6. Payés pour ça
— Les enjeux éthiques et juridiques de l'intelligence artificielle en médecine... Morte de rire, tu crois que je peux demander la réponse à ChatGPT ?
Harper pouffe.
— Pfff... t'es con, toi.
Je donne un coup de stylo sur le dos de la main de Felicity.
— Je te rappelle que le jour de l'examen, tu seras seule devant ta feuille, ma biche, lui fais-je remarquer.
— Ouais, je sais. Ça va être horrible.
— Mais non, si tu fais ce qu'il faut, il n'y a aucune raison pour que tu ne valides pas ton diplôme, tente de la rassurer Harper.
— Tiens, j'ai sorti tous les sujets qu'on a étudiés cette année.
Je lui tends ma note de révision.
La jolie blonde n'est pas ce qu'on appelle une fille studieuse et si nous ne l'avions pas soutenue, Harper et moi, elle ne serait certainement pas passé en dernière année. La conseillère pédagogique a vite compris que sans notre aide, elle aurait déjà abandonné. Aussi, je n'ai guère été étonnée lorsqu'à l'approche des examens, elle m'a proposé de devenir sa tutrice. C'était prévisible. Je suis la meilleure de la promotion et Felicity est mon amie. Certains le prendraient comme une contrainte. Pas moi. Au contraire. Donner des cours me permet d'asseoir mes connaissances. Et qui sait, si j'arrive à échapper au mariage arrangé, je serai peut-être un jour directrice de recherches , alors autant prendre l'exercice comme une première expérience.
La jeune femme attrape ma liste à contrecœur en mâchonnant bruyemment son chewing gum, sous le regard amusé d'Harper qui sirote son cocktail en se faisant bronzer.
— Les innovations biotechnologiques et leur impact sur les soins aux patients... La résistance aux antibiotiques : causes, conséquences et stratégies mondiales... L'épidémiologie des maladies mentales dans les zones urbaines...
Je me retiens de rire en voyant le visage de mon amie se décomposer à mesure qu'elle énumère les sujets. À la place, je lui reprends la feuille des mains.
— Arrête, tu te fais du mal. Vu ta tête, j'imagine que tu n'as révisé aucun des thèmes présents sur cette feuille, depuis que nous les avons travaillées en cours, je me trompe ?
Sa grimace et son regard de calimero en disent long sur son niveau de retard.
— Tu lui en demandes trop, là, ricane Harper.
— Putain, Féli, tu abuses. Tu ne peux pas passer ton temps à t'amuser et espérer obtenir ton diplôme. Je t'avais donné un plan de révision, tu te rappelles ?
— Je crois que... je l'ai perdu.
Je secoue la tête. Cette fille est irrécupérable.
— OK, soupiré-je. Il nous reste deux semaines avant les partiels. Si on se met au travail tout de suite, ce sera suffisant pour limiter la casse. Mais je te préviens, Feli, si je t'aide, tu joues le jeu à fond, c'est clair ?
Elle acquiesce et à cet instant, son visage angélique ressemble à celui d'une enfant qu'on est en train de gronder. Mon Dieu, qui pourrait en vouloir à cette fille ? Elle est tellement chou...
— Clair comme de l'eau de roche... répond-elle, enjouée. En parlant d'eau, je suis en train de cuir, là. On pourrait pas se piquer une tête avant de s'y mettre ?
— Partante ! s'exclame Harper.
Je lève un sourcil.
—Vous êtes sérieuses ?
Mon regard assassin suffit à les dissuader de bouger le petit doigt.
— OK, OK, s'il faut bosser d'abord, on va bosser d'abord. Rabat-joie !
J'ignore la moue boudeuse de Felicity et tourne mon Macbook dans sa direction.
— On va commencer par traiter les questions à développement. C'est là que tu peux prendre le plus de points, Feli. Et SEULEMENT après, on ira dans la piscine, c'est clair ?
Les deux acquiescent.
— Bien. Alors voyons voir ça... "Étudiez un cas de maladie infectieuse émergente en zone urbaine. Quels défis spécifiques ces maladies présentent-elles aux populations vulnérables ?" On peut prendre la Dengue ou le Zika... Tu as une préférence ? demandé-je à mon élève.
— Aucune, les deux sont transmis par les moustiques. Et je déteste ces bestioles.
Oh là là...
— Bien, tu connais les moyens de transmission, c'est déjà ça.
Son sourire m'éblouit. Mon Dieu, je sens que ça va être long...
Une heure plus tard, Felicity a enfin terminé de traiter le sujet. Et je dois dire que malgré quelques imprécisions, son développement tient plutôt bien la route.
