5. Une machine de guerre
Il est cinq heures vingt-neuf. La soirée touche à sa fin. Je pense avoir goûté pas moins de cinq cocktails différents, grignoté quelques paquets de chips et dépensé plusieurs centaines de calories sur la piste de danse. Merde, j'ai la tête qui tourne dangereusement... Mais je m'en fiche.
Ce qu'il y a de bien avec l'alcool, c'est que ça désinhibe et que ça permet de s'évader. J'ai même fini par oublier la présence du chien de garde... Enfin, presque. La musique s'est adoucie depuis un moment déjà et cela fait une bonne vingtaine de minutes que je me balance en plein milieu du salon, le corps collé à celui de mon hôte. Contrairement à ce que je craignais, cette fête s'est révélée plutôt agréable. Spencer et sa gueule d'ange y sont pour beaucoup. Mais comme toute soirée de conte de fées qui se respecte, elle se termine à l'approche du lever du soleil.
— Il va falloir que j'appelle un taxi, marmoné-je dans le cou de mon cavalier.
Mes amis sont partis depuis une heure et je suis seule à la fête, désormais. Seule au milieu d'inconnus ivres et à moitié débraillés.
— Hum... Déjà ? T'es sûre que tu veux pas rester encore un peu... toute la nuit, si tu veux.
Le souffle de Spencer sur ma peau me fait frissonner. Il est mignon. Et gentil. Mais il est hors de question que je dorme ailleurs que dans mon lit cette nuit. J'aime le sexe. Mais je ne couche jamais le premier soir. J'aurais dû le prévenir...
— Non. Il faut vraiment que j'y aille. J'ai dis à mon père que j'irai en mer avec lui dans... — je jette un coup d'œil sur ma montre Cartier — quatre heures exactement.
Le jeune homme proteste d'un grognement mais finit par redresser la tête, comme à contrecœur. L'ombre de désir qui plane dans son regard m'indique qu'il avait effectivement d'autres projets pour moi. Son doigt glisse le long de ma gorge pour descendre jusqu'à ma taille.
— Tu ne m'as pas encore laissé te montrer ce que je t'avais promis... J'ai cru que tu resterais.
Je souris.
— Une prochaine fois peut-être ?
Je plaque ma main sur son torse pour le repousser, mais il me maintient contre lui.
— Ok, beauté. Je veux bien te laisser partir. Mais à une condition.
— Je t'écoute.
Il se lèche les lèvres et tire sur la ceinture de ma robe pour me ramener contre lui.
— Donne-moi de quoi rêver à toi cette nuit. Et toutes les suivantes...
Est-ce un hasard si MK apparait à cet instant dans mon champ de vision ? A quelques mètres de nous ? Est-ce la folie ou les effets de l'alcool si à ce moment il me prend l'envie brutale de le provoquer ?
Quand ton petit ami te collera sa langue dans la bouche, je serai là...
Et bien, qu'il en soit ainsi ! Le toutou va en avoir pour son argent. L'idée me fait marrer intérieurement. Si bien que je me paie le luxe d'un sourire narquois lorsque je me lève sur la pointe des pieds pour glisser mes mains derrière la nuque de Spencer. Le corps pressé contre celui du sportif, j'enroule mes doigts dans ses cheveux et l'invite à sceller ses lèvres aux miennes, déjà entrouvertes. Mon empressement le surprend mais il finit par répondre à mon baiser avec une fougue égale à la mienne.
Alors que je lui offre le meilleur patin de sa vie, je ne peux m'empêcher d'imaginer MK qui nous observe. Bizarrement, cette pensée m'enflamme comme une allumette et ajoute du piment à notre étreinte. Je me mets à gémir et le pauvre Spencer y voit un encouragement. Ses mains dévalent mon dos pour se poser sur mes fesses et soudain, le jeune homme plaque mon bassin contre sa virilité en éveil. Le sentir contre moi, dur et impatient me ramène brusquement sur terre.
Je m'écarte, troublée par le cour de mes pensées. Il me faut quelques secondes pour reprendre mes esprits et mon souffle. Bon sang, qu'est-ce qui m'arrive ? La réponse m'apparait vite évidente. MK est toujours là. Et le long frisson qui me parcourt à cet instant me confirme que ce n'est pas le baiser de Spencer qui m'a mise en ébullition... C'est de savoir que ce salaud m'observait. Un sentiment de culpabilité m'envahit alors, rapidement balayé par l'énervement.
