After Story

Je me retrouvais tranquille dans mon appart' avec ma guitare et mes pensées. Honnêtement, cette histoire avec Marie me trotte toujours dans la tête. J'arrive pas à y croire.

Dire qu'il y a un an, je la prenais pour une fille frêle qui n'avait rien à faire dans ce monde sans pitié. Un monde où être au sommet est la priorité absolue. D'ailleurs, cet aspect frêle lui correspondait bien et elle a su en faire usage. Est-elle habituée à ce genre de travail... Malsain ? J'ai déjà merdé mais pas au point qu'on fasse une enquête digne du FBI à mon propos. Même si tu t'appelles Johanna, pour moi, tu seras toujours Marie.

Est-ce que tu étais sincère quand tu disais aimer ma musique ? Je ne pourrai pas te pardonner s'il s'agissait d'un mensonge de plus. Mais ce baiser... Sa tête toute gênée... Non, impossible que ce soit un mensonge. Mais si c'était le cas ? Non, personne ne peut mentir à ce point. Je veux y croire. Au moins, croire en tes actions, même si je ne te reverrai plus.

Il faut que j'en ai le cœur net.

Je prends mon téléphone et l'appela. Malheureusement, j'ai beau essayé, tout ce qui revient est : "Le numéro que vous avez composé n'existe pas. Merci de revérifier et de rappeler plus tard."

(Merde !)

Le numéro n'existe pas ? Il n'est donc pas hors-service mais elle l'a totalement supprimé, pour effacer sa trace, comme si elle n'était jamais venue, telle un fantôme...

Rien n'y fait, elle hante mes pensées. J'essaie de composer mais une de mes cordes s'est coupée.

(Calme-toi mec ! La musique, elle ne t'a rien fait, au contraire. Elle est de ton côté et elle le sera toujours.)

Je respire un bon coup avant de me lever prendre une corde de rechange. Et merde, y en a plus. Je grince des dents.

(Tant pis, je vais refaire le plein demain.)

Pour le moment, j'ai besoin de me refroidir la tête. Il faut que je sorte. Un petit verre chez Brown's ne ferait pas de mal.

Je prends ma veste et enfile ma capuche.

Chez Brown's, je prends un coin. Le bar est assez animé, j'ai pas besoin de ça pour le moment.

C'est alors qu'on me tend un verre.

Colin : "J'ai pas commandé ça."
Brown : "Quelqu'un te l'offre. Et la personne dit : <<Quand t'auras fini, dirige-toi au téléphone à l'arrière-boutique>>.
Colin : " Qui a dit ça ?"

Il a haussé les épaules. C'est quoi ce bordel encore... Je veux passer une soirée tranquille.

Je termine le verre d'un trait et me dirige vers ce foutu téléphone. Je grogne presque en prenant la parole.

Colin : "Allô ???"
... : "Bonsoir Colin."

(Cette voix...)

J'arrivais pas à croire. Putain c'est une blague ?! Non, alors là elle se fout carrément de ma gueule ! Pourquoi maintenant, pourquoi ce timing ?

Colin : "Qu'est-ce que tu veux, <<Johanna>> ?"
Johanna : "Voyons, ne sois pas si sec. Je venais juste prendre de tes nouvelles."

Prononcer son vrai prénom (si c'était vraiment le cas cette fois-ci) me fait tout bizarre. J'ai la rage, je suis hors de moi. Je serre les poings, essayant tant bien que mal de contenir ma colère. Rien qu'à entendre le ton qu'elle a employé, je sais qu'elle se fout ouvertement et royalement de ma gueule.

Honnêtement, sur le coup, je veux pas l'entendre. Mais j'ai besoin de réponses. Je veux entendre sa version des faits. J'ai beau être colère, je reste néanmoins... dégoûté. Dégoûté de son comportement mais également de moi-même. J'étais trop con, j'ai baissé ma garde. Ça faisait longtemps que je ne me suis pas autant ouvert à quelqu'un et il a fallu que je tombe sur une putain d'agent double dans une putain de concurrence entre deux putains d'entreprises. Je m'en fous de tout ça ! J'ai rien à voir là-dedans mais on m'y à entraîné malgré moi.

Colin : "J'ai rien à te dire. Toi par contre..."

