter la nouvelle. Je n'irai pas jusqu'à dire qu'il prend bien les choses, mais il a compris mon impérieux besoin, et ne me fait aucun reproche. Il y a huit ans, quand la situation été inversée, quand c'est lui qui est parti pour son tour du monde, je l'ai quitté, incapable de le voir préparer son voyage, terminer ses préparatifs en solitaire. Mais aujourd'hui, il reste à mes côtés, résigné, sans chercher à me dissuader de ce qu'il juge toujours être une énorme bêtise, un risque inconsidéré.

Pour le remercier, je me suis avancée ces derniers jours dans mes tâches administratives à la librairie en sautant tous les déjeuners de la fin de semaine et ce lundi, je lui ai réservé une belle journée, comme nous n'en avons pas passée ensemble depuis trop longtemps. Pour la première fois, c'est moi qui vais chercher les croissants et lui apporte le petit déjeuner au lit. Je me suis levée avant son réveil, me suis habillée sans bruit pour descendre à la boulangerie située un peu plus loin dans la rue, et quand je pousse la porte de sa chambre, chargée d'un plateau garni, mon amoureux dort encore. Je pose le plateau sur le sol et m'assois sur le lit, à ses côtés pour le regarder. Il est sur le ventre et son visage est à demi enfoui dans son oreiller. Son dos nu se soulève au rythme de sa respiration, sa peau, si douce, m'appelle et je ne peux m'empêcher d'y promener mon index. Le mouvement le réveille, je l'entends soupirer puis il s'étire dans un grognement, avant de se retourner. Il sourit en ouvrant les yeux et je me penche pour l'embrasser.

— Déjà levée ? Mais on ne s'est même pas encore fait un petit câlin...

— Petit dej' au lit, mon amour !

— Hummmmm... viens là, déjà, murmure-t-il en m'attirant contre lui.

Je retire le jean et le tee-shirt que j'avais enfilés pour aller à la boulangerie avant de le rejoindre sous les draps. Je me couche à ses côtés et laisse mes doigts courir sur son torse, tout en caressant ses jambes avec mon pied.

— Allez, j'ai acheté des croissants, ils sont tout chauds.

— Moi aussi, je suis chaud, glousse-t-il.

J'éclate de rire.

— Non, Tom, tu ne peux pas dire ça.

— Oui, bon, ok, c'est naze. Comment je peux me rattraper ?

— On part de loin... tu ne peux pas faire pire de toute façon.

— Alors écoute ça : You make me crazy, babe, tente-t-il d'une voix déjà rauque.

— Beaucoup mieux ! J'adore quand tu me dis des mots doux en anglais. Continue, soufflé-je en enjambant son corps pour m'assoir à cheval sur lui, et je constate immédiatement la véracité de ses propos.

You're so beautiful, so sexy... murmure-t-il, ses yeux dans les miens, tandis qu'il caresse mes cheveux.

— Même le matin ? A cette heure-ci, sans maquillage, pas coiffée, avec mes cernes ?

Ses mains se posent sur mes jambes et remontent lentement le long de mes cuisses. Mon sourire s'efface face à l'intensité de son regard, à présent qu'il est tout à fait réveillé.

Such a body, such a face... I want you. Right now.

— Je suis tellement heureuse que tu ne sois pas hollandais ou suédois, soupiré-je en me penchant sur lui pour m'emparer de ses lèvres.

***

— Tous les débuts de journée devraient ressembler à celui-ci, murmure Tom, extatique, en fixant le plafond.

La tête posée sur son torse, je reprends mon souffle tout en écoutant les battements sourds de son cœur décélérer progressivement.

— Je suis bien d'accord, mais j'irai pas chercher le petit dej' tous les matins, surtout si c'est pour qu'il reste au pied du lit.

— T'inquiète, on va lui faire honneur maintenant. Bon, c'est quoi le programme aujourd'hui ? me demande-t-il en calant son dos sur l'oreiller appuyé sur la tête de lit. On a beaucoup de boulot à la librairie ? Beurk, mais il est froid ce thé, ajoute-t-il avec une grimace.

— A qui la faute ? Il y a une demi-heure, il était bouillant.

— Pas grave. Ce qu'on vient de faire, Babe, ça vaut bien un thé froid.

— Oh oui, largement. Et aujourd'hui, on est libres comme l'air, je me suis avancée pour qu'on ait notre journée.

— Sérieux ? C'est génial, ça fait tellement longtemps ! On n'a pas eu de temps pour nous depuis que tu as appris... enfin, depuis longtemps quoi.