J'en ai rien à foutre de ce qu'il pense !
— Ça va Rosie ?
Je reporte mon attention sur mon cavalier et réalise bêtement que je suis en train de martyriser son cuir chevelu. Je m'écarte et reprend rapidement contenance.
— Désolée... Merci pour la soirée, Spencer. C'était... sympa.
— J'espère qu'il y en aura d'autres. Et qu'elles seront plus que seulement "sympa"...
Sa répartie me fait sourire.
— Bonne nuit Spencer.
Je lui donne un dernier baiser avant de me diriger vers mon chaperon qui m'attend vers la porte d'entrée, imperturbable ...
— Je vais appeler un taxi, déclaré-je sans préambule, en me plantant devant lui.
Il ne répond pas, se contentant de me fixer avec un je ne sais quoi qui me crispe. Avec un soupir d'exaspération, je le contourne pour quitter la maison. Mais alors que je fouille mon sac à main à la recherche de mon téléphone portable, je suis surprise de voir qu'une voiture attend déjà dans la cour.
Sans un mot ni un regard, MK se dirige vers le taxi et m'ouvre la portière. Désarçonnée, je m'engoufre à l'intérieur avec une seule envie, oublier que ce mec existe.
***
— A quoi est-ce que l'on trinque ? demandé-je en attrapant la coupe de champagne que me tend mon père.
— A toi, princesse. Et au brillant avenir qui t'attend...
Je fais la moue. Je le vois venir à des kilomètres...
— Mon avenir ?
— Oui. Tu es devenue une magnifique jeune femme. Et il est normal que je te souhaite le meilleur...
— J'imagine que pour toi, le meilleur, c'est de trouver un mari ? Un mari que tu auras choisi, bien sûr...
Son sourire s'élargit.
— Evidemment. De quoi d'autre pourrait rêver un père pour sa fille unique ?
— Je ne sais pas... D'un travail qui lui plait. D'une autonomie financière... D'indépendance ?
Cette fois il éclate carrément de rire.
— Ton autonomie financière est placée sur le compte en banque que j'ai ouvert à ton nom à ta naissance, ma rose... Je comprends que tu t'amuses à faire des études mais...
Cette fois, je ne peux retenir mon agacement.
— Je m'amuse à faire des études ? C'est ce vraiment ce que tu penses ?
Je pose ma coupe et marque une pause pour digérer l'insulte.
— OK. Je sais que j'en ai pas l'air et que tu dois me considérer comme une fille frivole qui passe son temps dans les soirées étudiantes. Mais si tu t'intéressais un peu à mes résultats, tu saurais que je mérite largement d'obtenir mon diplôme et que je serai probablement major de promo ! J'ai un an d'avance, papa. Tu crois qu'on m'en a fait cadeau ?
Mon père comprends sa bévue et lève les mains devant lui en signe de rémission.
— Bien, bien... je ne voulais pas t'offenser.
— Et bien, c'est raté !
Quand je m'apprête à me lever, il me retient.
— Excuse-moi, ma princesse Je ne cherchais pas à être blessant. Je ne devrais pas remettre en question ton travail. Je suis très fier des efforts que tu fais.
Efforts qui ne serviront à rien, apparemmment. Je me renfrogne.
— Tu me pardonnes ? insiste-t-il.
Je ne crois pas un mot dans ses excuses. Cependant, quand il passe son bras autour de mes épaules et embrasse ma joue, mon ressentiment s'envole. J'ai toujours été trop faible avec lui.
— Oui. Mais on ne parle plus de mon avenir alors.
— Promis. Pas aujourd'hui.
OK... Il ne lâchera pas l'affaire comme ça. Mitigée, je vide ma coupe et porte mon attention sur le paysage paradisiaque qui s'étale sous nos yeux. Une eau cristaline s'étale à perte de vue, jusqu'à se fondre avec l'horizon.
— Je ne m'en lasserai jamais. C'est le plus bel endroit du monde, soupiré-je.
