4. Je tiens toujours mes promesses
— Oh ! My ! God ! J'en reviens pas qu'on aille chez Spencer Harrigton ! Je suis excitée comme une pute ! s'exclame Félicity d'une voix aiguë.
— Tu veux sûrement dire, une puce ? s'inquiète Harper.
— Roooh ! Mais non, voyons ! C'est la réplique d'un film français, tu ne connais pas ?
Je lève les yeux au ciel.
— Ces jeunes n'ont plus aucune culture...
— Ben quoi ? Je n'aime pas les films français !
Quelques minutes plus tôt, Harper et Felicity ont pris place dans l'énorme Cadillac Escalade, envahissant l'habitacle des effluves sucrées et entêtantes de leur parfum de créateur. Isaac, le jumeau de Felicity s'est installé sur le siège en cuir beige, face aux nôtres et examine l'intérieur du véhicule avec un sifflement admiratif.
—Choqué ! C'est stylé de ouf là-dedans !
— L'une des dernières lubies de mon père, soupiré-je, blasée. Il a dû racheter une concession automobile...
Avec la Mercedes, on avoisine les quatre-cent mille dollars. Quand je pense que ces deux bagnoles pourraient financer plusieurs mois de recherche médicale, c'est honteux !
— Vitrage blindé et tout. Oh mate ça, y'a même un bar... ajoute Isaac en ouvrant une petite trappe. Je kiffe !
Il en ressort une bouteille transparente qu'il ouvre, avant d'en goûter le contenu.
— Pouah ! Dinguerie ! tousse-t-il en s'essuyant la bouche.
— C'est quoi ?
Harper le bouscule pour regarder. Je n'ai pas besoin de lire l'étiquette. La forme de la bouteille m'est familière.
— Belvédère, interviens-je. Mon père la fait venir tout droit de Pologne.
Je connais ses goûts pour cet alcool prestigieux.
— Une Vodka de luxe pour une soirée d'exception, rétorque le jeune homme aux cheveux roux en prenant une nouvelle gorgée.
— Si mon père te voyait boire ça de cette façon, il te tuerait, le raillé-je.
— Peu importe le flacon, pourvu qu'on ait l'ivresse... C'est vendredi soir ! On fait la fête !
— Il a raison, rétorque Harper en tentant de s'emparer de la bouteille. C'est peut-être l'une de nos dernières soirées avant les révisions. Je fatigue d'avance...
— Ouep ! Et puis, on est jeunes, faut bien qu'on s'amuse !
C'est vrai. N'en déplaise à Isadora. L'année touche à sa fin et durant les prochaines semaines, les examens vont accaparer tout notre temps libre. Alors c'est assurément le moment idéal pour décompresser avant d'attaquer la dernière ligne droite.
— Mais tellement ! Monte le son, Jenkins ! hurle Félicity.
Le chauffeur s'exécute tandis que la jeune femme prend la bouteille des mains de son frère. Alors qu'elle s'apprête à avaler son contenu, elle stoppe son geste brusquement, le sourcil levé, les lèvres appuyées contre le goulot.
— C'est qui, lui ? demande-t-elle en désignant l'homme assis sur le siège passager.
Je me renfrogne avant de rétorquer suffisamment fort pour couvrir la musique.
— Figure-toi que mon père s'est mis en tête de me coller un chien de garde dans les pattes.
Mon regard se porte sur le rétroviseur panoramique, dans lequel les yeux d'MK se reflètent. Encore une fois, il semble parfaitement hermétique à ce qui l'entoure, comme si rien ne pouvait l'atteindre.
La bouche d'Harper s'étire sur un petit sourire tandis qu'elle s'approche de moi.
— Hum... canon cette cicatrice ! Si ça t'ennuie, je peux prendre ta place. J'aime bien l'idée que ce badboy me colle au train...
Cette fille est folle. Elle a toujours été attirée par les mauvais garçons. Dans la glace, MK rive son regard au mien. Il est impassible, et pourtant je ne parviens pas à m'en défaire. Sa présence me perturbe et je me sens comme une idiote, à ne plus savoir quoi dire... ou quoi penser. Je pense que j'aurais même cessé de respirer si à ce moment-là, le gros 4x4 ne s'était pas arrêté dans la cour d'une immense villa éclairée d'innombrables lanternes colorées.
