Chapitre 10
En media, Lily (U turn), AaRON
Je trouve que cette chanson (que j'adore, je suis fan de tous les albums de ce groupe) résume bien l'histoire, et en plus, c'est plus ou moins comme Mélanie Laurent (dans le clip, extrait du film "je vais bien, ne t'en fais pas") que j'imagine Louise.
Petit chapitre de transition, on passe aux choses sérieuses mercredi :)
Bonne lecture !
— Alors ça, c'est son profil, avec le nez là, et un pied. Ça, c'est la colonne vertébrale, et le petit rond blanc, le cœur. Ou l'estomac, je ne sais plus, mince ! Enfin, c'est trop, non ? Attends, regarde, j'ai une vidéo aussi. Chut, écoute, on entend son cœur battre...
— C'est trop mignon. Ça va être un canon ce bébé.
Caro sourit en reposant son téléphone. Ses joues sont roses d'émotion. J'ai feint de m'extasier devant les images de l'espèce de haricot noir et blanc qu'elle me montrait sur son écran mais finalement, je suis émue de voir dans quel état ça la met de me présenter son futur enfant.
— On a déjà choisi le lit et la table à langer, je vais m'occuper de la poussette. C'est dingue ce qu'ils font pour les bébés maintenant. Des baignoires avec des pieds pour que tu n'aies pas à te pencher, des veille-bébés avec capteur de battements cardiaques, ou même des visiophones. Les chaises-hautes, on dirait des avions de chasse, rien à voir avec les modèles en bois de notre enfance. Ah, et puis regarde, j'ai pris un catalogue pour les thèmes de chambres, j'ai besoin de ton avis. J'aime bien celui-ci, jaune si c'est une fille, ou celui-là, beige et bleu ciel, avec les petits bateaux, pour un garçon.
— C'est joli.
— Ah oui, t'aimes ? Sinon il y a le gris clair là, mais j'ai peur que ce soit un peu triste...
Je laisse mon amie m'ensevelir sous les informations, me contentant d'intervenir régulièrement, de toute façon, c'est ce qu'elle souhaite, elle n'a pas besoin de davantage. Je trouve son enthousiasme adorable et cela me distrait un court instant des pensées noires qui ne cessent de m'assaillir. La grossesse ne se voit pas encore, Caro n'est enceinte que de trois mois, mais c'est déjà bien concret, en tout cas pour elle et Clément. Elle a des nausées et des dégoûts, des brûlures acides, des seins énormes et dort neuf heures par nuit.
Elle finit pourtant par remballer échantillons de papier peint et modèles de gigoteuses, et pose enfin vraiment les yeux sur moi, m'observe attentivement.
— Ça va, Lou ? T'as une petite mine.
J'hésite. Nous sommes samedi midi, dans une brasserie bondée et je rouvre dans vingt minutes, cela ne me semble pas le bon moment pour me confier à ma meilleure amie.
— Je... c'est pas la grande forme. Je t'expliquerai.
— Tu t'es engueulée avec Tom ?
— Non, de ce point de vu tout va bien, au contraire. Non, je te raconterai quand on aura le temps, c'est un peu long.
— Loulou, tu m'inquiètes.
— T'en fais pas. Bon, et sinon vous avez des idées de prénoms ?
Comme chaque samedi, la librairie est pleine de monde, et l'affluence ne me laisse pas le temps de me plonger dans mes problèmes. Cela fait trois jours que j'ai appris la nouvelle, et seuls les moments où je travaille parviennent à me distraire. Tom me rejoint en début d'après-midi pour m'aider et ne quitte la boutique que vers dix-huit heures, quand les clients s'espacent. Il doit repasser chez lui prendre quelques rechanges, et nous avons prévu de nous retrouver ensuite à mon appartement où nous passons tous nos moments ensemble depuis mercredi. Il sait que j'ai besoin de mon refuge, que je me sens mieux chez moi.
Quand j'arrive, des éclats de voix me parviennent, en même temps qu'une délicieuse odeur. Caro et Clément sont assis sur mon canapé et boivent un verre en compagnie de l'homme qui partage ma vie. Je souris. Pas besoin qu'on me raconte, je sais exactement comment cela s'est passé. Après notre déjeuner, mon amie a appelé Tom parce qu'elle était inquiète. Trop heureux de l'occasion, il lui a confirmé que j'avais besoin d'elle et l'a conviée ce soir.
Je m'avance dans le salon, embrasse Clément sur les joues, Tom sur la bouche puis les deux garçons se lèvent et attrapent leur veste.