Le vue qu'offre le lagon de Coronado Islands est digne d'une carte postale. Dommage qu'elle soit gâchée par la silhouette d'un homme qui se tient pile dans mon champ de vision. Ma bouche se tord en une grimace.
— Papa... Je peux te demander quelque chose ?
— Tout ce que tu veux, ma princesse...
— Ton MK, là... il va vraiment me suivre partout, comme ça, tout le temps ?
Je lance un regard mauvais en direction du type, installé sur le pont du yacht, à quelques mètres de nous. Je n'ai pas encore digéré la soirée d'hier et l'indifference hautaine avec laquelle il m'a traitée. Mon père ne s'attendait certainement pas à cette question. Il se redresse sur son transat et place sa main en visière.
— Qu'est-ce qui te dérange dans le fait d'avoir un garde du corps, dis-moi ? Regarde, moi. Je ne sors jamais sans plusieurs de mes gars pour assurer ma protection.
Je me renfrogne et relève mes lunettes de soleil pour le regarder droit dans les yeux.
— Ça n'a rien à voir. Je ne comprends pas pourquoi tu m'imposes ce type ? Et pourquoi maintenant ? Je n'ai jamais eu besoin de bodyguard auparavant...
Je ne saurais dire pourquoi, mais je suis presque certaine qu'il me cache quelque chose.
— Je te l'ai dit. De nos jours, on doit se méfier de tout et de tout le monde.
Mon soupir en dit long.
— Parfois, j'aimerais que tu ne sois pas aussi riche.
Mon père s'esclaffe.
— Et faire une croix sur tes robes hors de prix et tes parfums de luxe ?
Je fais la moue.
— OK, juste un peu. Mais autant, je peux comprends que toi, tu prennes des précautions. Et encore, je ne vois pas ce qui pourrait arriver à un bureaucrate qui passe sa vie derrière à serrer des mains et jouer avec des chiffres. Mais moi ? À moins que tu ne me dises pas toute la vérité...
— Je n'ai rien à te cacher, ma fille. Tu sais parfaitement tout ce que tu as à savoir...
Autant dire, pas grand chose.
Je me renfrogne, mais ne réponds pas. De toute façon, je sais que cela ne servirait à rien de négocier. Quand Willaim Doe a une idée en tête, personne ne peut le faire changer d'avis. Ceci dit, je ne renonce pas à obtenir quelques informations.
— Et pourquoi lui, spécifiquement ? demandé-je en désignant la silhouette.
— Parce que c'est le meilleur.
Mon père n'a pas hésité une seule seconde en répondant et je sens dans sa voix une sorte d'admiration pour l'homme qui se tient devant nous.
— Vraiment ?
Sa réponse m'intrigue. Je me demande bien ce que ce mec peut avoir de si spécial. Mis à part qu'il a la sensibilité d'un bloc de béton. Et en même temps, ça m'énerve parce que je sais déjà que je vais devoir le supporter. Nuit et jour...
— MK est entré dans l'armée américaine à dix-sept ans. A vingt ans, il est devenu tireur d'élite. Quatre ans plus tard, il a été nommé au service de protection de la Maison blanche pour s'occuper des dignitaires internationaux dits "sensibles". Cet homme a été formé par les meilleurs. C'est une machine de guerre... Tu en as assez ou tu veux que je te passe tous ses états de service ?
Ouh là... je vois que le sujet est sensible... Je ne peux réprimer une petite grimace.
— Il doit te coûter une fortune pour pas grand chose.
— Rien n'est trop cher pour ma princesse.
— OK. Je vois que je n'ai pas mon mot à dire, alors...
— Exactement.
Qu'est-ce que je pourrais bien répondre à ça ? Je comprends que je n'aurai pas gain de cause et que je dois juste subir la situation. Pour autant, je m'autorise à marquer mon mécontentement.
Je me lève, pose mes Rayban sur la table basse, avant de retirer ma robe de plage d'un geste rageur.
— Qu'est-ce que tu fais ? demande mon père, surpris en me voyant me diriger vers la plateforme de baignade.
— Je vais piquer une tête, répliqué-je en fusillant les deux hommes du regard. Je peux ou ton molosse doit aussi me coller aux basques quand je nage ?
Sans tenir compte de l'effet de mes paroles sur les deux hommes, je plonge, tête la première dans l'eau turquoise.
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