— Tu vois quand tu veux ? Si tu fais ça le jour J, ça peut le faire
— Ouais, sauf que je me suis aidée des bouquins et qu'Harper a eu le temps de faire deux questions quand moi je n'en ai traité qu'une ! Je suis beaucoup trop lente...
— Tu ne va pas tout rattraper en quelques heures, Féli.
— Ca c'est sûr. En plus ça m'a fichu la migraine ces trucs ! Il n'y a pas un petit remontant quelque part ?
— Tiens, s'empresse Harper en lui tendant un verre.
Féli s'empare du gobelet et en aspire le contenu à la paille.
— Hey arrête ! Tu vas tout siffler !
— Oh bordel ! C'est une dinguerie ! s'exclame Feli en reposant le récipient à moitié vide. Isa, t'es la meilleure ! C'est quoi ton secret ?
L'employée de maison est justement en train de changer l'eau des roses qui ont été fraichement coupées ce matin et qui, avec la chaleur ambiante, commencent déjà à piquer du nez. En entendant Harper hurler son prénom, la petite femme s'avance vers nous, un sourire satisfait aux lèvres.
— C'est un Paloma. Et le secret, comme vous dites, c'est de bien doser la téquila et d'écraser quelques feuilles de menthe bergamote avant de servir... Cela relève la saveur des agrumes.
Sans que l'on ait besoin de lui demander, elle remplit nos verres de cocktail coloré.
— Hum... C'est sacrément efficace en tout cas. Exit le mal à la tête. Maintenant je suis prête pour un petit plongeon, s'exclame Felicity en bondissant sur ses jambes.
Cette fois, je la rejoins.
— T'as raison. On l'a bien mérité. Enfin surtout moi ! J'ai dû te supporter quand même !
Mon amie m'envoie sa serviette à la figure pendant que je défais mon peignoir quand soudain, elle marque un temps d'arrêt.
— Oh oh...
— Quoi ?
— Tu sais le type là. Ton "bad bodyguard"...
Je tourne la tête dans la direction qu'elle m'indique.
— C'est le goat, ma belle. Il te lâche pas d'une semelle.
Merde... Effectivement MK se tient un peu plus loin, près de la piscine, à l'ombre des arbres, avec l'un de ses collègues. Comme toujours, il se fait discret, immobile, dos au mur, les pieds plantés dans le sol. J'avoue que je n'avais même pas remarqué qu'il était là. J'ai compris l'autre soir que je n'avais pas d'autre choix que de le supporter et depuis quelques jours, j'ai même fini par m'habituer à sa présence silencieuse dans mon sillage.
Sauf que là, d'où je suis, j'ai l'impression qu'il contracte les machoires. J'en déduis que nous regarder nous pavaner devant lui en maillot de bain n'est peut-être pas aussi facile que ça, même pour un maniaque du controle.
Cette réaction éveille en moi, une méchante envie de jouer.
Oui, c'est moche comme réaction. Et puéril. Surtout que ça fait déjà plusieurs jours que je défile devant lui et lui offre un aperçu de mes plus beaux bikinis. Et alors ? Je ne vais pas m'empêcher de vivre parce que mon père m'impose cette glue ? Tous les ans je passe le dernier mois de cours à réviser avec les filles sur la terrasse. Je ne vais quand même pas changer mes habitudes pour ce type. Il veut être mon garde du corps ? Eh bien il va le voir sous toutes les coutures, mon corps !
Je prends mon temps pour placer correctement mon peignoir sur le dossier de la chaise, rajuste l'échancrure de mon tanga puis me dirige d'une démarche chaloupée dans sa direction. J'aimerais tellement être dans sa tête à ce moment-là. Savoir s'il est vraiment indifférent ou s'il lutte pour ne pas ciller lorsque je m'approche. Le pauvre... engoncé dans son costume, par cette chaleur... Je suis sûre qu'il doit me haïr.
Le mec à côté de lui par contre, est loin d'être aussi statique. Ses yeux sortent littéralement de leur orbite lorsque nous passons près de lui. Il faut dire que les gloussements de Felicity ne doivent pas aider. Lorsqu'il avance le buste, d'un air ébahi, je risque un clin d'œil auquel il répond par le ricanement d'un gamin plein d'espoir. MK lui, m'affuble d'un regard des plus inexpressifs.
Pff ! Je m'en fiche. Je l'emmerde royalement !
Sans me laisser démonter, je me jette dans la piscine d'un plongeon digne des jeux olympiques, rapidement imitée par mes acolytes. Après quelques brasses rafraichisssantes, nous nous retrouvons à lézarder sur les jumbo bag, notre cocktail à la main. Les paupières plissées derrière mes lunettes de soleil, j'observe l'homme d'un œil discret et suis ravie de surprendre plusieurs fois ses yeux posés sur moi. Lorsque la sonnerie de mon téléphone m'indique l'arrivée d'un message, Harper se redresse d'un bond.
