2. Pour rien au monde

— Salut Jenkins !

Le chauffeur au costume impeccable pose son index sur le rebord de sa casquette pour m'adresser un salut discret avant d'ouvrir la portière arrière d'une magnifique berline flambant neuve. Hercule se précipite à l'intérieur, la queue frétillante.

L'homme lui, s'installe au volant de la Mercedes et après s'être assuré que j'étais bien attachée, emprunte l'allée bordée d'arbustes jusqu'au portail en fer forgé. Le moteur vrombit lorsqu'il écrase l'accélérateur pour s'engager sur Sunset Boulevard.

—Devons-nous récupérer votre amie, Mademoiselle ? demande-t-il en me jetant un coup d'œil dans le rétroviseur.

— Comme d'habitude.

Le chauffeur affiche un petit rictus quand il accélère.

— Je me félicite d'avoir pris la Maybac, alors. Vous aurez au moins une chance d'être à l'heure pour votre premier cours.

— Je n'en doute pas une seconde, Jenkins. Vous êtes le meilleur pilote de la ville !

Je le vois réprimer un sourire. Et dire que ma gouvernante pense que je le fais enrager avec mes retards à répétition ! Je crois au contraire qu'il est ravi de pouvoir mettre en pratique ce qu'il apprend pendant les leçons de pilotage que lui paye mon père.

— Elle en a sous le capot, celle-ci, je me trompe ?

Un éclat brille dans ses yeux sombres.

— Oh oui, Mademoiselle. Ce modèle est un coupé S. Le moteur développe pas moins de 612 chevaux pour une vitesse maximale de 250 kilomètres par heure... Un vrai bolide dans un confort de limousine. Votre père a toujours eu un goût certain pour les belles cylindrées.

— Oui. Pour les femmes, aussi, d'ailleurs plaisanté-je.

— Je ne me permettrai pas de me prononcer sur ce point.

Quelques minutes plus tard, le véhicule ralentit devant le portail d'Harper, à plusieurs pâtés de maisons. La jeune femme aux allures d'influenceuse nous rejoint en courant, juchée sur des talons de douze centimètres. Je me suis toujours demandé comment elle parvenait à ne pas se péter les chevilles sur ces échasses. L'habitude, sans doute...

— Bon sang Rosie, j'ai failli attendre ! s'exclame-t-elle en m'embrassant. Salut Jenkins ! Salut toi !

Hercule saute sur ses genoux pour lui faire la fête.

— Bonjour Mademoiselle Bergman.

— Je compte sur vous pour qu'on soit à l'heure, ajoute-t-elle tandis que la voiture redémarre.

Harper repose le teckel et fouille dans son sac pour en retirer sa poudre qu'elle commence à appliquer méticuleusement sur ses joues.

— Évidemment qu'on y sera ! m'exclamé-je.

— Tant mieux ! Johnson a prévu de faire intervenir le kiné officiel du club de foot aujourd'hui, tu savais ? J'ai pas envie de rater ça.

Je hausse les sourcils avec une moue étonnée.

— Il paraît qu'il vient avec des cas pratiques... reprend mon amie, une lueur vicieuse dans ses yeux de biche. Je ne serais pas contre une petite séance de massage avec de beaux sportifs. Tu crois que Spencer sera présent ?

Spencer... Ce nom me laisse pensive. La dernière fois que j'ai croisé le footballeur, devenu récemment la star de l'équipe locale, il essayait tant bien que mal d'attirer mon attention. Le pauvre. Cela fait des semaines qu'il me court après. C'est vrai qu'il est mignon... Carrément canon même. Peut-être est-il temps de lui accorder l'attention qu'il mérite...

— Je dois dire que ce serait... assez excitant.

Machinalement, j'extirpe mon gloss de mon sac pour parfaire mon maquillage avant d'examiner mon reflet d'un œil critique.

— T'es magnifique, s'exclame Harper à mes côtés. C'est même carrément indécent d'être aussi canon un lendemain de soirée.

Effectivement. La fée nature a été plus que bienveillante en se penchant sur mon berceau. Mes yeux sont à peine cernés alors que je n'ai dormi que quelques heures. Et hormis cet infime détail, avec mes cheveux blond clair parfaitement lissés, ma bouche naturellement colorée et mon teint de porcelaine, je suis fraîche comme une rose... Mon père me répète toujours que je tiens cette qualité de ma mère et que c'est pour cette raison qu'ils m'ont donné ce prénom. Elle les adorait, particulièrement les "Château de Chenonceau" que mon père fait cultiver dans le jardin en son hommage. Une variété aux couleurs poudrées, allant du rose pâle au blanc.