— Oui, en effet. Alors voilà ce que je te propose : on traîne encore un peu au lit, puis à midi je cuisine pour toi, et...

— Ah dommage, ça avait bien commencé...

Je tire l'oreiller derrière son dos pour le frapper avec et reprends le plus dignement possible en ignorant ses rires.

— Ensuite on va se balader, ou voir une expo, le temps n'est pas terrible, ou un ciné, ce que tu veux, puis j'ai une surprise pour toi. Rendez-vous à seize heures trente.

— Un rendez-vous surprise ? Haha, j'adore ça.

— Oui, enfin, j'espère que ça te plaira. Et ce soir...

— Ah non, ce soir, c'est moi qui prends les choses en main. Moi aussi j'ai une surprise, enfin si tout va bien. Réserve ta soirée, c'est tout.

— On fait quoi ?

— Tu verras. Mais pour le reste, c'est parfait ! Tu es la femme idéale... enfin, à peu de choses près.

La journée passe comme dans un rêve. J'ai beau adorer mon métier, la gestion de la librairie m'occupe près de soixante heures par semaine, et Tom et moi n'avons que peu de temps pour profiter l'un de l'autre. Avec l'échéance du départ qui approche, j'ai encore plus besoin de lui.

Nous passons une partie de la matinée à paresser et à nous câliner, puis après une douche à deux, j'entreprends de préparer un risotto, une des seules recettes que je maîtrise, grâce à Caro qui m'a coachée il y a deux ans, pour éviter que je n'intoxique Serge, mon ancien petit ami.

En début d'après-midi, nous nous dirigeons vers le centre Pompidou, pour visiter une exposition de peintures, « l'aventure de la couleur », et une autre de photographies sur les couples atypiques, ô combien à propos.

Peu avant l'heure dite, nous retraversons le centre-ville et je l'emmène jusqu'à une ruelle un peu excentrée. Quand je m'arrête devant la vitrine d'un tatoueur pierceur, Tom fronce les sourcils.

— C'est ici qu'on a rendez-vous ? Tu vas te faire percer le nombril ?

— Je pensais plutôt à l'arcade sourcilière, et même qu'on pouvait le faire ensemble...

Sa bouche s'ouvre lentement sans un mot, ses yeux s'arrondissent et j'éclate de rire, incapable de me contenir plus longtemps face à son air ahuri.

— Mais non enfin, je plaisante bien sûr.

Je le laisse soupirer de soulagement avant de reprendre :

— Mais je suis quand même à moitié sérieuse. Je pensais qu'avant mon départ, on pouvait se faire tatouer tous les deux. Un dessin qui n'appartiendrait qu'à nous. Comme ça, même sépar...

Son baiser m'interrompt.

— Je t'aime, Lou, souffle-t-il avec émotion. Et j'aime cette idée.

— Ouf, j'avais peur que tu ne sois pas d'accord, ou que tu trouves ça stupide.

— Au contraire, m'assure-t-il avec son sourire lumineux. Tu as déjà pensé à un modèle ?

— Oui et si tu es d'accord, on repart avec ce soir... Que dis-tu du signe « infini » ? proposé-je en lui montrant le bracelet qui orne toujours mon poignet.

A nouveau, il prend mon visage et m'embrasse tendrement.

— Je dis que tu n'aurais pas pu mieux choisir.

Ça n'a pas été une mince affaire d'obtenir un rendez-vous. J'ai dû négocier âprement avec Jack, le tatoueur, pour qu'il me reçoive mercredi dernier afin que nous choisissions le dessin ensemble. J'y suis allée après la fermeture, alors que Tom me croyait à la boxe. Le professionnel a ensuite tiqué car il paraît que le signe que je réclamais est « passé de mode », et il rechignait à tatouer quelque chose d'aussi commun. J'ai insisté, argumentant que je me foutais de la mode et qu'il n'y avait rien de plus significatif pour notre couple que ce dessin-là. Il a fini par me proposer de le redessiner, en le stylisant et en y ajoutant des chiffres, nos initiales, n'importe quoi pour le rendre un peu plus original et personnalisé. Après plusieurs essais, nous sommes tombés d'accord sur une arabesque mêlant ce fameux signe avec son « T » et mon « L ». Parfait. Je l'ai ensuite harcelé pour obtenir un rendez-vous ce lundi précisément, jusqu'à ce qu'il accepte d'appeler ses clients pour déplacer un rendez-vous. Le vendredi matin, il me téléphonait pour me dire qu'il nous attendait ce lundi 27 mai, à seize heures trente. Il a aussi ajouté que c'était une sangsue qu'il aurait fallu me faire tatouer, mais j'étais tellement contente d'avoir réussi que ça ne m'a même pas vexée.