J'espère bien qu'elle sait ce qui l'attend, en prenant le risque de me contacter à nouveau. Je vais pas la laisser se voiler la face et éviter mes questions. T'as cherché à jouer avec le feu, assume.

Johanna : "J'en ai conscience. Pour tout te dire, je ne sais même pas pourquoi je t'appelle. Dans le boulot, on ne <<fraternise pas avec l'ennemi>>."

(Alors c'est à ça que se résume notre relation, très bien.)

Sa voix est différente. Elle a plus confiance en elle, elle n'hésite pas, elle est hautaine. Elle est tout le contraire de Marie. Ce n'est pas Marie.

(Mets-toi ça dans le crâne, abruti.)

Je ne vais pas me laisser faire. Elle ne m'atteindra plus.

Colin : "Vu que tu as quand-même pris le risque, déballe tout. Ose me mentir encore une fois et je peux avoir ton joli minois sur tous les avis de recherche de la police."

Elle rit sarcastiquement à l'autre bout du fil.

Johanna : "Tu crois vraiment que ça me fait peur ? Oh Colin... Tu oublies que notre domaine de prédilection est le même ? Je peux également le faire pour toi, tu le sais, pas vrai ?"

Elle accentue ses derniers mots, comme sur un ton de menace.

(Voilà, nous sommes fixés. Johanna Thompson, je peux te l'affirmer désormais : tu es mon ennemie. Et crois-moi, c'est pas bien de m'avoir sur le dos.)

Colin : "Tu cherches la guerre, minette ?"
Johanna : "Tu es celui qui m'agresse, je ne faisais que me défendre."
Colin : "Depuis que tu as quitté Carter Corp, tu as du répondant."
Johanna : "J'en ai toujours eu. Mais je savais qu'avec un caractère comme celui-ci, ils m'auraient jamais pris. Ils préfèrent les toutous obéissants, tu vois ?"

(Oh la petite pu-... Non, je vais m'abstenir.)

Sentant toujours la tension grisante dans cette discussion, je continue à parler d'un calme olympique mal contrôlé.

Colin : "J'ai qu'une seule question pour toi : Pourquoi t'as fait ça ?"
Johanna : "Par <<ça>>, tu veux dire ?"

(Elle se fout trop de ma gueule.)

Colin : "Saboté le projet de Carter Corp. Et me dit pas que c'est confidentiel, je m'en balance. Et même si tu raccroches, je vais te retrouver, crois-moi."

Le silence règne d'un coup. Qu'est-ce qu'elle attend pour me répondre ?

Johanna : "En échange, réponds à ma question : pourquoi tu tiens tant à rester en contact avec moi ? Tu crois vraiment que je vais gober ton intérêt soudain à Carter Corp ? Avoue que ce n'est pas ce qui t'intéresse."

Elle a raison mais elle a également tort. D'un côté, je suis sous les ordres de Carter, c'est mon job. De l'autre, ma fierté n'avale toujours pas le fait qu'elle ait joué avec moi. Elle m'a eu en pleine face. J'peux pas le blairer.

Colin : "Si t'veux que j'sois direct... Ok, ça me va. T'as raison, Carter Corp, je m'en bats les couilles. Ça t'a amusé à ce point de jouer avec moi ? De faire croire que ma musique te plaisait ? Est-ce que t'as été au moins honnête une fois envers moi ? Finalement j'me fiche que tu sois un putain d'agent double ou un petit génie de l'informatique de merde. Je t'ai montré une partie de moi sans savoir que depuis le début, tu étais juste faux-cul."
Johanna : "À croire que tu deviens émotif. Oh pauvre petit chou, te voilà blessé parce que je jouais la comédie ?"
Colin : "MAIS BORDEL, TU VAS ME RÉPONDRE, OUI ?!"

J'ai hurlé et donné un coup au mur. Heureusement qu'il y avait autant de bruit au bar. J'ai jamais été autant hors de moi que maintenant. Je peux le dire avec assurance cette fois-ci : Cette petite garce joue avec mes nerfs. Je soupire d'exténuement. Ça suffit. Prendre de mes nouvelles, mon cul. Elle est revenue juste pour se moquer de moi. Tout comme les autres connards bien avant elle. Je devrais être habitué, je le sais. Mais elle m'a retourné sa veste, voilà ce que je supporte pas.

Colin : "C'est bon, t'as gagné, j'abandonne."

J'étais sur le point de raccrocher quand...