— Oh putain de merde ! Je parie que c'est Spencer qui t'invite à sa prochaine soirée.
— Le mec est déterminé... Il en peut plus d'attendre..., renchérit Feli.
Nous avons appris que les sportifs organisaient une nouvelle fête demain soir. Mais mis à part quelques échanges assez chauds en facetime, je n'ai pas revu le beau footballeur et je ne sais pas s'il a prévu de m'y emmener.
Je m'apprête à sortir de l'eau, quand Féli m'arrête.
— Attend, laisse. Eh toi ! lance-t-elle en direction des gardes.
L'homme à côté d'MK semble étonné qu'on lui adresse la parole.
— Oui, toi ! Tu veux bien apporter le téléphone qui est sur la table à mon amie ?
Passé une petite seconde où le doute s'imprime sur son visage, il se précipite sur l'appareil, convaincu par la moue aguicheuse de la jolie rousse.
— Nan mais j'y crois pas... murmur Harper. C'est abusé...
— Quoi ? Ils sont payés pour obéir, non ?
— My God, si je ne t'aimais pas autant, Féli, j'aurais envie de te tuer... murmuré-je.
Bizarrement, son attitude n'a pas l'air de déranger celui qu'elle a interpelé. Au contraire. L'homme est tout content de lui faire plaisir et quand il penche vers moi, un large sourire étire ses lèvres.
— Voilà, tenez mademoiselle.
Je le remercie d'un petite signe. Comme prévu, Spencer m'invite à l'accompagner à la soirée que son club organise.
— Et qui c'est qui va passer la soirée au Beach House les filles ? M'exclamé-je, tout sourire, en pianotant une réponse sur mon écran.
— Youhou !!!
Mes amies ne cachent pas leur joie. Et je les rejoins. Le Beach est l'un des meilleurs spots pour faire la fête.
— Oh putain ! intervient soudain Harper, la mine déconfite. J'ai rien à me mettre !
— On n'a qu'à aller au centre, suggère Féli. J'ai repéré plein de trucs l'autre jour et j'ai une liste longue comme le bras. Je vous préviens, les sacs vont peser une tonne !
— Oh t'inquiète. Je te rappelle que Médor sera collé à mes basques. On aura qu'à lui demander de porter nos affaires.
Est-ce que ça se voit que je n'ai toujours pas digéré la présence d'MK partout où je vais ? Je roule sur le ventre et donne une impulsion sur mon coussin de manière à lui tourner le dos.
— Ca lui donnera l'occasion de se rendre utile, pour une fois, continué-je en posant ma tête sur mes bras croisés.
— Tu devrais mettre de la crème solaire, ma biche... sinon, tu vas virer écrevisse.
— T'as raison. Hey, les gars ! C'est possible d'avoir de la crème solaire ?
Je ne sais pas pourquoi j'ai eu cette envie soudaine d'imiter Féli. Mon solence mériterait une réplique cinglante, voire une bonne paire de claque. Mais c'est le silence qui me répond. Un silence qui m'inquiète d'autant plus que mes amies se figent. Inutile de demander qui a "obéi"... Je sens le poids de son regard sur mes épaules.
Et lorsque je fais tourner mon matelas, je le découvre là, imposant sur le rebord de la piscine, qui me domine. Mais le plus étonnant, ce n'est pas tant qu'il se soit déplacé, mais qu'il tienne dans ses mains mon flacon de crème solaire. Un sourire moqueur se dessine sur mes lèvres lorsque je vois son regard dirigé vers la vue imprenable que je lui offre sur mon postérieur.
Son expression est indéfinissable lorsqu'il s'accroupit pour se mettre à ma hauteur. Pourtant, quelque chose en moi m'intime que c'est le calme avant la tempête. Je relève la tête, mais avant même que je ne réalise ce qu'il va faire, il lâche le flacon dans l'eau, juste à hauteur de mon visage, m'éclaboussant au passage d'une gerbe chlorée.
Je tente de me redresser, mais ne réussis qu'à faire chavirer mon matelas...
L'eau qui pénètre dans ma bouche au moment où je tombe tête la première dans la piscine, me fait suffoquer. Mais moins que le rire de l'homme lorsque j'émerge et qu'il s'exclame, faussement désolé.
— Oups... mes excuses... "PRINCESSE".
Le mépris qui transpire dans ce dernier mot me percute de plein fouet. Je mets plusieurs secondes à reprendre ma respiration, les cheveux devant les yeux, le maillot de travers, tandis qu'il s'éloigne, l'air satisfait.
Salaud ! Il ne perd rien pour attendre !
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