Thomas et moi entrons donc dans le cabinet, et patientons en observant les photos du travail de l'artiste. C'est à mon tour d'ouvrir de grands yeux devant les spécimens exposés : crânes tatoués, écarteurs géants dans les lobes d'oreilles, piercing dans des endroits divers et variés. Il m'avait reçu immédiatement mercredi dernier et la salle d'attente n'était que peu éclairée, je n'avais pas fait attention à la « décoration ». Là, j'ai tout le temps d'examiner ces clichés qui m'impressionnent.

— Tu stresses ? sourit Tom en arrivant derrière moi.

— Non... enfin, juste un peu. Ça ne fait pas vraiment mal, si ?

— Si, c'est atroce. Quand j'ai fait faire le mien, j'ai cru que j'allais tomber dans les pommes. Et c'est long !

— Ah oui, à ce point... ? articulé-je faiblement.

— Ben le mien, sept heures.

— Quoi ? m'étranglé-je.

A son tour, Tom éclate de rire.

— Mais non ! Là c'est moi qui te charrie. Ça va le faire, t'inquiète, Babe.

Je suis nettement plus anxieuse quand Jack, nous fait entrer dans sa salle de travail, mais je tente de ne rien laisser paraître et propose bravement de passer la première, avant de me dégonfler. Nous choisissons ensemble l'emplacement, à l'intérieur du poignet gauche, là où pulse le sang, du côté du cœur. Il paraît qu'ici c'est assez douloureux, car la peau est fine et la zone sensible, mais tant pis, au point où j'en suis... Jack le décalque ensuite au feutre, et l'applique sur ma peau désinfectée puis prépare son matériel : gants, capsules d'encre, aiguille stérile, avant de commencer. La machine fait un bruit infernal et Tom m'adresse un sourire d'encouragement, il me connaît et sait que j'ai peur mais je reste stoïque, affichant crânement un flegme en total désaccord avec mon cœur qui tambourine dans ma poitrine. Au final, c'est assez désagréable, mais pas franchement douloureux, en tout cas bien moins que ce que j'avais redouté, et au bout de vingt petites minutes à peine, je fais partie des dix pour cent de la population à être tatouée.

C'est au tour de mon amoureux de passer sous les doigts de Jack et, après les consignes d'usage et précautions à prendre, nous sortons un peu plus tard de l'échoppe, film plastique sur nos dessins neufs, et tous les deux rayonnants.

— Quand même, c'est dingue que tu aies accepté. On n'en a jamais parlé, je te mets devant le fait accompli, et hop, une heure plus tard, tu es marqué à vie.

— Et on sait tous les deux que ce n'est pas du tout mon genre de prendre des décisions sur un coup de tête ! rit-il. Et puis, t'inquiète, le jour où on se séparera, un coup de laser et c'est réglé.

Il évite mon coup de poing et m'enlace brusquement.

— Sérieusement Babe, c'était une merveilleuse idée. J'adore quand tu es romantique, c'est pas si souvent.

Il est près de dix-huit heures, et nous rentrons, chez moi cette fois.

Je nous sers deux bières et rejoins mon amour sur le canapé. Il semble à nouveau soucieux et mon cœur se serre un peu. Je n'aime pas le voir comme ça, surtout après une si belle journée.

— Alors, qu'est-ce que tu as prévu pour ce soir ? demandé-je d'un ton enjoué, faisant mine d'ignorer son changement d'attitude, mais il se rapproche de moi, et plonge ses yeux dans les miens.

— Lou, avant, je voudrais que l'on reparle de ton départ.

— S'il te plaît, ne fais pas ça... je comprends que ce soit compliqué pour toi, mais ça ne sert à rien.

— Accorde-moi cinq questions, et si tu es toujours sûre de toi, je te promets que je ne reviendrai plus sur le sujet.

— Tom...

— Cinq questions, face au sacrifice que je fais en te laissant partir, tu ne peux pas me les refuser.

— Soit, grogné-je de mauvaise grâce. Je t'écoute.

— Un : où vas-tu vivre ?

— Je ne sais pas encore, Air BnB n'est pas encore arrivé jusqu'à ce bled. Il y a un hôtel, je...