— On vous laisse les filles ! Nous, on va boire des bières et se trouver un bar où on peut jouer aux fléchettes ! Chérie, je repasse te chercher en fin de soirée.
— Tarte aux épinards, chèvre et noix dans le four. Salade lavée dans le frigo. A tout à l'heure, Honey, souffle Tom à mon oreille.
— Attends.
Je rattrape mon amoureux sur le pas de la porte et, le saisissant par les pans de sa veste, l'attire à moi. Il chancelle légèrement au baiser que je lui donne, et il passe ses mains dans mes cheveux pour prolonger l'instant.
— Oh, ça va, vous vous revoyez dans trois heures, hein ! rigole Clément, et nous nous séparons à contrecœur.
Tom m'adresse un de ses sourires à la fois doux et lumineux en descendant les marches d'escalier de l'immeuble, et je referme la porte avec un soupir de bien-être. Quoiqu'il puisse m'arriver, je pourrai tout supporter tant qu'il sera à mes côtés.
Je sors la tarte chaude du four, et assaisonne la salade tandis que Caro met la table en silence, un peu mal à l'aise, puis nous nous asseyons face à face.
— Je suis désolée, Loulou, je sais que tu n'aimes pas qu'on se mêle de ta vie, mais... tu n'avais vraiment pas l'air bien tout à l'heure et je...
— Je sais. Tu as bien fait, je crois que j'ai vraiment besoin de te parler.
— C'est grave ?
Je cherche la réponse sur le mur derrière mon amie. Est-ce grave ? Oui, sans doute, mais au fond, qu'est-ce que ça change à ma vie ?
— Peut-être. Je ne sais pas.
— Je t'écoute, murmure-t-elle en m'observant, les sourcils froncés.
— Mange d'abord. Ça va refroidir et tu as besoin de force.
— Lou, ne joue pas à ça, je sais ce que tu fais, tu évites le sujet !
— Non, je te promets qu'après le dîner je te raconte tout. Mais d'abord on mange.
Sinon tu n'auras plus d'appétit.
Caro me lance un regard lourd, qui signifie « je ne lâcherai pas le morceau », mais consent à me laisser un peu de temps. Nous dînons dans le calme. Elle me pose des questions sur la librairie pour commencer, puis je prends des nouvelle de sa famille, ses parents, grands-parents, son petit frère. Elle m'interroge sur les miens à son tour et je me raidis.
— Ça suffit, Loulou. Tu m'expliques maintenant.
Son intérêt s'est mué en vraie angoisse, impossible de repousser davantage. Je vais m'assoir sur mon canapé, et elle me suit, s'installe en posant, déjà, une main sur son ventre.
Alors, je raconte, en essayant de garder un ordre chronologique, de n'omettre aucun détail. Le don de sang, la surprise, les examens complémentaires, mes parents. J'entends les réactions de mon amie, son souffle coupé quand je lui explique que ma mère n'est pas celle de Nico, ses frissons d'angoisse puis ses reniflades compulsives quand j'évoque le viol, le mensonge sur mes origines. A la fin, elle pleure franchement. J'en suis surprise, Caro ne pleure jamais. C'est une femme forte, équilibrée et déterminée, qui analyse toutes les situations en gardant la tête froide. Je mets ses larmes sur le compte des hormones.
— Je suis tellement désolée, ma Loulou, si triste pour toi. C'est vraiment injuste que tu aies à subir tout ça...
— Je sais, Caro, je sais. Ne pleure pas..., je chuchote en la prenant contre moi, tout en me disant que c'est un peu le monde à l'envers.
— Mais j'ai tellement de peine et je... j'ai été nulle à midi. Je n'ai fait que te parler du bébé alors que tu avais besoin de moi et je ne l'ai pas vu.
Je l'écarte alors de moi et prends un mouchoir avec lequel j'essuie ses larmes avant de lui tendre le reste de la boîte.
— Caro, quand Tom est parti il y a neuf ans, puis quand il est rentré avec Jeanne, quand j'ai cru que j'allais mourir de chagrin, tu es l'une de celles grâce à qui j'ai tenu. Tu m'as préparé mes repas, lavé mon linge, tu venais me secouer le matin pour que j'aille bosser et que je ne me fasse pas virer. Ensuite et pendant des années, tu as supporté mes sautes d'humeur, mon caractère de dogue, sans jamais te fâcher, mais sans jamais mâcher tes mots non plus, parce que c'est ça le rôle d'une amie. D'une meilleure amie. Tu t'es toujours inquiétée de moi, de mon bonheur. Alors oui, aujourd'hui, tout à ta joie de me montrer les préparatifs en cours pour votre futur enfant, tu n'as pas tout de suite remarqué que j'allais mal. Et tu sais quoi ? Tant mieux ! Parce qu'à midi, j'ai passé un super moment avec ma meilleure amie, enceinte et heureuse, à penser à autre chose qu'à ce cauchemar qui me hante depuis trois jours.