Johanna : "N-Non, attends ! Colin ! Attends !"

Une seconde, j'ai hésité. Une seconde, j'ai arrêté tout mouvement. Une seconde, j'étais choqué. Je l'ai entendue. Je n'ai pas rêvé, j'ai entendu la voix frêle, hésitante, mais osée de cette petite brunette à chignon, en tailleur noir et talons résonnant dans tout le box. De la fille toute timide que j'ai intimidé mais qui s'avançait tout de même vers moi avec assurance, aussi nerveuse qu'elle soit. De la fille courageuse qui a organisé un festival de musique à elle toute seule en invitant plein de groupes. De cette fille si pure qui m'a dit de casser la baraque avant de monter sur scène, de celle qui m'a embrassé avec tant de douceur pour me dire adieu par la suite, me laissant avec un goût éphémère aux lèvres. C'était elle tout ça, pas de doute. Alors pourquoi se montrait-elle si hautaine et agressive ? Pourquoi était-elle obligée de me rabaisser ? Est-ce qu'elle en retire une quelconque satisfaction en faisant ça ?

Une vague de regret me remplit. Pourquoi tout est si compliqué dans cette vie de merde ? Je reprends le téléphone, restant atone.

Colin : "Quoi ?"

J'entends un soupir, une inspiration puis une expiration.

Johanna : "Je... Je... Concernant ta musique,... je n'étais pas faux-cul ! J'étais sincère. C'était la seule fois où je l'ai été... Je ne sais même pas pourquoi j'ai interféré. Mon travail était de saboter ce projet et à la place-"
Colin : "Tu l'as rendu meilleur."

Elle retient une exclamation. Bizarre, j'arrive presque à lire en elle quand elle agit enfin comme... elle.

Colin : "Le projet a fini en succès. Tu es partie parce que ta mission a échoué pas vrai ?"
Johanna : "Je n'avais aucune raison de rester..."

(Même pas moi ?)

Colin : "Pourquoi tu m'as embrassé ?"
Johanna : "Qu-qu-que... Rien, pour rien !"

(Je m'y attendais.)

Je souris dans mon coin et échappe un petit rire. Je sais qu'il y a un truc, elle est trop embarrassée pour l'avouer. J'en reste là.

Colin : "Et pour ta grand-mère ? Mensonge ?"
Johanna : "Colin..."

C'est comme si elle avait du mal à respirer en prononçant mon prénom. Elle semblait suffoquer. Je l'entends respirer bruyamment.

Johanna : "Très bien, je vais tout te raconter... Mais s'il te plaît... Ne te moque pas de moi après."

(J'ai une raison de le faire ?)

Je l'écouta attentivement.

Johanna : "Je... J'ai menti à propos de ma grand-mère. Elle est déjà morte. Il fallait que je te mente. Il fallait que je m'éloigne de toi... Je suis hackeur professionnel depuis le lycée. On m'a engagé pour différentes raisons. Ça m'importait peu, je gagnais de l'argent, c'est l'essentiel. Je le faisais pour ma grand-mère. J'avais toujours vécu avec elle, je ne connais pas mes parents. Mais elle est morte il y a quelques années..."
Colin : "Alors pourquoi tu continues ?"
Johanna : "Je n'ai rien d'autre ! Je ne sais rien faire d'autre !"

(Allez, je retente encore une fois.)

Colin : "Pourquoi tu m'as embrassé ?"
Johanna : "C'était le coup de grâce, la chose à ne pas faire. Si mon travail a échoué, c'est à cause de toi. Parce que tu ne cesses d'attirer mon regard. Tu as suscité mon attention. Et avant même que je ne m'en rende compte, j'allais vers toi sans le vouloir. Je savais que je ne devais pas. J'avais un rôle à jouer mais tu as su me déstabiliser, toi et ta musique. Elle m'a transpercée. Elle m'a rappelé mes jours heureux, les jours où je n'étais pas encore dans le domaine de la cybercriminalité. Et... J'ai détesté ça. Je ne veux pas m'en rappeler, je ne suis plus cette personne !"
Colin : "Arrête de jouer les dures, t'es pas comme ça. Tu mérites une vie normale, arrête de t'immiscer dans des affaires louches !"
Johanna : "Je n'ai pas d'ordre à recevoir de toi ! Je fais ce que je veux ! C'est le chemin que j'ai choisi, je ne peux revenir en arrière..."