— Si je le pouvais, je te cèderais volontiers ma place, lancé-je d'un ton acide avant d'ouvrir la portière. Merci Jenkins. Vous pouvez rentrer à la maison. On va prendre un taxi pour le retour...
À ma grande surprise, le chauffeur adresse un coup d'œil en direction de son voisin. Nan, mais je rêve où il lui demande son approbation ? MK acquiesce d'un imperceptible mouvement de tête.
— Bonne soirée, Mademoiselle.
Je m'extirpe de la voiture en maugréant, avant d'embrasser Hercule qui gémit de me voir partir. Mais à peine ai-je posé le pied à terre que MK apparait déjà à mes côtés, droit comme un i, les traits figés, à observer les alentours comme si un terrorriste allait surgir de nulle part. Agacée, je me place face à lui.
— Tu comptes vraiment me suivre partout comme un clébard ?
Silence. Le type me toise, lèvres scellées avec... rien. Que dalle ! Il n'y a aucune espèce d'expression dans ses yeux couleur noisette. Je me plonge un instant dans leur couleur improbable à la lueur des lanternes. Du marron très clair vers la pupille en allant jusqu'au vert sur l'extérieur de l'iris. Le tout parsemé d'éclats d'or et bordé de cil si épais qu'on dirait qu'ils sont maquillés. Un regard intrigant, difficile à soutenir...
Troublée, j'inspire profondément et finis par faire volteface.
—Saleté de...
Contre toute attente, l'homme m'arrête et le contact de ses doigts chauds s'enroulant autour de mon poignet me fige. Mais moins que le ton glacial de sa voix lorsqu'il m'adresse enfin la parole.
— Ton père m'a demandé de te protéger et c'est exactement ce que je vais faire. Alors, oui, princesse, je vais te suivre comme ton ombre. À chacun de tes pas, chaque geste, je serai là. Quand tu siroteras des cocktails au bar, quand tu joueras la reine du dancefloor, quand ton mec te collera sa langue dans la bouche, et même quand t'iras pisser... Je serai là. Prends-le pour acquis. Alors, respire un bon coup et arrête de faire tes caprices de gamine trop gâtée.
Je reste un instant stupéfaite, désarçonnée par sa trivialité autant que par son mépris et la violence de son jugement. De quel droit utilise-t-il le surnom que mon père me donne ? Mes poings se serrent. J'ai envie de lui crever les yeux, mais au fond de moi, je n'en mène pas large. Alors je me dégage d'un geste brusque, la bouche pincée.
— Parfait ! Si ça te fait plaisir. Amuse-toi bien.
L'ombre d'un sourire se dessine sur ses lèvres magnifiques et lui donne un aspect plus dangereux encore.
— Ça ne me fait pas plaisir. Je fais seulement mon boulot !
Connard ! Finalement, je préfère quand il la ferme, sa belle gueule ! Vexée, je lui tourne le dos sans rien ajouter et rejoins mes amis près de l'entrée, tremblante d'énervement. Spencer est déjà là, dans l'encadrement de la porte. Son regard qui me balaye et l'admiration que je lis dans ses prunelles me rassérènent un peu.
— Rosalind...
Je me force à sourire bien décidée à masquer mon trouble, tandis que le jeune homme me fixe, comme s'il avait vu une apparition divine.
— Qu'est-ce qui t'arrive, Rosie ? T'as l'air énervé... intervient Harper, inquiète.
— Non. Rien d'assez important pour me gâcher la soirée...
Je reporte mon attention sur Spencer, espérant que son regard appréciateur et sa gentillesse me feront vite oublier le clébard à mes trousses.
— Bonsoir.
— J'avais peur que tu ne viennes pas, murmure-t-il.
— Sache que je fais toujours ce que je dis.
Le sourire du jeune homme s'agrandit alors qu'il me tend la main.
— Et moi, je tiens toujours mes promesses...
Je glisse mes doigts dans sa paume, chaude et douce et le laisse m'entrainer à l'intérieur. Mais un coup d'œil en arrière m'indique que MK aussi, a bien l'intention de tenir parole. Sans aucune gêne, l'agent de sécurité pénètre dans la vaste demeure, très à l'aise et indifférent aux regards mi-surpris mi-méfiants des convives. Il est vrai qu'avec son mètre quatre-vingt-dix et son air « avenant », le type ne passe pas inaperçu.