— Mesdemoiselles, nous sommes arrivés.

— Déjà ? T'es le meilleur, Jenkins ! s'exclame Harper.

— Tu vois ? Je te l'avais dit !

Après une dernière vérification dans le miroir, j'ajuste mon chemisier.

— Sois sage, petit monstre, lancé-je à l'attention de mon chien avant de sortir de la voiture, avec assurance, en calquant un sourire sur mes lèvres.

Je sais qu'à partir du moment où mes pieds toucheront le sol, tous les regards se fixeront sur moi. Depuis toujours, j'attire l'attention. Partout où je passe. Je suis de celles qu'on envie, qu'on admire ou qu'on convoite. Pour de bonnes ou mauvaises raisons, peu importe. Dans ce milieu surfait où l'argent, le pouvoir et la beauté règnent en maître, j'évolue avec l'aisance de ceux qui dirigent le monde. Ma vie est réglée comme du papier à musique. Je sélectionne avec soin ce qu'il y a de meilleur pour mon avenir et je fais en sorte de ne rien laisser au hasard. Ni mon apparence, ni mes fréquentations, ni mes choix.

J'ai la chance d'être bien née et accessoirement dotée d'une beauté indéniable, certes. Mais ça ne suffit pas. Depuis toute petite, j'ai compris qu'il fallait aussi être une travailleuse acharnée. Ma mère a fait une croix sur ses rêves le jour où elle s'est mariée. Moi, j'ai choisis l'indépendance, au grand dam de mon père. À la fin de l'année, j'obtiendrai mon Bachelor en Sciences de la santé avec un an d'avance, probablement avec une mention, et j'intégrerai un cursus en santé publique pour me spécialiser en épidémiologie. Cela peut paraître étonnant qu'une fille de ma condition veuille consacrer sa vie aux autres. Dans mon milieu, les femmes n'ont pas vraiment voix au chapitre et les stéréotypes ont la vie dure. Beaucoup considèrent que la femme idéale est celle qui saura s'épanouir dans un mariage de convenance...

Une potiche sans cervelle juste bonne à élever des gosses et satisfaire les délires salaces d'un époux omnipotent. Mon père fait partie de ces gens-là. Malgré l'amour que je lui porte, je hais sa manière de penser. Cela fait plusieurs années déjà qu'il projette de m'unir à l'un de ses riches associés, qu'il aura pris soin de choisir, naturellement. Son rêve, c'est que je reste tranquillement à la maison, sans prendre de risque, et surtout que j'apprenne à fermer ma jolie bouche...

Malheureusement pour lui, je ne suis pas la fille docile qu'il aimerait. J'ai de l'ambition, de la volonté à revendre et pas l'intention de garder ma langue dans ma poche. C'est grâce à ces qualités que je parviendrai à mes fins. Je ferai tout pour réussir. Et pour lui prouver ma détermination, j'ai choisi une carrière bien loin de la sienne.

Depuis son plus jeune âge, mon père excelle dans le monde des affaires, comme il se plait à le dire. Je n'ai jamais vraiment su ce qu'il faisait exactement. Ou plutôt, je n'ai jamais trop cherché à comprendre. La seule chose dont je sois certaine, c'est qu'il n'a pas à rougir de sa fortune. Il a construit un empire à partir de presque rien et aujourd'hui ses entreprises florissantes nous assurent un train de vie bien supérieur à ce que la décence n'impose. Mais vivre dans l'opulence a un prix et mon père passe son temps loin de la maison... Compliqué de façonner son enfant à son image quand on est absent trois semaines sur quatre.

Cela dit, je serais mal placée pour lui en vouloir... C'est un homme combatif qui s'investit pleinement dans ce qu'il entreprend. À la mort de ma mère, il a promis que je ne manquerais jamais de rien. Et il a tenu parole, s'attachant à ce que j'aie ce qu'il y a de meilleur en ce monde. Je ne vais pas m'en plaindre. J'adore les jolies choses.

Revers de la médaille, sa réussite l'a rendu complètement parano. Obsédé par tout ce qui touche à notre sécurité. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle notre maison grouille de gorilles armés jusqu'aux dents et entrainés aux meilleures techniques de combat. Parfois, j'ai l'impression de vivre à la Maison Blanche...

— Salut Rosie !