— Ok, donc tu ne sais pas. Deux : Comment vas-tu parler ?

— Mais j'en sais rien, tu es saoulant ! Je me débrouillerai avec des guides, j'ai commencé à apprendre l'italien, je te signale !

— Troisième question : As-tu un contact là-bas, quelqu'un à qui tu peux faire confiance ?

— Alors, cette question est nulle, parce qu'on ne peut faire confiance à personne, les gens de tous les bords sont corrompus, et impossible de savoir qui.

— Quatre : comment auras-tu des infos sur lui ? Où il vit, avec qui il bosse, quelle place il a dans l'organisation ?

— Ça suffit Tom, tu me fatigues, là. T'as envie de gâcher la fin de journée ? Je sais tout ça, merci ! Et ça ne change rien !

— D'où ma dernière question : malgré toutes ces contradictions, tu tiens toujours à faire ce voyage, seule qui plus est ?

— Oui !

— Parfait, je m'en doutais.

Il hoche la tête, impassible, puis se lève tranquillement, efface des plis imaginaires sur son jean.

— Où tu vas ? demandé-je, paniquée.

Mais il me tend la main, et m'aide à me lever du sofa.

— Surprise. Mais on y va ensemble.

Tom refuse de m'en dire plus. Je le suis jusqu'à sa voiture, nous nous arrêtons seulement chez un fleuriste acheter un bouquet, puis il démarre et roule vers l'autoroute en direction du nord du département. Je le bombarde de questions, il m'avoue que nous nous rendons au Luxembourg, mais sans en dévoiler davantage, et je finis par abandonner, laissant mon regard se perdre sur le paysage morne qui borde la route. Je déteste ne pas maîtriser la situation. Je ne sais pas où on va, chez qui, si j'ai la tenue adéquate à une sortie et surtout, je veux savoir pourquoi il me joue un tel numéro. J'ai l'impression qu'il cherche encore une fois à me persuader de rester et même si je comprends sa contrariété, j'aimerais qu'il essaye de respecter ma décision. Mon agacement monte graduellement au fur et à mesure que les kilomètres défilent et que Tom m'ignore. Il sait dans quel état me met ce genre de situation, mais il me laisse mariner, chantonnant tranquillement au rythme des Doors. Je finis par exploser.

— Arrête-toi.

— Hein ?

— Arrête la voiture. Il y a une station-service à huit-cents mètres, je veux sortir.

— On est presque arrivés...

— Tu me rends dingue Tom, quand tu fais ça. Je te garantis que je ne bouge pas de là si tu ne me dis pas ce qu'on fait et pourquoi !

— Faudrait savoir, il y a une minute, tu voulais sortir, et maintenant tu menaces de finir tes jours ici...

— C'est pas drôle. Dis-moi où on va, bordel !

— D'accord. On va à Mondorf.

— Faire quoi ? Je veux savoir, réponds-moi !

— Dix minutes, Lou, et je t'explique tout, promis. Mais ce sera une bonne surprise.

Et comme lorsqu'on s'est revus, quand on est redevenus amis, puis le soir où l'on s'est remis ensemble, Tom murmure :

— Fais-moi confiance.

Je ne peux rien ajouter de plus.

Nous arrivons un quart d'heure plus tard, au pied d'une résidence moderne et classieuse au cœur de Mondorf-les-Bains. Les places pour se garer sont rares, et Tom tourne un moment avant de trouver un emplacement où il peut parquer sa Clio pourrie, entre deux Berlines rutilantes. J'échafaude des plans, je me dis qu'il a peut-être trouvé un appartement pour nous dans cet immeuble tapageur et sans charme -mais ça n'explique pas les fleurs- ou qu'il veut me faire rencontrer des personnes de sa famille que je ne connais pas, n'importe quoi pour me faire changer d'avis.

Enfin, il coupe le contact, et détache sa ceinture. Je suis suspendue à ses lèvres.

— Pardonne-moi tous ces mystères, Babe, mais je n'ai eu confirmation de ce dîner que ce matin, et je ne pensais pas que ça allait te rendre folle à ce point.

— Je dé-tes-te les surprises !

— Tu vas adorer celle-ci, enfin j'espère.

— Tom, dis-moi ce qu'on fait ici.

— Tu te souviens, tout à l'heure, quand je t'ai posé toutes ces questions, auxquelles tu n'avais pas de réponse ?

— Oui, je ne risque pas d'oublier.

— Eh bien, moi, j'ai la réponse. Elle est au 12A.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top