— T'as emmené... un ami ? demande Spencer au bout d'un moment en désignant l'homme en question.
Je vois bien qu'il est intrigué par la présence d'MK. Malgré tout, il reste poli et bien élevé. Ma bouche se tord en une grimace d'excuse.
— Disons plutôt un fardeau... Mon père est très à cheval sur tout ce qui touche à ma sécurité en ce moment. Ce type est la dernière nouveauté en date...
— Il a plus l'air d'un gangster que d'un garde du corps.
Effectivement. Avec sa balafre et les tatouages qu'il arbore sur les mains, on dirait qu'MK sort tout droit de prison. Je lutte contre l'envie de me retourner.
— Tu crois qu'il... ?
— Chut ! Assez parlé de lui... tu m'as promis quelque chose d'exceptionnel, tu te souviens ?
Le sourire de Spencer en dit long quand il glisse sa main autour de ma taille pour m'attirer à lui. Je le laisse faire, attentive à son odeur lorsqu'il se penche vers moi pour déposer un baiser léger, juste au coin de mes lèvres.
— Si tu savais depuis combien de temps j'attends ce moment...
Je voulais oublier MK...
Malheureusement, à cet instant, je ne sais pourquoi, mon regard le cherche. Comme si mon inconscient me dictait de le faire. Comme s'il me fallait une putain d'approbation. A moins que ce ne soit le besoin de vérifier qu'il fait son « boulot » comme il dit ? C'est ridicule !
L'homme est toujours à la même place, mais à présent, plusieurs filles lui tournent autour. L'attrait des mauvais garçons, sans doute. Cependant, il ne prête qu'une attention passive à ces nanas, qui à n'en pas douter, sont en manque de sensations fortes... Si tant est que cela soit possible, je lui trouve un air encore plus froid. Comme le marbre qu'on trouve sur les pierres tombales.
Bon sang, quelle hypocrisie ! Pourquoi est-ce que je me préoccupe autant de ce type alors que je voudrais l'ignorer ?
Merde ! Cet homme est un véritable mur de glace ! Une montagne d'insensibilité. Et pourtant. Si j'étais honnête avec moi-même, j'avouerais qu'il constitue le plus gros défi qu'il m'ait été donné de relever. Parce qu'il m'a remise à ma place quand tout le monde se plie toujours à mes caprices... Parce qu'il est resté de marbre, quand tous les autres tombent irrémédiablement sous mon charme...
Oui ! A présent mon côté sombre n'aspire qu'à le faire réagir. Déceler ne serait-ce que l'ombre d'une émotion sur son visage de statue de bronze. À quoi ressemblerait-il si je parvenais à le mettre en colère ? Est-il capable de s'énerver au moins ? Ou fait-il tout avec un sang-froid inébranlable, comme une machine ?
Un mec comme MK peut-il vraiment perdre le contrôle de lui-même ?
La diablesse en moi a une soudaine envie de le découvrir...
***
MK
Je pense que, de ma vie, je n'ai jamais eu envie de tuer une femme. À aucun moment.
Jusqu'à ce que je rencontre Rosalind Doe.
Merde ! Depuis que j'ai croisé son regard, je ne rêve que d'une chose : l'étrangler. Je crois même que je n'ai jamais rien désiré d'aussi fort. Glisser mes mains autour de sa gorge délicate, sentir sa peau douce se couvrir de frissons et voir ses yeux de biche s'écarquiller tandis que mes doigts se resserrent inexorablement pour la faire taire.
Cette femme est tout ce que je méprise. Une gamine pourrie gâtée, fille à papa, qui est née avec une cuillère en or dix-huit carats dans la bouche. Elle est exaspérante... bien trop précieuse pour être honnête. Et incroyablement belle.
À elle seule, elle représente la tentation, l'interdit, l'inaccessible. Ces filles qui aguichent et croient que tout leur est dû.
Il y a comme une barrière infranchissable entre mon monde et le sien. Mais qu'à cela ne tienne. Elle ne perd rien pour attendre. Le temps viendra où elle tombera de son pied d'estale. Et à ce moment-là, je me délecterai de sa déchéance.
Oui. Assurément. Je vais prendre un malin plaisir à voir son univers s'écrouler.
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