— Salut.

Machinalement, j'adresse un petit signe à la fille qui vient de me saluer avant de sourire à un autre groupe d'étudiants qui nous suivent des yeux tandis que nous nous dirigeons vers l'amphithéatre.

— Eh eh qui est-ce qui avait raison ? s'exclame Harper, me sortant de mes pensées.

Elle me tourne autour, un petit sourire fiché sur les lèvres, avant de m'entrainer vers Felicity. La blonde peroxydée qui complète notre trio nous attend à nos places habituelles, près de la rangée de fenêtres qui donnent sur le terrain de sport.

— Oh my God, les filles... je crois qu'on va avoir droit à un défilé d'abdos, ce matin !

Je comprends rapidement ce qu'elle sous-entend lorsque M. Johnson accueille le kiné de l'équipe de foot, accompagné de plusieurs sportifs. Leur arrivée sur l'estrade n'est pas passée inaperçue. La nôtre non plus d'ailleurs. Les garçons ont les yeux rivés sur nous, bouche légèrement ouverte, une lueur admirative éclairant leurs prunelles alertes.

— Je te l'avais dit ma belle. Spencer est là... et on dirait bien qu'il veut te manger toute crue...

C'est plutôt moi qui vais le dévorer... le pauvre. Faisant mine d'ignorer le capitaine de l'équipe, j'étale délicatement mes affaires sur la table, avant de jouer avec mon crayon, glissé entre mes lèvres. Lentement, je le fais tourner contre mes dents, dans un geste provocateur qui n'échappe pas au garçon qui me mange des yeux. L'appât est lancé...

À la fin du cours, la température de la salle a grimpé de plusieurs degrés.

— Bien, je vois que ce cours vous a plu mesdemoiselles ! A présent, il est temps de passer aux choses sérieuses. Vous préparerez un compte-rendu de la séquence pour la semaine prochaine.

Je note rapidement le devoir dans mes notes et alors que je quitte la salle pour mon prochain cours, une moue satisfaite se fiche sur ma bouche lorsque Spencer se précipite à ma suite. C'est tellement prévisible...

— Salut Rosie, ça va ?

— Salut. Oui. Ça va et toi ?

Ne pas tourner la tête. Ne montrer qu'un vague intérêt... et repositionner mes cheveux derrière mon oreille pour dégager ma gorge.

— Oui. Euh... Dis-moi, je me demandais...

— Oui ? le coupé-je en m'arrêtant brusquement, les yeux plantés dans les siens.

Mon côté sadique s'enorgueillit de le voir troublé lorsque je place mes mains dans mon dos et m'appuie nonchalamment contre les casiers.

— Euh...

Il marque un temps d'arrêt les yeux écarquillés avant de toussoter pour reprendre contenance.

— J'organise une petite fête chez moi ce soir, reprend-il en plaçant sa main à côté de ma tête. Et je me demandais justement si tu accepterais de venir.

Je lève un sourcil, penche la tête sur le côté tout en mordillant ma lèvre inférieure.

— Et pourquoi est-ce que je ferais ça ?

Le garçon semble désarçonné par ma question. N'importe quelle fille ici présente rêverait de recevoir une telle proposition. Mais moi... je ne suis pas comme les autres. Le menton relevé, je soutiens son regard, un petit sourire aux lèvres.

— Hum... Eh bien...

L'homme se redresse, fait gonfler ses pectoraux à travers son t-shirt aux couleurs de l'équipe. Il est vraiment pas mal... pas mal du tout, même. J'en viens à regretter de ne pas l'avoir calculé plus tôt.

— Je ne sais pas. Parce que je suis le meilleur joueur de la saison...? Parce que tu seras accueillie comme une reine. Et parce que je te promets de te montrer... deux-trois trucs de sportif.

Le double sens de ses paroles me fait sourire. Quel culot ! J'adore ça.

— Vraiment ?

Il s'avance, tout près, et son parfum délicieux de mâle en chasse vient chatouiller mes narines lorsqu'il frôle ma joue, pour susurrer à mon oreille.

— Vraiment.

Je place ma main sur son torse pour le repousser. Ses muscles qui se contractent sous mes doigts me procurent une délicieuse sensation, prémices d'une soirée excitante. À mon tour, je m'approche, jusqu'à toucher ses lèvres.

— Ok, je viendrai murmuré-je simplement, avant de glisser sur le côté pour rejoindre mes amies, ignorant les regards curieux qui nous traquent.

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