Nos voix sont montés crescendo. On gueule presque. Mais je descends d'un ton par la suite.

Colin : "Johanna, écoute moi. Je t'assure que tu peux passer à autre chose. Je suis passé par là."
Johanna : "Impossible je te dis... Ils me connaissent trop dans le domaine. Je n'ai aucun échappatoire. Déjà que je suis une fille, on me sous-estime sans arrêt. J'en ai bavé pour me faire respecter. Il en va également de ma fierté, je dois partir.
Colin : "Alors je te protégerai !"

(Non mais qu'est-ce que je raconte, sérieux.)

Même Johanna n'en croit pas ses oreilles. J'ai dit ça comme ça mais si elle le souhaite, je le ferai.

J'entends un sanglot étouffé à l'autre bout du fil.

Johanna : "Merci, Colin. Mais je ne reviendrai pas."

Sa voix vient de se casser. Bordel, je me sens impuissant. Je ne sais pas quoi faire pour l'aider. Elle est restée trop longtemps dans ce monde de fous, qu'elle a fini par être emprisonnée. Je m'en veux. Pourquoi on s'est pas croisé plus tôt ? Non, ça aurait servi à rien. J'aurais pas été intéressé. Je suis assez indifférent dans mon genre. Et Johanna est timide. J'aurais pas fait attention à elle.

Johanna : "S-Si... je t'ai appelé ce soir... C'est pour te dire adieu. On ne va plus se revoir, je vais disparaître. J'ai posé un capteur sur le dernier numéro que j'ai utilisé, au cas où on remonterait les pistes jusqu'à moi. J'y ai vu ton numéro. J'ai traficoté les réseaux pour qu'on puisse parler en ce moment. Dès que je raccrocherai, ce sera la fin."

Au fond de moi, je le sais, ce n'est pas ce que je veux. Je veux continuer à la voir. À voir son visage souriant et rayonnant. Je veux continuer à lui parler, je veux qu'elle continue de me voir sur scène. Je veux qu'elle reste à Carter Corp avec moi, qu'on soit encore une fois dans le même bureau. Je veux qu'elle passe ses journées avec moi pour m'aider à composer. Je veux tellement de choses mais seulement si elle est à mes côtés. Mais je peux pas lui dire tout ça, j'y arrive pas. Je peux pas me contenter de la laisser partir comme ça mais qu'est-ce qu'on y peut ? Elle me parle à travers un téléphone public, aucun moyen de la pister après. C'est la fin.

J'inspire bruyamment. Je suis sur le point de faire une connerie que je regretterai toute ma vie : Celle de ne pas avoir retenu une personne qui comptait à mes yeux. Est-ce qu'elle comptait ? Oui, je peux l'assurer. Seulement je ne sais pas... ce que je ressens... Est-ce l'amour ? Probablement. Un amour éphémère. Rien n'est éternel dans cette putain de vie.

Je prépare mon esprit à l'impact. Je dois rester fort. Ce doit aussi être invivable de son côté. Je ne dois pas craquer. Il faut que je reste impassible, que je redresse mes murs, comme je le fais à chaque fois qu'on essaie de se rapprocher de moi.

Je parle d'un ton neutre, presque ferme.

Colin : "C'est la fin donc."
Johanna : "Oui... Te rencontrer a été une belle expérience Colin Spencer. Il faut que j'y aille, adieu..."
Colin : "Adieu."

Avant que le bip ne retentisse, j'ai entendu un léger murmure de sa part. Trois mots qui resteront gravés en moi à jamais. Je raccroche et donne un coup de poing à la table. Il fallait que je me défoule.

Cette nuit-là... De simples verres n'ont pas suffit. Je suis rentré mal en point chez moi mais je ne fus soulagé que quand de petites perles coulèrent le long de mes joues, en silence. Cette nuit-là, il ne restait plus que moi et cette lune solitaire. Tout comme moi, elle était seule mais ne montra pas son chagrin à tout le monde. À la place, elle illuminait la pénombre de chacun. Si la lune continue à éclairer la nuit, moi j'éclairerai le cœur des autres à travers ma musique. Cette rencontre m'aura appris plein de choses. Où que tu sois désormais, je te souhaite le meilleur ainsi que le plus grand bonheur du monde.

Merci.

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