Caro accueille ma tirade avec des larmes, des sourires, et des larmes encore, puis se calme et se mouche.
— Pardon, c'est les hormones.
— J'avais compris, souris-je.
Nous passons le reste de la soirée à décortiquer les événements. Une fois la surprise et l'émotion passées, mon amie retrouve sa clairvoyance. Elle est d'autant plus choquée qu'en tant que plus vieille amie, elle connait bien ma famille. Mes grands-parents sont les voisins des siens, et elle a été assez proche de mon frère à l'adolescence, j'ai même cru un temps que nous allions devenir belles-sœurs.
— Je n'arrive pas à y croire... murmure-t-elle en secouant ses longs cheveux blonds.
— Imagine pour moi, alors...
— Qu'est-ce que tu vas faire maintenant ?
— Rien. Il n'y a rien à faire. La vie continue.
Son regard en biais ne m'échappe pas. Histoire d'être sûre que je la suis, elle me précise le fond de sa pensée.
— Je sais que tu ne supportes pas qu'on s'immisce dans ta vie et bien sûr, c'est ta décision, mais Loulou, je te connais, et je ne vois pas comment tu pourras passer à autre chose.
— Tom pense comme toi. Je n'ai pas le choix pourtant.
— La place de ton... de cet homme est en prison.
— Je sais. Mais mes parents ont tenté toute leur vie de fuir ce passé, de recommencer leur vie et n'y sont pas mal arrivés. Je n'ai pas envie de tout foutre en l'air, ils ne méritent pas ça.
Caroline hoche la tête. Je vois bien qu'elle n'est pas convaincue par mes arguments mais elle sait qu'il est inutile d'insister.
Nos hommes rentrent peu avant vingt-trois heures. Il était temps. Caro baille à s'en décrocher la mâchoire, dix minutes de plus et je la couchais.
Avant de passer la porte, elle quitte les bras de Clément pour me serrer dans les siens.
— Tu m'appelles si tu as besoin, Loulou. A n'importe quelle heure, pour n'importe quoi.
— Eh bien justement, j'ai besoin de toi, d'un service. Tu veux bien téléphoner aux jumelles, et leur parler de tout ça ?
— Lou... Ce n'est pas à moi de le faire.
— S'il te plaît... je ne me sens pas le courage de raconter cette histoire à nouveau, et de répondre à leurs questions. Pas tout de suite en tout cas.
— Hum, bon d'accord, bougonne mon amie, mais c'est bien parce que je ne peux rien te refuser.
Je plante un gros bisou sur sa joue et leur fais un signe de la main alors qu'ils disparaissent tous les deux, main dans la main, dans les escaliers. Ils repartent chez eux, vers leur bonheur, leur vie sans souci. Je me sens très fatiguée.
Thomas arrive derrière moi, et entoure ma taille de ses bras, pose son menton sur mon épaule.
— Comment tu te sens, mon amour ?
Je soupire et me dégage avec humeur.
— Ça irait déjà mieux si on pouvait cesser de me poser la question toutes les deux minutes.
— Désolé, je voulais juste...
— Et arrête de t'excuser tout le temps ! Franchement, c'est chiant !
Tom reste muet tandis que je le foudroie du regard. Il mord sa lèvre dans un demi-sourire, sans réagir, le temps que je comprenne seule que je suis déjà loin des bornes que je n'aurais jamais dû dépasser avec l'homme que j'aime.
Il ne me faut que quelques secondes. Je baisse la tête confuse, sans le quitter des yeux, et il secoue la tête, comme il le ferait après avoir découvert une chambre d'enfant dont les murs seraient couverts de gribouillages. Mais son sourire s'élargit et il ouvre ses bras, où je me précipite. Certains couples ont leur chanson, leur film, ou une ville fétiche. Nous, nous avons cette position.
— Je suis désolée, Tom, murmuré-je d'une voix étouffée.
— Arrête de t'excuser tout le temps, singe-t-il en imitant ma voix.
Je m'écarte de sa poitrine pour lui donner une tape et il éclate de rire, me serre plus fort et embrasse mes cheveux.
— Allez furie, viens, on va se coucher.
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